lundi, décembre 31, 2012

Les nuages s'accumulent sur Hollande et cependant…

Chiffres du chômage consternant, couacs au gouvernement, affaire Cahuzac, opposition des communistes, tentations de révolte des écologistes, désaveu du Conseil Constitutionnel, déception des milieux culturels, des défenseurs des sans-papiers, des syndicalistes de Florange et d'ailleurs, échec annoncé de la conférence sur le contrat de travail… les nuages s'accumulent sur François Hollande et son gouvernement. Il serait pourtant prématuré de juger la messe dite et pas seulement parce que la droite a passé ces dernières semaines à se déconsidérer. Trois motifs m'incitent à un certain optimisme:

  • d'abord l'attitude de François Hollande. Il a choisi de dédramatiser et s'est refusé, chaque fois que nécessaire, à durcir les conflits et les oppositions. Dans la période de crise violente que nous traversons, il fait tout pour gommer les aspérités (voir, par exemple, ces propos sur Depardieu). Il refuse de cliver la société, ce qui n'est pas toujours compris (comme ce qu'il a dit sur le mariage pour tous qui était tout simplement de bon sens) mais est nécessaire. Ce n'est pas l'art de la synthèse, c'est celui, plus subtil et délicat, de l'apprentissage de la vie en commun lorsque l'on n'est pas d'accord sur tout ;
  • ensuite parce que malgré les chiffres terribles du chômage et les prévisions pessimistes du FMI, on ne peut exclure un retournement de l'activité : sur le front du commerce extérieur, les perspectives de nos principaux clients sont bonnes et nous devrions en profiter dans les mois qui viennent ; sur le front intérieur, les consommateurs reprennent confiance ;
  • enfin, les mesures pour l'emploi prises ces derniers mois qui devraient commencer de porter leurs fruits dans le courant de 2013.
Les crises, même les plus violentes, ont une fin. L'Europe et la France ont choisi des médecines violentes. Elles devraient entrevoir dans les mois qui viennent le bout du tunnel. Dans 12 mois, les polémiques ne seront pas moins vives, on reprochera au gouvernement de ne pas avoir tout à fait atteint son objectif de 3%, le chômage continuera d'être élevé, mais l'atmosphère sera très probablement différente, plus légère, plus agréable…

75% et après?

Le Conseil Constitutionnel a donc décidé de retoquer la taxe de 75% sur les revenus de plus de 1 million d'euros. De quoi donner de la migraine à François Hollande qui doit, ce soir, nous donner un peu d'espoir dans une conjoncture particulièrement dégradée, mais aussi de revenir sur les raisons de cet échec. On retiendra de cet épisode pas très glorieux trois choses :

  • le gouvernement a péché moins par incompétence, comme le suggère ce matin Libération, que par excès de subtilité. A vouloir transformer un slogan de campagne en mesure fiscale provisoire il s'est pris les pieds dans le tapis. Le Conseil Constitutionnel lui a justement fait remarquer qu'il n'était pas très équitable de taxer à 75% un couple dont l'un des membres gagne 1,2 million € et l'autre rien et d'épargner celui dont les membres gagnent chacun 900 000€ ;
  • les institutions sont renforcées : on n'a pas entendu du coté du parti socialiste ou du gouvernement de protestations contre un Conseil Constitutionnel dont les membres ont été nommés par la droite. Il est vrai que celui-ci a fait son travail de manière impeccable sans condamner la politique du gouvernement. C'est un progrès. Le mot "sereinement" utilisé par l'Elysée pour décrire la réaction de François Hollande est probablement hypocrite mais il dit l'essentiel : il n'y aura pas de polémique, chacun est dans son rôle ;
  • la question des hautes rémunérations a été mal posée. Il est vrai qu'il y a un problème de ces hautes rémunérations que souligne, hasard objectif, la polémique naissante sur les salaires excessifs des comédiens des films populaires. Dans un nombre croissant de domaines, le sport, les affaires, la culture, la distribution des ressources est de plus en plus inégalitaire. Quelques uns font fortune quand la grande majorité s'appauvrit. C'est de tous points de vue mauvais. Cela incite les bénéficiaires de cette distribution à tout faire pour échapper à un impôt jugé confiscatoire et cela crée des inégalités à terme catastrophiques génératrices, notamment, de dégradation des services publics. Il faut donc lutter contre le développement de ces distributions inégales. Si l'impôt (mais pas les 75%) est une piste, ce n'est certainement pas la seule. Plutôt que de réécrire une mouture de son texte sur les 75%, le gouvernement serait bien inspiré de réfléchir à cette question.
PS. Le départ de Gérard Depardieu a donné l'une de nos brillantes icônes nationales installée depuis plusieurs années en Suisse, Johnny Halliday, des idées de collage. Le résultat (un Depardieu en Manneken-pis pissant sur Hollande) est à l'image de son auteur : pathétique.

dimanche, décembre 30, 2012

Les Anglais ont une idée : remplacer des policiers par des bénévoles

Il faut toujours se méfier des Anglais. Non seulement ils ont des idées, mais souvent elles finissent par s'imposer ailleurs.

Comme leurs collègues européens, les policiers britanniques ont un problème d'effectif, problème qui ne peut que s'accroître avec les coupes massives dans les budgets ces prochains mois. Coupes d'autant plus dommageables qu'il leur faudrait recruter des experts pour lutter contre un crime en ligne en pleine expansion. A défaut de trouver des livres sonnantes et trébuchantes pour financer ces recrutements, leur ministre de l'intérieur, James Brokenshire, vient de demander que des informaticiens travaillent bénévolement pour le gouvernement.
The Government is also drawing up plans for 'NCA Specials' - enabling people with specialist skills and expertise not traditionally found in law enforcement to contribute some of their time to help protect the public. That might include, for example, people with up-to-date IT skills to support the NCA's cyber crime capability. Through this means, we can share skills and knowledge on how we deal with cyber crime. (IT specialists urged to help police)
Idée farfelue? Sans doute, mais qu'il n'est pas le premier à avoir défendue. Sara Thornton, la  Thames Valley Police chief constable, l'avait déjà proposée, non pas pour des informaticiens mais pour des policiers ordinaires. On n'est pas très loin des milices privées, mais il est vrai que les Britanniques ont déjà inventé le "neighbourhoodwatch" qui consiste à confier aux habitants d'un quartier une partie des tâches que prend ailleurs en charge la police. 10 millions de britanniques seraient aujourd'hui affiliés à ce mouvement.

Mais pourquoi s'en tenir à la police? Pourquoi ne pas demander à des bénévoles d'assurer des cours au lycée, de garder des prisonniers ou de collecter les impôts? On réduirait ainsi très vite les dépenses publiques sans avoir besoin d'augmenter les impôts (surtout ceux des plus riches qui non contents de pouvoir s'exiler trouvent des soutiens jusqu'au Conseil Constitutionnel).


dimanche, décembre 23, 2012

Il y a aussi de la stratégie dans l'offensive de l'Eglise catholique contre la modernité

L'église est depuis plusieurs années en première ligne contre plusieurs projets qui visent à faire évoluer les moeurs. On est tenté d'attribuer ces positions à un attachement à des valeurs traditionnelles que la modernité menace. C'est ce qu'avancent les avocats de l'Eglise qui n'hésitent pas à s'inquiéter de l'avenir de notre civilisation et à souligner leur convergence de vues avec d'autres confessions.

Pour étoffer leur opposition au mariage pour tous et à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, ils mettent en avant les positions voisines de responsables juifs et musulmans pour conclure que toutes les religions y sont opposées. Ce qui est inexact. De nombreuses églises protestantes ont, sur tous ces sujets, des positions beaucoup plus libérales. Positions qui peuvent, d'ailleurs, comme actuellement en Grande-Bretagne, leur poser de vrais problèmes et inciter certains de leurs fidèles à se rapprocher de… l'église catholique. Ces "anglo-catholiques" se sont tout récemment opposés à la nomination d'évêques femmes. Et plusieurs ont menacé de rejoindre Rome si leur Eglise passait outre leur opposition.

Difficile pour une Eglise de Rome en difficulté de ne pas voir là une opportunité. Dans un monde occidental marqué par la déchristianisation, l'église catholique semble avoir choisi de réunir tous ceux qui l'ont quittée à un moment ou l'autre. On a beaucoup parlé des efforts faits pour accueillir les intégristes proches de Monseigneur Lefebvre, mais le Vatican fait également preuve de beaucoup de souplesse lorsqu'il s'agit d'attirer à elle des membres de l'église anglicane. Il accepte des prêtres mariés (mais oui!) et les laisse conserver leur liturgie.


Ces "nouveaux catholiques" se rapprochent de l'église de Rome parce que celle-ci, justement, résiste au monde. Se plier aux désirs du monde, se moderniser serait ruiner cet avantage stratégique. Jean-Paul II l'avait compris, sans doute à l'instigation du futur Benoit XVI qui poursuit inlassablement cette politique au risque de choquer tout ce que le monde catholique compte de modernes. Au delà des valeurs il y a une logique institutionnelle à cette crispation identitaire de l'Eglise catholique.

vendredi, décembre 07, 2012

Le tombeau de la méthode Montebourg

Crise politique, cette affaire Florange? Sans doute. Reste que l'essentiel, la préservation de quelques 600 emplois, a été obtenu à un prix élevé, tant pour l'industriel que pour le gouvernement. Lorsque la poussière sera retombée, on découvrira que la méthode Montebourg, on crie très fort, o insulte et on frôle le populisme, n'a pas que des avantages : les syndicalistes ne souhaitaient à l'origine que préserver les emplois, c'est fait, mais à annoncer une nationalisation "provisoire" tout à fait improbable (pourquoi nationaliser cette usine et pas toutes les autres?), Montebourg a suscité des espoirs qui ne pouvaient qu'être déçus. La méthode est mauvaise. On ne peut pas confondre, sauvegarde des emplois actuels et reconstruction d'un paysage industriel. Ce sont deux choses différentes. Si l'on veut sauver la sidérurgie en France (ce qui n'est pas absurde), faut-il s'arcbouter sur la Lorraine? On comprend la colère d'Ayrault.

Affaire Cahuzac : une presse étrangement bienveillante

On pouvait craindre que la presse de droite, celle qui multiplie les unes ravageuses contre François Hollande ne se saisisse de l'affaire Cahuzac pour dénoncer une nouvelle fois la gauche. Ce n'est pas le cas. La droite politique fait preuve d'une extrême prudence, mais sans doute ses représentants sont-ils tenus par une camaraderie de caste, le souvenir de l'affaire Worth (du regard de celui-ci à certains moments) et de quelques autres. Le comportement de la presse est plus surprenant.

Qu'Ivan Rioufol, qui parle du "piège de Médiapart", prenne pratiquement la défense de Jérôme Cahuzac est étonnant :


Mais on retrouve le même ton dans Le Point qui titre un de ses papiers sur le sujet : Face aux dénégations de Cahuzac, Mediapart sort ses "preuves": Les guillemets témoignent pour le moins d'une réelle neutralité et invite le lecteur à ne surtout pas aboyer avec les loups. L'Express fait un portrait du ministre ambigu, il a beaucoup d'ennemis mais est professionnel, conclu par un "si c'est vrai" à propos de son compte en Suisse qui va dans le même sens. Dans un autre papier, le journal rappelle qu'"il n'y a pas de contre-indication à posséder un compte en Suisse, en soi." Quant au Nouvel Observateur, il ouvre un de ses papiers sur l'affaire par cette déclaration de l'inspecteur du fisc par lequel le scandale serait arrivé : ""Je n'exclus pas l'innocence de Jérôme Cahuzac", déclare Rémy Garnier, l'auteur du rapport fiscal mettant en cause le ministre du Budget."

Prudence? Refus d'accabler sans plus de preuves? Sympathie pour l'homme? C'est possible. Le plus probable est cependant que la presse ne serait pas mécontente que cette information se révèle fausse. Moins par amitié pour le ministre que par défiance à l'égard de Mediapart. Ce journal agace profondément la presse classique. Pour au moins deux motifs :

  • son modèle économique basé sur un journalisme d'investigation dessine un sombre avenir pour des journalistes plus habitués à commenter l'actualité au chaud, du fond de leur fauteuil,
  • la personnalité éruptive, excessive de son directeur, Edwy Plenel qui n'hésite pas à donner des leçons à toute la profession alors qu'il a poussé loin, comme le rappelle Rioufol le bouchon dans l'affaire Baudis, n'a pas hésité à titrer contre toute vraisemblance, dans le Monde, sur l'antisémitisme de Mitterrand et s'est fait, dans la période sarkoziste, le messager clandestin de Villepin. Il est des donneurs de leçon que l'aim voir trébucher.

jeudi, décembre 06, 2012

Le dilemme de l'électeur de gauche

Dans une réponse à mon dernier post sur Cahuzac et Mediapart, un lecteur, Massilian a, je crois, très bien décrit le dilemme dans lequel se trouve l'électeur de gauche : il aimerait que l'un et l'autre ait raison, mais…
D'un côté, je souhaite de tout coeur que M. Cahuzac n'ait jamais eu de compte à l'UBS, parce que si c'est vrai, c'est désespérant et absolument navrant, le pire étant ses dénégations. Je souhaite de tout coeur qu'Edwy Pleinel expose une vérité solide et non un tripatouillis vague, parce que si Mediapart devient une sorte de tabloïd justicier de gauche, ce que je redoute, ce serait un naufrage lamentable. Je sens que d'une façon ou d'une autre, mes voeux ne seront pas comblés. Sale époque. 
Problème sans solution : de quelque coté que l'on se tourne, on est perdant.  Sale époque, effectivement.

Cahuzac, Mediapart…

Difficile, pour l'heure, de dire qui a raison ou tort de Cahuzac ou de Mediapart, mais comme Mediapart s'est fendu, ce matin, d'un article sur la gestion de crise, on s'autorisera quelques remarques sur cette affaire :

  • sur la puissance, d'abord, du non-dit : sans doute pour éviter des poursuites en diffamation, Mediapart ne dit pas que l'argent qui aurait été déposé en Suisse viendrait des laboratoires pharmaceutiques à l'époque où Cahuzac travaillait au cabinet de Claude Evin, mais il le suggère : "Membre du cabinet du ministre de la santé Claude Évin, sous le gouvernement de Michel Rocard, entre 1988 et 1991, Jérôme Cahuzac a noué à cette époque des liens étroits avec l’industrie pharmaceutique. (…) Quelle était l’origine des fonds du compte suisse et à quoi ont-ils pu servir ? (…) D’après l’acte notarié d’achat de l’appartement (deux salons, une salle à manger, quatre chambres…), daté du 28 octobre 1994, Jérôme Cahuzac a bien versé quatre millions de francs – 600 000 euros – « de ses deniers personnels », un tiers seulement du financement étant assuré par un prêt bancaire. Rien ne permet aujourd’hui de dire si l’argent provient du compte suisse ." De là à conclure que les "liens étroits" avec l'industrie pharmaceutique noués à la fin des années 80 auraient permis de financer l'achat de l'appartement quelques années plus tard, il n'y a pas loin. Mediapart ne le dit pas, mais le lecteur est invité à le deviner à mi-mots… Les plus malins l'ayant compris feront circuler "l'information" qui pourrait rapidement devenir rumeur,
  • sur la fragilité des preuves : celles qu'a jusqu'à présent présentées par Mediapart peuvent être lues de deux manières, comme des accusations fortes contre le ministre, mais aussi comme des montages : personne ne reconnait la voix du ministre dans les enregistrements, l'inspecteur des impôts présentée comme une source a aussi un lourd contentieux avec le ministre…
  • sur la force de la preuve par le mensonge : le ministre aurait menti sur le financement de son appartement, il peut donc mentir sur tout. Peu importe qu'il avance de nouvelles informations sur ce financement, elles ne correspondent pas à ce qu'il a dit dans une précédente interview, c'est donc un indice de culpabilité,
  • sur la puissance d'attraction du PS : les indications de Cahuzac sur le financement de son appartement l'indiquent : il appartient à la meilleure bourgeoisie, habite le 7ème arrondissement, paie l'ISF, sa famille et sa belle-famille ont de l'argent, il est lui-même chirurgien et exerce dans une discipline (la chirurgie esthétique) qui attire ceux qui ont choisi cette profession pour gagner de l'argent. Tout cela aurait du en faire un bon électeur de l'UMP. Et bien non, il est socialiste et mène une politique économique qui n'est pas forcément favorable aux plus riches,
  • sur le dilemme de la presse d'investigation. Lorsque ses adversaires sont au pouvoir, tout est pour le mieux : les scandales qu'elle dévoile attirent les lecteurs et les abonnements. Mais que faire quand ses proches sont au pouvoir? les épargner au risque de perdre des lecteurs? ou les poursuivre au risque de voir leurs adversaires revenir au pouvoir? Le Canard Enchaîné avait beaucoup souffert de l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, Edwy Plenel et ses amis semblent avoir compris la leçon.

lundi, décembre 03, 2012

Ayrault, Florange et les nationalisations

Jean-Marc Ayrault a donc vivement retoqué l'idée de nationalisation provoquant une mini-bourrasque politique. Maladresse? Difficulté à communiquer? Peut-être mais j'y vois un autre motif. Qu'a-t-il dit?

  • que la situation à Florange ne nécessite pas une "expropriation pour nécessité publique" qui peut se justifier «dans des circonstances historiques particulières ou pour sauvegarder les intérêts de la Nation»,
  • que ce n'est «pas efficace pour une entreprise en panne de débouchés ou en manque de compétitivité»,
  • que le  pacte de compétitivité est là pour aider les entreprises ayant des difficultés,
  • que le rôle de l'Etat n'est pas de sauver les canards boiteux mais d'aider les secteurs d'avenir : «Ma conception du rôle de l'État est qu'il doit animer, impulser, réguler l'activité économique, et protéger les intérêts stratégiques», ce qui l'amènera «investir lui-même dans les projets d'avenir qui ne sont pas immédiatement rentables» et dans des entreprises stratégiques dont la survie serait en jeu,
  • que l'Etat peut être amené à intervenir pour protéger les entreprises d'OPA hostiles.
Tout cela dans une discours écrit et sans doute soigneusement pensé et revu avant d'être prononcé. Au delà du cas de Florange, il s'agissait de cadrer les interventions de l'Etat dans une situation où beaucoup d'entreprises sont en difficulté. Et au delà des interventions les plus spectaculaires de l'Etat, celles de la Banque publique d'investissement qui se met en place. On sait que les régions aimeraient avoir leur mot à dire. Alain Rousset, le Président de l'Association des Régions de France, est revenu à la charge il y a quelques jours, demandant que les guichets uniques soient animés par les régions. Or, le risque est, dans une période de crise, que les élus soient naturellement tentés de protéger les emplois existants au dépens des emplois nouveaux, de sauver des canards boiteux plutôt que d'aider de jeunes pousses (après tout des élections se profilent dans les mois qui viennent et ils risquent d'être soumis à une forte pression). C'est sans doute cela que voulait faire entendre Jean-Marc Ayrault au delà du cas de Florange. 

vendredi, novembre 30, 2012

Question bête : mais où DSK va-t-il trouver 6 millions de dollars?

Un accord serait donc en vue entre DSK et Nafitassou Dialo. Il aurait accepté de lui verser 6 millions de dollars. Je ne sais que penser de cet arbitrage : cela fait cher de la fellation, mais la brutalité a un prix.  Est-il indexé sur la richesse de l'agresseur? sur sa réputation? ou sur la gravité de l'agression? Reste une question : où et comment va-t-il trouver l'argent maintenant qu'Anne Sinclair l'a quitté? Va-t-il vendre un appartement parisien (s'il en possède un)? Juste par curiosité, on aimerait savoir.

Droites éclatées : les deux visions stratégiques

S'il est une règle bien établie en politique, c'est que l'on fait en général la politique de ses adversaires. C'est Giscard d'Estaing qui, sur le plan des moeurs, a fait la politique qu'attendait la gauche. Ce sont les gouvernements socialistes successifs qui ont libéralisé, privatisé l'économie française et c'est aujourd'hui François Hollande qui s'attaque à la compétitivité. C'est paradoxal mais assez compréhensible : il est plus facile d'imposer des mesures souhaitables à son camp qu'à ses adversaires.

Nicolas Sarkozy a commencé son septennat sur cette même pente avant d'en changer radicalement avec le discours de Grenoble et la création d'un ministère de l'identité nationale. Que s'est-il alors passé? Cette chose simple : il a jugé que son principal adversaire n'était plus la gauche, mais le Front National qui montait dans les sondages et menaçait sa domination sur la droite (et sa réélection) et que c'était donc lui qu'il fallait combattre en collant à ses positions.

La bataille à droite aujourd'hui n'est que la conséquence de cette inflexion stratégique. Plus que deux politiques, il y a aujourd'hui à l'UMP deux visions : il y a ceux qui jugent, autour de Copé et des partisans de la droite décomplexée, que leur principal adversaire est le Front National et ceux qui, du coté de Fillon, continuent de penser que c'est la gauche. Les premiers n'ont qu'une ambition : récupérer les voix (et éventuellement les militants et cadres) du Front National, les seconds d'attirer à eux le marais centriste, ces cadres supérieurs qui votent socialiste.

La stratégie de la droite décomplexée conduit naturellement à des accords avec l'extrême-droite, leur modèle est Mitterrand qui a su, à force d'accords et de programmes communs, étouffer le PC. Mais elle n'est pas au bout de ses peines : le programme du Front National est aussi économique, anti-européen, protectionniste. La droite décomplexée osera-t-elle aller jusque là, au risque de se couper des "forces vives" (Medef, industriels…) ?

Celui de la droite "modérée" est tout différent : il s'agit de se tenir aussi éloigné que possible du FN pour ne pas effaroucher centre-droit et centre-gauche et attendre les échecs de François Hollande pour reprendre le pouvoir.

La difficulté pour la droite est qu'il parait difficile de concilier ces deux visions et qu'à se diviser elle risque de faire du Front National l'aimant-repoussoir de l'électorat de droite qui creuse encore un peu plus le fossé entre les deux tendances.

mercredi, novembre 28, 2012

Copé, Coppé, Coppet…

Arthur Goldhammer me fait gentiment remarquer que j'orthographie mal le nom du futur ex-Président de l'UMP. Et comme il est d'un naturel bienveillant, il se demande si je ne le confonds avec le groupe que fréquentait Benjamin Constant. Il ne croit pas si bien dire Si je ne pensais pas à Benjamin Constant, la confusion vient sans doute du chateau de Coppet dans le canton de Vaud que j'ai souvent vu dans ma jeunesse, chateau qui a accueilli Mme de Staël et, donc, Benjamin Constant.

Le chateau de Coppet aujourd'hui


Le chateau à l'époque de Madame de Staël


mardi, novembre 27, 2012

Exercice imbécile à The Economist

C'est The Economist ou, plutôt, sa filiale chargée de réaliser des sondages qui le dit, tel que rapporté par La Tribune : La France arrive 26e dans le classement des pays où il fait bon naître.

Mal classée, la France est devancée par la Belgique, le Chili ou Chypre... L'Hexagone tient toutefois son rang face au Royaume-Uni. 
On ne choisit pas sa famille… Ni son pays. Cela n’empêche pas The Economist Intelligent Unitde publier une étude des pays où il fait bon naître. Cet observatoire lié au magazine britannique The Economist a réalisé son classement en fonction de divers critères objectifs (espérance de vie, qualité des services de santé et éducatifs, taux de criminalité…) mais également plus subjectifs comme des enquêtes de satisfaction de la population. Enfin, le magazine économique a pris en compte les perspectives de croissance des deux prochaines décennies.

C’est la Suisse qui est arrivée en tête de ce classement. L’Australie arrive en seconde position, suivie de la Norvège, la Suède et le Danemark. La France, elle, n’arrive qu’à la 26e position, loin derrière l’Allemagne et les Etats-Unis (16e ex-æquo). Le Nigéria remporte, lui, la triste position de pire pays où il faut naître. Les pays émergents ne sont pas bien classés non plus. La Russie arrive en 72e position sur 80 pays. La Chine est 49e, l’Inde 66e et le Brésil 37e. 
Devant l’Hexagone, on retrouve des pays comme la Belgique (15e), le Chili (23e) ou Chypre pourtant détenteur de la plus mauvaise note de la zone euro après la Grèce. Les Français pourront toutefois se réjouir d’être mieux positionnés que les Britanniques (27e). 
Au royaume des imbéciles, où arriveraient donc les journalistes et analystes de The Economist? Sans doute assez haut. Ce n'est, bien évidemment, pas très grave,  mais rappelle tout de même que les journaux sont des entreprises commerciales, ce qui jette un léger voile sur leur jugement. 

UMP, tricheries massives du clan Coppé, tricheries locales chez Fillon

Si chaque jour apporte son lot de révélation, il semble bien que si les deux camps ont triché, ce n'est pas de la même manière. Il parait de plus en plus claire qu'il y a eu tricherie massive, généralisée et, probablement, organisée chez Coppé et simplement tricheries locales, improvisées chez Fillon.

Tout a été fait du coté de chez Coppé pour interdire la victoire de Fillon : gestion des fichiers d'adhérents, financement par le parti de la campagne du candidat, organisation des bureaux de vote, gestion des procurations… ce qui fait penser que cela a été organisé, voulu au plus haut niveau. Demain, peut-être, découvrira-t-on, un chef d'orchestre, un cabinet noir autour de Coppé chargé de cela. On apprendra ce qui s'est dit dans le secret de réunions consacrées à l'organisation de la campagne. Les séries télévisées américaines qui traitent de politique (The Good Wife) nous ont familiarisé avec les coups bas que les opposants d'un même parti pouvaient se porter. Cela pourrait y ressembler.

Reste à comprendre ce qui peut pousser des militants à s'engager ainsi si violemment. On comprendrait s'il ne s'agissait que de quelques individus, attachés à leur carrière, mais ce sont probablement des dizaines et des dizaines de militants pro-Coppé sans vraie ambition politique qui ont mis la main à la pâte. Dans le cas du PS, la tricherie pouvait s'expliquer par le rejet que suscitait Ségolène Royal chez beaucoup de responsables du parti. Il ne semble pas que ce soit le cas à l'UMP. Est-ce l'intensité de la compétition? Le sentiment que rien n'était joué malgré les sondages favorables à Fillon? le sentiment que cela n'avait pas d'importance? qu'une élection interne n'était pas une élection comme les autres? ou, de manière peut-être plus subtile, un habitus du coup d'Etat?

L'histoire de la droite est remplie de coups d'Etat, de putsch, depuis De Gaulle, en passant par Chirac, Balladur et Sarkozy. Le pouvoir s'y conquiert le sabre à la main. Et les militants n'ont-ils peut-être vus dans ces tricheries organisées massivement qu'une réédition de tous ces coups qui ont fait, au fil de l'histoire de ces 50 dernières années, leurs dirigeants.  Ils savent que la victoire vole au secours du plus hardi, que l'opinion, d'abord choquée, finit par se laisser séduire, que les militants du camp adverse cèdent rapidement au charme de l'audacieux. Reste que cette fois-ci l'audacieux a trouvé un adversaire coriace et hargneux, sûr de son bon droit qui ne semble pas décidé à céder. Et qui se trouve dans l'obligation d'aller au bout. Céderait-il maintenant qu'il passerait aux yeux mêmes de ses amis pour un lâche incapable de les mener au combat. Même chose pour Coppé. La solution ne peut venir que des entourages. Le premier qui cédera, qui marquera son envie d'en finir au plus vite quel qu'en soit le coût, amorcera la retraite de son champion. 

lundi, novembre 26, 2012

La droite s'est radicalisée trop tôt

Au début des années 80, la droite s'était radicalisée au lendemain de l'élection de François Mitterrand lorsque Madelin, Longuet, Devedjian et quelques autres, souvent issus de l'extrême-droite d'alors (Occident…), sont montés au créneau. Cette fois-ci, la droite s'est radicalisée alors même qu'elle était au pouvoir. D'où, sans doute, la défaite de Nicolas Sarkozy qui n'a pas su récupérer les voix qui s'étaient portées cinq ans plus tôt sur Bayrou.

Aujourd'hui, cette même droite est prise dans un combat suicidaire avec le Front National. Elle ne peut pas s'allier avec lui, au risque de voir ses troupes l'abandonner mais à tenter de le contrer exclusivement en visant sa clientèle,  celle des périphéries urbaines, elle choque et abandonne tous ceux, le centre-droit moderne, dynamique, habitant les grandes villes que le centre-gauche, façon Hollande, n'inquiète pas. Inquiète d'autant moins qu'il leur ressemble ou qu'il ressemble à ce qu'ils aimeraient être : conservateur et altruiste, ouvert et traditionnel, bourgeois et sensible, compétent et attentif aux autres, rigoureux et cool (a-t-on remarqué que François Hollande ressemblait terriblement au modèle même du bon manager tel que le décrivent les livres spécialisés?)… Cette bourgeoisie, pas forcément intellectuelle mais en général cultivée et bien insérée dans la mondialisation, ne peut, tant pour des motifs idéologiques que pour des raisons éthiques et économiques (égoistes), accepter les propos sur le pain au chocolat de Coppé. A trop vouloir combattre le Front National, la droite s'est coupée de son électorat naturel. Elle ne s'en remettra pas de sitôt.

dimanche, novembre 25, 2012

Copé-Fillon, un conflit entre deux postures morales

L'affaire de l'UMP ressemble tellement à une suicide politique que les bras en tombent. On a envie de dire qu'ils sont devenus fous, mais ce n'est certainement pas le cas, qu'ils ont perdu la tête, mais ils paraissent tellement rationnels qu'on en doute. Ce qui invite à se demander ce qui se passe dans leur for intérieur et dans celui de leurs conseillers et partisans. Comme ce sont des gens intelligents, je suis sûr qu'ils voient bien dans quelle aventure catastrophique ils se sont l'un et l'autre engouffrés, sans doute par maladresse (la première de ces maladresses et la principale étant certainement l'annonce anticipée de sa victoire par Copé), dans ce qui est une catastrophe pour l'un et l'autre, pour leurs amis, pour leur parti, pour la démocratie (comment demain croire au souci du bien commun des politiques quand on les voit se battre de cette manière?). Mais ils ne peuvent faire autrement. Ils savent qu'ils font une bêtise mais ils la font et ils mesurent toute la stupidité de leur comportement en même temps qu'ils s'enfoncent.

Aristote avait un mot décrire ce type de comportement : akrasia, que les scolastiques ont traduit par incontinens qui a donné notre incontinence, concept qui a beaucoup intéressé les philosophes anglo-saxons des années 60 qui parlaient, de manière un peu trompeuse, de faiblesse de la volonté (weakness of will). J'ai longtemps pensé, sans avoir le moindre début de preuve, que cet intérêt était lié au spectacle de camarades incapables de se défaire de la drogue (le texte de Donald Davidson sur le sujet, How is weakness of will possible, date de 1969). Ce n'est certainement pas la drogue qui a brouillé le jugement de Fillon et Copé mais plutôt le sentiment de l'injustice pour l'un et celui d'avoir le droit de son coté pour l'autre.

Ce ne serait donc plus l'ambition qui les guiderait dans leurs actions, ambition dont leurs comportements rend la réalisation bien improbable, mais des sentiments moraux, celui du juste et celui du bon droit, du respect de la règle, qui ne sont pas rappeler ceux qui amènent les enfants à résister à leurs parents quand bien même ils savent qu'ils ne l'emporteront pas. En ce sens, ils me rappelle les comportements de ces salariés licenciés qui, plutôt que de tirer un trait et chercher un nouvel emploi, se lancent dans une grève de la faim ou dans des actions extrêmes.

Le plus étonnant est que rien ni personne n'ait su les arrêter. Faut-il le rappeler? dans une situation voisine, Ségolène Royal avait su jeter l'éponge. Peut-être parce qu'elle avait plus confiance en son étoile que les deux prétendants à la direction de l'UMP.

jeudi, novembre 22, 2012

Mais qui sont ces militants UMP?

Il y a (il y aurait?) 300 000 militants à l'UMP. Plus de 150 000 sont allés voter. Tout cela est plutôt surprenant : quels motifs ont pu conduire 300 000 personnes à s'engager et à militer (ce qui prend du temps) dans un parti qui était depuis dix ans au pouvoir et qui n'a jamais prisé les débats? Que venaient-ils donc y chercher. On devine que certains venaient faire carrière, nouer des contacts, briguer des postes, mais 300 000… cela parait beaucoup.

Que ces militants, exaspérés par des années d'anti-sarkozysme ambiant, aient développé des réflexes pro-sarkozystes est naturel, qu'ils soient plus à droite, plus "décomplexés" que les électeurs de droite est également logique, mais pourquoi militent-ils dans un parti qui ne sollicite ses membres que lors des campagnes électorales? Le plaisir d'afficher son opinion? le désir de résister à la modernité?

Ils ont voté, se sont divisés, ont découvert, probablement effarés, la médiocrité et l'ambition désespérément nue de leurs dirigeants. Continueront-ils de se comporter comme des godillots que l'on ne convoque que pour faire la claque lorsqu'un ministre passe dans leur région? Vont-ils, écoeurés, déserter leur parti? ou, déterminés, faire entendre leur voix? Et pour dire quoi? Pour défendre quelle politique? S'ils se sont divisés sur le choix de leur Président, ils le sont plus encore sur celui des motions.

On nous dit (et l'on voit sur les photos) qu'ils sont âgés, plutôt de genre masculin, et d'allure bourgeoise genre catho de province, assez éloignés en somme de ce peuple des zones péri-urbaines, de ces classes moyennes que les nouveaux idéologues de l'UMP, Peltier et Didier, les deux têtes de liste de la motion la droite forte, veulent séduire. Se reconnaissent-ils dans ce peuple des pavillons trop souvent tenté par l'abstention, le populisme ou le vote Front National? Sont-ils prêts à sauter le pas et à voter pour des candidats d'extrême-droite? Et comment les futurs dirigeants du parti, pro-européens, partisans du libre-échange, hostiles à toutes formes de protectionnisme s'arrangeront-ils de militants qui auront pris, mascarade électorale aidant, un peu plus d'autonomie?

Au delà du cirque à la tête de l'UMP, il y a toutes ces questions qui affecteront durablement le sort d'une droite que Nicolas Sarkozy aura laissée en état de décomposition avancée. 

Mariage homosexuel, polygamie, inceste : quand les évêques disent n'importe quoi

Le mariage homosexuel, dont j'ai déjà parlé ici (sur les évolutions du mariage) et (sur l'adoption), aura révélé ce que l'appareil intellectuel de l'église et d'une bonne partie de la droite peut avoir de vétuste et de figé. Les propos de Monseigneur Barbarin sur la polygamie et l'inceste témoignent d'une vision de l'histoire  tragique et d'une bien mauvaise connaissance de notre société.

On se souvient que le cardinal et archevêque de Lyon avait déclaré
Un mariage, c'est un mot qui veut dire rempart, pour permettre au lieu le plus fragile de la société, c'est-à-dire une femme qui donne la vie à un enfant, que toutes les conditions soient établies pour que ça se passe dans les meilleures possibilités.
Après, ça a des quantités de conséquences qui sont innombrables. Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l'interdiction de l'inceste tombera.
Et ceci sans le moindre sourire mais avec quelque chose d'un peu déplaisant et de plutôt inquiétant  dans la manière de s'exprimer, de bouger que n'excuse pas son peu d'expérience des médias audiovisuels :


Pour ce prélat comme pour tous ses opposants, cette loi fera tomber les remparts qui nous protègent de la barbarie et est l'amorce d'une chute sans fin vers l'anomie, l'absence de règles, de normes. Comme s'ils ne savaient pas que les normes sociales évoluent, changent. Des comportements qui étaient hier stigmatisés sont aujourd'hui acceptés. D'autres qui choquaient hier sans vraiment scandaliser sont devenus intolérables. Je pense aux violences sexuelles et conjugales, au harcèlement moral et, surtout, à la pédophilie (voir ce que j'écrivais ici même il y a trois ans sur l'évolution de la norme en la matière).

Prétendre que le mariage pour tous est la porte ouverte à toutes les dérives est tout simplement ignorer le jeu subtil de normes en perpétuelle évolution.

Faut-il pour autant exclure que se réveillent demain des revendications en faveur de la polygamie ou de la polyandrie? Oui. D'abord, et tout bêtement, parce que, à l'inverse de ce qu'avance l'archevêque, personne n'en fait la promotion, pas même ceux qui sont de fait polygames dans nos sociétés. Bien au contraire, les immigrés venus de régions dans lesquelles ces pratiques existent les abandonnent chez nous et leurs enfants ne souhaitent certainement pas les reprendre. Et pour cause.

La polygamie qui reste très minoritaire dans les sociétés qui la pratiquent encore (pas plus de 5 à 10% des hommes ont plusieurs femmes dans ces sociétés) s'est développée et se maintient dans des environnements sociologiques très différents du notre : c'est une partie intégrante du système patriarcal où la possession de plusieurs femmes est une marque de prestige et de puissance et une manière de nouer des alliances multiples(qui peut dire cela de notre société?). Dans le monde musulman médiéval, son développement a été lié à un déséquilibre démographique entre hommes et femmes et la multiplication de veuves avec charge d'enfants qu'elles ne pouvaient, faut de ressources, nourrir, comme l'indique la sourate 4, verset 3 du Coran : 
Et si vous craignez de n'être pas justes envers les orphelins... Il est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire d'injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille).
On en est bien loin.

Quant à ceux et celles qui vivent plusieurs aventures amoureuses en parallèle, qui peut imaginer une seconde qu'ils voudraient institutionnaliser ce qu'ils vivent aujourd'hui clandestinement. Il faut ne jamais avoir rencontré un homme marié à plusieurs femmes ou une seconde ou troisième épouse pour imaginer que cela puisse devenir une revendication. C'est pour les uns et les autres, l'enfer, la jalousie et les récriminations permanentes. Certains peuvent souhaiter décriminaliser la polygamie pour protéger les épouses déjà dans cette situation, mais de là à la légaliser il y a un pas que rien, dans notre société n'invite à franchir (Le sujet a fait l'objet d'un débat entre universitaires en 2006 au Québec dont on trouvera ici trace). La crainte qu'exprimait le Cardinal est purement imaginaire.

Quant à l'inceste…Maurice Godelier, grand spécialiste de cette question, il a dit l'essentiel il y a quelques jours dans un entretien au Monde :
C'est une condition universelle de toute société. Si les familles se reproduisaient par elles-mêmes, la société ne pourrait pas exister. Le tabou est un élément producteur de la société, transféré à tout individu et intériorisé par chacun, hétérosexuel comme homosexuel. Ces fantasmes sont grotesques. Il n'y aura pas plus d'inceste chez les homos que chez les hétéros.

mercredi, novembre 21, 2012

UMP : ce n'est plus de la haine…

Hier, on pouvait penser que l'UMP se déferait lentement, des élus allant lentement rejoindre l'UDI de Borloo, lentement parce que freinés par l'inimitié entre Borloo et Fillon. Là, avec ce nouvel épisode qui voit les partisans de Fillon contester l'élection de Copé, on s'achemine vers tout autre chose : la cassure de l'UMP et la constitution, à coté de l'UMP de Copé (canal historique?) d'une UMP nouvelle autour de Fillon, Wauquiez, Pécresse, Cioti. Ce qui conduirait à une droite éclatée en quatre mouvements concurrents visant la même clientèle : le FN, l'UMP décomplexée, une droite vaguement sociale et l'UDI. Tout le contraire de ce qu'avait réussi Sarkozy. Une éventualité qui prendra d'autant plus de consistance que le Parlement votera l'introduction d'une dose de proportionnelle, ce qui devrait faciliter l'émiettement, en donnant à chacun une chance d'avoir des élus au Parlement.

Une bonne nouvelle pour Hollande? Sans doute même s'il peut craindre que ces quatre partis se lancent dans une course à qui sera le plus critique. Reste que l'on se demande ce que les uns et les autres ont fait de leur sens politique…

Le mariage a tant évolué en trois générations…

Les récents propos de François Hollande font hurler les partisans du mariage homosexuel. Bien à tort. Il n'a fait qu'acter ce qui se produira lorsque le texte sera voté : les maires hostiles délégueront la cérémonie à un adjoint plus libéral. Ce faisant, François Hollande a voulu décrisper l'atmosphère. Il a eu raison. Et tous ceux qui, comme Noël Mamère, montent sur leurs grands chevaux feraient mieux de répondre aux opposants, de leur opposer des arguments. Car il y en a plusieurs.

Dans un post récent, j'indiquais qu'on avait de bonnes raisons de penser que l'adoption dans des familles homoparentales pouvait mieux se passer que dans des familles "normales". On pourrait également opposer aux adversaire du mariage pour tous, l'évolution rapide de cette institution. Il a suffi de trois générations pour qu'elle change complètement d'allure.

Je ne suis en rien un spécialiste de ces questions, mais il me suffit de regarder le cas de ma famille. Mes grands-parents avaient une famille élargie. Vivaient chez eux, leurs trois enfants, un oncle fauché qui faisait office de chauffeur, une nièce orpheline qui gardait les enfants et plusieurs domestiques. Famille rurale traditionnelle transposée dans une petite ville.

Mes parents illustraient à merveille la famille nucléaire : deux parents, deux enfants.

Ma génération a inventé la famille recomposée où l'on se retrouve parent des enfants de son conjoint.

Trois générations, trois modèles différents.

Le mariage pour tous n'est qu'une nouvelle évolution de cette institution. Prétendre que la famille nucléaire est un modèle inscrit dans le marbre est donc une ânerie que chacun peut éviter de répéter en regardant autour de soi ou en interrogeant son histoire familiale mesurer l'inanité.

Ces transformations sont liées à des phénomènes sociologiques, aux migrations qui ont conduit les enfants des familles élargies à s'installer dans de grandes villes où ils n'avaient que peu contacts et aux logements plus petits. Au travail des femmes, à la contraception, à l'allongement de la durée qui ont contribué à l'éclatement de la famille nucléaire. Aujourd'hui, c'est la plus grande tolérance à l'égard de l'homosexualité, sa banalisation qui rend naturel cette revendication d'un mariage pour tous.

Il se fera. Concernera-t-il beaucoup de monde? Ce n'est pas certain tant les tendances lourdes de notre société nous orientent vers le célibat (40% de la population hexagonale, à Paris un logement sur deux est occupé par une personne seule) qui se généralise et entraine de nouvelles formes de sociabilité qui n'ont, nous disent les sociologues, pas grand chose à voir avec la solitude. Mais il y a quelque chose d'un peu paradoxal, d'ironique, à voir les homosexuels qui ont été les pioniers de notre civilisation de célibataire en pointe dans le débat pour défendre une institution que l'on pensait en déshérence.


mardi, novembre 20, 2012

Et si les familles homoparentales étaient plus aptes à adopter des enfants?

Et si mieux valait que les enfants soient adoptés dans des familles homoparentales? La question peut paraître un peu farfelue, et cependant… le débat sur l'adoption par les familles homoparentales fait abstraction de ce qui se passe dans tant de familles "normales" qui adoptent.

On gagnerait à s'interroger sur l'adoption et sur ses multiples échecs qui tiennent, pour une part, au hiatus entre des enfants abandonnés qui se méfient de tout geste d'attachement excessif et les familles qui les adoptent. et sont, du fait même du long et douloureux parcours qui les a conduites à l'adoption (découverte de la stérilité de l'un des deux partenaires, gymkhana administratif), dans l'attente de gestes d'attachement que ces enfants refusent. Un désir de maternité exacerbé conjugué à une réserve à l'égard de gestes d'amour est à l'origine de beaucoup de déception et d'échecs..
Ces enfants, écrivent deux spécialistes, Nicole Guedeney et Claire Dubucq-Green, n’arrivent pas vierges, prêts à s’attacher à des parents nouveaux. Ils ont pu développer, au contraire, une profonde méfiance à l’égard de toute personne censée les protéger. De nombreux auteurs soulignent les difficultés énormes que peuvent vivre les parents face aux troubles du comportement ou aux attitudes que présente leur nouvel enfant, surtout au début de l’adoption, justement parce que celle-ci active dramatiquement le système d’attachement de l’enfant, placé dans une situation inconnue, face à des inconnus, et qu’elle peut réveiller les protections habituelles de l’enfant que les nouveaux parents ne peuvent pas toujours comprendre. (Adoption, les apports de la théorie de l’attachement, Enfance et Psy, n°24, 2009)

Or, la situation des familles homoparentales est toute différente. Les enfants qu'elles accueillent ont bien des réserves quant aux gestes d'attachement, mais ils entrent dans des familles qui n'ont pas connu l'échec de la stérilité et dont les membres (mère ou père) n'ont pas un désir d'enfant exacerbé par les échecs à répétition de tentatives de conception.

Il n'est, en ce sens, pas impossible que l'adoption par des familles homoparentales se passe mieux que l'adoption par des familles dites "normales" et qui ne le sont pas tant que cela.

lundi, novembre 19, 2012

UMP : la comparaison avec le PS est trompeuse

Il est tentant de comparer le fiasco de l'UMP à ce qui s'est produit à Reims entre Ségolène Royal et Martine Aubry. Sur le respect des règles démocratiques élémentaires, il y a de quoi et personne n'a de leçon à donner. Il semble bien que nos politiques soient à peu près aussi vertueux que nos sportifs : dés qu'ils en ont l'opportunité, ils n'hésitent pas à tricher (mais sont-ils les seuls : ne rencontre-t-on pas pareilles pratiques dans toutes les associations et organisations où l'on vote?).

Il y a cependant une différence majeure entre ce qui s'est produit au PS et ce que vit aujourd'hui l'UMP : la fracture au PS portait sur des personnalités, beaucoup ne voulaient pas, ne voulaient plus de Ségolène Royal qu'ils considéraient comme incontrolable, mais si différences politiques il y avait entre les deux candidates, elles étaient mineures et tout sauf insurmontables. Dans le cas de l'UMP, c'est différent. Au delà de la bataille des egos, il y a un projet politique différent. Copé, proche en cela des militants, a choisi de se rapprocher dangereusement du Front National et de ses thèmes. Fillon, plus sensibles aux attentes des électeurs de droite est resté plus mesuré, plus fidèle à la ligne de Chirac. Et cette fracture politique ne va pas disparaître. Bien au contraire, elle devrait se creuser alors qu'à la droite comme au centre, on devine des candidats à la reprise d'une partie des troupes déboussolées de l'UMP. Le FN ne tardera pas à faire des appels du pied aux élus et aux militants proches de Copé et Borloo fera de même avec tout ce que ce parti compte d'anciens MRP, UDF, humanistes.

Il est peu probable que l'UMP explose immédiatement, ils ne sont pas à ce point suicidaires (encore que leur comportement de ces dernières heures pourrait le faire penser), mais elle devrait subir une lente érosion avec des élus insistant, d'un coté, pour des alliances avec le FN et, de l'autre, pour un rapprochement avec les centristes. Beaucoup dépendra des situations locales, de la puissance du FN, de la sensibilité des élus de droite… mais cette élection ratée pour cause de division profonde des militants laissera des traces profondes, bien plus qu'au PS où, une fois évacuées les blessures d'ego, tout a pu repartir. 

dimanche, novembre 18, 2012

UMP : tout simplement grotesque

La droite a devant elle un boulevard : chute de François Hollande et Jean-Marc Ayrault dans les sondages, crise économique qui n'en finit pas, presse internationale qui montre à l'offensive contre le pouvoir socialiste… et malgré tout cela, elle réussit à se prendre les pieds dans le tapis, à se ridiculiser et à se rendre inaudible. On parlait hier de la droite la plus bête, nous avons certainement la plus maladroite.

The Economist parle (plutôt mal) de la France

Le cahier spécial que The Economist a consacré à la France a fait couler un peu d'encre de ce coté-ci de la Manche. Il est vrai que le titre n'y allait pas par quatre chemins : The time-bomb at the heart of Europe et que les illustrations n'étaient guère plus aimables. Il y a les baguettes transformées en explosif :



Il y aussi une photo drôle de François Hollande lisant l'heure sur son poignet alors que sa montre s'est retournée.

Un passage de l'éditorial pouvait effectivement énerver à Paris :
So far investors have been indulgent of France; indeed, long term interest rates have fallen a bit. But sooner or later the centime will drop. You cannot defy economics fot long.
Le journal aurait voulu appeler les marchés à sanctionner la France qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Mais on peut penser 1) que les marchés ne se fient pas seulement aux avis des journalistes de The Economist pour prendre leurs décisions et, 2) qu'ils ont lu dans le détail le dossier et qu'ils ont mesuré la faiblesse de leurs analyses.

Ce dossier n'est pas mal fichu. Il est bien renseigné, bien présenté et fait un résumé assez exact de ce que l'on peut lire sous la plume des éditorialistes de droite genre Nicolas Baverez. Il y ajoute une aversion déclarée pour la taxation à 75% au delà de 1 millions d'€, quelques niaiseries, comme celle-ci :
Even today there are not many more visitors to the Massif Central than in the days when Robert Louis Stevenson was travelling with his donkey through the Cévennes in 1878.
quelques bêtises, pour rester dans l'euphémisme, comme ici :
One business woman says that the rich are now stigmatised in the way the Jews were 70 years ago.  
quelques clichés comme celui sur le refus des Français de changer.

D'un journal réputé, on attendait des analyses un peu plus fines. Pas un moment, on ne cite la récession en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne qui peut expliquer une partie des difficultés du commerce extérieur français. Nulle part, il ne s'interroge sur la résistance de la France à la récession. N'est-ce pas pour partie lié aux amortisseurs sociaux, à ces réglementations qui freinent les licenciements dans les périodes de crise et évitent l'effondrement de la consommation? La question méritait au moins d'être posée.

Le journal souligne à juste titre l'absence d'entreprises de taille intermédiaire en France. Mais son explication par le seuil des 50 salariés (au delà duquel il faut créer un comité d'entreprise) est un peu courte. Pourquoi les entreprises qui ont passé ce seuil ne grandissent-elles pas plus? Un coup d'oeil sur une carte de l'industrie française l'aurait éclairé : la plupart des entreprises de taille moyenne sont dispersées sur le territoire, installées dans des petites villes où elles ne trouvent aucune des ressources (compétences, services…) nécessaires à leur croissance.

Le journal indique, ce que peu de gens savent, que les inégalités, telles que les mesure l'index Gini,  bien loin de progresser ont reculé en France depuis les années 80. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Pourquoi?

Un dossier décevant donc qui confirme ce que l'on savait : les britanniques, les journalistes de The Economist sont très hostiles à l'euro. Ce n'est pas un scoop, ils l'ont toujours été. Cette fois-ci ils ont utilisé la France pour mener leur combat. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter plus que cela. D'autant que tout cela a, d'après les Echos, un air de campagne publicitaire : un journal, c'est aussi un produit qu'il faut vendre (aux décideurs français que le dossier caresse dans le sens du poil)

mercredi, novembre 14, 2012

Hollande devait réussir sa conférence de presse pour être obéi

Hollande a réussi sa conférence de presse. Il devait la réussir non pas pour rassurer l'opinion, qui ne l'aura sans doute guère été tant son ton a été grave et ses annonces d'un chômage appelé à durer pénibles, mais sa prestation a remis à leur place, celle d'exécutants de sa politique, ses ministres et, surtout, les hauts-fonctionnaires qui se sentaient autorisés, au vu des unes de la presse toujours plus dures, à trainer des pieds, à jouer la montre à chaque annonce de réforme.

François Hollande n'est pas le premier à s'être heurté à l'inertie de la haute fonction publique. Tous les présidents et premiers ministres ont connu cela, à commencer par Nicolas Sarkozy qui n'a pas su la faire travailler comme il souhaitait, d'où sans doute sa brutalité.

Les ministres sont importants mais ils ne peuvent rien sans leur administration or celle-ci est en général tentée par l'attentisme, surtout depuis que le quinquennat a délié le lien qu'il pouvait y avoir entre les carrières des politiques et celles des hauts-fonctionnaires appelés à rester longtemps dans les mêmes bureau. La haute fonction publique est d'autant plus tentée par l'immobilisme qu'elle sent le pouvoir hésitant, fragile, plus occupé à débattre de politique qu'à traiter les dossiers. Et c'était ce qui se produisait depuis quelques semaines : on trainait des pieds dans les couloirs des ministères, on s'interrogeait sur la volonté des uns et des autres, sur la possibilité de faire revenir le pouvoir sur ses positions. C'est probablement fini.

De ce point de vue,  Manuel Valls en commettant cette étrange bourde sur le terrorisme a rendu un fier service à François Hollande. Il lui a permis de réagir à chaud, de montrer son autorité, sa manière courtoise mais ferme de s'imposer. Idem pour ses propos sur les personnalités de la société civile appelées, malgré tous leurs talents, à rester dans la société civile. Il lui fallait recadrer ses troupes. C'est fait. 

Anna Cabana ou le journalisme du valet de chambre

Anna Cabana, journaliste du Point, célèbre pour ses livres scandale sur Cecilia Sarkozy, Valerie Trieweler et quelques autres a consacré sa chronique matinale sur France Inter à la cravate de François Hollande. Il parait qu'elle ne tenait pas droit hier et que c'était bien la seule chose remarquable dans la conférence de presse de François Hollande. Ce qui m'a fait penser à ce beau texte de Michel Bosquet écrit il y a plus de ving ans que Mediapart vient de publier dont cet extrait montre que cette jeune journaliste n'innove en rien en s'en prenant à la cravate du Président :
Et il en allait de même du journalisme dit personnel que Jeannot avait pratiqué avec brio pendant quelque temps : ça consistait à rapporter avec dérision les paroles et les gestes de grands personnages, selon la technique du valet de chambre : vous contestez les propos élevés du personnage par la description de leur cravate, du mouvement de leurs doigts et des ratés de leur parole : encore la caméra.
 Sur la conférence, on aura noté l'autorité, la fermeté, la précision des propos (sauf sur le crédit d'impôt aux entreprises dont l'explication m'a paru tout à la fois empruntée et peu convaincante), la façon aimable mais directe de rappeler à l'ordre Manuel Valls et le recadrage tout aussi aimable et ferme des personnalités de la société civile qui se sentiraient pousser des ailes. Seul bémol, mais de taille : si l'on comprend bien que proposer une loi sur le vote des immigrés qui n'a aucune chance d'aboutir serait une sottise, il y a de la paresse ou de la lâcheté à ne pas s'engager pour faire évoluer l'opinion. 

mardi, novembre 13, 2012

Publications scientifiques : drôle de dérive…

Il y a quelques chose de rafraîchissant et d'un peu inquiétant à lire des articles d'économie ou de sociologie publiés dans les années 70 dans les revues savantes (AER, JPE…). Rafraichissant parce que l'on comprend ce que veut dire l'auteur, ce qui n'est pas toujours le cas des articles les plus récents, et inquiétant parce que l'on se dit que beaucoup, même parmi les plus importants, ne seraient plus acceptés par ces revues dont les normes de publication se sont considérablement compliquées.

Il y a aujourd'hui des formats très stricts à respecter dont on peut se demander s'ils contribuent vraiment à l'enrichissement de nos connaissances. Il faut, par exemple, justifier absolument toute information d'une référence, d'où une explosion des bibliographies (et des références à des auteurs récents, collègues…) dont on se demande parfois si l'auteur les a vraiment lus.

Je ne sais de quand datent  ces évolutions, des années 80, d'un peu plus tard peut-être, mais elles me semblent correspondre à une double évolution de la littérature scientifique dans ces disciplines :
- une mathématisation qui rend très difficile, pour ne pas dire impossible pour qui n'y consacre pas de longues heures, l'évaluation des raisonnements,
- et une diffusion beaucoup plus large de ces textes qui ne sont plus réservés aux seuls spécialistes mais consultés par hauts-fonctionnaires, journalistes…

D'où un paradoxe : plus c'est difficile, plus c'est lu. Paradoxe que ne pouvait résoudre qu'une transformation des pratiques de lecture : plutôt que de lire, comme on faisait autrefois, le texte d'un article in extenso, on se contente d'en lire le résumé, l'introduction et la conclusion. On lit, aujourd'hui les articles d'économistes ou de sociologues comme on lit des brevets, en allant directement à quelques passages soigneusement signalés (introduction avec annonce du contenu des différentes parties, conclusion et bibliographie).

Ces évolutions ont accompagné une concurrence accrue pour être publié. La plus petite école de commerce propose à ses professeurs des primes représentant parfois plusieurs mois de salaire pour le moindre article publié dans une revue classée. D'où une inflation des articles proposés et… des revues qui se créent toujours plus nombreuses et qui se spécialisent  sur des créneaux de plus en plus étroits (combien de revue sur le seul et très minuscule thème des business ethics, pour ne prendre que cet exemple?). Avec pour seul résultat que plus personne ne lit personne.

Mais quelle importance puisque cette production ne se traduit moins par une augmentation des connaissances produites que par la multiplication de discussions oiseuses qui ne sont pas sans ressembler aux débats passionnés des scolastiques sur la vertu dormitive de l'opium ou le sexe des anges…




samedi, novembre 10, 2012

L'Express, Le Point, imprimeurs de tracts UMP

La campagne de lUMP laisse l'opinion indifférente, ses militants s'épuisent dans des luttes stériles pour savoir qui portera ses couleurs en 2017. Peu importe, L'Express et le Point sont là pour distribuer gratuitement ses tracts. Depuis des mois, ces deux magazines multiplient les unes si hostiles à François Hollande qu'on peut se demander s'ils ne sont pas lancés dans une entreprise de démolition systématique du nouvel élu.

Ces Unes qui s'étalent sur tous les kiosques de France et sont naturellement vues par bien plus de citoyens que les tracts que les militants UMP pourraient distribuer sur les marchés le dimanche matin.





On peut se demander pourquoi ces journaux mitraillent ainsi systématiquement le Président? Opinion politique? C'est possible pour le Point qui est officiellement un journal de droite. Ce l'est moins pour l'Express qui avait fait de même avec Sarkozy. Est-ce offensive délibérée réalisée à la demande des propriétaires de ces journaux? Dans le cas de l'Express qui appartient pour partie à un groupe belge, c'est peu probable. Ce n'est guère plus plausible pour le Point dont le propriétaire, François-Henri Pinault, ne passe pas pour spécialement interventionniste. On peut avancer une autre hypothèse : la volonté des dirigeants de ces hebdomadaires de créer des dossiers à charge qui leur permettent de vendre plus de papier en ville (parce que les journaux sont aussi des entreprises qui se soucient de leur chiffre d'affaires). Ce ne serait pas une première. Il y a quelques mois le Point de Frantz-Olivier Giesbert avait monté un lourd dossier sur la grande distribution dont l'objectif était manifestement de faire un coup.


Il en va aujourd'hui sans doute de même avec ces unes répétées contre Hollande. Est-ce efficace en matière de vente? Il semble que ce soit le cas puisque les ventes de ces deux magazines sont, d'après l'OJD, un peu meilleures cette année que l'année dernière alors même que les ventes du reste de la presse magazine s'effondrent. Tant qu'il en ira ainsi, ces deux magazines feront dans le "Hollande bashing". Une stratégie qui ne fonctionne pas forcément pour tous les journaux comme le soulignait il y a quelques semaines Le Monde : les journaux de gauche qui s'y essaient hérissent leurs lecteurs plus qu'ils ne les séduisent. 




jeudi, novembre 08, 2012

Les succès de Ferrari, Hermès : plutôt de mauvais signes

Les entreprises de luxe se portent bien, très bien. C'est vrai de Ferrari, ce l'est d'Hermés qui annonçait il y a quelques jours :
A fin septembre, le chiffre d'affaires consolidé du groupe atteint 2 440 M€ et progresse de 22,7% à taux de change courants (+15,5% à taux de change constants). Au troisième trimestre, la croissance des ventes atteint 24,2% à taux de change courants (+15,7% à taux de change constants). Dans les magasins du groupe, la progression des ventes demeure remarquable (+16,8% à taux de change constants), en dépit d’une base de comparaison élevée.
Aussi étrange que cela puisse paraître c'est probablement mauvais signe. Cela veut, d'abord, dire, que les inégalités continuent de se creuser, cela suggère ensuite que les plus riches, plutôt que d'investir dans des activités rentables, consomment faute de confiance dans l'avenir.  Quand on est riche et qu'on n'a pas confiance, on met son argent à l'abri ou on le gaspille.

Raisonnement tiré par les cheveux? Peut-être mais le Portugal de Salazar était le meilleur marché de Rolls Royce. Un hasard?

Hollande ou l'art de la synthèse

C'est le gouvernement qui a présenté le programme du gouvernement en matière de compétitivité, mais celui-ci incontestablement la marque de Hollande, cette capacité à écouter attentivement les uns et les autres, à construire une solution qui sache répondre aux attentes des uns et des autres. Ce qu'on appelait lorsqu'il était à la tête du PS son art de la synthèse et qu'il faudrait apprendre à appeler autrement. C'est du grand art qui n'a pas grand chose à voir avec cette ambiguïté que l'on a tant reproché à François Mitterrand. C'est une manière de calmer le jeu, de trouver une solution qui donne à chacun du grain à moudre.

Les organisations patronales voulaient une réduction du coût du travail, il leur offre un crédit d'impôt de 20 milliards. Les syndicats ne voulaient pas de réductions des cotisations sociales qui menaçaient de mettre à mal le financement des allocations familiales et de l'assurance maladie, il finance ces 20 milliards par une augmentation de la TVA et une réduction des dépenses de l'Etat.

Quant à la droite qui avait construit toute sa critique de la séquence sur l'abandon du rapport Gallois, elle est bouche bée.

C'est habile et tout le monde peut se dire satisfait. Les seuls qui seraient en droit de protester sont ceux qui ont cru qu'il ne toucherait pas à la TVA comme il l'avait avec tant de force annoncé et ceux (dont je suis) qui espéraient une refonte plus radicale du mode de financement des allocations familiales et de l'assurance maladie. Mais comme il s'agit, en général, de gens qui ont voté pour lui, leur pouvoir de nuisance est faible. Hollande illustre une nouvelle fois cette règle qui veut que les premiers déçus d'un Président sont ceux qui ont voté pour lui.

C'est habile, mais est-ce que cela suffira? Il faudrait, pour cela, 1) que les partenaires sociaux qui ont aujourd'hui toutes les raisons d'être satisfaits lui renvoient demain la balle en signant un accord sur la réforme du marché du travail. On n'y est pas. Et, 2) que le gouvernement trouve le moyen de réduire de 10 milliards ses dépenses sans affecter la qualité des services offerts aux Français. Il lui faudra faire de gros efforts d'imagination, à moins qu'il se décide à tailler dans des aides qui servent surtout aux grandes entreprises qui investissent en priorité à l'étranger.

mardi, novembre 06, 2012

Compétitivité : le rapport Gallois, suite

Le gouvernement va donc mettre en oeuvre la plupart des mesures préconisées dans le rapport Gallois mais peut-être pas tout à fait de la manière dont celui-ci l'envisageait. Si j'ai bien compris, mais les détails manquent encore, le gouvernement va réduire les coûts pour les entreprises en leur accordant des crédits d'impôts. Mais ce n'est pas la même chose qu'une réduction des cotisations sociales. Il y avait une mesure simple et rationnelle qui aurait consisté à retirer des cotisations sociales des entreprises ce qui relève de la famille et de la santé, deux domaines qui ne sont pas, à l'inverse du chômage, des accidents du travail ou de la retraite, directement liés au travail. Effectuer ce transfert aurait pérennisé cette réduction du coût du travail et aurait concerné toutes les entreprises et tous les salariés. En choisissant l'arme fiscale, le gouvernement s'est donné la possibilité de revenir en arrière (il parle, d'ailleurs, de trois ans pour atteindre cet objectif) et d'introduire des mécanismes incitatifs (crédits d'impôt lié aux investissements, à l'emploi…). Ce qui risque de réduire l'impact de la mesure : les industriels peuvent craindre que dans trois ans, les choses changent et les mécanismes incitatifs risquent de ne guère être efficace sur des entreprises en grande difficulté (ce sont elles qui licencient).

Je suis également supris qu'il n'ait pas envisagé, pour financer cette réforme, une révision des aides publiques (65 milliards en 2007 d'après la cour des Comptes distribués au travers de 6000 dispositifs différents) et une action plus vigoureuse sur la fiscalité des entreprises, notamment des entreprises multinationales qui réussissent à ne pas payer d'impôts en France (sur ce sujet voir pour plus de précisions, cette chronique que j'ai donnée ce matin : Compétitivité : et si on finançait les réductions de cotisations sociales en regardant du coté de la fiscalité et des aides aux entreprises?). Il est vrai que la solution qu'il a retenue lui permet de garder la main sur la politique économique. Mais elle introduit un peu plus de complexité encore dans un système fiscal déjà illisible.

mardi, octobre 30, 2012

Ayrault : maladroit ou différent?

La dernière "bévue" de Jean-Marc Ayrault sur les 35 heures (répondant à un lecteur du Parisen Libéré sur le retour aux 35 heures, il répondit en substance : il n'y a pas de sujet tabou. Pourquoi ne pas en discuter) laisse rêveur. Est-il terriblement maldroit? N'a-t-il pas compris le fonctionnement des médias? Ou a-t-il tout simplement décidé de tordre le cou à la langue de bois? Prise telle que la rapportent les titres de la presse et, notamment le Monde, l'information suggère qu'il ne serait pas forcément hostile au retour aux 39 heures, ce qui n'est sans doute pas ce qu'il a voulu dire. Mais nous sommes tellement habitués à surinterpréter les discours politiques que nous voyons des intentions là où il n'y en a pas forcément. S'il s'agit bien de cela, il serait bien qu'il nous le dise. Après tout, ce serait une bonne manière d'en finir avec cette approche de la politique qu'imposent les journalistes politiques qui plutôt que d'aller dans le fond des dossiers s'attachent surtout aux petites phrases et aux accidents d'expression.

PS : il est bien sûr une autre hypothèse, c'est qu'il ait avec cette petite phrase lancé un signe en direction de ces patrons qui sont montés au créneau ces derniers jours. Ce serait plus que maladroit désolant et stupide.


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lundi, octobre 29, 2012

Après le tournant de la rigueur, celui de la compétitivité?

L'hésitation que l'on devine au sommet de l'Etat sur la compétitivité me rappelle celle qu'avait connu en 1983 François Mitterand lorsqu'il a du choisir entre l'Europe et la rigueur d'un coté et la poursuite de ses réformes de gauche de l'autre. Le pouvoir balance, il a pris la mesure des enjeux et s'interroge. Va-t-il engager ce "pacte de productivité" comme l'appelle Hollande ou va-t-il se contenter de mesures cosmétiques? On remarquera que comme en  1983, la décision risque de mettre le Président en porte-à-faux avec sa majorité sans lui attirer la sympathie de l'opposition. On remarquera également, et c'est une bonne nouvelle, que c'est la première fois que la question se pose de manière aussi ferme en France.

dimanche, octobre 28, 2012

Ne pas se tromper de compétitivité

Choc ou pas? Rapport mis au rancart ou pris au sérieux? Le débat sur la compétitivité de l'industrie française prend une drôle de tournure. Plutôt que de réfléchir au déficit de compétitivité, ce que fait probablement le rapport Gallois, on se laisse entraîner dans deux discussions annexes, celle sur les modalités de la réduction du coût du travail (choc ou pacte) et celle des hésitations du gouvernement. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la compétitivité. Il suffirait, d'ailleurs, d'écouter les industriels, ce que fait régulièrement  l'Usine Nouvelle, magazine professionnel dont la lecture est toujours instructive pour le voir.

On y découvre que le monde de l'industrie est partagé entre :
- ceux qui insistent sur une baisse du coût du travail (industrie agro-alimentaire, chimie)
- et ceux qui mettent en garde contre l'obsession du coût produit et insistent plutôt sur l'innovation comme les patron de l'Air liquide (qui déclare en aparté : "il ne faut pas limiter la compétitivité à un facteur, il faut aussi considérer la compétitivité hors-prix"), de Michelin, de Danone (qui investit massivement dans ses usines de Brive la Gaillard et du Nord), des matières plastiques ("en termes de compétitivité, l'enjeu n'est pas le coût du travail" déclare le patron de la Fédération européenne du secteur) et de l'industrie du logiciel. Innovation que n'ignorent pas ces 50 d'industriels qui ont innové ces deux dernières années (voir là dessus Enfin de la lumière au bout du tunnel).

Prendre la question de cette manière inviterait à regarder l'impact d'une baisse du coût du travail. Si l'on peut penser que toutes les entreprises en profiteront, ce ne sera pas pour toutes de la même manière. On peut craindre que les premiers bénéficiaires en soient les services qui ne souffrent pas ou peu de la concurrence internationale mais qui sont de gros employeurs. Recruteront-ils plus? Verseront-ils de manière salaires à leur personnel pour compenser l'impact d'une augmentation de la CSG ou de la TVA? Réduiront-ils leurs efforts de modernisation? Se lanceront-ils dans des  opérations dispendieuses et sans intérêt? se contenteront-ils de reverser ces surplus à leurs actionnaires?

Prendre la question de cette manière permettrait également de regarder du coté des emplois. Baisser les cotisations sociales, les transférer, d'une manière ou d'une autre vers les ménages, permettra-t-il de créer des emplois? lesquels? où? dans de nouveaux services peut-être, mais dans l'industrie, cela ne va pas de soi comme le suggèrent les propos du patron de Michelin dans l'Usine Nouvelle : il lui faut être près de ses clients.

Peut-être pourrait-on également dans ce débat se souvenir de cette phrase de Michaël Porter :
The paradigm defining competitiveness has been shifting, particularly in the last 20 to 30 years, away from this static model. The new paradigm of inte national competitiveness is a dynamic one, based on innovation. (…) Competitiveness at the industry level arises from superior productivity, either in terms of lower costs than rivalsor the ability to offer products with superior value thatjustify a premium price.' Detailed case studies of hundreds of industries, based in dozens of countries, reveal that internationally competitive companies are not those with the cheapest inputs or the largest scale, but those with the capacity to improve and innovate continually. (Toward a New Conception of the Environment-Competitiveness Relationship, The Journal of Economic Perspective, 1995)

samedi, octobre 27, 2012

L'herbe des nuits


La lecture de Modiano suscite toujours le même léger embarras, le plaisir d’une langue sobre, élégante, presque fade, celui de retrouver d’un livre à l’autre les mêmes histoires ou presque, les mêmes figures, cette plongée dans un Paris perdu et ce même jeu de piste entre souvenirs partagés, inventés, rêvés. 

Dans L’herbe des nuits, son dernier roman, on devine la figure de Ben Barka, celle des truands qui l’ont kidnappé, de Georges Boucheseiche que Modiano appelle, au détour d’une conversation Rochard, mais dont il nous dit qu’il peut être le propriétaire de l’Unic hotel, hôtel dont était justement propriétaire Boucheseiche (voir ici), et dont on se demande, à voir ses photos, s'il ressemblait vraiment au personnage du roman.


On y retrouve également un poète qui sort de l’hôtel Taranne, aujourd’hui disparu, juste à coté de chez Lipp, qui s’appelle Jacques, ce pourrait être Prévert, c’est Audiberti. Cette hésitation sur les identités revient tout au long du livre, elle frappe même le narrateur qui avoue “à cette époque là je n’étais pas sûr de mon identité, et pourquoi l’aurait-elle été plus que moi?” et donne à ce texte, comme à tous ceux de Modiano, le charme un peu désuet de cette brume, de ce flou que l’on associe en général à la myopie. Rien n’est net chez cet auteur, et c’est ce qui plait chez lui.

Il y a plus agaçant : ces souvenirs qu’on ne partage pas et qui intriguent. Y a-t-il jamais eu un jardin rue de Rennes, il où est aujourd’hui le Monoprix? Je n’en ai aucun souvenir. Quant à ces numéros de téléphone qui parsèment ses livres, les invente-t-il ou les trouve-t-il dans l’un de ces vieux annuaires qu’il semble tant affectionner?


Tout cela dans une sorte de mise en abîme discrète puisqu’il s’agit d’une histoire de faux papiers qui auraient été fournis à une certaine Dannie dont on devine qu’elle a été la maîtresse du narrateur. Dannie, prénom ambigu puisqu’il pourrait s’agir d’un diminutif d’Annie, dont on apprend, mais est-ce une surprise? qu’elle s’appelle en réalité Mireille Sampieri, soit le  nom même d’une maitresse de Lafont, le chef de la Gestapo française. Ce ne peut évidemment être un hasard même si les dates ne concordent pas vraiment.  


Si Modiano donne le sentiment d'écrire toujours un peu le même livre, il donne à ses lecteurs le même plaisir qui n'est pas sans rapport avec celui que l'on prend lorsque à essayer de résoudre des intrigues sans enjeu.


vendredi, octobre 26, 2012

Jean-Marc Ayrault à l'Alpe d'Huez


Jean-Marc Ayrault me fait aujourd'hui penser à ces cyclistes qui se battent pour atteindre le sommet à l'Alpe d'Huez et qui doivent en même temps faire avec des concurrents agressifs, ce qui est légitime, et une foule insistante, ce qui l'est moins. Notre malheureux Premier Ministre a dit tout haut ce que tout le monde disait depuis plusieurs jours, le Conseil Constitutionnel allait retoquer pour une question de forme la loi de Duflot sur le logement. Maladresse? si l'on veut. Et encore. Il s'est essayé au parler vrai, il a voulu en finir avec la langue de bois et patatras, voilà qu'il a parlé trop vite, qu'il n'est plus qu'un amateur ou, comme l'écrivait hier Libération, un apprenti. N'est-ce pas un peu exagéré et, surtout, contre-productif : comment un premier ministre peut-il être efficace si chacun de ses propos maladroit fait la une pendant quelques heures? 



jeudi, octobre 25, 2012

Insupportables années 70

Je lis L'absolu littéraire, livre de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy sur le romantisme allemand, publié une première fois en 1978, que les éditions du seuil viennent de rééditer. Moins  pour le texte de Lacoue-Labarthe et Nancy que pour ceux des frères Schlegel, de Novalis et Schelling qu'ils présentent.

Comme il s'agit d'une période que je connais mal, j'ai assez naturellement entrepris de lire les introductions de nos deux philosophes. Mal m'en a a pris. Ce qui saute aux yeux, dès les premières lignes, c'est combien les commentaires de nos deux universitaires sont vides, creux, pompeux, redondants, prétentieux, en un mot, insupportables. Les tics de langage abondent, la simplicité qui permettrait de comprendre ce qu'ils veulent dire toujours absente. Le lecteur exaspéré se dit que les auteurs auraient pu couper, aller à l'essentiel, supprimer toutes les mises en abime de leur pensée s'ils en ont une ce dont on finit par douter.

Heureusement qu'il y a les textes des romantiques allemands avec leurs perles comme celle-ci de Friedrich Schlegel que nos deux auteurs auraient du méditer :
Des auteurs médiocres qui annoncent un petit livre comme s'ils s'apprêtaient à exhiber un géant devraient être contraints par la police littéraire à apposer sur leurs produits cet avis : This is the greatest elephant in the world, except himself.
Si j'en parle, c'est que ces tics "post-modernes" bien loin d'avoir disparu sont toujours présents dans les textes et les propos publics de quelques uns de nos universitaires comme j'ai encore pu le constater il y a quelques jours. Et contribuent à ce qu'il faut bien appeler notre provincialisme.


mercredi, octobre 24, 2012

Gallimard censure l'éditeur d'Aragon dans la Pleïade

L'histoire est cocasse, un peu absurde. Gallimard (et J.B.Pontalis, directeur de la collection dans laquelle ce livre est publié) vient de censurer le livre sur Aragon que Daniel Bougnoux, l'éditeur des romans de ce même Aragon dans la Pléiade (dont le dernier volume vient de paraître) vient de publier : La confusion des genres. Livre plein d'admiration, d'analyses fines qui témoignent d'une connaissance parfaite de l'auteur. Mais voilà ce chapitre a eu l'heur de déplaire à Jean Ristat l'exécuteur testamentaire de l'écrivain. Mais le Canard Enchaîné ayant parfaitement décrit la situation, voici son article :


Toute cette affaire est ridicule et témoigne de l'étrange sensibilité de Ristat. Pour en juger voici le texte qui semble avoir posé problème :


Depuis 1971, Castille prenait ses vacances d’été à Toulon entouré d’une cour de jeunes gens auxquels il distribuait chatteries, caresses et coups de griffe comme un pianiste réhausse son jeu à coups d’apoggiatures et d’effets de pédale. Je m’y trouvais mêlé en juillet 1973, habitant moi-même cette ville depuis mon affectation de professeur de philosophie au lycée Bonaparte ; j’avais, pour la collection Poche-critique créée par Georges Raillard, écrit un petit ouvrage sur Blanche ou l’oubli qui avait plu à son auteur, nous avions échangé quelques messages, il m’avait reçu rue de Varenne et, puisque j’étais toulonnais, invité à passer le voir au cap Brun quand lui-même y serait. Je me retrouvais donc sur la corniche de la résidence-hôtel, pour un déjeuner pris en terrasse à l’ombre entêtante des pins ; au loin sur la grande nappe bleue, les voiliers faisaient un semis de petites mites, tandis que dans la minuscule piscine en contrebas quelques jeunes gens juraient et s’ébrouaient avec de grands splashes. J’imaginais avant de venir Castille entouré d’artistes, de fins causeurs ou de critiques experts, mais je tombais autour de la table sur ces « charlatans de Gallipoli (…) des gens, des gens, des gens encore (…) des paltoquets et des pécores » évoqués dans Le Roman inachevé ; je revois deux hurluberlus fraîchement débarqués du festival d’Avignon, soudain séduits par le décor et décidés à y prendre racine, auquel notre hôte débitait des anecdotes qu’ils écoutaient en feignant l’intérêt. La conversation languissait, aussi fus-je soulagé quand Castille me lança gaiement au café, qu’il buvait en y ajoutant une quantité effroyable de sucre : – Eh bien jeune homme, je suis content de vous ! Vous plairait-il d’entendre la suite ? Attendez-vous à pire…, et il m’avait entraîné sans façon dans sa chambre, en escaladant l’escalier avec une vigueur surprenante.
Sur une table devant la fenêtre étaient disposées des liasses. Castille les soupesa avec la circonspection d’un haltérophile, puis d’un paquet tira prestement quelques feuilles qu’il commença à lire d’une voix emphatique, le dos tourné au jour. A cette époque, il laissait encore pousser ses longs cheveux blancs en crinière. Pourtant ce n’était pas le lion qu’évoquait le visage de Castille, malgré son profil arrondi de félin et la fente parfois cruelle des paupières filtrant un regard bleu. Son port de tête n’était pas assez noble ou tranquille, les expressions les plus contraires couraient sur ses traits avec la rapidité de l’araignée sur sa toile. Cette déconcertante cinématographie de la face semblait prendre naissance à la base onduleuse du cou : tout en lisant Castille branlait du chef, et coulait de côté des regards en lame de faux. Sa voix légèrement nasale découpait les mots avec la précision d’une dague ; non contente de dire elle semblait décortiquer et déguster chaque phrase, suspendue à d’invisibles guillemets, ou élevée jusqu’à la lumière comme un joaillier vante un bijou de prix qu’il détache pour le faire tourner aux yeux de l’acheteuse. Il était difficile d’échapper à son charme hypnotique, tant la haute silhouette dépassait la mesure ordinaire de l’homme ou de la femme et suggérait l’apparition mélodieuse de la Sphinge, ou de quelque serpent à sonnettes à la morsure sucrée. Je m’efforçais de ne rien perdre de cette mise en scène, mais son étrangeté même nuisait à l’intelligence des paroles, dont le fil se rompait souvent. Les sautes de ton et les syncopes caractérisent le maniérisme lyrique du dernier Castille, qui me faisait profiter là de son dernier roman, en se plaisant à souligner et à dramatiser les accidents de sa prose, partout où ça disjonctait.  – Tu vois petit, ce bouquin me déborde, quel désordre bon Dieu quel désordre, jamais je ne m’y retrouverai…
Car soudain dans la chambre il m’avait tutoyé, tout en piochant parmi les feuillets qu’il battait comme un jeu de cartes – pour anticiper sur l’image que répèteront tous les commentateurs de Théâtre/roman. Puis, dans un grand geste théâtral le poète rejeta impatiemment le manuscrit et se dressa vivement. Le peignoir s’ouvrit sur le slip de bain. Castille nageait chaque jour en mer, assez souvent seul et droit vers le large, et je vis que le grand âge n’avait pas ruiné son corps bronzé, à la stature athlétique. Il me tourna le dos et disparut sans un mot dans la salle de bains.
Plusieurs minutes s’écoulèrent, avec des bruits d’eau. Une bouffée de parfum envahit la pièce, d’un musc lourd dominé par la rose. Quand Castille regagna son siège pour reprendre sans autre explication le fil de sa lecture, j’eus du mal à contenir ma stupéfaction : le Vieux s’était fardé et fait les yeux en y collant, par un détail de coquetterie inconcevable, des faux-cils dégoulinant de rimmel. Il avait abandonné le peignoir et troqué son slip pour un cache-sexe rouge vif. J’avais à présent devant moi une drag queen qui se mit à rythmer de plus belle les propos d’Eurianthe ou de quelque Lélio, tout en se caressant la poitrine et la toison ventrale. Le parfum, un gel plutôt, n’avait pas été appliqué au hasard et il était facile, à la courte distance où j’étais, de deviner de quel orifice copieusement enduit émanait l’entêtante invite. Dans mon dos, le grand lit blanc à la courte-pointe impeccablement tirée se chargea soudain d’une présence redoutable ; en quelques minutes, la confusion des genres avait changé de caractère.
Que faire ? Je jugeai prudent de ne rien laisser paraître, me levai dès la fin de la lecture, remerciai et cherchai l’air au dehors, en tirant la porte sur les vociférations du baroque opéra dont, par une chaude après-midi de juillet, Castille m’avait fait l’unique spectateur. Ses lèvres aux accents rugissants et suaves avaient déployé pour moi l’éventail du désir amoureux sans lésiner sur l’orchestre, ponctuant par les clochettes de la douleur le largo langoureux des stances, tressant ses trilles au frémissement des cordes, ça me remettait quatre vers en mémoire, « Dites flûte ou violoncelle / Le double amour qui brûla / L’alouette et l’hirondelle / La rose et le réséda », amour double en effet puisque par derrière… Comment jamais te dire Je t’aime ? modulait de mille façons le poème, tandis que le colimaçon parfumé de la rose implorait Défonce-moi ! Ou, dit avec plus d’emphase dans Le Paysan de Paris : « Bats-moi, effondre-moi (…). Saccage enfin, beau monstre, une venaison de clartés ».
L’abîme ouvert par Castille ne me détourna pas de le revoir, et je me mis à fréquenter davantage ses livres. « Sexuellement je l’avais percé à jour et il ne me le pardonnait pas », écrivit Drieu la Rochelle de son ancien ami ; pour moi au contraire, le mélodieux frelon me parut plus proche, et presque fraternel, du jour où il me révêla sa fêlure. En ce temps-là, le veuvage de Castille était récent, et le plus exposé des secrets mondains n’était pas encore devenu le Polichinelle de Paris ; la fable pourtant s’en répandait, et le poète ne fit rien pour la démentir ; il s’affichait au contraire en diverses mondanités avec son secrétaire ou d’autres garçons de moindre calibre, semant chez les vieux grognards d’un réalisme qu’ils appelaient toujours socialiste l’embarras de ne plus savoir, devant le nouveau couple, sur quel pied danser.
Je croisais le secrétaire – appelons-le Raoul – qui fumait nerveusement au pied de l’escalier ; il faisait le guet je crois bien, mais pas comme Leporello veillant sur les amours de son maître. Son regard m’instruisit mieux que les chamailleries du caravansérail sur les supputations et les jalousies qui peuplaient le petit monde de Castille. Le jeune homme composait sur son protecteur des vies parallèles aux détails suggestifs qui tiraient de Castille, dont le regard fatigué ne savait plus reconnaître la peinture, des cris d’extase. « Hourra Raoul ! » avait titré quelques années plus tôt sur deux pages Les Lettres françaises. Ensemble ils promenèrent ce livre, dont ils firent des lectures publiques à deux voix pour inaugurer ici un Centre culturel, là une bibliothèque Elsa Triolet. Plus tard il y aurait l’exhibition télévisée et les bredouillements sous le masque. Une suite funèbre de paroles à côté et de bouffonneries jusqu’à la décomposition finale. Castille toujours sublime et pathétique faisait le sourd quand on le suppliait d’intervenir fût-ce d’un mot dans les affaires du Parti ou de l’U.R.S.S., mais sur son œuvre et dans ses amours il se parodiait désormais lui-même, comme pour remettre sa fameuse fidélité à l’échelle de la grimace discordante et du « ratage carnavalesque du temps ». Face à ses détracteurs et ennemis qui étaient légion, il avait toujours eu la passion d’en rajouter, façon de prendre les devants disait-il, ou pour le bizarre plaisir d’armer l’adversaire.
Je rencontrais Castille une dernière fois, dans une librairie de Grenoble où il venait lire quelques poèmes, dont le très touchant « Voyage d’Italie » où passe la voix blessée de Marceline Desbordes-Valmore. Les demandeurs d’autographes s’écrasaient sur son passage et je revois Raoul, costumé en cocher, empilant dans un grand sac les livres que Castille dédicacerait plus tard. Je m’avançais vers lui pour lui redire mon attachement, avec à la main un exemplaire d’Irène dans l’édition de Régine Deforges où je le priais de me mettre un mot. – Pourquoi voulez-vous, mon petit, que je vous dédicace un livre qui m’est étranger puisque j’ai toujours refusé d’en endosser la paternité – ou devrais-je dire la maternité ? Et en effet, Castille résista jusqu’au bout, pour des raisons que je m’explique mal, à reconnaître l’un de ses plus beaux cris. Après cela, peut-être découragé, je ne le revis jamais plus.
Il fallait un certain héroïsme pour lamper ainsi à petites gorgées la cigüe lente du suicide. On avait bien ri quand, profitant d’un discours officiel où il remettait ses manuscrits à la nation française, il avait solennellement institué Raoul son « prolongateur ». Un cordon électrique ! Un échotier s’en empara et un bon mot courut Paris, « la prise de la Castille », ah ah ! Prolongateur, Raoul ? Un rouage tout au plus de cette machine à se moudre soi-même, un Sganarelle de rencontre à la table du séducteur, à l’heure où les Commandeurs de marbre se bousculent aux portes. Dans ce théâtre de marionnettes où Raoul était le dernier du casting, Castille avait toujours occupé tous les emplois, à la fois l’idolâtre et l’idole, la cantatrice et son amant, persécuté-persécuteur… Castille à la voix de cristal maintenant sous les tubes, aux mains des hommes en blanc. Et autour de la bibliothèque, des tableaux et des manuscrits, le vol pesant des charognards.
On se demande ce qui dans ce texte a le plus gêné Ristat, de la scène avec Aragon (scène qui ne doit guère le surprendre si l'on en juge parce qu'il dit de ces séjours à Toulon dans ses entretiens avec Francis Crémieux) ou des remarques sur Raoul, le secrétaire, qu'il a pu prendre pour lui.

Il est en tout cas dommage qu'un éditeur de la taille de Gallimard cède aux fantaisies d'un héritier abusif et que d'autres, ailleurs, arguant de leur amitié pour Ristat, hésitent à organiser des émissions radiophoniques sur Aragon à l'occasion de la sortie de ce livre.

Voici sur le sujet ce qu'en dit Pierre Assouline dans son blog : Effet collatéral de confusion des genres en Aragon.