lundi, avril 27, 2009

Situation pré-révolutionnaire, mai 2009? Cessons de nous faire peur

Nos élites sont, depuis quelques jours, saisies d'une singulière inquiétude. Nous serions dans une situation pré-révolutionnaire. C'est ce qu'affirmait il y a quelques jours Dominique de Villepin, ce que reprenait hier le Journal du Dimanche qui se demandait si nous ne sommes pas à la veille d'un nouveau mai. Origine de toutes ces inquiétudes : les tensions sociales qui se font de plus en plus vives et, d'abord, les séquestrations de patrons qui se multiplient.

Tout cela me paraît relever, au mieux, d'une erreur d'analyse, au pire d'une de ces tentatives de manipulation de l'opinion ou, plutôt, d'une de ces séquences médiatiques où un thème qui séduit les journalistes (qui fait de bons titres) se trouve occuper pendant quelques jours la une sans autre motif que sa capacité à inquiéter l'opinion.

Mais puisqu'il s'agit tout de même de choses graves, regardons d'un peu plus près ce qui permettrait de justifier cette explosion sociale. Trois éléments viennent en tête :
- la dégradation de l'image des élites qui se sont révélées, qui se révèlent chaque jour un peu plus prédatrices, comme en témoignent ces informations qui tombent régulièrement sur les stock-options et autres bonus que s'accordent des dirigeants de ces banques au bord de la faillite qui ne survivent que grâce à l'argent de l'Etat,
- la dégradation de la situation sociale et la montée du chômage,
- la tension accrue des relations sociales et la multiplication des événements violents.

Mais peut-être faut-il les regarder de plus près et évaluer le potentiel révolutionnaire de chacun.

La dégradation des élites est certainement un moment important dans les situations pré-révolutionnaires. Et l'on ne peut masquer le fait que les élites économiques et financières ont pris un coup dans l'aile. La multiplication des scandales financiers a mis en évidence le comportement de prédateurs des dirigeants des grandes banques et grandes entreprises. Mais on aurait tort de généraliser. Si les élites économiques se sont montrées telles qu'en elles-mêmes, inconséquentes, égoïstes, amorales, surtout occupées à s'enrichir sur le dos des autres, les élites politiques sortent, pour l'instant, plutôt renforcées de cette crise. Non seulement, elles en ont pris dans la plupart des grands pays très tôt la mesure, mais elles sont su retourner leur "veste idéologique", lancer des plans de grande ampleur, s'allier et lutter contre le protectionnisme et l'égoïsme national.

Ces plans ne donneront peut-être pas ce qu'en elles attendent, mais elles n'ont pas faibli et se sont comportées en leaders. C'est vrai de Gordon Brown, de Barack Obama, de Nicolas Sarkozy mais aussi de la plupart de leurs collègues. Les faiblesses que l'on peut reprocher aux uns et aux autres ne sont rien au coté de ce qu'ils auraient pu nous montrer s'ils n'avaient pas su s'entendre lors du dernier G20.

La tension accrue des relations sociales est une évidence dont témoignent la multiplication des séquestrations en France, mais aussi l'émergence de nouvelles pratiques sociales (occupation des locaux, destruction de logements privés…) dans des pays traditionnellement plus calmes, comme la Grande-Bretagne ou l'Irlande. Ces violences doivent cependant être relativisées. Non seulement , elles sont peu nombreuses (combien de cas de séquestrations? 8 ou 9, pas plus), mais elles sont surtout symboliques et se situent dans un contexte très particulier qui a rarement été décrit : il s'agit dans presque tous les cas d'entreprises internationales. Les salariés protestent contre des décisions prises à l'autre bout du monde sans la moindre concertation, ils séquestrent des cadres qui n'ont pas eu leur mot à dire, qui ont parfois été informés comme eux-mêmes au tout dernier moment par un mail ou un fax. Quand on regarde de près, on découvre que leurs revendications sont le plus souvent extrêmement raisonnables : il s'agit d'améliorer les conditions d'un plan social, pas de revenir sur la décision de fermeture de l'établissement. Ils séquestrent des cadres (et non pas, comme le dit la presse, des patrons) pour forcer l'entreprise à négocier. Ce n'est pas le dialogue social à la française qui est en cause, comme on le dit trop (sur un dialogue social qui ne fonctionne pas si mal que cela, voir ici et ), c'est le refus de directions étrangères d'entrer dans le moindre négociation qui est à l'origine de ces événements. Ce qui est tout différent. Il n'y a pas de motif que ce type d'action se développe dans des entreprises qui respectent les règles.

La dégradation du chômage est une évidence, mais est-ce dans les périodes de difficulté que l'on fait la révolution? Il me semble que c'est plutôt dans celles où les choses vont mieux, où on a le sentiment de ne pas profiter pleinement de l'amélioration de la situation économique. Si mouvement social de grande ampleur il doit y avoir, ce n'est pas pour dans quelques semaines, mais plus tard, dans quelques mois, lorsque les salariés, qui sont souvent les mieux informés de la réalité de la situation économique (qui peut l'être mieux que l'ouvrier qui voit sa charge de travail augmenter? la caissière qui voit changer la composition du panier de la ménagère? l'acheteur qui doit négocier plus ou moins durement prix et délais?…), verront la situation générale s'améliorer sans que la leur change.

Pour tous ces motifs nous ne sommes pas dans une situation pré-révolutionnaire. Il est inutile de s'affoler, d'affoler l'opinion. A moins qu'il s'agisse d'une opération de communication pour gagner les prochaines élections. Mais, franchement, j'en doute : on peut imaginer que le Journal du Dimanche de Claude Askolovitch joue à ce petit jeu (encore que…), mais pourquoi Dominique de Villepin irait-il porter main forte à l'UMP?

Le prochain 1er mai sera un grand succès, mais le 2 mai, tout le monde retournera travailler comme d'habitude en se félicitant des foules de la veille. Sans plus.

mercredi, avril 22, 2009

Ces ministres qui se préparent pour le remaniement

Il y a quelques semaines, je m'interrogeais ici même sur le comportement de ces ministres qui choisissent le moment de leur départ dans la presse. Le Canard Enchaîné se fait ce matin l'écho de la colère de Nicolas Sarkozy en Conseil des ministres à la lecture d'un article du Figaro sur les ambitions des uns et des autres pour le prochain remaniement. Difficile de lui donner tort. Ces propos sont indécents, tout comme l'ont été, à leur manière, ceux de ces députés qui, à peine sortis de l'Elysée, sont allés raconter urbi et orbi (je veux dire aux journalistes qui savent les flatter) ce que leur avait dit le Président.

François Mitterrand avait, en son temps, souffert de l'incontinence verbale de ses conseillers qui, à peine quittées leurs fonctions, se lançaient dans la rédaction d'ouvrages critiquant ce qu'ils avaient aimé la veille. Du moins pouvait-on lui accorder le bénéfice de la tolérance. Avec Nicolas Sarkozy, on a passé une nouvelle étape : les collaborateurs et ministres s'expriment pendant leur mandat et n'hésitent pas à chercher à forcer la main du Président en public.

Sans doute faut-il y voir une désacralisation de la fonction présidentielle. Mais au delà, on peut aussi y deviner un des effets pervers de cette course à la candidature à la présidentielle qu'est devenue notre vie politique. Dès lors que tout un chacun ou presque, pour peu qu'il ait un jour été élu ou ait occupé une place de prestige (ce qui fait beaucoup de monde), peut se penser en candidat, il n'y a plus de motif de respecter celui qui occupe le poste. Surtout si celui-ci abuse de la promiscuité, des familiarités, tutoie le premier venu et hésite à sanctionner.

Je n'ai aucun titre pour donner le moindre conseil à Nicolas Sarkozy et je suis sûr qu'il n'a que faire de mes remarques, mais le mieux pour en finir avec cette détestable dérive qui mine son pouvoir et plus encore celui de son gouvernement, serait :
1) d'en finir avec les colères qui finissent dans les journaux et de frapper, je veux dire demander immédiatement les démissions de ces Morano, Barnier et alii qui se répandent dans les médias sur leurs ambitions. Il est probable que cela forcerait rapidement les autres à un peu plus de prudence ;
et 2) de retrouver le sens des rites : quoique l'on en pense par ailleurs, et même si cela peut paraître un peu ridicule, un Président doit conserver une certaine distance. Il est normal qu'on le vouvoie et qu'on l'appelle Mr le Président, même quand on a cueilli des pâquerettes avec lui. Ce n'est pas l'homme que l'on vise, c'est la fonction que l'on respecte. Giscard, Mitterrand (et plus encore de Gaulle) savaient cela…

Ceci écrit, je me sens vraiment très… conservateur et vieux jeu.

mardi, avril 21, 2009

Ségolène ou la stratégie de Saint-Sébastien

Ségolène a-t-elle eu raison ou tort? Le tir ciblé de la droite, la gêne de la gauche après ses dernières frasques, je veux dire cette demande de pardon à Zapatero, pourraient faire penser qu'elle est allée, cette fois-ci, un peu trop loin. Il est vrai qu'elle a tiré tellement plus vite que son ombre qu'elle s'est mépris sur le sens de la phrase de Nicolas Sarkozy. Et, cependant… je me demande si tout cela ne participe pas d'une stratégie que j'appellerais de Saint-Sébastien, ce saint, patron des archers et de quelques autres dont les homosexuels, que l'on connaît pour ses représentations, nu, beau, le corps transpercé de flèches qui ne l'ont cependant pas tué (il est mort quelques temps plus tard lapidé). Parce qu'in fine Ségolène ressort victime de cette passe d'armes et mieux encore révélatrice des faiblesses du camp d'en face, de la grossièreté inimaginable de Frédéric Lefebvre (comment un Président de la République peut-il s'acoquiner avec pareil voyou?), mais aussi de la lâcheté insigne des socialistes (comment peuvent-ils laisser la majorité l'insulter ainsi sans protester?).

Je ne suis pas sûr qu'elle-même s'en sorte indemne, du moins vit-elle toujours et a-t-elle réussi à faire de la négligence de Sarkozy (parce qu'il en s'agit en réalité que de cela) un fait politique grave. Ce n'est pas rien.

jeudi, avril 09, 2009

Ségolène en boubou : ma femme de ménage?

Canal + a hier montré des images édifiantes d'un certain Destrem, élu UMP parisien, faisant rire tous ses collègues avec une photo représentant Ségolène Royal en boubou bleu au Sénégal. Interrogé un peu plus tard par un journaliste de la chaîne sur ce qu'il voyait dans cette image, il a répondu ma femme de ménage.




Plus que la grossièreté du personnage (qui ne m'étonne pas, je l'ai croisé il y a de nombreuses années lorsqu'il travaillait chez IBM, il se faisait porter dans les réunions qu'il dirigeait un café pour lui seul et n'hésitait pas à demander aux journaux auxquels il confiait des budgets de passer gratuitement des publicités pour l'agence de mannequin de sa femme), c'est la vérité de ce qu'il dit qui m'a frappé. C'est vrai que nos femmes de ménage portent parfois des boubous. C'est qu'elles sont maliennes et souvent sans-papiers. Ce sont les mêmes qui sont victimes des lois que Destrem et ses amis votent au Parlement. Hypocrisie de ces élus qui condamnent ceux-là mêmes qu'ils emploient au noir.

mercredi, avril 08, 2009

Immigration : le sort des guerres coloniales?

Le Monde nous annonce que Nicolas Sarkozy vient de donner de nouveaux objectifs à Eric Besson. "Nouveaux", en ce qu'ils consistent à reprendre ce que faisait son prédécesseur, "de s'inscrire dans la continuité de l'action de son prédécesseur, Brice Hortefeux et de "consolider les succès" enregistrés depuis 18 mois dans la mise en place d’une "politique française de l’immigration et de l’intégration équilibrée, juste et ferme".

Tout cela me rappelle les déclarations des autorités militaires pendant les guerres coloniales. On y retrouve le même mélange d'objectifs que l'on répète constamment sans jamais les atteindre, de batailles gagnées chaque matin alors même que l'on observe, chaque soir, que l'on n'a pas avancé d'un pas dans la direction de la victoire. Comment pourrait-il, d'ailleurs, en être autrement? Comment peut-on empêcher des gens qui souffrent, et qui sont ambitieux, de chercher, par tous les moyens, même les plus dangereux, à se rapprocher de pays où ils peuvent espérer gagner leur vie?

Dans des articles, des émissions de radio et dans un livre publié il y a quelques années, j'avais tenté de montrer l'inanité de cette guerre que l'on ne peut pas plus gagner qu'on ne pouvait gagner les guerres coloniales. Et pour les mêmes raisons : chaque bataille gagnée contre l'immigration est une défaite pour les valeurs qui fondent notre société. Peut-on laisser, au nom de la lutte contre l'immigration clandestine, se noyer des gens à nos portes sans contrevenir aux principes élémentaires d'assistances aux personnes en danger? Peut-on, au nom de la même lutte, arrêter et menacer de peines de prison des citoyens ordinaires qui font preuve de solidarité à l'égard de malheureux que la police renvoie brutalement chez eux sans mettre en cause le droit de chacun de contrôler le travail des fonctionnaires?

J'ajouterai, pour terminer, sur une conversation que j'ai eue récemment avec une responsable des ressources humaines de Veolia qui avait, pendant quelques années, travaillé dans un service chargé du nettoyage de la voirie qui recrutait beaucoup de Maliens. Après m'avoir raconté les difficultés pratiques de lutter contre les sans-papiers, elle m'avoua qu'il était bien plus agréable de travailler avec des immigrés qui avaient quitté leurs pays parce qu'ils étaient plus ambitieux que la moyenne qu'avec des Français de souche qui ne se lançaient dans les métiers du nettoyage que parce qu'ils avaient échoué dans tout le reste. "D'un coté, me disait-elle en substance, nous avions des gens qui voulaient s'en sortir et qui se battaient pour, de l'autre, des gens qui allaient d'échecs en échecs." N'est-ce pas une évidence que nos politiques arc-boutées dans leur lutte sans fin contre l'immigation devraient un jour entendre?