lundi, décembre 26, 2011

Nombrilisme américain

Dans les pages nécrologie du Monde de ce jour (le Carnet), il y a un anniversaire de décès. Alain Touraine, Marisol Touraine, ses enfants, neveux… rappellent qu'ils ont perdu il y a vingt et un ans déjà Adriana Touraine née Arenas. Devinant que c'était l'épouse d'Alain, mais voulant le vérifier, je vais sur Google où je tombe sur cet article de l'Encyclopedia of World Biography qui raconte la vie de Touraine vue par des Américains. Je m'en voudrais de faire preuve du moindre anti-américanisme primaire, secondaire ou tertiaire mais… à le lire on a le sentiment que Touraine n'existe que par les Etats-Unis, que tous les intellectuels français ont fait leurs classes rue d'Ulm, que 1968 est une affaire américaine, surtout pour un français enseignant à Nanterre, ce qui était alors le cas de Touraine… Tout cela prêterait à sourire si ces biographies étaient insignifiantes. On peut malheureusement craindre qu'il ne reste que cela de Touraine, ce qui serait dommage…

PS. Ayant eu tout récemment eu l'occasion de relire le petit livre de Touraine sur la société post-industrielle, j'ai été frappé de ce qu'il paraissait daté, non par les idées qu'il défend mais par sa manière d'écrire. Ses textes seraient-ils aujourd'hui publiés dans les revues savantes? Ce n'est pas certain. Ce qui me rappelle une anecdote que me racontait ma fille à propos d'Howard Becker, autre sociologue de grande qualité. Présent à Paris, ville qu'il fréquente semble-t-il beaucoup, il est invité  parler à l'EHESS. Il y raconte qu'un de ses amis, responsable de l'American Sociological Review, lui reproche de ne pas lui avoir envoyé récemment de papier. Becker lui répond : mais je pense que vous n'en voudriez pas. Mais si, mais si, répond l'autre. Becker s'exécute donc et envoie deux papier, l'un sous son nom, l'autre sous un pseudonyme. Il craignait que un refus pour le second mais pensait que le premier serait accepté au seul vu de son nom. Erreur : aucun des deux ne fut retenu. Etaient-ils moins bons que ce que l'on publie d'ordinaire dans cette revue? C'est possible mais… peu probable tant Howard Becker dépasse de la tête et des épaules tous ceux qui écrivent depuis quelques années dans cette revue. Mais peut-être ne respectait-il pas les nouvelles normes scientifiques… Ces normes qui oblige à tout sourcer. Vous voulez dire que le ciel est bleu, vite une référence récente, forcément récente, pensez aux carrières qui se construisent. Résultat, cela donne : "le ciel est bleu (Tartempion, 1998)." C'est mieux, non?

La Turquie, le commerce extérieur

Notre commerce extérieur touche le fond. C'est une des causes de notre endettement. C'est le moment que choisit le parlement pour voter un texte dangereux : quelle autorité ont donc des parlementaires pour décider de ce qu'est un génocide? C'est l'affaire des historiens, des philosophes, certainement pas des politiques.

Texte dangereux et imbécile : la Turquie est un pays en croissance forte, avec lequel notre commerce extérieur était tout à la fois en croissance et excédentaire. Et voilà que l'on veut casser tout cela pour faire plaisir à quelques groupuscules arméniens qui se sont déclarés porteurs du vote communautaire, ce qui serait à vérifier, même si l'on peut comprendre que les Arméniens soient particulièrement sensibles à ces questions.

Pour ajouter la maladresse à la sottise, voilà que l'on apprend que Nicolas Sarkozy a promis au premier ministre turc que jamais le Parlement ne voterait ce texte.

Beaux dégâts pour des voix qui ne seront même pas acquises : qui peut en effet penser une seconde que les Français d'origine arménienne dont beaucoup sont installés en France depuis plusieurs générations se détermineront en fonction de ce seul texte?

La mort d'un dictateur

Les dictateurs sont capables de faire beaucoup de choses, obtenir de leur armée qu'elle tire sur le peuple, comme aujourd'hui en Syrie, affamer celui-ci, comme en Corée du Nord, l'embarquer dans des guerres sans fin, mais il est une chose qu'ils ne savent pas faire : cacher leur mort plus de quelques heures. On pourrait imaginer qu'ils réussissent à construire un régime qui leur survive et les maintienne, quoique mort, au sommet. Ce n'est pas faute d'essayer. Dans l'Egypte ancienne, ils se déclaraient divinité et se faisaient construire des temples mortuaires qui, s'ils ont passé les siècles ont rapidement été oubliés des contemporains. En l'URSS et dans le monde communiste, on les embaumait et faisait défiler devant des dépouilles admirablement conservées des foules silencieuses et forcément recueillies. Dans le monde contemporain, leurs proches tentent de les maintenir en vie aussi longtemps que possible, comme ce fut le cas pour Franco, mais dés qu'ils disparaissent, impossible de cacher la nouvelle très longtemps. Deux jours, pas plus en Corée du Nord, pays pourtant très secret. Le temps sans doute d'organiser la communication sur la succession et la succession elle-même pour donner le sentiment que tout est bien huilé, bien maîtrisé. Pas question que le peuple puisse, une seconde, imaginer une vacance à la tête de l'Etat. C'est sans doute cela qui force à annoncer cette mort. Le seul soupçon d'une absence à la tête de l'Etat lui ferait perdre aussitôt toute légitimité et toute force.

On connait depuis Kantorowicz la théorie des deux corps du roi, le corps politique qui ne peut pas mourir, et le corps physique qui est lui mortel. Cette succession coréenne semble confirmer sa thèse. Sauf, qu'elle s'appliquait au Moyen-Age et traitait de thématiques développées par les théoriciens, théologiens et canonistes d'avant la Renaissance.

mercredi, décembre 21, 2011

Quand la presse buvait les paroles de Nicolas Sarkozy

Les journalistes se plaignent régulièrement de ne pas avoir la confiance des Français. Mais comment pourrait-il en être autrement lorsque l'on voit une photo comme celle-ci, publiée ce matin dans Libération, qui pourrait servir de modèle à une représentation de la complaisance, comme en faisaient autrefois les peintres.

 Pas un ne marque la moindre réserve, la moindre distance. On peut imaginer que Nicolas Sarkozy ait été en la circonstance particulièrement drôle dans cette évocation du pénitent béat, mais tout de même… si l'on pouvait être séduit par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, pouvait-on l'être par Claude Guéant que l'on devine derrière dans une position qui évoque celle du manipulateur de marionnettes. 

mardi, décembre 20, 2011

Europe : la panne démocratique

L'Europe est au bord de l'implosion, plus rien ne va et nous voyons cela passer devant nos téléviseurs sans rien y comprendre, sans que l'on nous informe. Nous sommes démunis, incapables d'agir, de retenir ce radeau qui sombre. Nous en serons victimes sans être pour rien responsables de quoi que ce soit. Il serait sans doute difficile, inutile et contre-productif d'organiser des referendum sur l'Europe tant le sujet est difficile, mais est-ce trop demander que de souhaiter voir les dirigeants européens, les Angela Merkel, Mario Monti, David Cameron, Nicolas Sarkozy… se réunir devant une caméra pour nous expliquer leurs différends, leurs projets, leurs ambitions. Ils nous doivent bien cela, non?

jeudi, décembre 15, 2011

Nicolas Sarkozy sauvé par l'Europe? Pas si sûr…

La crise européenne est souvent présentée par les éditorialistes comme une chance pour Nicolas Sarkozy de se refaire dans l'opinion, d'occuper le premier plan et de retrouver une image de Président qui s'occupe des affaires du monde quand son adversaire règle la dette de la Corrèze et se retrouve empêtré dans les affaires du PS. Mais est-ce bien sûr?

Quelle image ressort de ces sommets à répétition, de ces déclarations alarmistes, de ces chants de victoire qui se succèdent sans discontinuer? Une image positive. Pas si sûr.

Le Sarkozy que l'on voit à l'oeuvre se révèle brutal, pas très diplomate et plutôt mal élevé (faire attendre Papandréou, refuser de serrer la main de David Cameron), jamais en reste d'une contradiction (les eurobonds indispensables puis inutiles, le AAA capital, secondaire…), faible devant Angela Merkel, acceptant un renforcement des contrôles sur les budgets nationaux qui ne peut que hérisser les eurosceptiques, hâbleur (toutes ces proclamations définitives de victoire) et somme tout incompétent.

Brutal, faible, hâbleur, mal élevé, incompétent… Cela fait beaucoup pour un seul homme.

Drôle d'Hadopi à l'Elysée

C'est un post d'Arthur Goldhammer qui m'a intrigué : on aurait illégalement téléchargé des films à l'Elysée. Ce qui prête à sourire chez les inventeurs d'Hadopi. Arthur G., qui tenait l'information de Frédéric Martel, renvoie à un site (http://www.nikopik.com/cgi-sys) qui a mystérieusement disparu depuis qu'il l'a cité.


En d'autres temps, on aurait parlé de censure. Mais là…

mercredi, décembre 14, 2011

Noël sans décoration dans le 19ème arrondissement

La crise ne se voit guère dans les beaux quartiers mais elle se devine à de petits signes lorsqu'on les quitte pour des quartiers plus populaires, comme cette affichette collée le long de la station de métro Gambetta dans le vingtième arrondissement : les commerçants du quartier y indiquent que, crise oblige, ils ne financeront pas cette année les décorations lumineuses dans la rue, mais qu'ils verseront un chèque de 5000€ aux Resto du coeur.


L'Europe ne peut qu'être allemande

Cette crise de l'euro est aussi, et peut-être surtout, une crise de l'Europe qui vient de se conclure par la victoire de l'Allemagne et de son projet européen, victoire que vient de signer le départ de la Grande-Bretagne. On a beaucoup insisté sur l'opposition entre la France et la Grande-Bretagne, sur cette main de David Cameron qu'un Nicolas Sarkozy exaspéré a refusé de serrer. Et il est probable que la France n'a rien fait pour retenir les britanniques. Il me semble, cependant, qu'à l'inverse de ce qu'affirment à peu près tous les analystes, les britanniques étaient sur le fond du projet plus proches des Français que des Allemands. A l'inverse de l'Allemagne, de l'Italie ou de la Belgique, la Grande-Bretagne et la France sont deux pays anciens, organisés autour d'un pouvoir central puissant qui s'est trouvé de longues décennies à la tête d'empires coloniaux considérables. La souveraineté nationale, le contrôle par le centre du pays sont des notions qui ont, en Angleterre comme en France, nourri des dirigeants politiques qui n'imaginent pas l'Europe autrement que comme une extension de leur puissance. L'idée que celle-ci puisse être bridée par des institutions indépendantes, supranationales les hérissent au plus point. Sur ce point, nous sommes tous peu ou prou gaullistes. Ce que De Gaulle disait en 1962 pourrait être repris aujourd'hui par tous nos dirigeants : "C’est sur des éléments d’action, d’autorité, de responsabilité qu’on peut construire l’Europe. Quels éléments ? Eh bien, les États ! Car il n’y a que les États qui soient à cet égard valables, légitimes et capables de réaliser. J’ai déjà dit et je répète, qu’à l’heure qu’il est il ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des États, en dehors des mythes, des fictions, des parades."

Les Allemands (mais aussi les Italiens, les Espagnols, les Belges) sont dans une position toute différente. Ils ont l'expérience du fédéralisme, d'un pouvoir central contrôlé par des pouvoirs régionaux et par des institutions indépendantes. Or, on imagine mal pour l'Europe un autre modèle que celui-là. On ne voit pas quel européen pourrait accepter que Paris ou Berlin devienne la capitale de l'Europe comme Paris l'est de la France ou Londres de l'Angleterre. On ne voit pas comment on pourrait faire vivre ensemble tout un continent sans une bonne dose de fédéralisme. C'est ce modèle que les Allemands avaient en tête lorsqu'ils ont imposé l'indépendance de la banque centrale, c'est celui qu'Angela Merkel a défendu lorsqu'elle a voulu, au delà des considérations économiques, des dispositifs qui renforcent les contrôles sur les Etats membres. C'est ce modèle, naturel aux Allemands, c'est le leur depuis toujours, qu'a refusé la Grande-Bretagne. C'est sans doute aussi ce qui fonde l'hostilité grandissante à l'égard de l'Europe en France et les réserves qu'exprimait Hubert Védrine dans un article du Monde (Le fédéralisme n'est pas la solution miracle à la crise). L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou la Belgique ont des modèles nationaux qui peuvent s'étendre à la dimension d'un continent. Ce n'est le cas ni de la Grande-Bretagne ni de la France malgré nos timides tentatives de décentralisation. Les Allemands n'ont pas seulement une économie plus forte, ils ont aussi un modèle démocratique mieux adapté à la construction européenne. Et, qu'on le veuille ou non, cela nous condamne à les suivre. Dit autrement, et malgré tous les discours sur l'axe franco-allemand, l'Europe s'inspirera plus des institutions allemandes que des notres.

mardi, décembre 13, 2011

Une carte pour expliquer le vote Le Pen

L'Usine Nouvelle, magazine industriel que la presse cite rarement mais dont les informations sont souvent intéressantes vient de publier une carte des emplois menacés en France. Il apparait à sa lecture qu'il n'est pas une partie du territoire qui soit épargnée mais aussi, et surtout, que les emplois menacés sont souvent dans des zones semi-rurales ou dans de petites villes, c'est-à-dire dans des régions où le marché du travail ne donne aux salariés qui perdent leur emploi aucune chance d'en retrouver un (même dégradé) à proximité de leur logement.



A la lire, on découvre que la France ne souffre pas tant de désindustrialisation, comme nous le disent aujourd'hui tous les candidats (les effectifs ouvriers diminuent partout, même en Chine) mais d'une politique d'aménagement du territoire qui a conduit les entreprises, depuis le début des années soixante, à s'installer dans des zones industrielles éloignées qui leur offraient mille avantages (terrain gratuit, main d'oeuvre bon marché, impôts locaux réduits…) mais qui n'étaient pas de taille suffisante à créer un marché de l'emploi susceptible de pallier les déficiences de l'un ou de l'autre.

Sur la désindustrialisation, voir également cette chronique.

mercredi, décembre 07, 2011

A qui la candidature de François Bayrou va-telle profiter?

En 2005, la candidature de François Bayrou avait largement mordu sur l'électorat socialiste et séduit tous ceux, nombreux, qui ne supportaient pas Ségolène Royal. Ce faisant, il avait facilité le transfert vers Nicolas Sarkozy d'électeurs qui penchent plutôt à gauche. Cette fois-ci, sa candidature pourrait avoir l'effet inverse : inciter des électeurs de droite qui ne supportent plus Nicolas Sarkozy à le délaisser, ce qui réduirait d'autant son score au premier tour et rendrait plus difficile son élection, surtout si une partie de ces électeurs choisissent de voler au secours de la victoire. Peut-elle faciliter l'arrivée de Marine Le Pen au second tour? Les sondages ne le suggèrent pas pour l'instant puisque l'écart entre la candidate du FN et Nicolas Sarkozy est de l'ordre de 7 points (17 contre 24) mais l'accord européen, ce qui ressemble à une victoire par KO d'Angela Merkel et l'annonce de pertes de souveraineté peuvent réveiller le sentiment national chez ces électeurs de droite qui avaient choisi le non au référendum sur Maastricht et qui aimeraient aujourd'hui revenir au franc (ils seraient un tiers, dit-on, à reprendre cet élément du programme de Marine Le Pen). Nicolas Sarkozy risque, en l'affaire, de se retrouver face à une coalition très large qui associe, dans le refus de ce rabibochage dont chacun devine qu'il ne tiendra pas longtemps, l'extrême-gauche, l'extrême droite et le Parti Socialiste, ceux qui se soucient de démocratie et ceux qui s'inclinent chaque matin devant le drapeau. Il aura bien du mal à justifier des pertes de souveraineté autrement graves que l'oubli de la marseillaise sur les terrains de foot.