mercredi, avril 27, 2011

Curiosa

Curiosa, contradictions, paradoxes? Je ne sais comment dire…

Cette après-midi, je croise devant le CNAM une manifestation de sans-papiers, une soixantaine de malliens et de sénégalais que je retrouve un peu plus tard place du Chatelet. Quelques policiers les escortent, non pas pour les arrêter et les renvoyer dans un quelconque charter comme pourrait le faire craindre les discours martiaux de notre ministre de l'intérieur mais pour assurer que leur manifestation ne gêne pas trop la circulation.

Des policiers interrogés par la presse assurent qu'ils feront respecter la loi sur le voile intégral avec autant de fermeté que celle sur le tabac sur les bars, dit autrement : ils fermeront les yeux

Notre armée est partie bille en tête sauver les gens de Benghazi mais nous refusons l'entrée sur notre territoire de quelques centaines de Tunisiens chassés de chez eux par la Révolution et nous laissons le gouvernement syrien massacrer sa population.

On nous annonce à grands frais une prime de 1000€ pour tous les salariés dont les employeurs versent des dividendes à leurs actionnaires. Calculs faits, la mesure ne concernera qu'une infirme minorité…

On nous assure à grands renforts de sondages que le Front National séduit la classe ouvrière alors même que les trois-quart de cette même classe ouvrière se refuse à pactiser avec…

On parlait il y a quelques années du poids des mots et du choc des images. J'ai l'impression qu'à trop vivre dans une caverne on a oublié qu'ils peuvent n'être qu'illusions…

mardi, avril 19, 2011

Libye, Cote d'Ivoire : deux erreurs

Nicolas Sarkozy et David Cameron n’ont probablement jamais lu Carl Schmitt. Mais ceux de leurs conseillers qui sont passés par Sciences-Po ou la LSE ont certainement entendu de ce théoricien du droit allemand, figure politique majeure quoique controversée de la pensée politique du XXème siècle. S’ils l’ont lu il ont oublié ce passage d’un texte de 1932 (La notion de politique) qui aurait pu les inciter à mettre leur maitre en garde contre les aventures militaires les plus récentes : "Une guerre ne tire pas son sens du fait qu'elle est menée pour des idéaux ou pour des normes de droit, une guerre a un sens quand elle est dirigée contre un ennemi véritable." (p.91).

Qui peut dire que Khadafi ou Bago sont des “ennemis véritables” sans faire sourire? L’un et l’autre étaient reçus par ceux-là même qui envoient aujourd'hui des bombes sur leurs chars et leur troupes.

Sous couvert de droit de l’homme nous nous immisçons brutalement dans les affaires intérieures de pays étrangers. Nous pouvons réprouver les comportements de leurs dirigeants, éprouver de la sympathie pour leurs peuples, nous devons certainement les aider à titre individuel ou collectif, mais la communauté internationale n'a pas vocation à intervenir militairement dans des conflits qui restent, quoique l'on veuille, internes.

Nous n'aurions pas du le faire parce que c’est inefficace : il a fallu des mois pour se débarrasser de Bagbo et Khadafi résiste toujours aux assauts des avions de l’OTAN. Aussi détestables soient-ils ces dirigeants ont des soutiens locaux, ils tiennent leur régime, leur armée, ce qui n'était le cas ni de Ben Ali ni de Moubarak. Leur résistance nous entraîne dans des guerres civiles dont personne ne sort intact : ni eux (et pour cause), ni leurs adversaires (qui commettent aussi à l’occasion des massacres) ni, bien sûr, nous-mêmes.

Nous n'aurions pas du le faire parce que c'est contre-productif. Que vaut un régime imposé de l’extérieur par une armée étrangère? surtout lorsque celle-ci a les couleurs de l’ancien colonisateur. C’était aux Libyens et aux Ivoiriens de résoudre leur conflit politique, pas à nous de le faire à leur place.

On nous dira que nous ne pouvions laisser ces dictateurs massacrer leurs peuples. Mais au nom de quelle loi morale? De celle qui nous autorise aujourd’hui à interdire le passage de nos frontières à des réfugiés politiques tunisiens ou libyens auxquels l’Italie a donné des visas? Nos pays, et la France plus que d’autres, sont en ces matières d’une abominables hypocrisie.

Il fallait évidemment aider ces peuples. Mais il fallait le faire en finesse en gardant en mémoire que notre aide n’aurait de sens et d’utilité sur le long terme que si elle atteignait (et donc visait) deux objectif : éviter les massacres mais aussi donner au futur régime, que l’on espère démocratiques, une vraie légitimité populaire. Bien loin d’interdire les massacres, nos interventions les auront déplacés. Qui peut dire qu’elles auront in fine réduit le nombre de morts? Et elles n'aideront certainement pas à construire des régimes démocratiques solides.

On nous dira qu’il n’y avait pas d’autre solution? Est-ce vrai? Nous aurions pu protéger les victimes en leur donnant les moyens de fuir, en offrant aux pays limitrophes les ressources nécessaires pour les accueillir et les héberger, en ouvrant dès les premières heures des couloirs humanitaires et en mettant en place un véritable blocus sur la fourniture de munitions aux régimes en place. On aurait pu encore les aider en donnant aux rebelles des armes et en aidant à la création de contingents de volontaires susceptibles de les aider à mieux se battre.

dimanche, avril 17, 2011

quelques après-midi le crépuscule n'incendie plus tes cheveux

C'est une image prise à Paris dans le Marais, d'un poète anonyme qui laisse sa trace, quelques mots sur les murs de Paris, comme d'autres laissent des céramiques ou des dessins. L'auteur de ces phrases, j'en ai trouvé une seconde près du cirque d'hiver mais je ne l'ai malheureusement pas photographiée et ne suis pas sûr de pouvoir la retrouver, utilise la technique du pochoir qui rappelle les textes stencilés d'un autre grand artiste de la peinture des lettres, Maurice Lemaitre.



Cette pratique de l'art de la rue, anonyme comme ici, est comme une reconquête de l'espace public que la publicité et les institutions ont encombré de signes et d'objets auxquels on ne peut toucher sans risques de se faire pincer par la maréchaussée. C'est comme une pincée de liberté…

Pour les plus curieux, je voudrais signaler ce blog de Catherine-Alice Palagret qui réunit plusieurs photos. Elle ne donne malheureusement pas toujours les adresses. Peut-être est-ce pour nous forcer à ouvrir les yeux…

samedi, avril 16, 2011

Un Président heureux? Sarkozy à l'école Mitterand

On sait que Nicolas Sarkozy cite régulièrement François Mitterand, qu'il s'en est à plusieurs reprises inspiré et souvent se mesure à lui. Il semble qu'il ait choisi de copier la manière dont celui-ci avait su, avec la complicité de quelques intellectuels dont Marguerite Duras et Michel Butel de l'Autre Journal, reconquérir la sympathie d'électeurs qui l'avaient abandonné. Cela s'était fait par petites touches, en se promenant dans Paris, en recevant beaucoup, en séduisant ses interlocuteurs. Si l'on en croit l'article que publie dans Le Monde ce soir Tahar Ben Jelloun (Un Président heureux) Nicolas Sarkozy a choisi de faire de même en recevant régulièrement des intellectuels à sa table. Il leur parle de cinéma, de littérature, démentant sa réputation d'inculture. L'effet est garanti : l'intellectuel invité, flatté et bien nourri, ne peut que dire sa surprise. Et comme personne ne lui demande rien, il le fait à sa manière sans rien cacher de ses désaccords, mais ce n'en est que mieux. Non seulement, le Président offre de bons vins, rit à table et parle des films qu'il aime mais il est en plus tolérant. A dire vrai, personne ne l'a jamais pris pour un tyran, mais peu importe…

Cela suffira-t-il à remonter la pente? Mitterand avait, dans sa reconquête des coeurs, un excellent allié : un Jacques Chirca agressif et inquiétant. Qui peut dire que François Hollande, Martine Aubry ou Dominique Strauss-Khan le sont le moins du monde?

jeudi, avril 07, 2011

Drôles de guerres

Nous voilà présent sur trois fronts : l’Afghanistan, la Libye et la Côte d’Ivoire. Dans les deux derniers, on a affaire à d’étranges guerres. Non pas des guerres classiques contre un ennemi bien identifié (un Etat…), pas plus des guerres où l’on viendrait en aide à un pouvoir en difficulté face à une rébellion, une guérilla ou un mouvement de partisans, comme ce peut être le cas en Afghanistan. Ce ne sont pas non plus, quoiqu’on dise des guerres coloniales : qui voudrait mourir pour quelques gousses de cacao ou pour du pétrole que l’on peut trouver un peu partout dans le monde? Non, nous nous immisçons, au nom de grands principes, dans des guerres civiles larvées dans des pays qui ne tenaient depuis longtemps que par la poigne de fer des dictateurs en place. Comment expliquer autrement que ces dirigeants dont on veut se débarasser disposent, tant en Libye qu’en Cote d’Ivoire d’assez de soutiens dans la population pour résister comme ils le font?

Notre intervention a été conçue pour éviter des massacres, mais on sait qu’en Cote d’Ivoire au moins elle ne les a pas complètement empêchés. Ce qui en réduit singulièrement la légitimité. La question qui se pose aujourd’hui est bien de savoir comment en sortir sachant que gagner des guerres de ce type parait bien difficile. Cela voudrait dire déposer le dictateur et voir émerger un Etat avec des institutions plus ou moins démocratiques. Mais qui peut prétendre que cette issue est seulement plausible? Se désengager rapidement comme ont entrepris de le faire les Etats-Unis serait prendre le risque de voir se prolonger une guerre civile avec son lot de tueries, de massacres et de catastrophes. Attendre que le sort des armes choisisse le vainqueur serait prendre le risque de voir Khadafi ou Bagbo l’emporter in fine. Offrir nos moyens à leurs adversaires ne peut que nous mettre en situation d’exercer une sorte de protectorat sur des régimes imposés par l’étranger et donc sans vraie légitimité.

Si Khadafi et Bagbo étaient raisonnables, nous pourrions engager des négociations, inciter les belligérants à trouver une solution transitoire plus ou moins bancale qui nous permettrait de partir la tête haute. Mais voilà, ils ne le sont pas.

Nous nous sommes, avec les meilleures intentions du monde, engagés dans une très mauvaise passe. On s’est beaucoup félicité de la capacité de Nicolas Sarkozy à entraîner la communauté internationale dans ces aventures. On aimerait qu’il invente une bonne manière de sortir de ce qui risque de ressembler très vite à un bourbier.

mardi, avril 05, 2011

Réactionnaires, oui? En passe de construire une hégémonie culturelle? Pas sûr!

Le Monde consacre donc une page à ces chroniqueurs qui se sont faits les fouriers des idées du Front National à la télévision et à la radio, Elizabeth Levy, Eric Zemmour, Yvan Rioufol, dont j’ai moi-même parlé ici à plusieurs reprises (Profession : réactionnaire).

Cet article commence par une remarque d’Eric Zemour qui cite Gramsci et ses analyses sur l’hégémonie culturelle qui aurait autorisé la bourgeoisie à imposer ses idées à la classe ouvrière et à asseoir son autorité et son contrôle sur la société au début du vingtième siècle. Cette remarque astucieuse s’applique très bien à ce qui s’est passé aux Etats-Unis où l’on a vu dans les années 70 les néo-conservateurs investir les lieux où se construit et se diffuse la pensée : universités, think tanks, jusqu’aux programmes de radio et de télévision. S’applique-t-elle au cas français? J’en suis moins sûr.

Qu’avons-nous? Un quarteron de provocateurs qui ont choisi de se faire une place au soleil en recyclant les thèmes et les idées du Front National dans différents médias écrits, le Figaro, Valeurs Actuelles, parlés, RMC (pas cité dans l’article du Monde), RTL, et audiovisuels. Ils le font au moment même où le pouvoir en place, déconsidéré dans l’opinion, tente, par une manoeuvre aussi habile que dangereuse, de faire monter l’extrême-droite pour détourner l’attention de son bilan médiocre sur le front économique et social. On est bien loin de ce que Gramsci appelait hégémonie culturelle. On est aussi très loin de l’offensive, dûment réfléchie et d’envergure, des néo-conservateurs américains : où sont les universitaires qui soutiennent les mêmes idées? où sont les intellectuels qui nourrissent cette extrême-droite de concepts et d'analyses? où sont les laboratoires qui accueillent, nourrissent et publient les chercheurs affiliés à cette tendance? Le GRECE a pu jouer autrefois ce rôle, il s’est évanoui. La Fondation Saint-Simon a aidé les libéraux à se reconstruire, mais elle s’est dissoute en 1999. Nous n’avons rien qui ressemble, même de loin à l’American Heritage Foundation, au Cato Institute ou à l’une ou l’autre de ces institutions privées qui entretiennent la flamme conservatrice aux USA même si certaines émissions de RMC (ou, semble-t-il de RTL) semblent prendre modèle sur ce que l’on peut entendre sur Fox News.

Hors le recyclage de propos de bar sur l’Islam et la criminalité, nos provocateurs n’ont pas grand chose à proposer. Il y a, nous disent-ils, trop de musulmans en France? trop de délinquants sont arabes ou noirs? Mais alors, que faire? Les mettre à la porte? Les convertir de force? Développer sous une forme ou l’autre l’apartheid? Stériliser les mères? Envisager une partition de la France, avec un 93 musulman et le reste du pays fidèle aux tradition chrétiennes? Le décalage entre leurs propos venimeux et leurs propositions est sidérant. La réponse, hier matin sur France Inter, de Nathalie Kociusko-Morizet à une question sur le débat organisé par l’UMP sur l'Islam (pardon, la laïcité) a témoigné mieux que tout autre de ce décalage : “je trouve ce débat intéressant. Je ne suis pas inscrite mais j’y participerai certainement parce que je suis maire et que que je sais qu’il y a de vrais problèmes : que faire quand un enfant de six ans refuse de manger du hachis parmentier sous prétexte que la viande n’a pas été abattue de manière rituelle?”. Mais, Madame le Maire, peut-être tout simplement demander au cuisinier de mettre la purée à part…

Cela ne veut certainement pas dire que ces chroniqueurs sont inoffensifs et que leurs propos sont anodins. Bien au contraire. Ils banalisent des discours qui hier encore étaient inadmissibles. Mais leurs succès doivent, me semble-t-il, plutôt être rangés du coté des modes qui saisissent régulièrement les médias que d’une véritable conquête de l’hégémonie culturelle sur la société.

Quelle importance, me dira-t-on? Leurs provocations n’en sont pas moins dangereuses. Sans doute, mais les modes médiatiques s’épuisent rapidement, d’autant plus rapidement que les auditeurs et spectateurs se fatiguent vite. L’hégémonie culturelle met plus longtemps à se construire, mais elle est beaucoup plus résistante. On n'en est pas encore là. Du moins l'espéré-je…