jeudi, mars 31, 2011

Une place à prendre au centre?

Si l’on en croit les observateurs, Nicolas Sarkozy ferait le pari suivant : en faisant monter le Front National il interdirait, d’une part, à d’autres de se présenter contre lui à droite de crainte d'un 21 avril à l’envers, et il déplacerait, par ailleurs, les débats de la présidentielle de son bilan, médocre, sur les plans économiques et sociaux aux questions de société et d’identité (laïcité, immigration…) qui gênent la gauche. Ce qui expliquerait que les sondages qui le donnent régulièrement derrière Marine Le Pen ne l’inquiètent pas trop, sachant qu’il devrait réussir, dans une campagne à l’écraser de sa stature et de sa compétence. Le pari est astucieux mais il ne peut tenir que si le glissement à droite qu’il opère n’impose pas une candidature centriste.

Les sondages ne sont pour l’instant pas très favorables aux candidats du centre, qu’il s’agisse de Bayrou ou de Borloo. Mais n’oublions pas le score du premier aux dernières élections, réalisé pour partie grâce à la défection d’électeurs de gauche que la personnalité de Ségolène Royal exaspérait. On pourrait voir se reproduire le même phénomène avec un candidat du centre qui, profitant, de la bataille à droite entre Sarkozy et Le Pen, passe devant l’un et l’autre, en prenant à Sarkozy sa gauche et à DSK ce surplus que lui promettent aujourd’hui tous les sondages. D’où viennent en effet tous ces électeurs qui se prononcent dés le premier tour pour lui? Du PS pour une part, mais aussi de ce centre qui ne supporte plus Nicolas Sarkzy et sa dérive droitière. Ce qui nous conduirait à un second tour opposant un candidat PS et un candidat du centre droit. Dans cette perspective, DSK ne serait plus forcément le meilleur candidat pour la gauche, les électeurs d’extrême-gauche pouvant reprendre le slogan de Duclos en 1969 : “blanc bonnet, bonnet blanc”, ceux du centre restant vers leur candidat naturel et ceux de droite, se reportant plus facilement vers un candidat du centre de crainte de voir revenir la gauche au pouvoir. Un candidat du PS plus marqué à gauche, comme Aubry ou Hollande, aurait dans cette perspective plus de chances de l’emporter.

Ce scénario suppose cependant que ce candidat du centre réussisse à constituer rapidement une équipe et un entourage, ce qui voudrait dire explosion de l'UMP avant les présidentielles. On n'en est pas encore là. Mais il est suffisamment plausible pour donner des ailes à ceux qui, au centre, s'interrogent.

mercredi, mars 30, 2011

le FN ou la politique de l'ostracisme

Et si nous reprenions un peu de notre sang froid? Le FN a réuni au premier tour des cantonales 6,48% des voix des inscrits à cette élection. Ce n’est certes pas négligeable, mais cela n’en fat qu’une minorité, une petite minorité. Si l’on retient seulement le nombre des votants, il ne ressemble toujours que 15%, ce qui reste qu’une minorité, loin des 31,4% du PS et de ses alliés immédiats (divers gauche et radicaux de gauche). Et l’on voudrait que cette minorité impose ses vues à l’ensemble de la population? que ses craintes, ses fantasmes, ses  colères guident l’ensemble de l’action politique? Ce n’est pas raisonnable. Pourquoi ne s’inquiète-t-on pas également des 4% d’inscrits ou des 9,5% d’électeurs qui ont voté pour l’extrême gauche? Après tout, leur opinion compte aussi, leur refus de la politique menée par le gouvernement n’est pas moins grand et les programmes de leurs candidats auraient également de quoi inquiéter.

L’un des risques que l’on court aujourd’hui est de faire du FN, de ses idées, la référence intellectuelle, l’étalon de l’opinion française. Ce serait une triple erreur : parce qu’il ne représente, d’abord, qu’une minorité et qu’il ne dit en rien ce que les Français pensent tout bas. Ensuite parce qu’il n’est pas certain que tous ses électeurs partagent ses vues sur l’immigration comme en attestent plusieurs journalistes qui les ont interrogés. Enfin, et surtout, parce que ses idées sont destructrices.

A grossir exagérément l’importance dans l’opinion des thèmes de l’extrême-droite populiste on déforme la réalité et on risque de la transformer, de favoriser, par un de ces effets de prédiction auto-réalisatrice, la mise en place de politiques qui s’inspirent de son programme. C’est d’ores et déjà ce qu’a engagé l’UMP et ce que souhaite poursuivre sa composante la plus droitière.

Or, ces politiques sont dangereuses. Si Marine Le Pen a fait évoluer le “logiciel” du FN sur le plan économique et social, elle n’a certainement pas modifié le fond de sa politique que l’on pourrait résumer d’un mot : le principe d’ostracisme.

Principe qu’elle a encore tout récemment illustré avec son voyage peu médiatisé le 14 mars à Lampedusa, traditionnel point d'arrivée des migrants du Sud dans l'Union européenne. Elle y a visité, en compagnie d’un député de la Ligue du Nord un centre de rétention et a dit à des personnes qui y étaient retenues : “L'Europe n'a pas la capacité de vous accueillir. Nous n'avons plus les moyens financiers." Propos mesurés, loin des saillies de son père, qui n’en illustrent pas moins le fond de la politique du FN : le refus de la compassion, de la sympathie à l’égard d’autrui. Dans ce cas, à l’égard de réfugiés qui fuient des pays en guerre et que la télévision nous montre tous les jours complètement démunis, sans plus rien. Nous devrions éprouver pour eux de la compassion, nous devrions chercher comment les aider et voilà qu’on nous propose  comme Chantal Brunel, ancienne porte-parole de l’UMP, de “les remettre dans les bateaux.” Par un de ces effets ravageurs des politiques menées depuis quelques mois par Nicolas Sarkozy, c’est une membre de l’UMP, de cette droite que l’on dit de gouvernement, qui dit tout haut ce que Marine Le Pen pense tout bas!

Or, la sympathie, la compassion, le souci de l’autre sont ce qui fonde une société, ce qui nous permet de vivre ensemble. Son envers, l’ostracisme, conduit à dresser les individus les uns contre les autres. Pour se protéger on rejette son voisin, on le chasse de la cité. On a ainsi l’impression de renforcer celle-ci mais on ne fait en réalité que l’abimer. Chacun, se sentant menacé, se réfugie vers les siens, ceux du même village, du même quartier, de la même confession, du même milieu. Ainsi se construisent les communautés antagonistes qui se regardent avec méfiance, se craignent et en viennent à refuser à l’autre les droits les plus élémentaires, comme celui de parler sa langue dans ces banlieues bruxelloises où les modèles populistes de Marine Le Pen et de ses amis ont gagné les élections. On favorise d’abord le communautarisme puis l’opposition entre les communautés.

Le débat sur la laïcité que le Président de la République a voulu pour récupérer les voix du FN ne peut avoir qu’un effet : amener des musulmans qui avaient oublié leur appartenance à cette confession à s’en rapprocher, à se sentir membres d’une communauté  qui n’avaient, il y a peu encore, aucune existence. Et la construction de cette communauté, effet inattendu de cette politique, ne peut que favoriser chez les autres, les catholiques, les protestants, les juifs… le sentiment de leur différence.

On nous dit que donner une place importante dans le débat public au Front National, c’est faire oublier les échecs du gouvernement en matière politique et sociale. Sans doute, mais c’est aussi mettre les thèmes de l’extrême-droite au coeur du débat politique, c’est donner à des crypto lepenistes, l’occasion d’expliquer à longueur d’antenne et contre toute évidence “que l'immigration de peuplement et le communautarisme musulman qui en découle (il se revendique désormais comme tel en exigeant lui-même l'abandon du débat sur l'islam) sont des sujets aussi préoccupants que la paupérisation des classes moyennes. Celles-ci ne comprennent pas qu'un pays sur-endetté, ne pouvant plus offrir ni travail, ni logements, ni protections sociales suffisants à ses propres citoyens, persiste à accueillir légalement tant de monde, sans souci d'intégration.” (Yvan Rioufol, journaliste au Figaro, sur son blog et dans C dans l’air). Ce n’est pas l’immigration de peuplement (étrange formule) qui crée le communautarisme, c’est l’ostracisme qui pousse ceux que l’on désigne du doigt à se protéger en se rapprochant de ceux qu’on leur désigne comme leur ressemblant le plus.

Ce n'est pas parce qu'il est raciste ou antisémite que le FN est dangereux (Marine Le Pen ne l'est sans doute guère plus que beaucoup), c’est parce qu’il nous désapprend la compassion, le souci de l’autre, la tolérance, ce qui fonde une bonne société, que le FN est dangereux et qu’il menace vraiment l’unité nationale au risque de conduire à des affrontements dont nos voisins belges montrent tout à la fois l'imbécilité et la dangerosité.

samedi, mars 26, 2011

Faire face au FN

Que faire du Front National? Comment le traiter? Peut-il, en prenant du poids, devenir plus respectable? Va-t-il se banaliser, entrer dans le mainstream? C’est le pari que l’on fait à la droite de l’UMP, du coté de ceux qui envisagent discrètement, mezzo-voce des alliances. Lorsqu’on les pousse dans leurs retranchements, ils font valoir le précédent d’Occident.

A la fin des années 70, les militants de ce mouvement d’extrême-droite (Longuet, Devedjian, Madelin, Novelli…), ont massivement rejoint les partis de droite et, d’abord, le Parti Républicain. Ils pensaient y faire fructifier leurs idées, ils ont en fait surtout apporté leur dynamisme, leur ardeur militante à des organisations qui leur ont offert en échange des places dans les institution : ils sont devenus députés, ministres, membres de cabinets ministériels, apparatchick, journalistes…
A la même période, ajoutent-ils, des militants d’extrême-gauche ont investi le parti socialiste avec la même ambition. Le plus célèbre d’entre eux est certainement Lionel Jospin. François Mitterrand a su utiliser leur ardeur, leur capacités militantes et il leur a offert de la même manière des postes.
Dans l’un comme dans l’autre cas, les extrémistes ont mis de l’eau dans leur vin et ont rapidement abandonné l’essentiel de leur idéologie extrémiste. Si l’on a pu, à l’époque, critiquer les partis de gouvernement qui intégraient ainsi de jeunes extrémistes au risque de se radicaliser, force est de constater que ce sont eux qui ont fait évoluer leurs jeunes militants.

Ce rappel historique n'est pas inintéressant. Il peut nous aider à penser ce qui se passe aujourd’hui du coté de l’extrême-droite. Il y a des points communs. Le plus significatif est sans doute la volonté d’un certain nombre de militants d’extrême-droite de goûter au pouvoir. Je disais, il y a quelques mois, que Marine Le Pen serait un jour ministre d’un gouvernement de droite. C’est certainement son ambition. Et celle-ci passe par l’éradication de tout ce qui au Front National est inacceptable aux yeux de la majorité : l’antisémitisme, les allusions au fascisme ou au nazisme, le racisme trop affiché… Mais il y a aussi des différences.

La principale est qu’il ne s’agit pas de ralliements individuels de jeunes ambitieux qui souhaiteraient prendre les commandes d’organisations vieillissantes mais de la tentative d’une organisation profondément ancrée à l’extrême-droite de s’imposer dans le paysage politique durablement. Or cela change tout.

Pour gagner ses galons de parti susceptible de participer un jour au pouvoir, le FN doit tout à la fois faire évoluer son discours, l’enrichir de propositions plus crédibles, moins inacceptables, plus populistes que fascistes, ce que Marine Le Pen a entrepris de faire, et renforcer son pouvoir d’attraction sur une partie de la droite, ce que ses succès électoraux, s'ils se confirment, devraient lui apporter. 
A l’inverse de la génération des années 70, l'avenir de ses dirigeants n’est pas dans l’entrisme à l’UMP, mais dans l’explosion de celle-ci en deux ou trois tendances dont l’une au moins ne verrait pas d’inconvénient à s’allier avec eux. C’est la stratégie de Marine Le Pen que ses opposants tentent de contrer de deux manières :
- par la mise en quarantaine qui suppose de mettre l’accent sur le passé du FN, sur ses tropismes fascites, antisémites… ce qui n’est que la prolongation de la stratégie mise en place dans les années 90 face à son père,
- par le mimétisme qui suppose de reprendre ses thèmes, ce que fait Nicolas Sarkozy, voire son vocabulaire, comme Claude Guéant, en espérant que les électeurs sauront faire la différence entre la compétence des partis de gouvernement et l’incompétence d’une formation populiste.

Aucune de ces deux stratégies ne semble aujourd’hui fonctionner. Marine Le Pen a su modifier suffisamment son discours pour rendre la mise en quarantaine inefficace : les électeurs semblent se dire qu’il n’y a rien dans ses discours de franchement choquant au regard des valeurs républicaines. Quant à la stratégie du mimétisme telle que la pratique l’Elysée, elle semble apporter chaque jour un peu d’eau au moulin du FN. 

Faut-il donc, par défaut, parier sur la banalisation du FN, comme sont disposés à le faire tous ceux qui rappellent l’exemple des années 70? Ce serait prendre un risque inconsidéré. Les jeunes ambitieux d’extrême-droite avaient alors tout à gagner à arrondir leurs positions jusqu’à en changer. Ils l'ont fait d'autant plus volontiers que l'avenir leur paraissait bouché, leurs idées étant massivement refusées par les citoyens.

La situation est aujourd'hui toute différente : la montée en puissance du FN, la dérive droitière de la société n’incitent certainement pas ses militants à arrondir les angles. Ils masquent les aspérités, sans doute, mais guère plus. Et le voudraient-ils même qu’il ne pourrait guère en être autrement sachant que les tensions entre les gardiens des traditions fascistes et ceux qui s’orientent vers le populisme, entre, disons pour simplifier, les fascistes racistes et les populistes xénophobes n’ont pas disparu : en interne, les plus “progressistes” (“modernistes”, “populistes”, je ne sais comment les appeler) doivent en permanence justifier des positions publiques qui vont à l’encontre de la tradition dominante au sein du parti. A l’inverse de ce qui s’est passé dans les années 70, la situation favorise le maintien au sein du FN de positions radicales "mais réalistes". Si l’on disait autrefois qu'au PS les réformistes gagnaient les élections en tenant un discours révolutionnaire qu'ils trahissaient sitôt au pouvoir, il est probable que c’est exactement l’inverse qui se passerait si le FN arrivait au pouvoir : les radicaux abandonneraient sitôt arrivés au pouvoir le discours “allégé” qu'ils s'imposent pour séduire l'opinion.

La menace doit donc être prise au sérieux. Mais que faire?
Jean-Luc Mélenchon a choisi, avec un certain succès, une solution que j’appellerais le “populisme symétrique”. Il est à peu près aussi populiste et démagogique que Marine Le Pen mais il l’attaque avec violence et efficacité sur les thèmes qui en font une digne héritière de son père : l’immigration, les étrangers, la sécurité. Il est, sur ces plans là, son meilleur adversaire. D'autant meilleur qu'il rappelle à chaque fois combien le projet du FN est contraire aux valeurs républicaines.

Laurent Waucquiez et, à sa suite, Jean-François Coppé ont choisi d'opposer au Front National son programme, d'en montrer l'absurdité.. Cette tactique peut être efficace si elle est menée avec intelligence et bonne foi, comme lorsque Waucquiez a démonté les positions européennes du FN ; elle peut se retourner contre son auteur si elle accumule les contre-vérités, comme Coppé en a donné l'exemple lorsqu'il a expliqué que le FN voulait condamner à mort tous les petits trafiquants de drogue.

C'est sans doute dans la combinaison des deux approches qu'est la solution. Rappeler inlassablement les valeurs républicaines, en refusant de se mettre au diapason du FN sur des sujets aussi sensibles que l'immigration ou l'insécurité, et systématiquement montrer combien ses décisions seraient, si elles étaient appliquées, catastrophiques pour ceux-là mêmes qu'il prétend représenter.

Mais rien ne sera possible sans des partis de gouvernement qui présentent des programmes tout à la fois alléchants et convaincants. S'il est difficile d'attendre quoi que ce soit de la droite après 5 ans de sarkozisme, c'est à la gauche de relever le défi. Et de prendre les devants de croisade (le mot ici convient) contre ceux qui veulent démolir notre société au nom de rengaines nationalistes aussi dangereuses que destructices.

vendredi, mars 25, 2011

La liberté religieuse est aussi une liberté

Guéant dans le texte : "Les agents des services publics ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les usagers du service public ne le doivent pas non plus."

Comment juger cette dernière sortie de Claude Guéant? Et les précédentes? Ses dérapages sont si fréquents et si énormes qu'on s'interroge. Maladresse comme disent les plus mesurés? connerie comme le propose Rue 89? cynisme politicien, comme le suggèrent plusieurs journalistes ou, plus grave, symptôme de ce que l'on pense à la tête de l'Etat?

Je pencherais malheureusement pour la dernière explication. Parce qu'après tout, Guéant est comme tout un chacun : devant un micro et un journaliste, il se maîtrise, évite de dire des grossièretés ou de trop grosses absurdités. Mais ce n'est pas non plus un professionnel rompu aux techniques de la communication comme peuvent l'être certains politiques capables de contrôler leur expression publique au millimètre près. C'est d'une certaine manière également un débutant. Pour toutes ces raisons, c'est sans doute ce qu'il pense profondément et ce que l'on pense avec lui au sommet de l'Etat où l'on semble avoir perdu le sens commun.

Au nom de la laïcité, que l'extrême-droite agite maintenant comme un drapeau, on en vient à oublier que la liberté religieuse est aussi une liberté. Et que le fait de porter un signe religieux (une croix, une aube, une soutane, une cornette, une kippa, un voile, une barbe, une bague…) fait partie de ces libertés élémentaires que la laïcité doit justement protéger.

PS Si l'on m'avait dit que je devrais un jour défendre les libertés religieuses, j'en serais tombé de ma chaise…

mercredi, mars 23, 2011

Nicolas Sarkozy a-t-il lu Virgile?

C'est, à mesure que j'écoute les nouvelles de Libye, un souvenir d'adolescence qui me revient, de traduction latine, de l'Enéide, Livre IV, de ce livre titré Infelix Dido qui nous montre la reine dévorée d'un feu intérieur, aveugle, terrible, livre IV, livre splendide où l'on trouve ces quelques vers :

Extemplo Libyae magnas it Famas per urbes
Fama, malum quam non aliud ueloccius ullum :
Mobilitate uiget uirisque adquirit eundo…

Ce qu'André Bellesort (édition Budé, 1925) traduisait par : "Soudain, la renommée parcourt les grandes villes de Libye, la renommée plus rapide qu'aucun autre fléau." Et Klossowski (Gallimard, 1964) par :
"Sur le champ par les grandes cités de Libye, s'en va la Fame,
la, Fame plus que nul autre rapide :
dans la mobilité elle prospère et de forces n'acquiert qu'en marchant"
Et Chausserre Lapré (La différence, 1993) par :
"Sitôt, par la Libye et ses grandes cités,
D'un pas que nul n'égale, erre la Renommée,
Mais qui croit dans sa marche et vit de se mouvoir."

Mon latin est bien loin, mais il me semble reconnaître dans ces quelques vers un peu de notre Président parti chercher en Libye une gloire qui lui échappe ici, même si la scène que décrit Virgile n'a pas grand chose à voir puisqu'elle se passe quelque temps après que Didon se soit, lors d'un orage, donnée dans une grotte à Enée alors qu'elle était destinée au roi de Libye. Le rapprochement me tente cependant d'autant plus que les vers suivants évoquent les nuées et cette rumeur qui abreuve les peuples de ses discours et chante également ce qui est arrivé et ce qui ne l'est pas.

samedi, mars 19, 2011

Libye, oui, mais…

Tout le monde est donc satisfait de la résolution de l'ONU et se félicite des prochaines frappes aériennes. Fort bien. Nicolas Sarkozy (et/ou Alain Juppé) et David Cameron ont réussi leur coup, ils ont même su convaincre les deux dictatures membres permanents du Conseil de Sécurité, la Russie et la Chine qui n'ont jamais fait preuve de beaucoup plus de tendresse que Khadafi à l'égard de leur peuple, de s'abstenir. Sauront-ils transformer cette première victoire en victoire pour les Libyens? On ne peut que le souhaiter, mais… rien n'est gagné.

Les occidentaux ont-ils pris la mesure des moyens et ressources dont dispose Khadafi? On le pensait il y a quelques jours encore condamné à se défendre avec une garde prétorienne formée presque exclusivement de mercenaires et l'on découvre qu'il peut mener une contre-offensive dans un pays immense avec des troupes qui lui sont, malgré la distance, restées fidèles. D'où viennent-elles? qui sont-elles?

On dit que la Libye est une création artificielle de l'Italie de Mussolini, qu'elle réunit des populations qui n'entretenaient historiquement que peu de liens. La contre-offensive vigoureuse des partisans de Khadafi ne cache-t-elle pas une division profonde de ce pays qui pourrait, une fois éliminés Khadafi et son clan, entraîner une de ces guerres civiles qui n'en finissent jamais et dont le solde, en terme de victimes, est toujours abominable?

Ce n'est qu'une question, mais je m'interroge : nos dirigeants pressés d'agir vite (et, encore une fois, pour de bonnes raisons) n'ont-ils pas pris des risques très (trop) élevés. La prudence des Allemands, des Brésiliens, des Turcs, n'était peut-être pas sans fondements.

vendredi, mars 18, 2011

Où sont les Français de M.Guéant?

La nouvelle sortie de Guéant fait donc scandale et Marine Le Pen s’en amuse à juste titre. Elle a bien raison. Mais à qui donc pense notre ministre de l’intérieur lorsqu’il dit : “Les Français ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux à cause de l’immigration incontrôlée. Ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale. Nos compatriotes veulent choisir leur mode de vie”? A quels Français? Quels sont ceux qui s'inquiètent aujourd'hui vraiment plus de l'immigration que du chômage? de la dégradation des services publics ou de la montée des inégalités?
Quoique puisse penser notre nouveau ministre de l’intérieur, nous vivons dans une société relativement apaisée. Ces deux machines à intégrer que sont l’école et le marché continuent de fonctionner à peu près correctement pour la grande majorité (enfants d'immigrés compris). La xénophobie, les discriminations n’ont pas disparu, tant s’en faut, mais à l’inverse de ce que l’on nous dit et répète, l’intégration est un fait. Il suffit de se promener dans les entreprises, dans l’administration pour le voir : il n’est plus rare d’y croiser des enfants de l’immigration qui ont fait des études, qui occupent des emplois de responsabilité sans que cela pose le moindre problème à quiconque. Sans doute ont-ils rencontré plus de difficultés que d’autres pour les obtenir, mais les obstacles n’étaient pas insurmontables.

Catastrophes au Japon

Ce qui se passe au Japon amène assez naturellement à s’interroger sur la production nucléaire d’électricité et donne des ailes à tous ses opposants. Vues les circonstances, difficile de reprocher aux écologistes leurs cris d'alarme mais au delà des inquiétudes légitimes, je suis plutôt frappé par ce que ces catastrophes à répétition nous disent de nos puissances et de nos faiblesses. Les Japonais vivent trois catastrophes, deux naturelles (tremblement de terre + tsunami), une d’origine humaine (la centrale nucléaire). 
Ils sont, nous sommes, face aux deux premières, complètement désarmés. Et les morts se comptent par milliers, plus probablement par dizaines de milliers. 
Nous savons lutter, pied à pied, contre la seconde qui n’a, pour l’instant, fait aucune victime. Nous maîtrisons manifestement mieux les catastrophes nucléaires que les catastrophes naturelles. Peut-être parce que nous les avons mieux anticipées… grâce, notamment, aux cris d'alarme des écologistes?

jeudi, mars 17, 2011

Une grève

La scène se passe au Sheraton de CDG, un établissement de luxe comme tant d'autres dans les aéroports. Les visiteurs sont accueillis par un orchestre de percussions (assourdissant) sous des calicots de la CGT. Le personnel qui continue de travailler porte des badges sur lesquels plus d'équité est réclamé. Informations prises, le personnel de ce Sheraton est en grève pour lutter contre les écarts de salaires au sein de l'établissement : 1200€ pour le personnel de salle, 1400 pour les cuisiniers, de 16 à 1700 pour le personnel administratif, mais aussi contre les écarts de rémunération entre cet établissement et les autres Sheraton. Ont-ils une chance de gagner? "Si nous n'essayons rien..." tente une employée que l'on devine épuisée le soir après avoir entendu toute le journée ses collègues frapper sur des bidons vides.


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lundi, mars 14, 2011

L'affaire Renault

L'affaire Renault est révélateur d'une dérive du management que l'on observait à visage découvert depuis quelques mois, depuis, en fait, que les spécialistes de l'intelligence économique (étrange formule by the way) ont envahi plateaux de télévision et colonnes des journaux. A force de s'inquiéter des risques de piratage on a fini par installer dans les entreprises, dans les plus importantes au moins, une méfiance généralisée à l'égard des salariés qui possèdent une partie du capital intellectuel de l'entreprise (ce savoir, ces secrets industriels que l'on peut pas protéger par brevet). Ces méthodes sont destructrices. Quelle confiance les ingénieurs de Renault peuvent-ils aujourd'hui faire à une direction qui préfère la parole d'anciens flic (ou barbouzes) à celles de collaborateurs dans la maison depuis des décennies? Et comment peut-on travailler efficacement sans un minimum de confiance?

S'il apparait que l'entreprise a été victime d'une manipulation, la confiance ne reviendra qu'avec le départ de ceux qui ont introduit ces méthodes. Il semble que ce soit Carlos Gohn lui-même...


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dimanche, mars 13, 2011

Une messe à Rochefort

Un peu par hasard j'ai assisté à la fin de la messe à l'église Saint-Louis de Rochefort, une petite ville de Charente Maritime. Le prêtre, bizarrement, termine la messe par la lecture de quelques chiffres sur sa ville, avec le ton d'un politique malheureux et critique, quelque part entre CGT fatigué et PS désabusé. Il est vrai que les chiffres qu'il donne ont de quoi fiche le cafard : 55% des habitants de Rochefort ne paient d'impôts, trop pauvres pour... 70% ont au mieux le niveau du BEP ou CAP... Je passe les chiffres sur les mères et les pères célibataires. La France, celle des racines dont on nous parle du coté de l'UMP est assez désespérante...


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vendredi, mars 11, 2011

Délire et débandade

Voilà que Nicolas Sarkozy, conseillé par l'ineffable BHM, veut nous emmener en guerre en Lybie. Seul contre tous (y compris Juppé dont il fallait voir la tête hier). Est-il devenu fou? ou est-il à ce point paniqué par les derniers sondages qui donnent Marine Le Pen en tête au premier tour qu'il est près à tout, même au pire, pour reconquérir une opinion qui n'en peut plus de sa personne, de ses foucades, de ses contradictions?

Pendant ce temps là, ses amis se déchirent entre ceux qui veulent aller plus loin encore que Le Pen (pourquoi ne pas couler les bateaux d'immigrés, tant qu'à faire?) et ceux qui gardent raison (après Gérard Larcher et Kosciusko-Morizet, Rama Yade et Laurent Waucquiez ce matin dans Libé. A qui le tour?).

Cela s'appelle une fin de règne. J'imagine qu'à droite de plus en plus nombreux sont ceux, surtout parmi les plus jeunes, qui se disent que leur avenir n'est certainement pas à ses cotés. De là à ce qu'ils lui recommandent d'envisager une retraite précoce, il n'y a qu'un pas que beaucoup rêvent sans doute de franchir.

jeudi, mars 10, 2011

L'importance de la confiance en la police?

La Vie des Idées publie un très intéressant papier de deux sociologues britanniques, Ben Bradford & Jonathan Jackson, sur la confiance dans la police. J'en extrais ce passage qui pourrait donner des idées à un prochain ministre de l'intérieur : "Le déclin de la confiance accordée à la police est devenu une des constantes du débat sur les questions d’ordre public (en France-Bretagne), à tel point que le précédent gouvernement a redéfini les dispositifs de gestion des performances de la police en faisant de la confiance de la population l’objectif numéro un."

On y apprend que l’adhésion aux valeurs et l’équité sont systématiquement privilégiées par les citoyens par rapport au souci d’efficacité. Soit exactement le contraire de ce que nous serinent à longueur de journée séries télévisées, ministres de l'intérieur et syndicats de policiers.

Les deux auteurs citent abondamment les travaux de Tom Tyler, qui enseigne à New-York, un auteur dont la lecture devrait, semble-t-il, être recommandée à notre nouveau ministre de l'intérieur mais aussi à tous ceux qui à gauche s'intéressent à ces questions.

Les trois classes populaires

Libération s'inquiète ce matin de la capacité de la gauche à répondre aux attentes des classes populaires. "A quatorze mois de la présidentielle, écrit son éditorialiste et nouveau directeur, Nicolas Demorand, les socialistes n’ont rien, ou pas grand-chose, à dire au peuple. Pas d’alternative crédible ou tout simplement audible sur le chômage et l’emploi, l’industrie, la mondialisation. Pas de contre-discours clair, positif, serein sur la nation, l’immigration et même la laïcité. Bref, pas de programme capable de faire vivre l’espoir d’un sort meilleur pour tous, et notamment les plus fragiles." Un clou qu'enfonce, dans une interview Pascal Perrineau du Cevipof : " Le PS a parfois été flou sur la laïcité (sic. quand? qui? on aimerait savoir). Et quand il y a du brouillage, on sait que la politique a horreur du vide. Les classes populaires qui n’ont pas trouvé de réponses sur certains thèmes ont pu aller voir ailleurs et voter autrement." Mais pourquoi?

Ce qui me surprend et me gêne dans ces analyses est qu'elles envisagent les classes populaires (que l'on confond souvent dans les articles avec les ouvriers) comme un bloc unique quand elles sont divisées, partagées en au moins trois grands groupes aux intérêts divergents, divergences qui expliquent peut-être mieux que tout les difficultés de la gauche et du PS à répondre à leurs attentes. Il y a :
- les "intégrés" au milieu international, ceux qui travaillent dans ces entreprises du CAC 40 (et dans toutes celles exportent une part importante de leur production) qui savent que le monde est ouvert et qui en profitent : ils ont de bons salaires, des métiers intéressants et une certaine sécurité de l'emploi,
- les "protégés" qui travaillent dans la fonction publique, qui n'ont guère à craindre pour leur emploi mais qui ont à souffrir de la crise (leurs salaires n'augmentent pas), des mesures prises par le gouvernement (le non-remplacement d'un retraité sur deux augmente leur charge de travail et dégrade la qualité de leurs prestations) et qui souffrent de ce que les psychologues appellent une déprivation relative (à diplômes similaires et à compétences égales ils sont moins bien traités que les intégrés),
- les "menacés" qui travaillent dans les PME, dans les entreprises que la concurrence internationale condamne aux délocalisations, directement confrontés à la précarité, au risque du chômage…

Les commentateurs insistent tous sur les scores élevés du FN dans les classes populaires, il serait intéressant de savoir dans quelle catégorie il les obtient vraiment. Parce qu'il ne vise pas également ces trois classes populaires. Marine Le Pen s'adresse explicitement aux "menacés" auxquels elle propose une solution de "bon sens" : le protectionnisme. Avec ses discours sur les services publics qu'il faut sauver, elle cherche à séduire les "protégés" les plus exaspérés par le "démantèlement" des services publics. C'est sur ce terrain que lui fait le plus vivement concurrence l'extrême-gauche. Elle néglige les "intégrés". Est-ce que ce sont ceux qui résistent le mieux à son offensive?

La gauche serait sans doute plus à l'aise pour répondre aux attentes des classes populaires si elle savait comment parler simultanément aux trois.  Mais est-ce possible quand le protectionnisme que demande les "menacés" va exactement à l'encontre des intérêts des "intégrés"?


mardi, mars 08, 2011

Les qualités d'un candidat

Dans son blog, Arthur Goldhammer, toujours aussi pertinent, donne une analyse fine des qualités que devrait avoir un candidat aux prochaines élections présidentielles. Il insiste sur la notion de marque (brand) et sur le temps qu'il faut pour la construire. Il y a dans son analyse quelque chose de l'étude marketing qui souligne bien qu'une candidature présidentielle réussie est la rencontre d'un homme (d'une destinée disaient les gaullistes) et d'une attente populaire.

Que peut-on attendre, après Sarkozy, d'un Président de la République? Je dirai, au delà des programmes, quatre choses :
- de la compétence et la maîtrise des dossiers économiques, sociaux et internationaux,
- une certaine hauteur de vue et une capacité à voir à long terme qui permet d'incarner la fonction présidentielle mais aussi de rester ferme et constant sur les principes et les valeurs,
- de la simplicité qui permet de parler à tout le monde, d'entendre tout le monde mais aussi de vivre comme tout le monde,
- de l'indépendance et du courage, celui qu'il faut pour imposer aux puissants le respect de certaines règles, et pour savoir dire non aux groupes de pression de toutes sortes.

C'est celui qui saura le mieux répondre à cette attente qui l'emportera. Trois personnalités me paraissent en mesure de satisfaire ces exigences : DSK et Hollande (et Fabius s'il était candidat) à gauche, Juppé, à droite. Tous trois me paraissent également compétents. Hollande est sans doute le plus simple. DSK a incontestablement de la hauteur de vue, l'action diplomatique de Juppé nous permettra de dire s'il en a, mais c'est probable. Quant au courage, tous trois me paraissent en avoir fait preuve en sachant prendre leur camp à rebrousse-poil lorsqu'ils le jugeaient nécessaire.

On me dira : et les programmes? Ils comptent naturellement, mais pas autant que les partis veulent bien nous le dire. Aucun programme n'a donné d'éléments pour répondre aux défis de ces dernières années, que ce soit la crise économique et financière, les révolutions arabes ou les catastrophes écologiques qui se multiplient.


dimanche, mars 06, 2011

Le sondage qui donne Marine Le Pen en tête au premier tour…

Difficile de ne pas commenter ce qui affole toutes les rédactions et a fait l'essentiel des conversations des déjeuners de ce dimanche ensoleillé. Qu'en retenir? D'abord qu'il faut le prendre au sérieux et que cela ne sert à rien d'insister sur les faiblesses (réelles) de la méthodologie retenue : même fragile, le résultat est en lui même significatif. Il prouve que Marine Le Pen a réussi à dé-diaboliser le Front National. Je l'annonçais ici (Marine Le Pen sera un jour ministre), là (Un nouveau nationalisme) et là (Marine Le Pen sur Antenne 2). Elle l'a fait de manière habile, en laissant à Nicolas Sarkozy le soin de développer des thématiques anti-immigrés et de frôler l'antisémitisme (remarques de Christian Jacob et Laurent Waucquiez sur les racines de DSK) pour se concentrer sur de nouveaux thèmes qui trouvent des échos dans les classes populaires mais aussi à l'extrême-gauche chez des électeurs qui pourraient être tentés par le Front de Gauche : nationalisme, protectionisme, laïcité…

Ce résultat confirme également la porosité entre son électorat et ceux de la droite et d'une partie de la gauche. On le dit et le répète depuis queques jours mais plus Nicolas Sarkozy ira loin pour récupérer les voix du FN et plus il le renforcera. Même chose pour ceux qui à gauche jouent le jeu du populisme. Comment mieux convaincre un électeur de se laisser aller à voter pour Marine Le Pen que de développer des arguments voisins des siens et de faire du PS le principal ennemi? Si Nicolas Sarkozy est le premier responsable de la montée en puissance de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon y contribue également.

Ce résultat montre également que rien n'est gagné pour la gauche. Sa fraction écologiste semble s'être évanouie avec Eva Joly laissant le PS démuni et sans alliés, puisque le PC s'est engagé derrière Mélenchon et que le centre ne sait à quel saint se vouer.

Harris dit qu'il veut reprendre le sondage avec DSK et Hollande. Cela permettra d'opposer la compétence incontestable de l'un et l'autre aux faiblesses évidentes de Marine Le Pen et à l'inconsistance de Nicolas Sarkozy. Nous verrons bien si elle résiste dans ce cas.

On ne peut plus aujourd'hui attaquer le FN sur ses positions fascistes. Marine Le Pen a choisi de les ranger au placard. On ne peut s'y opposer qu'en jouant sur les compétences (celles de Hollande et de DSK, de Juppé…) et le respect de soi et des autres (parler des risques d'immigration massive quand des peuples se révoltent, comme ils font actuellement dans le monde arabe, n'est pas digne d'une grande démocratie).

Enfin, il faut raison garder : Coluche recueillait dans les sondages 16% des voix en décembre 1980. Il est vrai qu'il n'avait ni les moyens ni l'ambition d'aller jusqu'au bout, ce qu'a de toute évidence Marine Le Pen.

samedi, mars 05, 2011

Un crime contre l'humanité est en cours et nous sommes complices

Al Jazeera est, avec France 24, la chaine de télévision qu'il faut aujourd'hui regarder. Elle donne en continu des informations sur ce qui se passe en Lybie et ailleurs dans le monde arabe. Elle le fait en arabe et en anglais et joue le rôle qu'a joué CNN il y a quelques années à propos de l'Irak. Ce qu'elle nous apprend est tout simplement effrayant. Des dizaines de milliers de travailleurs immigrés, peut-être des centaines de milliers, cherchent aujourd'hui à fuir la Lybie, restent bloqués à l'intérieur, par la faute des partisans de Khadafi qui bloquent la frontière avec la Tunisie mais aussi, ce qui est infiniment plus grave, par celle des occidentaux qui refusent de les embarquer sur les bateaux envoyés pour rapatrier leurs ressortissants. Antonio Guttares, le haut-commissaire aux réfugiés a instamment demandé aux pays occidentaux (dont la France) qui ont envoyé des navires là-bas, d'accueillir ces réfugiés. C'est un devoir d'humanité. Pensait-il aux Français? Je l'ignore, mais je le crains tant notre Président et nos ministres, oubliant le plus élémentaire sentiment d'humanité, insistent dans leurs discours sur les risques d'une invasion d'immigrés quand il faudrait nous inciter à la générosité.

Leur attitude est tout simplement abominable. Dieu fasse qu'ils ne se rendent pas (qu'ils ne nous rendent pas avec eux) ainsi complices d'un génocide. Ils le paieraient, nous le paierions, très cher.

Les "racines" de DSK

Nouveau petit (tout petit, sans doute) scandale. C'est cette fois-ci Laurent Waucquiez qui se prend les pieds dans le tapis et qui évoque les racines de DSK Il le fait dans une remarque presque insignifiante rapportée par Libération dont on ne parlerait sans doute pas si Pierre Moscovici ne l'avait soulignée : "Ce n’est pas la même approche, Dominique Strauss-Kahn est à Washington, il a sûrement une très belle maison qui donne sur le (fleuve) Potomac. Ce n’est pas la Haute-Loire, ce n’est pas ces racines-là." Pas de quoi fouetter un chat? Sans doute, c'est en tout cas moins déplaisant que la remarque de Christian Jacob, mais pourquoi parler de "racines"? La réaction de Pierre Moscovici le suggère : si la droite veut souligner que DSK est plus à Washington qu'à Paris, elle va devoir faire preuve de beaucoup plus de subtilité pour échapper au reproche de remuer d'étranges boues.

Je ne suis d'ailleurs pas sûr que cet éloignement soit pour DSK un handicap. Sa position au FMI l'a mis en contact avec l'ensemble des dirigeants et des grands argentiers du monde, elle lui donne en cette période de crise une légitimité par la compétence qui manque singulièrement à ses concurrents à droite (comme, d'ailleurs à gauche).

Et je ne comprends pas très bien ces allusions plus ou moins voilées mais bien réelles au vieux refrain maurrassien (et antisémite) sur la ploutocratie internationale. Je vois bien qu'il s'agit de retenir l'électorat tenté par Marine LePen, mais n'est-ce pas se tromper sur la société française? Elle est infiniment plus tolérante que l'on semble le pense au sommet de l'Etat. Même au Front National, l'antisémitisme et le racisme semblent (je dis "semblent", pas plus) rangés dans le placard des vieilles lunes.

Faut-il ajouter que ce sont les mêmes qui critiquent l'éloignement de DSK qui prennent en vacances au frais de dictateurs déconsidérés dans des hôtels de luxe qui ne sont certainement pas installés en Haute-Loire. Ce sont, faut-il le rappeler? également les mêmes qui affichent leur amitiés pour des gens qui s'installent en Suisse pour payer moins d'impôts. Est-ce cela avoir des racines?

vendredi, mars 04, 2011

Voici venu le temps des Whistleblowers

Mediapart publie ce matin un entretien avec un ancien ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005, Yves Aubin de La Messuzière, qui ne mâche pas ses mots : "Trop, c'est trop. Les diplomates n'ont pas à être traités, comme le dit Henri Guaino, comme des «bureaucrates». Si nous avions la possibilité de publier certaines archives (…) nous pourrions attester de cette information qui n'a cessé de parvenir aux responsables en capacité de dicter la politique étrangère de la France à propos de la Tunisie." Et un peu plus loin : dans "une note datant de mai 2003, (…) nous alertions le ministère des affaires étrangères, qui faisait suivre à l'Elysée et à Matignon, sur le fait que, dans le système Ben Ali, le champ politique était totalement verrouillé. Dans le même temps, nous observions la montée en puissance d'une jeunesse et d'une classe moyenne de mieux en mieux formées, et qui constituait pour nous le défi majeur pour la décennie en cours. Nous pointions de manière très claire l'insatisfaction de cette jeunesse, et le fait qu'au-delà du problème de l'emploi, qui était réel, il y avait un malaise de cette jeunesse, exaspérée de ne pas pouvoir participer à l'espace politique. Nous notions également que les internautes étaient de plus en plus l'objet d'arrestations et de peines de prison. Nous concluions sur le fait que l'absence de toute perspective de renouvellement, loin de conforter le régime, affecterait dans la durée sa légitimité." Suivent des critiques sur les comportements de Chirac, Sarkozy et de son successeur à Tunis.

Yves Aubin de La Messuzière est de ces diplomates qui ont fait une carrière qui ne prête pas aux coups d'éclat : diplômé de l’école nationale des langues orientales vivantes et diplômé d’études supérieures d’islamologie, il a été ambassadeur au Tchad, en Tunisie, en Italie, en République de Saint Marin, il a également été directeur Afrique du Nord Moyen- Orient au ministère des Affaires étrangères de 1999 à 2002. C'est donc un bon connaisseur du monde arabe. Et l'on comprend qu'il ait été outré par les propos de Guaino et de quelques autres. Mais d'ordinaire ces colères restaient rentrées.

Jusqu'à il y a peu, elles nourrissaient au pire les papiers du Canard Enchaîné ou incitaient à rédiger à quelques uns une pétition anonyme publiée dans le Monde ou dans Libération. Voilà que les agressions répétées dont ils sont victimes (car il s'agit bien de cela) amènent des fonctionnaires mécontents à sortir à visage découvert. Nous avions eu des protestations des plus hauts magistrats, voilà que les diplomates s'y mettent.

C'est dire leur exaspération mais aussi, plus encore, le peu de respect qu'ils gardent pour ceux qui nous dirigent et dont ils jugent qu'ils mettent en danger l'institution auxquelles ils ont consacré leur vie. Les Américains ont pour décrire cela un mot : whistleblowers, ceux qui soufflent dans un sifflet. C'est bien cela : un coup de sifflet pour mettre un terme à ces attitudes qui bien loin de rafistoler une politique extérieure en haillons ne peut qu'entretenir la déception de ceux chargés de la concevoir et de la mener.

mardi, mars 01, 2011

Pourquoi émigrent-ils?

Je rentre de Montréal où je viens de passer une quinzaine de jours à faire des conférences et à participer à différentes activités et culturelles (d'où mon silence ici). J'ai été frappé par le nombre de Français qu'on y rencontre. Il y en aurait 80 000 à Montréal (et plus de 100 000 dans tout le Québec) et seraient de 3 à 4000 à s'y installer chaque année d'après le Consulat général de France au Québec. J'avais déjà eu le même sentiment à Londres où vivraient près de 300 000 Français. Mais pourquoi émigrent-ils donc?

On remarquera qu'ils choisissent des destinations "faciles" : Londres est tout proche, on parle français à Montréal, la vie culturelle est dans ces deux villes riche et voisine de celle que l'on connaît à Paris. Le choc est dans les deux cas faible. Mais tout de même : pourquoi sont-ils si nombreux à partir?

La plupart de ceux que j'ai rencontrés étaient jeunes et venus volontairement (à la différence de la génération d'avant qui semble s'être installée après une expérience comme coopérant, une histoire sentimentale…) pour faire leurs études ou travailler, souvent dans la restauration.

Ce n'est ni le climat (Dieu qu'il fait froid à Montréal) ni la beauté de la ville (vraiment laide) qui les attirent à Montréal. Ce n'est certainement pas le système de santé, d'éducation ou de protection sociale qui les amènent à Londres. Des quelques conversations que j'ai eues avec des expatriés dans ces deux villes, c'est l'atmosphère, le sentiment de liberté, que beaucoup était encore possible alors que tout semble difficile à Paris qui les séduit. Tous sont très critiques de la France, de ses rigidités. Ils ont le sentiment de ne pas y avoir de futur. Un futur que leur offriraient la Grande-Bretagne ou le Canada.

Il y a dans cela probablement une part d'illusion parce que je ne vois pas qu'ils fassent de bien plus belles carrières là-bas qu'ici, mais ce désir de fuite dit sans doute beaucoup des blocages de notre société, de la reconstitution, à travers notre système scolaire d'une sorte d'aristocratie républicaine qui se réserve les places et rend improbable la promotion sociale.

Mais il est vrai qu'il y a au Québec (bien plus, soit dit en passant qu'en Grande-Bretagne) une sorte de simplicité dans les relations, dans les contacts, qui peut donner le sentiment que les choses y sont plus faciles et les rend peut-être telles. L'accueil est certainement plus chaleureux que chez nous, ne serait-ce que parce que les Québécois ne sont jamais avares de compliments (en cela, ils sont très américains). Combien de fois ne m'a-t-on dit que ce que je faisais était extraordinaire, un qualificatif que je crois n'avoir jamais entendu à propos de mon travail (qui ne le mérite certainement pas) en France?