Les politiques sont incorrigibles. Nicolas Sarkozy vient de tomber dans le travers de tous ses prédécesseurs qui font une chose et disent le contraire. On nous dit depuis des mois sur tous les tons qu'il faut réduire, que l'on va réduire le nombre de fonctionnaires. Et beaucoup de Français sont sans doute convaincus de l'utilité de cette mesure. Mais un simple remaniement ministériel nous a montré qu'on ne le ferait pas. Du moins pas avec toute l'ardeur annoncée.
Nicolas Sarkozy et François Fillon avaient, au lendemain de ces élections municipales perdues, l'occasion de montrer leur volonté de faire des économies en resserrant les rangs et en supprimant des ministères dont nul ne voit l'intérêt sinon les quelques associations qui en vivent (je pense, bien sûr aux Anciens Combattants). Ils ont fait tout le contraire, ils en ont créé 6 nouveaux avec ce que cela suppose d'emplois dans les cabinets, de batailles bureaucratiques pour trouver des bureaux, se créer un espace…
Etait-il vraiment nécessaire de créer un secrétariat d'Etat au grand Paris quand il y a la région, la ville et un secrétariat d'Etat à l'aménagement du territoire (qu'est-ce que le Grand Paris sinon de l'aménagement du territoire?) pour traiter ce dossier? Mais il fallait donner un signe aux sarkozystes. C'est fait. Le temps de l'ouverture est fini. Tout commence à rentrer dans l'ordre. Cela valait bien une entorse aux principes d'économie, mais à force d'entorses…
Avoir des opinions est l'un des éléments du bien-être, affirmait il y a une quinzaine d'années, l'économiste A.O.Hirshman. Les blogs sont une bonne manière d'afficher ses opinions mais aussi, et peut-être même surtout, de les construire. C'est ce qui m'a donné envie de tenir celui-ci
vendredi, mars 21, 2008
lundi, mars 17, 2008
Sur la victoire de la gauche aux municipales
La victoire de la gauche aurait été acquise, à entendre les commentateurs tant de gauche que de droite, non pas pour ses propres mérites mais par défaut. Les électeurs auraient voulu en s'abstenant lorsqu'ils étaient de droite ou en se mobilisant lorsqu'ils étaient de gauche sanctionner le gouvernement, certains lui reprochant le contenu de ses réformes (à gauche), d'autres (à droite) leur trop grande lenteur. Qu'il y ait eu dans ces résultats une dimension nationale est l'évidence, mais les conquêtes de la gauche et, plus encore, les progrès saisissants de ses élus (de Bertrand Delanoë à Martine Aubry) me fait penser qu'il y a dans cette victoire autre chose.
Sachant qu'il n'y a pas de motif que les élus de gauche soient, en moyenne, meilleurs gestionnaires que ceux de droite, l'explication est à chercher du coté des programmes. Ceux qu'a proposés la gauche étaient plus de nature à séduire les classes moyennes qui occupent aujourd'hui la plupart des centre-ville (pas tous, pas celui de Marseille, notamment) que leurs concurrents de droite.
Deux éléments de ces programmes ont pu jouer un rôle déterminant :
- la volonté, au travers des politiques sociales (logement…), de maintenir la diversité de la démographie de ces villes. Plus que la droite, la gauche essaie de lutter contre la segmentation de l'espace urbain selon des lignes sociales ou économiques, segmentation dont les classes moyennes sont les premières victimes puisqu'elle les chasse des "beaux quartiers" auxquels elles ne peuvent pas accéder et les condamne à se réfugier dans des quartiers populaires qui leur donne le sentiment d'une disqualification sociale,
- la volonté de développer des services publics, qu'il s'agisse des transports, de la culture, de la santé ou de l'éducation dont les classes moyennes sont de gros consommateurs (elles se déplacent plus que les autres, vont au théâtre ou cinéma plus que les classes populaires…).
Dans les deux cas, il s'agit d'objectifs susceptibles de séduire un électorat culturellement ouvert, formé de fonctionnaires, de cadres moyens… à l'abri du besoin mais confronté directement ou indirectement aux difficultés de la vie quotidienne et qui est le premier à profiter des biens publics que la gauche développe.
Sachant qu'il n'y a pas de motif que les élus de gauche soient, en moyenne, meilleurs gestionnaires que ceux de droite, l'explication est à chercher du coté des programmes. Ceux qu'a proposés la gauche étaient plus de nature à séduire les classes moyennes qui occupent aujourd'hui la plupart des centre-ville (pas tous, pas celui de Marseille, notamment) que leurs concurrents de droite.
Deux éléments de ces programmes ont pu jouer un rôle déterminant :
- la volonté, au travers des politiques sociales (logement…), de maintenir la diversité de la démographie de ces villes. Plus que la droite, la gauche essaie de lutter contre la segmentation de l'espace urbain selon des lignes sociales ou économiques, segmentation dont les classes moyennes sont les premières victimes puisqu'elle les chasse des "beaux quartiers" auxquels elles ne peuvent pas accéder et les condamne à se réfugier dans des quartiers populaires qui leur donne le sentiment d'une disqualification sociale,
- la volonté de développer des services publics, qu'il s'agisse des transports, de la culture, de la santé ou de l'éducation dont les classes moyennes sont de gros consommateurs (elles se déplacent plus que les autres, vont au théâtre ou cinéma plus que les classes populaires…).
Dans les deux cas, il s'agit d'objectifs susceptibles de séduire un électorat culturellement ouvert, formé de fonctionnaires, de cadres moyens… à l'abri du besoin mais confronté directement ou indirectement aux difficultés de la vie quotidienne et qui est le premier à profiter des biens publics que la gauche développe.
vendredi, mars 14, 2008
Des débats municipaux vraiment très… sinistres
J'ai essayé de regarder quelques uns des débats entre candidats à la mairie organisés par les télévisions. J'ai vu des extraits de ceux de Paris, Marseille et Strasbourg. Et j'ai à chaque fois été formidablement déçu.
Le débat parisien n'était pas de très bonne qualité, du moins se tenait-il à peu près. Mais que dire du débat marseillais où les deux candidats étaient des caricatures de politiciens de quartier dans le midi. Vu dans un film comique on n'y aurait pas cru. Quant au débat de Strasbourg!!! que dire? sinon que la candidate UMP en grande difficulté passait son temps à dire à son adversaire : "puisque vous êtes le prochain maire de Strasbourg", "vous qui serez le prochain maire de Strasbourg" et à comprendre l'exact contraire de ce que venait d'affirmer son adversaire comme si elle était devenue sourde. Quant à son adversaire, s'il était plus sûr de lui, ce n'était pas non plus un grand débateur.
La politique à la télévision est manifestement un métier que les édiles des grandes villes devraient apprendre et les interventions à la télévision une technique qu'ils devraient essayer de maîtriser parce que franchement, les voir ainsi m'a retiré l'envie de voter tant pour les uns que pour les autres.
Le débat parisien n'était pas de très bonne qualité, du moins se tenait-il à peu près. Mais que dire du débat marseillais où les deux candidats étaient des caricatures de politiciens de quartier dans le midi. Vu dans un film comique on n'y aurait pas cru. Quant au débat de Strasbourg!!! que dire? sinon que la candidate UMP en grande difficulté passait son temps à dire à son adversaire : "puisque vous êtes le prochain maire de Strasbourg", "vous qui serez le prochain maire de Strasbourg" et à comprendre l'exact contraire de ce que venait d'affirmer son adversaire comme si elle était devenue sourde. Quant à son adversaire, s'il était plus sûr de lui, ce n'était pas non plus un grand débateur.
La politique à la télévision est manifestement un métier que les édiles des grandes villes devraient apprendre et les interventions à la télévision une technique qu'ils devraient essayer de maîtriser parce que franchement, les voir ainsi m'a retiré l'envie de voter tant pour les uns que pour les autres.
jeudi, mars 13, 2008
Bienvenue chez les Cht'is
Arthur Goldhammer demande à ceux de ses lecteurs qui ont vu Bienvenue chez les Cht'is de donner leur avis. Comme j'ai vu ce film, je vais essayer de le faire ici. Je dirai, avant toute chose que c'est plutôt une bonne surprise. Presque toujours amusant, ce petit film échappe aux deux défauts majeurs de l'humour à la française : la vulgarité et les sempiternelles allusions sexuelles. Certaines scènes sont très drôles, comme les leçons de cht'imi ou le déjeuner à la baraque à frites, d'autres moins (les épisodes avec les gendarmes sur l'autoroute assez convenus ou la tournée trop arrosée du facteur et de son chef que j'ai trouvée un peu longuette), mais on ne s'ennuie à aucun moment.
Autre qualité : ce film nous parle de petites gens, un chef de bureau de post, des facteurs… que le réalisateur ne méprise jamais et nous présente toujours sous un regard aimable et sympathique. Ce qui n'est pas si courant dans un cinéma français qui connaît surtout les bourgeois des centre-ville.
Je ne suis pas sûr que cela aurait suffi à faire son succès. Celui-ci tient sans doute à ce qu'il mêle astucieusement un cliché (les gens du nord sont accueillants quand ceux du midi sont distants) et une réalité sociologique que nous connaissons tous (les salariés rejettent les mutations dans le nord), à ce qu'il montre un véritable amour de sa région (la ville filmée est belle et donne envie de visiter le Nord) et une réelle finesse psychologique. Autant le personnage que joue Danny Boon parait un peu léger et banal (le fils que sa mère écrase, l'amoureux transi) autant celui de Kad Mérad a une certaine vérité : le cadre qui aime sa femme mais ne peut plus vivre avec elle tant elle passe son temps à mieux savoir que lui ce qu'il pense et ce qu'il lui faut, situation courante qui justifie le scénario (il lui ment sur la réalité de sa vie dans le nord pour ne pas démentir ce qu'elle sait mieux que lui de ce qu'il vit), mais que le cinéma montre rarement et qui donne une réelle épaisseur au personnage.
Un marketing astucieux, régionaliste a fait le reste. Comme l'indiquait dans Le Monde Serge Siritzky, le patron d'Ecran Total, un journal professionnel, ce film peut sans doute rejoindre et dépasser la Grande Vadrouille. Deviendra-t-il un film culte comme les Visiteurs de Jean-Marie Poiré (qui révélait une veine comique autrement grinçante), je n'en suis pas certain.
Autre qualité : ce film nous parle de petites gens, un chef de bureau de post, des facteurs… que le réalisateur ne méprise jamais et nous présente toujours sous un regard aimable et sympathique. Ce qui n'est pas si courant dans un cinéma français qui connaît surtout les bourgeois des centre-ville.
Je ne suis pas sûr que cela aurait suffi à faire son succès. Celui-ci tient sans doute à ce qu'il mêle astucieusement un cliché (les gens du nord sont accueillants quand ceux du midi sont distants) et une réalité sociologique que nous connaissons tous (les salariés rejettent les mutations dans le nord), à ce qu'il montre un véritable amour de sa région (la ville filmée est belle et donne envie de visiter le Nord) et une réelle finesse psychologique. Autant le personnage que joue Danny Boon parait un peu léger et banal (le fils que sa mère écrase, l'amoureux transi) autant celui de Kad Mérad a une certaine vérité : le cadre qui aime sa femme mais ne peut plus vivre avec elle tant elle passe son temps à mieux savoir que lui ce qu'il pense et ce qu'il lui faut, situation courante qui justifie le scénario (il lui ment sur la réalité de sa vie dans le nord pour ne pas démentir ce qu'elle sait mieux que lui de ce qu'il vit), mais que le cinéma montre rarement et qui donne une réelle épaisseur au personnage.
Un marketing astucieux, régionaliste a fait le reste. Comme l'indiquait dans Le Monde Serge Siritzky, le patron d'Ecran Total, un journal professionnel, ce film peut sans doute rejoindre et dépasser la Grande Vadrouille. Deviendra-t-il un film culte comme les Visiteurs de Jean-Marie Poiré (qui révélait une veine comique autrement grinçante), je n'en suis pas certain.
mercredi, mars 12, 2008
Pourquoi les centre-ville votent-ils si facilement à gauche?
Au vu des loyers et du prix de l'immobilier, les habitants des centre-ville appartiennent plutôt aux classes moyennes supérieures, à ce que l'on appelait autrefois la bourgeoisie. On les attendrait donc plutôt à droite, or, elles n'hésitent pas à voter à gauche, comme à Paris, Lyon, Toulouse… Paradoxe? Pas nécessairement. C'est peut-être tout simplement qu'elles se retrouvent dans les programmes des candidats de gauche aux municipales, que l'offre politique du parti Socialiste leur convient mieux que celle de la droite.
En simplifiant un peu, je dirai qu'il y a deux manières de faire de la politique dans une ville :
- la politique du clientélisme. Beaucoup de maires ont construit leur carrière en fidélisant leurs électeurs, en leur offrant un logement, un emploi ou diverses facilités. Leurs premiers partisans sont les employés municipaux qu'ils emploient, leur famille qu'ils logent, les commerçants auxquels il facilitent la vie, les retraités qui reçoivent leurs cadeaux ;
- la politique du développement de biens publics : santé publique, qualité de l'environnement scolaire, propreté des rue, investissements dans des équipements collectifs, dans les transports en commun, dans la rénovation des quartiers anciens, dans les biens culturels.
Dire que le clientélisme est de droite et le développement de biens publics de gauche serait absurde. On rencontre le clientélisme dans tous les camps et si Alain Juppé a si bien réveillé et embelli Bordeaux, c'est qu'il a mené une politique de développement des biens publics, mais ces politiques se lisent mieux dans les programmes de gauche que dans ceux de droite, s'inscrivent plus facilement dans les discours et logiques des candidats de gauche et correspondent mieux à leur idéologie et à leur pratique. Pour ne prendre qu'un exemple un peu dérisoire, on imagine plus facilement un candidat de gauche, surtout s'il est allié avec des écologistes, proposer des menus bios dans les restaurants scolaires qu'un candidat de droite.
Or, cette politique des biens publics convient parfaitement aux classes moyennes supérieures. C'est en fait celle qu'elles attendent de leurs édiles municipaux. Elles gagnent correctement leur vie et n'ont que faire des bénéfices du clientélisme, elles veulent une ville propre, agréable à vivre, construite pour ses habitants plus que pour l'automobile, des services publics de qualité, des crèches, des investissements culturels, toutes choses dont elles sont les premières à bénéficier : ce sont elles qui consomment les biens publics, qui vont au théâtre ou au concert, ce sont elles qui profitent de l'augmentation de la valeurs des biens immobiliers que génère rapidement la rénovation d'un quartier historique.
Qu'elles votent pour ceux qui leur proposent ces politiques n'est donc pas surprenant. Que ceux-là soient plus souvent de gauche que de droite est ce qui devrait, au delà de la sanction du Président, inquiéter les dirigeants de l'UMP.
En simplifiant un peu, je dirai qu'il y a deux manières de faire de la politique dans une ville :
- la politique du clientélisme. Beaucoup de maires ont construit leur carrière en fidélisant leurs électeurs, en leur offrant un logement, un emploi ou diverses facilités. Leurs premiers partisans sont les employés municipaux qu'ils emploient, leur famille qu'ils logent, les commerçants auxquels il facilitent la vie, les retraités qui reçoivent leurs cadeaux ;
- la politique du développement de biens publics : santé publique, qualité de l'environnement scolaire, propreté des rue, investissements dans des équipements collectifs, dans les transports en commun, dans la rénovation des quartiers anciens, dans les biens culturels.
Dire que le clientélisme est de droite et le développement de biens publics de gauche serait absurde. On rencontre le clientélisme dans tous les camps et si Alain Juppé a si bien réveillé et embelli Bordeaux, c'est qu'il a mené une politique de développement des biens publics, mais ces politiques se lisent mieux dans les programmes de gauche que dans ceux de droite, s'inscrivent plus facilement dans les discours et logiques des candidats de gauche et correspondent mieux à leur idéologie et à leur pratique. Pour ne prendre qu'un exemple un peu dérisoire, on imagine plus facilement un candidat de gauche, surtout s'il est allié avec des écologistes, proposer des menus bios dans les restaurants scolaires qu'un candidat de droite.
Or, cette politique des biens publics convient parfaitement aux classes moyennes supérieures. C'est en fait celle qu'elles attendent de leurs édiles municipaux. Elles gagnent correctement leur vie et n'ont que faire des bénéfices du clientélisme, elles veulent une ville propre, agréable à vivre, construite pour ses habitants plus que pour l'automobile, des services publics de qualité, des crèches, des investissements culturels, toutes choses dont elles sont les premières à bénéficier : ce sont elles qui consomment les biens publics, qui vont au théâtre ou au concert, ce sont elles qui profitent de l'augmentation de la valeurs des biens immobiliers que génère rapidement la rénovation d'un quartier historique.
Qu'elles votent pour ceux qui leur proposent ces politiques n'est donc pas surprenant. Que ceux-là soient plus souvent de gauche que de droite est ce qui devrait, au delà de la sanction du Président, inquiéter les dirigeants de l'UMP.
Lecture : La société de défiance de Algan et Cahuc
La société de défiance, comment le modèle social français s'autodétruit de Yann Algan et Pierre Cahuc (éditions rue d'Ulm) est un petit livre qui a eu beaucoup de succès, qui a été élu par le magazine Lire meilleur essai de l'année, qui est cité par les politiques et dont la thèse centrale est appelée à devenir un des topoï du discours sur la société française : "Si rien ne va en France comme il faudrait, c'est que nous ne nous faisons pas mutuellement confiance. Ce manque de confiance vient du modèle social mis en place au lendemain de la guerre." Le succès est d'autant plus assuré que les auteurs de ce texte sont deux économistes réputés, Yann Algan et Pierre Cahuc, deux universitaires qui enseignent dans les meilleures écoles (à l'Ecole d'économie de Paris pour l'un, à l'école Polytechnique pour l'autre). Et pourtant… ce texte est loin d'être convaincant tant il repose sur des bases contestables.
Le déficit de confiance des Français est mesuré d'après les résultats de deux sondages internationaux, l'International Survey Program (ISP) et le World Values Survey (WVS), qui posent des questions sur la confiance à quelques milliers de personnes un peu partout dans le monde. De ces sources, il ressort que les Français sont plus méfiants que la plupart des habitants des pays développés : ils sont plus nombreux qu'ailleurs à penser que pour arriver au sommet, il faut être corrompu, à n'avoir aucune confiance en la justice, dans le parlement et dans les syndicats.
Mais peut-être faudrait-il avant de tirer des conclusions définitives de ces résultats s'entendre sur ce que l'on veut dire lorsque l'on parle de confiance, un mot que l'on peut traduire en anglais de deux façons, par confidence ou trust. Les sondages semblent faire plutôt allusion à la défiance à l'égard des institutions (syndicats, parlement, justice), mais il y a aussi la confiance à l'égard de ses proches, de ses voisins… Peut-être faudrait-il également s'interroger sur la pertinence de ces sondages. On peut très bien éprouver de la défiance à l'égard de certaines institutions et de la confiance à l'égard d'autres. Des questions sur la confiance à l'égard de l'école ou de la santé auraient peut-être donné des résultats différents et nuancé les conclusions.
Cette interrogation sur la pertinence de ces sondages aurait été d'autant plus justifiée que les conclusions de ces deux enquêtes sont démenties par d'autres plus "pointues" qui interrogent les citoyens sur la confiance qu'ils portent à, par exemple, internet, au commerce électronique. On découvre alors que les champions de la confiance de l'ISP et du WVS ne sont pas plus confiants que les Français, le sont même parfois moins (voir, là-dessus, OCDE, Etude exploratoire pour la mesure de la confiance dans l'environnement en ligne, décembre 2005).
Les Français ne souffriraient pas seulement d'un déficit de confiance, ils auraient également très peu d'esprit civique, beaucoup moins en tout cas que les habitants des pays nordiques et des pays anglo-saxons. Et, pour le prouver, Algan et Cahuc s'appuient sur trois séries de données :
- une expérience menée par le Reader's Digest qui "perd" un portefeuille avec 50 dollars dans plusieurs villes. Le nom et l'adresse du propriétaire sont très clairement inscrit dans le portefeuille. Les parisiens le rapportent moins souvent que la plupart des habitants des autres grandes villes (encore que leur score, 61% de portefeuilles rapportés ne soit pas scandaleux),
- une statistique sur les infractions à la circulation des personnels diplomatiques de l'ONU à New-York. Ces personnels sont dispensés de payer les amendes, mais les policiers n'en continuent pas moins de verbaliser. Les Français sont parmi les mauvais élèves,
- une enquête internationale sur la corruption selon laquelle les multinationales françaises seraient plus enclines que d'autres à pratiquer la corruption.
L'enquête sur la corruption repose sur des enquêtes d'opinion auprès de chefs d'entreprise dont la validité est très contestable. Que vaut l'opinion d'un chef d'entreprise qui n'a eu de contact avec une multinationale que par ouïe-dire? qui ne connaît ses pratiques commerciales que par la lecture de la presse?
Les deux autres sources sont plus intéressantes, mais comment ne pas leur reprocher leur fragilité? Suffit-il d'une expérience et d'une analyse des comportements de quelques diplomates pour juger des comportements civiques d'un peuple? Des données sur la fraude fiscale auraient certainement été beaucoup plus significatives.
Algan et Cahuc mettent en corrélations ces données dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont fragiles, et les performances économiques de la France : "les déficits de confiance et de civisme accompagnent bien les médiocres performances de l'économie française depuis (au moins deux décennies)." Sans plus de commentaires! Comme si établir une corrélation suffisait. On aurait aimé qu'ils établissent un lien de causalité, qu'ils expliquent en quoi la confiance améliore les performances économiques. Et ceci en allant au delà des considérations générales sur la fluidité du commerce qu'une plus grande confiance favorise que l'on trouve depuis toujours dans la littérature économique. On aurait aimé qu'ils nous expliquent en quoi le déficit de confiance limite les échanges et modifie les comportements des acteurs économiques. Cela aurait été d'autant plus intéressant que l'on sait que des pays à confiance élevée comme les Etats-Unis ont des pratiques contractuelles beaucoup plus rigoureuses que la France, ce qui amène au moins une question : pourquoi des Français qui ne se font pas confiance laissent-ils autant de zones d'ombre dans les contrats qu'ils passent entre eux quand les Américains qui se font tellement plus confiance prévoient tout dans le plus grand détail?
La suite est encore plus acrobatique. Les premières enquêtes internationales sur la confiance datant du début des années 80, les deux auteurs sont en peine de répondre à deux questions importantes :
- la France a-t-elle toujours souffert de ce déficit de confiance?
- Et si ce n'est pas le cas, de quand celui-ci date-t-il?
A défaut de meilleures données, ils se tournent vers une enquête américaine sur les immigrants de différentes origines. "Si l'on trouve, écrivent-ils, que les Français descendants d'immigrés arrivés au début du XXe siècle ont un niveau de confiance mutuelle plus élevé que les descendants d'immigrés provenant de pays différents à la même époque, c'est vraisemblablement parce que les Français arrivés au début du XXe siècle étaient plus confiants que ceux d'autres pays." Cette enquête pose des questions sur la confiance voisines de celles des deux enquêtes internationales et donne l'origine géographique des personnes interrogées sur plusieurs générations. Algan et Cahuc en concluent que "la confiance mutuelle était plus développée en France au début du XXe siècle." Là encore on peut s'interroger sur la méthode : y a-t-il encore aujourd'hui aux Etats-Unis beaucoup d'immigrés d'origine française dont tous les parents et grands-parents sont également d'origine française. Le mélange des populations rend difficilement tenable sur plusieurs générations leur thèse de la transmission intergénérationnelle des attitudes sociales. Or, c'est bien ce qu'ils doivent faire pour remonter au début du XXe siècle.
Quelques acrobaties plus loin, nos deux auteurs concluent que la défiance (et sans doute l'incivisme, mais ils ne le disent pas) est apparue en France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce qui leur permet d'introduire leur thèse : le corporatisme et l'étatisme, en un mot le modèle social mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale, est à l'origine de cette défiance. Tout le reste du livre consiste montrer comment le corporatisme et l'étatisme propre à ce système social dégradent la confiance et contribuent donc aux médiocres performances de l'économie française.
La deuxième partie de l'ouvrage analyse :
- le corporatisme et l'étatisme du modèle social en s'appuyant sur la distinction de Esping-Andersen entre les modèles conservateurs (comme le modèle français), libéral (à l'anglo-saxonne) et social-démocrate,
- la peur du marché, la réglementation et la corruption,
- la défiance et le marché du travail.
On y retrouve des attaques justes, mais convenues contre la complexité des procédures pour créer une entreprise, contre les professions protégées, notamment les taxis auxquels les auteurs consacrent près de trois pages d'un opuscule qui n'en a pas 100. Ce qu'ils disent est pertinent, mais n'est-ce pas accorder trop d'importance à une petite corporation? Qui peut vraiment affirmer que les taxis, les pharmaciens ou les notaires sont caractéristiques de l'économie française? Il s'agit de traces d'une économie ancienne, corporatiste qui se délite lentement (trop lentement, sans doute) depuis des décennies. L'économie française n'est pas une économie d'offices ministériels.
Les développements sur les relations sociales sont articulés autour de deux thèmes :
- le déficit de confiance et la faiblesse de la syndicalisation,
- la faiblesse syndicale et l'intervention étatique.
Autant les analyses sur le deuxième point sont convaincantes : à défaut de négociation sociale dans les entreprises ou les branches, l'Etat intervient, légifère et augmente le salaire minimum. autant la corrélation entre faiblesse syndicale et déficit de confiance parait fragile. Il est vrai que la défiance à l'égard d'autrui ne facilite pas le développement d'activités collectives, mais comment expliquer que syndicalisme ait résisté dans certains secteurs si la défiance est la seule clef? D'autres facteurs doivent naturellement être convoqués dans l'analyse : la structure de l'économie (avec, notamment, le poids très lourd des petites entreprises dans lesquelles il n'est pas facile de se syndiquer), le développement de la précarité qui rend la syndicalisation inutile (à quoi bon adhérer à une organisation pour quelques semaines ou quelques mois seulement?), la spécialisation des organisations syndicales dans des activités de service (comités d'entreprise) et de gestion d'organismes paritaires qui leur permettent de survivre sans avoir besoin de beaucoup de militants…
Les dernières analyses portent sur le modèle danois et la flexisécurité. Les auteurs tentent de répondre à deux questions : d'où vient son succès et a-t-il des chances, s'il est importé en France, de rencontrer autant de succès. Leur réponse : ce système fonctionne parce que les Danois ont un sens civique développé, comme le montrent le nombre de ceux qui trouvent "injustifiable de réclamer indûment des aides publiques auxquelles on n'a pas droit." Il y a donc de bonnes chances qu'il fonctionne moins bien dans les pays, comme la France, où nombreux sont ceux qui trouvent acceptable de bénéficier d'aides auxquelles on n'a pas droit.
Cette introduction de la morale dans le discours économique laisse rêveur. Si les Danois ne s'attardent pas dans le chômage alors même que les allocations sont très généreuses, c'est peut être parce qu'ils sont plus "moraux" que d'autres, mais c'est peut-être aussi que le système prévoit des sanctions sévères pour les tricheurs rapidement identifiés, que les agences de l'emploi sont extrêmement efficaces et que le système de formation des chômeurs est très performant. Une analyse historique des performances du modèle danois, comme celle de Andersen & Svarer (Flexicurity – labour market performance in Denmark, 2007) leur aurait montré que la flexisécurité à la danoise (peu de protection de l'emploi, des allocations chômage généreuses) n'a pas toujours empêché le chômage de longue durée, qu'il n'est vraiment efficace que depuis le milieu des années 90, quand une série de réformes ont introduit des politiques de recherche de l'emploi plus actives et… des sanctions pour les tricheurs. Autant dire que le sens civique n'a pas grand chose à voir là-dedans.
Dans leurs conclusions Algan et Cahuc font quelques prédictions dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont conjecturales :
- "la réduction du déficit de confiance par rapport à la Suède impliquerait une baisse du taux de chômage de trois points de pourcentage" ;
- "le PIB français serait accru de 5% en France, soit une hausse de près de 1500€ par personne si les Français avaient la même confiance envers leurs concitoyens que les Suédois."
Dommage que la confiance ne se décrète pas.
Ce livre, on l'a compris, ne m'a pas convaincu, même si plusieurs de ses analyses sont pertinentes. Ses deux grands défauts sont 1) la faiblesse des données utilisées pour mesurer le déficit de confiance et l'esprit civique et 2) l'utilisation systématique de calculs de corrélation qui peuvent suggérer des pistes de réflexion mais ne se substituent certainement pas à des analyses plus fines et à la recherche de relations de causalité entre différents phénomènes. Malgré l'utilisation d'un très grand nombre de sources et de données, on reste dans l'impressionnisme.
Le déficit de confiance des Français est mesuré d'après les résultats de deux sondages internationaux, l'International Survey Program (ISP) et le World Values Survey (WVS), qui posent des questions sur la confiance à quelques milliers de personnes un peu partout dans le monde. De ces sources, il ressort que les Français sont plus méfiants que la plupart des habitants des pays développés : ils sont plus nombreux qu'ailleurs à penser que pour arriver au sommet, il faut être corrompu, à n'avoir aucune confiance en la justice, dans le parlement et dans les syndicats.
Mais peut-être faudrait-il avant de tirer des conclusions définitives de ces résultats s'entendre sur ce que l'on veut dire lorsque l'on parle de confiance, un mot que l'on peut traduire en anglais de deux façons, par confidence ou trust. Les sondages semblent faire plutôt allusion à la défiance à l'égard des institutions (syndicats, parlement, justice), mais il y a aussi la confiance à l'égard de ses proches, de ses voisins… Peut-être faudrait-il également s'interroger sur la pertinence de ces sondages. On peut très bien éprouver de la défiance à l'égard de certaines institutions et de la confiance à l'égard d'autres. Des questions sur la confiance à l'égard de l'école ou de la santé auraient peut-être donné des résultats différents et nuancé les conclusions.
Cette interrogation sur la pertinence de ces sondages aurait été d'autant plus justifiée que les conclusions de ces deux enquêtes sont démenties par d'autres plus "pointues" qui interrogent les citoyens sur la confiance qu'ils portent à, par exemple, internet, au commerce électronique. On découvre alors que les champions de la confiance de l'ISP et du WVS ne sont pas plus confiants que les Français, le sont même parfois moins (voir, là-dessus, OCDE, Etude exploratoire pour la mesure de la confiance dans l'environnement en ligne, décembre 2005).
Les Français ne souffriraient pas seulement d'un déficit de confiance, ils auraient également très peu d'esprit civique, beaucoup moins en tout cas que les habitants des pays nordiques et des pays anglo-saxons. Et, pour le prouver, Algan et Cahuc s'appuient sur trois séries de données :
- une expérience menée par le Reader's Digest qui "perd" un portefeuille avec 50 dollars dans plusieurs villes. Le nom et l'adresse du propriétaire sont très clairement inscrit dans le portefeuille. Les parisiens le rapportent moins souvent que la plupart des habitants des autres grandes villes (encore que leur score, 61% de portefeuilles rapportés ne soit pas scandaleux),
- une statistique sur les infractions à la circulation des personnels diplomatiques de l'ONU à New-York. Ces personnels sont dispensés de payer les amendes, mais les policiers n'en continuent pas moins de verbaliser. Les Français sont parmi les mauvais élèves,
- une enquête internationale sur la corruption selon laquelle les multinationales françaises seraient plus enclines que d'autres à pratiquer la corruption.
L'enquête sur la corruption repose sur des enquêtes d'opinion auprès de chefs d'entreprise dont la validité est très contestable. Que vaut l'opinion d'un chef d'entreprise qui n'a eu de contact avec une multinationale que par ouïe-dire? qui ne connaît ses pratiques commerciales que par la lecture de la presse?
Les deux autres sources sont plus intéressantes, mais comment ne pas leur reprocher leur fragilité? Suffit-il d'une expérience et d'une analyse des comportements de quelques diplomates pour juger des comportements civiques d'un peuple? Des données sur la fraude fiscale auraient certainement été beaucoup plus significatives.
Algan et Cahuc mettent en corrélations ces données dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont fragiles, et les performances économiques de la France : "les déficits de confiance et de civisme accompagnent bien les médiocres performances de l'économie française depuis (au moins deux décennies)." Sans plus de commentaires! Comme si établir une corrélation suffisait. On aurait aimé qu'ils établissent un lien de causalité, qu'ils expliquent en quoi la confiance améliore les performances économiques. Et ceci en allant au delà des considérations générales sur la fluidité du commerce qu'une plus grande confiance favorise que l'on trouve depuis toujours dans la littérature économique. On aurait aimé qu'ils nous expliquent en quoi le déficit de confiance limite les échanges et modifie les comportements des acteurs économiques. Cela aurait été d'autant plus intéressant que l'on sait que des pays à confiance élevée comme les Etats-Unis ont des pratiques contractuelles beaucoup plus rigoureuses que la France, ce qui amène au moins une question : pourquoi des Français qui ne se font pas confiance laissent-ils autant de zones d'ombre dans les contrats qu'ils passent entre eux quand les Américains qui se font tellement plus confiance prévoient tout dans le plus grand détail?
La suite est encore plus acrobatique. Les premières enquêtes internationales sur la confiance datant du début des années 80, les deux auteurs sont en peine de répondre à deux questions importantes :
- la France a-t-elle toujours souffert de ce déficit de confiance?
- Et si ce n'est pas le cas, de quand celui-ci date-t-il?
A défaut de meilleures données, ils se tournent vers une enquête américaine sur les immigrants de différentes origines. "Si l'on trouve, écrivent-ils, que les Français descendants d'immigrés arrivés au début du XXe siècle ont un niveau de confiance mutuelle plus élevé que les descendants d'immigrés provenant de pays différents à la même époque, c'est vraisemblablement parce que les Français arrivés au début du XXe siècle étaient plus confiants que ceux d'autres pays." Cette enquête pose des questions sur la confiance voisines de celles des deux enquêtes internationales et donne l'origine géographique des personnes interrogées sur plusieurs générations. Algan et Cahuc en concluent que "la confiance mutuelle était plus développée en France au début du XXe siècle." Là encore on peut s'interroger sur la méthode : y a-t-il encore aujourd'hui aux Etats-Unis beaucoup d'immigrés d'origine française dont tous les parents et grands-parents sont également d'origine française. Le mélange des populations rend difficilement tenable sur plusieurs générations leur thèse de la transmission intergénérationnelle des attitudes sociales. Or, c'est bien ce qu'ils doivent faire pour remonter au début du XXe siècle.
Quelques acrobaties plus loin, nos deux auteurs concluent que la défiance (et sans doute l'incivisme, mais ils ne le disent pas) est apparue en France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce qui leur permet d'introduire leur thèse : le corporatisme et l'étatisme, en un mot le modèle social mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale, est à l'origine de cette défiance. Tout le reste du livre consiste montrer comment le corporatisme et l'étatisme propre à ce système social dégradent la confiance et contribuent donc aux médiocres performances de l'économie française.
La deuxième partie de l'ouvrage analyse :
- le corporatisme et l'étatisme du modèle social en s'appuyant sur la distinction de Esping-Andersen entre les modèles conservateurs (comme le modèle français), libéral (à l'anglo-saxonne) et social-démocrate,
- la peur du marché, la réglementation et la corruption,
- la défiance et le marché du travail.
On y retrouve des attaques justes, mais convenues contre la complexité des procédures pour créer une entreprise, contre les professions protégées, notamment les taxis auxquels les auteurs consacrent près de trois pages d'un opuscule qui n'en a pas 100. Ce qu'ils disent est pertinent, mais n'est-ce pas accorder trop d'importance à une petite corporation? Qui peut vraiment affirmer que les taxis, les pharmaciens ou les notaires sont caractéristiques de l'économie française? Il s'agit de traces d'une économie ancienne, corporatiste qui se délite lentement (trop lentement, sans doute) depuis des décennies. L'économie française n'est pas une économie d'offices ministériels.
Les développements sur les relations sociales sont articulés autour de deux thèmes :
- le déficit de confiance et la faiblesse de la syndicalisation,
- la faiblesse syndicale et l'intervention étatique.
Autant les analyses sur le deuxième point sont convaincantes : à défaut de négociation sociale dans les entreprises ou les branches, l'Etat intervient, légifère et augmente le salaire minimum. autant la corrélation entre faiblesse syndicale et déficit de confiance parait fragile. Il est vrai que la défiance à l'égard d'autrui ne facilite pas le développement d'activités collectives, mais comment expliquer que syndicalisme ait résisté dans certains secteurs si la défiance est la seule clef? D'autres facteurs doivent naturellement être convoqués dans l'analyse : la structure de l'économie (avec, notamment, le poids très lourd des petites entreprises dans lesquelles il n'est pas facile de se syndiquer), le développement de la précarité qui rend la syndicalisation inutile (à quoi bon adhérer à une organisation pour quelques semaines ou quelques mois seulement?), la spécialisation des organisations syndicales dans des activités de service (comités d'entreprise) et de gestion d'organismes paritaires qui leur permettent de survivre sans avoir besoin de beaucoup de militants…
Les dernières analyses portent sur le modèle danois et la flexisécurité. Les auteurs tentent de répondre à deux questions : d'où vient son succès et a-t-il des chances, s'il est importé en France, de rencontrer autant de succès. Leur réponse : ce système fonctionne parce que les Danois ont un sens civique développé, comme le montrent le nombre de ceux qui trouvent "injustifiable de réclamer indûment des aides publiques auxquelles on n'a pas droit." Il y a donc de bonnes chances qu'il fonctionne moins bien dans les pays, comme la France, où nombreux sont ceux qui trouvent acceptable de bénéficier d'aides auxquelles on n'a pas droit.
Cette introduction de la morale dans le discours économique laisse rêveur. Si les Danois ne s'attardent pas dans le chômage alors même que les allocations sont très généreuses, c'est peut être parce qu'ils sont plus "moraux" que d'autres, mais c'est peut-être aussi que le système prévoit des sanctions sévères pour les tricheurs rapidement identifiés, que les agences de l'emploi sont extrêmement efficaces et que le système de formation des chômeurs est très performant. Une analyse historique des performances du modèle danois, comme celle de Andersen & Svarer (Flexicurity – labour market performance in Denmark, 2007) leur aurait montré que la flexisécurité à la danoise (peu de protection de l'emploi, des allocations chômage généreuses) n'a pas toujours empêché le chômage de longue durée, qu'il n'est vraiment efficace que depuis le milieu des années 90, quand une série de réformes ont introduit des politiques de recherche de l'emploi plus actives et… des sanctions pour les tricheurs. Autant dire que le sens civique n'a pas grand chose à voir là-dedans.
Dans leurs conclusions Algan et Cahuc font quelques prédictions dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont conjecturales :
- "la réduction du déficit de confiance par rapport à la Suède impliquerait une baisse du taux de chômage de trois points de pourcentage" ;
- "le PIB français serait accru de 5% en France, soit une hausse de près de 1500€ par personne si les Français avaient la même confiance envers leurs concitoyens que les Suédois."
Dommage que la confiance ne se décrète pas.
Ce livre, on l'a compris, ne m'a pas convaincu, même si plusieurs de ses analyses sont pertinentes. Ses deux grands défauts sont 1) la faiblesse des données utilisées pour mesurer le déficit de confiance et l'esprit civique et 2) l'utilisation systématique de calculs de corrélation qui peuvent suggérer des pistes de réflexion mais ne se substituent certainement pas à des analyses plus fines et à la recherche de relations de causalité entre différents phénomènes. Malgré l'utilisation d'un très grand nombre de sources et de données, on reste dans l'impressionnisme.
mercredi, mars 05, 2008
Les réformes invisibles
On parle sans cesse, du coté du gouvernement, de réformes. Mais de manière assez étrange, certaines de celles qu'il nous annonce avec le plus de fanfare sont à peu près vides ou très en dessous de ce que l'on pouvait attendre (comme celles sur l'université, l'enseignement primaire ou les régimes spéciaux qui n'a toujours pas abouti), quand d'autres, dont on parle moins, peuvent avoir des conséquences lourdes et inattendues pour la société française. Je pense, notamment, à la série de mesures que le gouvernement a commencé et va continuer de prendre pour lutter contre le recul du pouvoir d'achat.
On sait qu'il a commencé par réduire le coût des heures supplémentaires, on sait également qu'il envisage de transformer les mécanismes d'épargne forcée que sont la participation et l'intéressement en bonus ou prime annuelle. On peut craindre que ces mesures aient un effet médiocre sur le pouvoir d'achat :
- les premiers résultats sur les heures supplémentaires sont décevants (540 millions d'€ au dernier trimestre 2007 quand F.Fillon annonçait que le coût annuel pour l'Etat serait de 4 à 5 milliards) et comment pourrait-il en être autrement, alors que les chefs d'entreprise ne demandent à leurs salariés des heures supplémentaires que lorsqu'ils en ont besoin?
- le déblocage de la participation et de l'intéressement risque de se heurter à deux obstacles : il a déjà été réalisé deux fois ces dernières années, nombre de salariés qui avaient besoin de ce déblocage (pour s'acheter un appartement…) en ont déjà profité ; utiliser l'argent de l'épargne pour ses dépenses courantes (ce à quoi revient en fait le projet gouvernemental) peut mettre mal à l'aise des salariés qui ne veulent pas "manger" un capital constitué discrètement sans le moindre effort (sur ce sujet, voir ma chronique sur Aligre).
Mais elles pourraient avoir un effet significatif et inattendu sur le fonctionnement du marché du travail. Il s'agit, dans les deux cas, de mesures qui donnent plus de flexibilité à la masse salariale. Le salarié fait des heures supplémentaires s'il y a du travail et il perçoit des primes et bonus si l'entreprise a réalisé des bénéfices. Cette part variable pourrait être importante, avoisiner les 10% du revenu salarial. L'intéressement moyen est de 1200€, le montant moyen de la participation est du même ordre. Soit à peu de choses près, le salaire brut moyen : 2440€.
Ces mesures devraient être bien accueillies par le MEDEF tant la flexibilité de la masse salariale est une préoccupation constante des dirigeants d'entreprises.
Ils peuvent l'obtenir de plusieurs manières :
- en ajustant les effectifs, en licenciant dans les périodes difficiles et en recrutant dans les périodes fastes. Cette méthode suppose un marché du travail actif et l'absence d'obstacles aux licenciements,
- en jouant de la précarité : l'intérim, l'externalisation, le temps partiel ont été autant de méthodes utilisées par les entreprises depuis le début des années 70 pour contenir et maîtriser la masse salariale (l'externalisation et l'intérim permettent tout à la fois 1) de désolidariser (c'est-à-dire diminuer) les rémunérations des salariés occupant des emplois qui ne relèvent pas du coeur de métier de l'entreprise (gardiennage, transports, logistique…) de celles données aux salariés sans lesquels l'entreprise ne pourrait pas fonctionner et 2) d'ajuster en permanence les effectifs aux besoins (on se sépare des intérimaires quand la charge de travail diminue),
- en jouant sur les rémunérations, en les rendant flexibles, en hausse lorsque l'entreprise se porte bien, en baisse lorsqu'elle rencontre des difficultés.
C'est, avec les réformes en cours, vers ce modèle que nous nous dirigeons. Modèle qui n'a rien de nouveau. C'est celui qui dominait dans les années 70 en Corée, à Singapour. Il a des avantages : il évite les licenciements dans les périodes difficiles et permet aux entreprises de proposer à leurs collaborateurs des emplois à vie à peu de frais, mais il a aussi des inconvénients : il supprime tout amortisseur et accélère les crises puisque les salariés aux revenus amoindris consomment moins.
Je ne suis pas certain que ceux qui travaillent aujourd'hui sur des solutions au problème du pouvoir d'achat aient envisagé ces conséquences, mais sans le savoir (et c'est en ce sens que je parle de réformes invisibles) ils pourraient très bien modifier en profondeur le fonctionnement du marché du travail et avec lui la gestion des entreprises. Avec des effets positifs (réduction de la précarité, modification de l'attitude à l'égard de l'emploi) et sans doute d'autres qui le sont moins.
On sait qu'il a commencé par réduire le coût des heures supplémentaires, on sait également qu'il envisage de transformer les mécanismes d'épargne forcée que sont la participation et l'intéressement en bonus ou prime annuelle. On peut craindre que ces mesures aient un effet médiocre sur le pouvoir d'achat :
- les premiers résultats sur les heures supplémentaires sont décevants (540 millions d'€ au dernier trimestre 2007 quand F.Fillon annonçait que le coût annuel pour l'Etat serait de 4 à 5 milliards) et comment pourrait-il en être autrement, alors que les chefs d'entreprise ne demandent à leurs salariés des heures supplémentaires que lorsqu'ils en ont besoin?
- le déblocage de la participation et de l'intéressement risque de se heurter à deux obstacles : il a déjà été réalisé deux fois ces dernières années, nombre de salariés qui avaient besoin de ce déblocage (pour s'acheter un appartement…) en ont déjà profité ; utiliser l'argent de l'épargne pour ses dépenses courantes (ce à quoi revient en fait le projet gouvernemental) peut mettre mal à l'aise des salariés qui ne veulent pas "manger" un capital constitué discrètement sans le moindre effort (sur ce sujet, voir ma chronique sur Aligre).
Mais elles pourraient avoir un effet significatif et inattendu sur le fonctionnement du marché du travail. Il s'agit, dans les deux cas, de mesures qui donnent plus de flexibilité à la masse salariale. Le salarié fait des heures supplémentaires s'il y a du travail et il perçoit des primes et bonus si l'entreprise a réalisé des bénéfices. Cette part variable pourrait être importante, avoisiner les 10% du revenu salarial. L'intéressement moyen est de 1200€, le montant moyen de la participation est du même ordre. Soit à peu de choses près, le salaire brut moyen : 2440€.
Ces mesures devraient être bien accueillies par le MEDEF tant la flexibilité de la masse salariale est une préoccupation constante des dirigeants d'entreprises.
Ils peuvent l'obtenir de plusieurs manières :
- en ajustant les effectifs, en licenciant dans les périodes difficiles et en recrutant dans les périodes fastes. Cette méthode suppose un marché du travail actif et l'absence d'obstacles aux licenciements,
- en jouant de la précarité : l'intérim, l'externalisation, le temps partiel ont été autant de méthodes utilisées par les entreprises depuis le début des années 70 pour contenir et maîtriser la masse salariale (l'externalisation et l'intérim permettent tout à la fois 1) de désolidariser (c'est-à-dire diminuer) les rémunérations des salariés occupant des emplois qui ne relèvent pas du coeur de métier de l'entreprise (gardiennage, transports, logistique…) de celles données aux salariés sans lesquels l'entreprise ne pourrait pas fonctionner et 2) d'ajuster en permanence les effectifs aux besoins (on se sépare des intérimaires quand la charge de travail diminue),
- en jouant sur les rémunérations, en les rendant flexibles, en hausse lorsque l'entreprise se porte bien, en baisse lorsqu'elle rencontre des difficultés.
C'est, avec les réformes en cours, vers ce modèle que nous nous dirigeons. Modèle qui n'a rien de nouveau. C'est celui qui dominait dans les années 70 en Corée, à Singapour. Il a des avantages : il évite les licenciements dans les périodes difficiles et permet aux entreprises de proposer à leurs collaborateurs des emplois à vie à peu de frais, mais il a aussi des inconvénients : il supprime tout amortisseur et accélère les crises puisque les salariés aux revenus amoindris consomment moins.
Je ne suis pas certain que ceux qui travaillent aujourd'hui sur des solutions au problème du pouvoir d'achat aient envisagé ces conséquences, mais sans le savoir (et c'est en ce sens que je parle de réformes invisibles) ils pourraient très bien modifier en profondeur le fonctionnement du marché du travail et avec lui la gestion des entreprises. Avec des effets positifs (réduction de la précarité, modification de l'attitude à l'égard de l'emploi) et sans doute d'autres qui le sont moins.
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