mardi, septembre 21, 2004

Les vertus de l'immigration

Dans un livre qui vient tout juste de paraître (Plaidoyers pour l'immigration aux éditions Les Points sur les i), je démonte un à un tous les arguments de tous ceux qui mettent des barrages à l'entrée des étrangers qui souhaitent venir travailler chez nous.
Il n'est pas vrai que les immigrés prennent le travail des Français, il n'est pas vrai non plus qu'ils coûtent particulièrement cher à nos systèmes sociaux. Et quant aux difficultés d'intégration, elles relèvent plus du fantasme que d'autre chose : les difficultés, lorsque difficultés il y a, concernent d'abord des jeunes gens nés et élevés ici, des jeunes français, donc, qui sont, par définition, intégrés.
Cette déconstruction du discours anti-immigrés est nécessaire tant il est massif et dominant. Mais au delà, on peut développer toute une série d'arguments qui montrent que nous aurions tout intérêt à laisser nos frontières ouvertes.
Cinq types d'arguments peuvent, je crois, être avancés en ce sens :
Le premier tourne autour de la sécurité. La fermeture des frontières n'empêche pas l'arrivée de travailleurs étrangers, mais elle les force à entrer de manière calndestine, ce qui a trois effets :
- cela conduit au développement de mafias spécialisées dans le passage de frontières. Le chiffre d'affaires de ces mafias, qui ont partie liée avec les trafiquants de drogue et d'armes, est considérable. Et plus le passage des frontières est difficile, plus il progresse,
- elle favorise le développement de la délinquance fiscale (les salariés clandestins travaillent au noir dans des entreprises qui ne les déclarent pas et vendent leurs produits à des commerces qui eux-mêmes ne déclarent pas tous leurs revenus),
- elle entretient tout un secteur qui ne respecte pas les droits sociaux élémentaires et viole en permanence le code du travail.
Laisser les frontières ouvertes ferait immédiatement tomber ces mafias et faciliterait la lutte contre la fraude fiscale et contre les violations répétées du droit du travail. Ce dont nous serions tous bénéficiaires.
Le second argument relève du marché du travail. On sait qu'il fonctionne mal, que les entrepreneurs ne trouvent pas les salariés dont ils ont besoin, que ceux-ci soient qualifiés ou pas : l'ouverture des frontières permettrait de piocher dans un marché beaucoup plus vaste et de trouver plus facilement les personnels dont on a besoin.
Le troisième argument se situe à la jonction entre marché du travail et marché de l'innovation. Lorsqu'ils sont diplômés, les travailleurs immigrés ont un handicap réel : ils maîtrisent mal la langue, ont des diplômes qui ne sont pas toujours acceptés. Ils doivent donc mettre leurs compétences, leur savoir-faire au service d'activités que des professionnels autochtones négligent. Or, ce sont ces "pas de coté" qui sont à l'origine de la plupart des innovations. Le succès d'Israel dans le domaine des biotechnologies tient, pour beaucoup, à la présence d'un très grand nombre de médecins formés en Russie qui ne peuvent exercer la médecine, faute de maîtriser parfaitement l'hébreu, mais qui peuvent utiliser leurs compétences dans de nouveaux domaines.
Le quatrième argument tient à la création de liens commerciaux avec les pays d'origine. Les immigrés ne coupent pas tout lien avec leur pays d'origine. Ils sont souvent les mieux armés pour créer des relations commerciales entre pays. Lorsque ces pays connaissent un fort développement, comme c'est aujourd'hui le cas de la Chine ou de l'Inde, l'existence de ces liens favorise les relations commerciales et les échanges dont tout le monde profite.
Enfin, et c'est le cinquième argument, l'ouverture des frontières devrait rapidement contribuer à réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres. C'est ce qui s'est produit au début du 19ème siècle, lors de la première phase de mondialisation. C'est ce qui se produirait si l'on ouvrait aujourd'hui les frontières. Deux mécanismes devraient contribuer à cela :
- pour éviter que l'ouverture de nos frontières n'entraîne une trop rapide fuite des bras et des cerveaux, les pays d'origine (et les industriels qui y sont installés!) auront intérêt à réduire les écarts, à augmenter les salaires, à rapprocher les systèmes sociaux (alors qu'aujourd'hui, c'est tout le contraire!),
- l'amélioration des conditions de vie dans les pays de départ favorisera le retour des cerveaux qui pourront contribuer au développement de ces pays.
On le voit de nombreux arguments militent en faveur d'une ouverture aussi complète que possible de nos frontières. S'ils sont aujourd'hui encore peu connus, ils ne sont pas sans rappeler ceux avancés pour justifier la levée des obstacles au commerce des biens.

jeudi, septembre 16, 2004

L'occasion d'un débat sur l'Europe

Les déclarations de Fabius sur l'Europe font couler beaucoup d'encre dans la presse qui insiste en général sur la bataille au sommet du PS (il s'étripe titrait hier le Canadard Enchaîné). A ce titre, elles inquiètent les socialistes, militants et électeurs qui ne voudraient pas que se reproduisent les scènes piteuses du Congrès de Rennes. On peut, cependant, trouver des vertus à ce qui se passe. Pour la première fois, depuis depuis années, nousavons l'occasion d'un vrai débat sur l'Europe. Le fait qu'il oppose des gens apparatenant au même parti, associés à sa direction peut même être une bonne chose si cela incite les uns et les autres à aller au fond des choses. Que Fabius ait fait un calcul "politicien" (quel mot stupide et déplaisant : la politique, ce sont bien évidemment aussi ces calculs qui n'ont rien de nul), c'est probable, mais est-ce si grave? L'important est que les débats organisés à l'occasion de cet échange nous permettent de mieux comprendre les enjeux, de mieux connaître cette constitution qui nous concerne tous.
J'aimerai qu'un journal (Le Monde, Libération…) le texte de cette constitution que je n'ai personnellement vu nulle part, et demande aux uns et aux autres de commenter les articles qui font problème. Ce serait certainement la meilleure manière de nous aider à nous faire une opinion. Ce serait, en un mot, démocratique.

vendredi, septembre 03, 2004

Non, l'anglais n'est pas la langue naturelle du business

Cette formule, l'anglais, langue naturelle du business, a été prononcée il y a deux ou trois ans par le directeur d'une école qui fait profession d'enseigner l'anglais aux hommes d'affaires (le Wall street institute) à l'occasion d'un colloque professionnel. Ce qui surprend, ce n'est pas qu'elle ait été prononcée par un professionnel de l'enseignement de l'anglais (après tout ce slogan n'est pas plus stupide que beaucoup d'autres slogans publicitaires), mais qu'elle n'ait suscité aucune réaction. Tous les participants ont trouvé cela normal, comme si l'anglais était effectivement devenu la langue des affaires, comme si l'on ne pouvait pas faire d'affaires en une autre langue que l'anglais.
On pourrait naturellement comprendre cela en disant que l'anglais a développé un vocabulaire, des concepts qui se prêtent mieux à la négociation commerciale que d'autres langues, un peu comme les informaticiens parlent anglais parce que c'est dans cette langue qu'on été développés les principaux langages informatiques. Mais il ne s'agit pas de cela. Le directeur de cet institut voulait tout simplement dire que l'anglais était devenu la langue des affaires, que l'on ne pouvait pas en faire si on ne le parlait pas. Ce qui est faux et… dangereux.
Dangereux, ce l'est pour au moins quatre motifs :
- l'utilisation de l'anglais (ou de tout autre langue unique) dans les relations de travail donne un avantage déterminant à ceux dont c'est la langue maternelle. A compétences égales, on sera naturellement porté à préférer un anglais, un américain ou un australien à un français, un allemand ou un italien;
- l'utilisation de l'anglais dans les négociations donne un avantage à ceux qui le parlent le mieux, c'est-à-dire à ceux qui le pratiquent depuis l'enfance;
- l'utilisation de l'anglais comme langue de travail favorise l'importation de concepts venus du monde anglo-saxon. C'est vrai dans le monde de la comptabilité (la COB a du intervenir pour rappeler aux entreprises frnaçaises que certains des concepts qu'elles utilisaient n'avaient tout simplement aucun sens dans notre environnement institutionnel). Autre exemple : sous l'influence de la commission européenne, on utilise de plus en plus souvent le mot "client" dans l'administration en lieu et place du mot usager. Il a en français une connotation "commerciale" qu'il n'a pas en anglais où il est utilisé pour décrire les relations entre une profession libérale et son "client" (ce qui suppose un certain degré de confiance que l'on ne trouve pas dans les relations commerciales traditionnelles) ou encore pour décrire une relation dans un système informatique entre un serveur (qui conserve les données et les programmes) et des postes envoient les consignes (les clients. D'où des résistances des salariés qui seraient moins vives si le mot était pris dans son sens originel ;
- enfin, et peut-être même surtout, l'utilisation de l'anglais donne un avantage déterminant aux entreprises culturelles anglo-saxonnes. C'est vrai dans le monde de la chanson, du cinéma mais aussi, et c'est le plus grave, dans celui de l'éducation. Pourquoi aller dans une université allemande ou italienne quand on vous demande de travailler en anglais? Pourquoi se donner la peine de lire Racine ou Goethe quand Shakespeare sera la principale référence culturelle.
La logique qui consiste à privilégier une langue (l'anglais ou toute autre) est dangereuse. Nous gagnerons tous à développer le multilinguisme et à insister pour que se développent des outils de traduction et d'aide au dialogue entre locuteurs d'origine différente.

jeudi, septembre 02, 2004

Quand les droits de propriété limitent notre liberté

Il y a quelques semaines, la télévision a fait un reportage sur les dessous des jeux Olympiques, reportage au cours duquel on a pu voir, de manière incidente, des japonais refoulés des jeux parce qu'ils portaient des t-shirt à une autre marque que celle d'un sponsor. Ils avaient acheté leur billet, cher sans doute, et avaient peut-être fait tout le voyage pour assister à une compétition. Mais les millions de téléspectateur auraient pu voir une marque qui n'avait pas sponsorisée les jeux : on leur a donc demandé de retirer (ou, plutôt, de retourner) leur vêtement.
Ce n'est qu'une anecdote mais qui illustre bien un phénomène que l'on rencontre de plus en plus souvent : celui de l'aliénation de notre liberté (dans le cas présent, celle de nous habiller comme nous l'entendons) pour défendre des intérêts privés.

mercredi, septembre 01, 2004

Le retour de Platon dans la philosophie politique américaine

Platon est de retour aux Etats-Unis. Le Platon que connaissent bien tous les étudiants en philosophie, celui qui critiquait la démocratie qui donne le pouvoir au peuple qui ne peut être philosophe.
Il revient à l'occasion d'un débat sur la démocratie délibérative (Deliberative democracy), un mouvement qui reprend les thèses d'Habermas et milite pour un contrôle renforcé des citoyens sur le gouvernement. Les citoyens, disent en substance ses auteurs, doivent participer plus activement aux choix politiques et, pour cela, il faut que les gouvernants leur donnent la possibilité de débattre des décisions, ce qui suppose qu'ils aient accès aux éléments nécessaires pour arbitrer entre plusieurs politiques. Je citais à l'instant Habermas, ces auteurs pensent, comme le philosophe allemand que le but de la politique est d'obtenir, par la raison, par le dialogue et l'échange d'arguments, l'agrément de tous.
Or, la démocratie délibérative s'est trouvée des adversaires en la personne d'Ilya Somin et, surtout, Richard Posner, le théoricien de l'application du raisonnement économique au droit qui inspire la droite américaine. Dans des textes récents, ces deux auteurs s'en prennent à la démocratie délibérative : elle est, disent-ils, impossible parce que les citoyens sont ignorants.
Il leur est, on le devine, assez facile de multiplier les "preuves" de cette ignorance : il suffit de mettre bout à bout tous ces sondages qui nous montrent que x% des Américains ne connaissent pas le nom de leur Président, ne savent où se situent la France, croient que la terre est plate ou que les bébés naissent dans les choux…
Leur thèse tient en trois points qui reprennent (sans qu'ils les citent) celles de Platon et de Tocqueville, autre critique des régimes démocratiques :
- il est impossible, dans des socités modernes extrêmement complexes, d'organiser un contrôle du gouvernement par les citoyens : ceux-ci sont trop ignorants (ces auteurs parlent plutôt de capacités cognitives limitées, mais c'est bien le même sens);
- organiser des débats approfondis ne peut que mettre en évidence les différences morales profondes entre citoyens, cela ne peut que rompre le consensus sur lequel vit la société;
- enfin, dans une société commerciale, marchande, les citoyens sont pragmatiques, plus intéressés par leur intérêt privé, par les questions concrètes que par les questions d'ordre général. La politique ne les intéresse pas.
Ces positions conduisent Posner à développer une vision aristocratique de la politique comme dans ce texte :"Modern democracy, for reasons of efficiency and feasibility, is representative democracy, which involves a division between rulers and ruled. The rulers are officials who are drawn from—to be realistic—a governing class consisting of ambitious, determined, and charismatic seekers of power, and the role of the citizenry is to vote candidates for officialdom in and out of office on the basis of their perceived leadership qualities and policy preferences. The system exploits the division of labor and resembles the economic market, in which sellers and consumers constitute distinct classes. In the marketplace, the slogan “consumer sovereignty” signifies that the essentially negative power of the consumer—the power not to buy a particular product, a power to choose though not to create—constrains the behavior of sellers despite the vast gulf of knowledge and incentives that separates sellers and consumers. The same relationship exists between politicians and voters." (on peut consulter le texte intégral de cette intervention à l'adresse suivante : http://www.legalaffairs.org/issues/January-February-2004/feature_posner_janfeb04.html
Il ne s'agit bien sûr que de débats entre intellectuels, mais on aurait tort de croire qu'ils jouent un rôle négligeable aux Etats-Unis. Leur influence sur la classe dirigeante y est au moins aussi importante que chez nous.

Quand la police fait bien son travail…

Je ne suis pas de ceux qui chantent volontiers les louanges de la police et des policiers. Je trouve que l'on en fait en général trop, beaucoup trop, et je suis plus prompt à critiquer, à blamer qu'à féliciter. Mais la manière dont la police a su traiter deux affaires récentes qui ont fait beaucoup de bruit mérite les fécilitations. Je fais naturellement allusion à la fausse agression de Marie L. et à l'incendie du centre social juif de Paris. Dans les deux cas, la presse et les politiques ont immédiatement réagi, condamné avec la plus grande vigueur les auteurs de ces actes que l'on n'hésitait pas à désigner du doigt : des jeunes issus de l'immigration dans un cas, des islamistes ou des néo-nazis (c'était moins clair) dans le second. La police aurait pu, comme tout le monde, comme les journalistes, les politiques et l'opinion, se contenter de suivre le mouvement, lancer des coups de filet dans les milieux désignés à la vindicte populaire, arrêter au petit matin, devant les caméras de télévision, quelques barbus mal réveillés qu'on aurait relachés, faute de preuves quelques heures plus tard. Ce faisant, elle n'aurait naturellement trouvé aucun coupable, mais l'on aurait rapidement oublié ces affaires. Ce n'est pas ce qu'elle a fait. Elle a mené l'enquête. Elle l'a fait dans un contexte qui ne devait pas être particulièrement facile, mais elle a travaillé et mis son professionnalisme au service de la recherche de la vérité. Elle a montré en cette occasion qu'elle savait garder son sang-froid et échapper à l'émotion collective. J'imagine que la gravité des faits avait amené les responsables policiers à mettre beaucoup de moyens à la disposition des enquêteurs. Mais c'est rassurant. Cela veut tout simplement dire que la police et la justice peuvent faire correctement leur travail dans des conditions difficiles, que ses personnels peuvent résister à la pression politico-médiatique. Ce qui serait plus rassurant encore, c'est que cette même police trouve les responsables des actes antisémites restés impunis. Et l'on sait que c'est le cas du plus grand nombre.