vendredi, juillet 27, 2007

SDF : Sans Difficultés Financières

Il y a des livres qui dérangent. Si l'exclusion m'était contée de Liliane Gabel, livre qu'elle aurait mieux fait de titrer Sans Difficultés Financières, comme elle en a eu, un temps, l'intention est de ceux-là.

Ce n'est pas un livre très bien écrit, il n'est pas non plus très bien construit, mais ces défauts, qui auraient sans doute interdit sa publication chez d'autres éditeurs (ou, qui auraient, plus probablement poussé à une réécriture), sont ce qui en font, justement, l'intérêt : l'auteur est restée telle qu'en elle-même avec ses souvenirs, ses colères, son amertume.

Liliane Gabel raconte ses trois ans de travail dans un centre du Samu Social, boulevard Richard Lenoir. Elle le fait avec peu de complaisance, n'ayant pas été reconduite dans ses fonctions à la fin de son contrat pour des raisons qu'elle ne dit pas mais que l'on devine : il ne doit pas être tous les jours facile de travailler avec elle.

Succession de portraits de SDF et de scènes de la vie dans un centre d'accueil ce livre donne une image impitoyable de cet univers, de la violence des SDF entre eux, de leur violence à l'égard des travailleurs sociaux qui s'occupent d'eux, mais également de la violence des travailleurs sociaux dont le livre trace un portrait qui n'est certainement pas celui qu'ils choisiraient spontanément.

Le SAMU social ne sort pas indemne de récit. Son fonctionnement laisse manifestement à désirer. A plusieurs reprises, l'auteur suggère des formes de clientélisme (mieux vaut connaître la directrice pour avoir un lit…). On apprend qu'il rejette régulièrement à la rue les plus démunis qui se comportent de manière violente. L'alcool est présent partout, chez les SDF mais aussi chez les travailleurs sociaux que plusieurs scènes nous montrent mesquins, pas très compétents, pas vraiment charitables, capables de harcèlement à l'égard de leurs collègues voire de vols. Quant à Xavier Emmanuelli, on ne sait plus très bien s'il faut l'admirer ou le juger sévèrement (dans une scène que raconte l'auteur, la nouvelle directrice générale dit à ses collaborateurs qu'il n'est pas aussi gâteux qu'on veut bien le dire).

Mais ce livre vaut surtout par ce qu'il nous dit de ces hommes et femmes qui vivent dans la rue, de la manière dont ils changent de nom, se créent des histoires de vie pour échapper à la leur, dont ils souffrent (scène insoutenable de ce SDF qui sent la mort et dont les jambes se gangrènent), dont ils ont perdu le contact avec les autres (ils ne reconnaissent pas ceux qui les ont aidés en dehors de leur milieu de travail), dont ils sont sans gêne, dont ils se rendent insupportables avec ceux-là même qui veulent les aider au point de susciter des réponses violentes (verbales ou physiques) de la part des mieux disposés à leur égard.

On y voit à l'oeuvre ce processus de déqualification sociale qu'a décrit Serge Paugam, processus qui les amène à être d'autant plus exigeants avec ceux qui leur apportent soutien qu'ils n'ont rien à donner en échange.

Ce livre se termine par une scène sur le Canal Saint-Martin, scène mélancolique, sous la pluie, comme l'est ce récit qui ne laisse en définitive guère d'espoir.

mardi, juillet 24, 2007

A quoi servent les anges?

Je me suis souvent demandé à quoi pouvaient bien servir les anges. Je viens de trouver la réponse, un peu contournée, à la lecture d'un livre de Bernard Edelman (Quand les juristes inventent le réel) qui cite et résume les analyses de Ernst Kantorowicz sur les deux corps du roi, analyses que je n'ai pas lues mais l'été approchant…

Mais revenons aux anges : le roi a deux corps, un corps humain, mortel, vulnérable, et un corps politique qui ne peut être vu ni touché, qui n'a pas d'âge, qui échappe aux infirmités du corps naturel. Ce corps politique est, en un mot, l'ancétre de notre personne morale. Or, d'où vient-il, ce corps? sinon de cette figure de l'ange placée entre Dieu et les hommes, immortel et, en même temps, relevant du temps humain puisqu'il y a un avant et un après… Les juristes, nous dit Edelman, ont tout simplement repris aux théologiens cette figure de l'ange. Ils en ont fait une figure politique. Formidable, non?

vendredi, juillet 20, 2007

Sarkozy a-t-il appris son métier dans les séries télé?

Les politologues devraient regarder plus souvent la télévision et, plus précisément les séries télévisées américaines. Ils y découvriraient que c'est là, sans doute, que Nicolas Sarkozy a appris son métier et puise son inspiration. Je pense à deux séries en particulier, deux bonnes séries : West Wing (Maison Blanche en français) et Commander in chief (dont je ne sais si elle a été diffusée en France). Toutes deux traitent du même sujet : la vie à la Maison Blanche. La première raconte celle d'un Président qui découvre en cours de mandat qu'il est atteint de sclérose en plaque (souvenirs, souvenirs…). La seconde celle d'une vice-présidente choisie pour rallier les voix des femmes devenue Présidente à la suite du décès du Président, contre le gré de celui-ci et de son entourage (elle est femme et indépendante, il était républicain, à moins que ce ne soit démocrate, ce n'est pas très clair dans les premiers épisodes…).

Ces deux séries donnent une image trépidante de la vie des Présidents. Leur agenda est en permanence rempli, ils interviennent sur tout et rien, les situations potentiellement catastrophiques sont légion, ils prennent des décisions (toujours difficiles, naturellement) et sont en permanence accompagnés de leur "chief of staff", de leur porte-parole et de leur spécialiste de sondage (une femme sourde dans Maison Blanche, un beau jeune homme dans Commander in chief). Les porte-parole sont dans les deux séries, des jeunes femmes, choisies pas spécialement jolies mais très efficaces (ce qui est sans doute un signe adressé aux femmes qui travaillent : elles sont en permanence stressées, n'ont pas de vie sentimentale qui vaille la peine et pas vraiment le temps de se faire belles. Un message subliminal pour les femmes cadres?).

L'image que les médias nous renvoient de Nicolas Sarkozy en hyperprésident est exactement celle que ces deux séries donnent de leur personnage principal. D'où deux hypothèses :
- les journalistes de télévision ont tant vu de séries télévisées qu'ils présentent l'actualité au travers de leurs yeux de téléspectateur : il faudrait une analyse des cadrages, du rythme des reportages… pour le vérifier,
- Nicolas Sarkozy a pris modèle sur ces deux séries.

Je préfère cette seconde hypothèse. Ne serait-ce que parce que l'on voit mal les journalistes inventer l'emploi du temps démentiel d'un Président qui a choisi, à l'image de ces modèles, de gérer par la présence.

Son agenda, au sens d'emploi du temps, est plein au point qu'on a le sentiment d'ubiquité : il est partout à la fois, il intervient sur tout, au risque d'affaiblir son Premier ministre. Son projet de conférence de presse régulière est directement empruntée à Commander in chief. Tout comme l'ouverture que l'on trouve dans les deux séries. Dans la dernière saison de Maison Blanche le nouveau Président élu choisit comme Ministre des affaires étrangères son rival malencontreux. Dans Commander in chief, la Président consulte et collabore très régulièrement avec son principal adversaire et son cabinet est composé de gens qui ne sont pas de ses amis politiques.

Naturellement, l'ouverture réelle est un peu plus compliquée que celle imaginée par les scénaristes. On l'a peu souligné, mais la première proposition de Jack Lang, supprimer le poste de Premier ministre, avait tout pour plaire à François Fillon qui a déjà du mal à exister par lui-même.

Qu'un Président puisse prendre modèle sur la télévision est bien dans l'air du temps. Ces séries télévisées sont intelligentes, bien faites, bien construites et sont, pour beaucoup, une bonne occasion de réfléchir au fonctionnement du pouvoir. Comme tout se passe aux Etats-Unis (et qu'on ne manque pas une occasion de nous le rappeler), elles incitent à penser ce fonctionnement dans le cadre des institutions américaines que beaucoup d'Européens vont finir par mieux connaître que leurs propres institutions : je n'irai pas jusqu'à recommander à Balladur, Lang et alii de les voir en boucle pour construire leurs propositions de réforme constitutionnelle, mais… cela les aiderait à trouver les solutions que leur Président attend.

Comme ces séries sont intelligentes et fines, elles construisent et imposent un modèle de dirigeant auprès desquels les "vrais", ceux qui occupent les palais officiels, font pâle figure. Ce n'est pas à Blair, Chirac ou Mitterrand que Nicolas Sarkozy doit aujourd'hui se mesurer mais à Bartlett (le Pésident de West Wing) et à Mackenzie Allen (la Présidente de Commander in chief). Ce n'est pas forcément facile…

dimanche, juillet 08, 2007

L'ouverture à gauche de N.Sarkozy forcera-t-elle la gauche à se rénover?

On imagine assez bien Nicolas Sarkozy s'amusant de l'affolement des socialistes, de leur empressement à répondre à ses appels à collaboration, on comprend l'agacement des dirigeants du PS et l'incompréhension des électeurs de gauche. Et, cependant, il y a dans ce que l'on appelle ouverture plus que de la manipulation.

Demander à Jack Lang de participer à une commission chargée de travailler sur la réforme des institutions n'est pas qu'un coup : il est légitime et normal que sur un sujet de ce type, l'opposition soit consultée. Les compétences de Jack Lang, sa capacité de travail, son expérience, son imagination ne peuvent que profiter à tous. Sans doute aurait-il mieux valu que cette commission fut parlementaire, mais son existence même serait un progrès.

Proposer Dominique Strauss-Khan pour la direction générale du FMI est habile. C'est mettre de coté l'homme de gauche qui séduit le plus les gens de droite et, en cas d'échec de sa nomination, une manière de l'affaiblir pour longtemps. Mais là encore, ses compétences, son expérience, ses qualités personnelles en font un excellent candidat

Pendant la campagne électorale François Bayrou a réuni 18% des électeurs au premier tour sur son projet de faire travailler les meilleurs des deux camps. Nicolas Sarkozy ne fait pas autre chose. Difficile de le lui reprocher. Cette ouverture devrait contribuer à décrisper les relations politiques.

Est-ce que cela va, comme on l'entend de plus en plus dire, asphyxier la gauche? Peut-être, mais cela devrait surtout l'amener à réfléchir de manière plus approfondie qu'elle n'a fait jusqu'à présent aux institutions, à son rôle, à ce qui la distingue de la droite sur de nombreux sujets. Qu'est-ce qui distingue une action de gauche d'une action de droite dans un pays comme la France où, on le voit bien, les frontières idéologiques se sont déplacées? Quelles sont les lignes d'opposition? de fracture? En d'autres mots, cela pourrait la forcer à faire de ce travail de rénovation dont ses dirigeants parlent tant sans voir qu'ils sont, par construction même, les plus mal placés pour la mener. Dans les années 70, ce n'est pas un cacique de la gauche officielle qui a rénové le parti socialiste d'alors, mais un outsider venu du centre droit : François Mitterrand.

Difficile aujourd'hui de dire qui peut mener ce travail de refondation, mais le recrutement de vedettes du PS par Nicolas Sarkozy pour des tâches qui n'ont rien de honteux (à l'inverse de ce qui s'est passé avec Besson) devrait faciliter le renouvellement des dirigeants. Si Jack Lang et DSK sont occupés ailleurs, d'autres pourront prendre leur place