vendredi, octobre 27, 2006

The Economist votera-t-il pour Ségolène Royal?

The Economist, le très libéral et très compétent hebdomadaire britannique consacre 15 pages à la France et sa une qu'il décore d'une photo flamboyante de… Margaret Thatcher. Ce qu'il faut à la France, dit-il en substance, c'est une nouvelle Maggie.
A prioro cette nouvelle Maggie devrait être Nicolas Sarkozy. C'est en tout cas la posture que celui-ci a, à plusieurs reprise, implicitement prise. Mais il n'est pas certain que The Economist soit tout à fait d'accord. La conclusion de son article est pour le moins ambiguë, soulignant que les socialistes ont souvent mené plus de réformes que des leaders de droit, très en pointe dans les campagnesélectorales, mais plus timorés une fois au pouvoir.
De là à penser que The Economist trouve des vertus à Ségolène Royal, il y a un pas qu'il ne faut peut-être pas franchir tout de suite, même si la fermeté de la candidate socialiste, son aplomb (qu'elle a encore montré hiere soir en abordant tous les thèmes "délicats" de sa comapgne devant une salle houleuse) séduisent les journalistes de l'hebdomadaire britannique.

jeudi, octobre 26, 2006

Patrimoine de départ, l'étrange promenade des idées

On sait que Dominique Strauss-Kahn a introduit dans le discours politique, à l'occasion du second débat entre socialistes, l'idée d'un patrimoine de départ qui serait accordé aux jeunes en difficulté qu'il voudrait voir financé par les droits de succession.

L'idée, séduisante, n'est pas neuve. Je me souviens qu'Isidore Isou, que l'on connaît plus pour ses productions poétiques et picturales (il est le fondateur du mouvement lettriste qui a eu son heure de gloire au lendemain de la seconde guerre mondiale et que l'on redécouvre de temps à autre dans les musées d'art moderne), l'avait proposée dans les années 50 dans un livre que plus personne ne lit depuis longtemps mais qui mériterait un peu mieux : Le soulèvement de la jeunesse. Ce livre qui préfigurait les révoltes étudiantes de la fin des années 60 a joué un rôle dans le tournant politique pris par Guy Debord et les situationnistes, qui étaient proches d'Isou dans les années 50 (ils avaient créé un mouvement dissident du lettrisme, l'ultra-lettrisme). (Sur tous ces sujets, on peut en savoir un peu plus en lisant ce que j'ai écrit sur la sociologie du groupe lettriste).

Dans ce livre, Isou allait infiniment plus loin que Strauss-Kahn puisqu'il proposait de donner à chaque jeune un capital que celui-ci pourrait utiliser comme il le souhaitait : pour financer ses édudes, pour prendre du bon temps, pour créer une entreprise… mais il s'agit bien, au fond, de la même idée : donner aux jeunes la possibilité de décider eux-mêmes de leur avenir.

Je doute que Dominique Strauss-Kahn se soit inspiré d'Isou. Ses sources sont plus probablement américaines. Son projet évoque les "school vouchers" proposés par Milton Friedman. Ces "vouchers" permettent aux parents de mettre leurs enfants dans l'école qu'ils souhaitent, que celle-ci soit privée ou publique. On peut, pour en savoir plus, consulter l'article de Wikipedia sur le sujet où l'on apprend que le système est utilisé aux Etats-Unis, au Chili et à Hong-Kong et n'a pas que des effets positifs. Le projet de DSK est naturellement très différent du système de Milton Friedman, mais l'inspiration est voisine.

mercredi, octobre 25, 2006

Une campagne placée sous la thématique de l'autorité

Les thématiques développées par Ségolène Royal lors du deuxième débat font penser qu'elle a choisi de mettre au centre de la prochaine campagne électorale les questions liées à l'autorité.

Ce n'est pas plus que l'ordre dont elle parle abondamment un thème de gauche traditionnel, mais c'est une manière habile :
- de contourner les questions de sécurité ou, plutôt, de les replacer dans un contexte qui se prête moins aux débordements démagogiques.
- de répondre à cette crise de l'autorité qui inquiète tous ceux dont l'autorité est délégitimée ou en passe de le devenir, que cette autorité soit basée sur le savoir (enseignants, médecins, juges…) ou sur l'élection (élus dont un récent sondage montrait que les Français les jugeaient corrompus).

La différence entre Sarkozy et Royal (s'ils sont tous deux les candidats retenus) pourrait porter sur la manière, de régler cette crise qu'a décrite Alain Renault dans La fin de l'Autorité. Les différents projets qu'avance Ségolène Royal dessinent une manière de régler ces questions qui ne passe pas par des sanctions plus sévères mais par un mixte de contrôle social renforcé et d'éducation (mixte que l'on retrouve dans ses projets sur les jeunes délinquants et sur ces jurys populaires qui contrôlent l'activité des élus). Sarkozy sera sans doute tenté de répondre par des solutions qui aboutissent à un alourdissement des sanctions, au risque de se voir opposée l'inutilité de sanctions que personne n'applique.

En volant à la droite cette thématique de l'ordre et de l'autorité, Ségolène Royal répond à l'attente de cette clientèle de gauche qui souffre non pas de déclassement au sens économique mais d'un affaissement de ses positions dans la hiérarchie sociale du fait, justement, de cette crise de l'autorité.

jeudi, octobre 19, 2006

Elections présidentielles et marketing

Le débat entre les trois candidats socialistes a donné lieu à des analyses quantitatives et qualitatives du type de celles que les spécialistes du marketing pratiquent régulièrement (voir, par exemple, celle que Médiatrie a réalisée pour Libération). Ces analyses sont naturellement intéressantes (et certainement utiles pour les candidats), mais je ne suis pas sûr qu'elles apportent grand chose aux électeurs qui hésitent.

Un électeur qui s'interroge (ce qui est, à quelques mois de l'élection, le cas de la grande majorité) a besoin d'informations qu'il ne trouve ni dans les médias ni dans les débats. Les débats nous donnent des informations sur les programmes que les candidats affichent. Mais chacun sait bien qu'ils ne les appliqueront pas. Mieux vaut souvent, d'ailleurs, qu'ils s'en gardent. Les enquêtes d'opinion nous donnent des indications sur l'impact de leurs propos sur l'opinion. Mais nous avons besoin de tout autre chose. Nous avons besoin de connaître la personnalité des candidats, leur capacité à faire face à des situations imprévues, à anticiper, à s'imposer dans des moments difficiles, mais aussi à entendre et comprendre une société qui bouge. Nous avons besoin de savoir s'ils ont l'étoffe d'un homme d'Etat dans un monde en profond changement. Et cela, les analyses marketing ne nous le donnent pas.

Sans doute disposons nous déjà d'informations sur chacun :
- nous savons que Fabius a su anticiper et prendre des décisions courageuses et difficiles dans le cadre du sang contaminé. On a vu qu'il a su faire face avec dignité et calme à des attaques d'une violence extrême dans la même affaire ;
- l'épisode conjugal de Sarkozy nous a sans doute plus dit sur sa personnalité profonde (et sur sa modernité) que ses discours démagogiques : bien loin de le désservir, cet épisode a montré qu'il pouvait garder raison dans des moments de crise personnelle, ce qui est une qualité pour qui veut devenir Président ;
- nous devinons chez Ségolène Royal une vision à long terme (sans cette vision, elle n'aurait pas réussi cette longue marche jusqu'à la candature), de l'inflexibilité et une capacité à écouter et comprendre la sociéété que l'on ne trouve pas forcément chez ses concurrents (même si cela s'accompagne, chez elle, d'allures cassantes) ;
- DSK respire la compétence mais que savons-nous de son caractère? de sa capacité à faire face à des obstacles?
Il nous en faudrait plus, beaucoup plus, pour savoir lequel sera le mieux armé pour diriger le pays pendant 5 ans. Je ne suis pas sûr que la généralisation des techniques marketing nous aide à le découvrir.

mercredi, octobre 18, 2006

Le débat

Alors ce débat?

Première remarque : il n'était pas une seconde ennuyeux. Cela était un risque, mais les intervenants et les journalistes et l'ont mené de telle manière que l'on est resté attentif jusqu'au bout.

Seconde remarque. Malgré leurs ressemblances (même génération, même formation, même appartenance politique, même programme à respecter), les trois candidats ont su marquer leurs différences tant dans le fond que dans la forme et la méthode.

Sur la forme, d'abord : Ségolène Royal a certainement été la plus incisive, la seule à entrer directement dans le vif du sujet sans faire de commentaire sur l'exercice, la seule à ne citer ses concurrents qu'au tout dernier moment, presque avec réticence. Sur le plan de la courtoisie, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn l'ont emporté haut la main, mais Ségolène Royal est la seule qui ait tenté, en fin d'émission, une pointe d'humour, signe sans doute d'un soulagement.

Toujours sur la forme : Fabius est certainement celui qui maîtrise le mieux, et avec le plus d'élégance, la langue française. Il est précis, ses phrases sont bien construites, il ne bafouille pas (comme l'a fait deux ou trois fois DSK). Ségolène Royal est, sur ce plan là, loin derrière les deux autres (comment peut-on sortir de l'ENA et maîtriser aussi mal l'expression parlée?) et ses explications ont paru à une ou deux reprises embarassées (je pense notamment à tout ce qu'elle a dit de la valeur ajoutée qui sentait la récitation de fiche préparée par ses collaborateurs).

Venons-en maintenant au fond. On a beaucoup dit que ce débat était à haut risque pour Ségolène Royal. Elle s'en est bien sortie. On attendait DSK sur les questions économiques. Il a été brillant lorsqu'il a parlé de la dette, mais pour le reste, il a déçu. Trop général, trop dans le flou et le vague. Ses tentatives répétées de mettre le changement en perspective, de convier dans la discussion le futur, les tendances profondes de la sociétéé sont toutes tombées à plat. Laurent Fabius a été des trois le plus précis, mais c'est aussi celui dont les propositions paraissaient le plus vieillies (augmentation du Smic sans réflexion sur son impact sur les autres salaires, réflexion que l'on trouvait chez ses deux concurrents). Fabius est le seul à avoir longuement et à plusieurs reprises parlé de l'Europe. Il a eu raison de mettre en avant cette dimension, mais était-il le mieux placé pour le faire? Comment ne pas s'interroger sur son "non" à la constitution européenne? Essayait-il de séduire ceux qui ne lui ont pas pardonné cette trahison? Il n'a sans doute fait que la leur rappeler.

Quant à Ségolène Royal, concrète et pragmatique, elle a montré de véritables qualités. Mal à l'aise dans l'exposé général, elle a marqué des points chaque fois qu'elle s'est appuyée sur son expérience du terrain : 35 heures, délocalisations, bureaucratie, dépendance… On sentait qu'elle était, au quotidien, confrontée à ces questions et qu'elle s'était attachée à les résoudre. Aux promesses de ses deux concurrents, elle opposait sa pratique quotidienne. Sans doute est-ce ce qui fait sa popularité.

Si proches et, cependant, si différents… Ce sont des personnalités, des manières d'aborder la politique qui se sont révélées dans ce débat. Plus proche du concret chez Ségolène Royal, plus sensible aux rapports de force à gauche chez Laurent Fabius, plus attentif aux évolutions profondes de notre société chez DSK.

vendredi, octobre 13, 2006

Ségolène, la Turquie et son blog

Nous avons tous vu à la télévision la réponse alambiquée de Ségolène Royal à une question sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe. Si quelqu'un a compris, au vu des images diffusées, sa position, il est bien malin. Mais voilà que son blog revient sur le sujet : A propos de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, Ségolène Royal, explique-t-il, a rappelé que le processus “se terminera par un référendum. Un certain nombre de conditions doivent être remplies, par rapport à l’inquiétude des opinions sur la stabilité des frontières de l’Europe. Cette question sera débattue. Il faudra pour que le peuple français se prononce, avoir entre-temps apporté un certain nombre de garanties. Le référendum ne sera pas facile. Il va falloir beaucoup de travail, d’évolution, pour que le peuple français se prononce positivement. Ce travail est entre les mains de tous”. Si l'on comprend bien, elle envisage un référendum et préférerait une issue positive qui n'est pas acquise. Ce qui n'est pas tout à fait ce que nous avions entendu et est, à mes yeux au moins, une précision utile (Si on veut un argument en faveur de l'entrée de la Turquie en Europe, on le trouvera dans cette chronique de 2004.).

Cette précision est présentée comme une citation. Est-ce ce qu'elle a vraiment dit? que nous n'aurions pas entendu, que les journalistes auraient coupé au montage ou, autre hypothèse, qu'elle aurait dit après coup? Mais, après tout, qu'importe. La question est plutôt de savoir qui croire. Le blog qui réécrit (ou donne le texte exact de) la réponse ou les images télévisées?

Le blog introduit dans le discours politique une nouvelle figure, celle du repentir ou, plutôt, de la correction immédiate. Plus besoin d'attendre une nouvelle émission, d'émettre un démenti (toujours ridicule) pour préciser sa pensée. Il suffit de revenir sur le sujet dans son blog, ce qui peut modifier durablement le discours politique.

Les médias audiovisuels ont forcé les politiques à être plus précis (au risque de multiplier les chiffres que personne ne peut vérifier), à tenir un discours plus homogène (difficile de dire blanc dans le Nord et bleu dans le Sud, quand les télévisions diffusent partout vos propos), plus direct (les journalistes coupent les circonvolutions). Ils n'ont pas éliminé la langue de bois, mais l'ont rendue insupportable. Et en ce sens, ils ont amélioré le discours politique, mais ils l'ont aussi simplifié à outrance (tout ne peut pas se dire en quelques mots), ils ont réduit l'espace de l'hésitation (la télévision favorise ceux qui pensent vite et ont la capacité de mémoriser chiffres et argumentaires) et de la réflexion (il faut avoir une opinion, on ne peut pas dire : je ne sais pas…). Ils ont augmenté le coût des erreurs et donné aux journalistes la possibilité d'agir sur l'opinion. Présenter trois fois de suite sur quatre chaines les images de Ségolène trébuchant sur la Turquie est une manière subliminale de conforter le discours de ses adversaires (même chose, d'ailleurs, pour les racailles et karcher en boucle de Sarkozy). Ils ont également souligné les revirements (quoi de plus facile que de mettre bout à bout les déclarations d'hier et celles d'aujourd'hui?).

Les blogs n'ont ni la force ni la diffusion des médias audiovisuels, mais ils modifient légèrement le partage des rôles. Ils rendent aux politiques une partie du contrôle sur leur expression, ils leur permettent de revoir et corriger en temps quasi réel ce qu'ils ont dit. Ce n'est pas négligeable.

mercredi, octobre 11, 2006

Ségolène fait-elle de la politique autrement?

Autant la stratégie de conquête du pouvoir de Nicolas Sarkozy parait classique et ne pose pas de problème d'interprétation, autant celle retenue par Ségolène Royal peut donner lieu à des analyses divergentes.

Le ministre de l'intérieur a appliqué, avec brio, la figure classique du politique qui conquiert un parti pour le mettre au service de ses ambitions, figure qu'ont réussie avant lui François Mitterrand et Jacques Chirac et ratée Michel Rocard et Laurent Fabius.

Ségolène Royal a choisi une voie que l'on peut interpréter de plusieurs manières :

- on peut y voir la tentative de mettre l'opinion qui lui est favorable au service de sa conquête du parti. D'où le choix de thèmes (école, sécurité…) qui intéressent l'opinion. C'est l'interprétation qu'en font le plus souvent ses adversaires au sein du PS. Michel Rocard avait, de la même manière, tenté de jouer de son image dans l'opinion de gauche contre François Mitterand ;

- on peut également y voir l'émergence d'une nouvelle manière de faire de la politique qui s'appuie beaucoup plus sur les délibérations des citoyens que sur les débats des militants.

Cette seconde hypothèse est, naturellement, plus intéressante. Si elle se confirmait, Ségolène Royal s'inscrirait assez clairement dans les logiques délibératives développées par Habermas.

Dans son cas, les délibérations sont construites, de manière classique, dans des réunions publiques mais aussi et surtout sur internet. Elles servent de fond pour le livre qu'elle écrit. On verra bien si elle le nourrit effectivement de ces débats et comment. Mais si elle s'inspirait effectivement de ces débats pour construire sa politique et son projet (disons, plutôt, pour "éclairer" le projet socialiste puisque le candidat soutenu par le parti devra s'y référer), ce serait un changement profond de la manière de faire de la politique.

Cela modifierait, d'abord, le choix des thèmes : les politiques, de gauche comme de droite, développent régulièrement les mêmes "grands sujets" (le chômage, l'immigration, la sécurité, le pouvoir d'achat…) qui font leur fond de commerce et pour lesquels ils ont développé des argumentaires depuis longtemps rôdés. Les débats entre citoyens traitent souvent d'autres sujets et de manière différente, souvent plus pragmatique. Les débats sur la carte scolaire est une bonne illustration de ce changement de point de vue. On ne parle plus de l'école en général, on ne se bat plus sur ses budgets, on traite d'un problème concret que tous les parents connaissent. Problème sur lequel, d'ailleurs, les positions peuvent varier au sein de la même famille politique. Le débat sur la sécurité est une autre illustration. Ségolène Royal propose une solution concrète (les fameux militaires) qui élimine toutes les discussions sur le laxisme de la gauche en matière de sécurité et conduit les échanges sur le terrain très concret de la "rééducation" des jeunes délinquants.

Cela modifierait, ensuite, le partage des tâches entre les différents acteurs :

- Dans le système des partis traditionnels, des experts élaborent des projets que des politiques évaluent (c'est vendable, cela peut nous amener telle catégorie de la population…) et adaptent à la vulgate de leur parti, seul moyen de les imposer aux militants. La dépolitisation que l'on déplore vient pour beaucoup de cette manière de faire de la politique qui fait des citoyens des "clients" à convaincre de la justesse des idées de tel ou tel.

- Dans les débats, experts et militants sont évacués ou, plutôt, ramenés au rôle de citoyen qui a son opinion et son mot à dire. Les choix ne se font plus entre experts et politiques, mais entre des citoyens qui ne sont plus des "clients" mais des acteurs qui pensent et des politiques auquel il revient d'arbitrer entre des positions contradictoires et de choisir une solution.

Plusieurs à gauche ont critiqué cette montée en puissance des citoyens. Il faut lire les débats sur le site de Ségolène Royal pour voir qu'ils ont tort. Non seulement ces débats sont extrêmement riches, mais ils montrent que l'opinion est beaucoup plus ouverte, sensible, subtile que ne le font croire débats politiques et sondages. Elle s'approprie les sujets, réfléchit et pense. Pas besoin d'être expert d'un grand parti pour avoir une opinion éclairée sur le fonctionnement de l'école quand on participe, comme parent d'élève, au conseil d'administration d'une école. C'est cette pensée collective que ces débats suscitent.

On verra ce que donne l'expérience de Ségolène Royal, si elle tire toutes les conséquences de son projet initial, mais son expérience annonce une nouvelle manière de faire de la politique, d'organiser les rapports entre des citoyens qui débattent et des politiques qui élaborent (ou plutôt infléchissent) leur programme en fonction de ce qui se dit dans ces débats.

Ces espaces où l'on débat, ces agoras, ne sont pas sans poser de problèmes : on ne sait pas très bien qui y participe. Les participants sont nombreux (7000 contributions sur Désir d'avenir en septembre), intéressés par la politique, mais sont-ils militants? sympathisants? hésitants? électeurs (il est probable qu'un certain nombre de participants de ces forums ne sont pas inscrits sur les listes électorales, est-ce que cela leur interdit de participer au débat?). Si les manipulations sont peu probables (elles se voient vite), on ne peut exclure des mécanismes d'auto-sélection : ne viennent sur ces sites qu'une catégorie de la population (utilisateurs d'internet, habitués de l'expression écrite…), ce qui peut biaiser la réflexion. On ne peut non plus exclure que la candidate n'utilise ces débats que comme un outil de communication, comme une sorte de test en grandeur nature des formules, expressions, argumentaires… Les politiques délibératives d'Habermas ne sont pas, elles non plus, à l'abri de dérives, mais du moins rendent-elles aux citoyens la parole et comme le dit la phrase en exergue de ce blog : "avoir des opinions est un des éléments du bien-être".

dimanche, octobre 08, 2006

Banlieue : Stratégie de la tension?

Nicolas Sarkozy a-t-il choisi la stratégie de la tension? Veut-il relancer les émeutes en banlieue? Souhaite-t-il que se multiplient les incidents? Il fait en tout cas tout pour comme le suggère la lecture de ce courrier adressé le 8 octobre par le Réseau enfants sans frontières qui tient le compte des enfants sans papiers que l'aministration expulse.

"SUZILENE ELEVE DU LP VALMY (COLOMBES –92-) EN RETENTIONLundi 02 octobre les élèves du lycée professionnel Valmy de Colombes dans les Hauts-de-Seine, ont appris que leur camarade Suzilène était en centre de rétention à Paris. Pour la soutenir une pétition a été diffusée dans le lycée et au-delà. l'émotion et l'inquiétude ont été très vives et aujourd'hui, elles font place à la colère.

Une tension très forte est perceptible dans l'établissement, la plupart des enseignants sont solidaires.


Les délégués se réunissent lundi 9 octobre pour s'informer de l'évolution de la situation et décider de la poursuite de la mobilisation.

Le 29 septembre Suzilène emmène son petit frère de 16 mois à la crèche, elle est interpellée par la police avec une de ses camarades et placée en centre de rétention à Paris sur l'Ile de la Cité. L'administration préfectorale des Hauts-de-Seine lui notifie un APRF avec le Cap Vert comme destination. Lundi 2 octobre au matin, le lycée Valmy est informé. Dans l'après-midi, Suzilène est présentée devant le juge des libertés qui décide son maintien en rétention.
Mercredi 4 octobre le tribunal administratif se déclare incompétent (à notre connaissance) pour pouvoir annuler l'Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF), la délibération a duré 2 heures et c'est avec embarras que le juge rend sa décision en présence de représentants d'enseignants du lycée et de représentants syndicaux membres du RESF
Le Réseau Education sans frontière est en alerte maximum : les autorités académiques, Rectorat et inspection académique sont informés de la situation ; les élus de la municipalité de Colombes, conseillers généraux et régionaux, députés et sénateurs sont interpellés par RESF.

De jeudi à vendredi la mobilisation s'étend, la FERC-cgt et la FSU interpelle le Ministre de l'Education et le ministre de l'Intérieur sur la situation des jeunes scolarisés sans papier. Un préavis de grève national est déposé par la FERC cgt et un préavis départemental est déposé par la FSU92 pour assurer la protection des élèves qui se sont vus délivrer un APRF et qui risquent la mise en rétention comme Suzilène.

Vendredi, le secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine nous informe que Suzilène repassera devant le juge des libertés mercredi qui selon lui est le seul habilité à la faire libérer. Nous attendons la confirmation écrite de cette 3ème convocation devant le juge. Le secrétaire général nous fait remarquer que le dossier de Suzilène est étudié avec attention. Il précise aussi que l'administration ne fera pas de zèle!

Lors de notre entretien téléphonique nous lui faisons remarquer que la situation est particulièrement explosive au lycée Valmy comme dans l'ensemble des établissements scolaires où personnels et élèves sont extrêmement choqués par les APRF delivrés par les autorités."

Le courrier poursuit avec d'autres histoires du même type et c'est ainsi chaque semaine depuis des mois. Y a-t-il volonté délibérée de créer de la tension? ou, plus simplement inconscience politique et administrative? Il est bien difficile de trancher. Reste que l'on se trouve devant une situation qui peut conduire au pire et lors que les voitures brûleront il sera trop tard pour se plaindre. On ne pourra en tout cas pas dire que l'on n'aura pas été averti!

jeudi, octobre 05, 2006

Redeker : attention aux dérives!

J'ai dit dans un précédent post combien il fallait défendre le droit de Robert Redeker de dire pis que pendre de l'Islam. Mais cela ne doit pas nous interdire de le critiquer et de nous inquiéter d'une dérive que l'on observe chez lui comme chez plusieurs auteurs qui viennent de l'extrême-gauche et prennent aujourd'hui des positions sur l'Islam, les banlieues, la globalisation, l'Europe qui les rapprochent dangereusement de la droite la plus… à droite. Je pense à Bruckner qui dans son dernier livre s'en prend aux rappeurs qui insultent la France (si l'on peut insulter l'islam, alors on doit aussi pouvoir insulter la France) mais aussi aux gens de Mariane et à quelques autres lus ici ou là.

Les points de convergence (encore en pointillés, fragiles, discrets) entre ces deux extrèmes semblent se situer autour :

- d'une critique de la globalisation et d'un repli sur l'espace clos des frontières (le protectionnisme d'Attac et des partisans du non lors du référendum sur la constitution européenne a pris à l'occasion des tournures nationalistes déplaisantes) ;

- d'une défense de la laïcité (souvent confondue avec la spécificité nationale) qui tourne à l'intolérance, comme on l'a vu à l'occasion des débats sur le voile ;

- d'une défense de l'histoire nationale qui revient à la figer et à interdire qu'on la revisite. Quoi de choquant à ce que les petits enfants des esclaves demandent que l'on fasse plus de place à l'histoire de leurs grands-parents dans nos livres de classe? C'est aussi notre histoire,

- d'une défense de l'Etat qui se cache, à gauche, derrière une critique convenue d'un ultra-libéralisme qui n'a jamais existé que dans l'imagination de ses critiques.

Ce ne serait pas la première fois que des intellectuels d'extrême-gauche se retrouvent avec des gens très à droite dans des combats douteux. Ce n'est jamais agréable.