mardi, octobre 27, 2009

Ostracisme de masse : au tour de la génétique?

Pasca Riché vient de publier dans Rue 89 un très intéressant papier sur l'utilisation de la génétique à droite avec des propos de Hortefeux à propos de l'affaire Sarkozy proprement stupéfiants. Il souligne combien cet appel à la génétique est récurrent à droite (il cite plusieurs propos tout aussi étonnants de Nicolas Sarkozy) et attribue tout cela à l'influence de la nouvelle droite.

Hypothèse plausible. qui fait penser que ces propos s'inscrivent dans une vieille tradition de l'ostracisme de masse qui prend des visages différents selon les périodes mais ne disparait jamais complètement. Cette histoire est certainement très complexe, mais j'imagine que l'on pourrait la réduire a gros traits en ces quelques étapes :
- dans l'antiquité grecque, le climat fabriquait des barbares que l'on pouvait réduire en esclavage avec la meilleure conscience du monde (brutes lorsque nés dans des pays trop froids, mollassons lorsque nés dans des pays trop chauds il leur manquait la faculté délibératrice qui distinguait les grecs)) ;
- plus tard, le sang a permis à l'aristocratie de justifier ses privilèges et sa domination sur un peuple qui manquait justement de ce sang : "bon sang ne saurait mentir" ;
- au XVIIIème siècle, quand les peuples commencent à s'émanciper émerge la notion de race et, avec elle, le racisme qui autorise, au nom de la supériorité de la race blanche, massacres de masse et esclavage ;
- le nazisme a porte un coup mortel au racisme (ce qui ne veut pas dire qu'il ne subsiste pas, mais plus personne n'ose en faire une théorie positive). Le voilà donc remplacé par cette "théorie" des gênes qui permet tout à la fois de justifier les positions acquises (je l'ai dans les gênes), la transmission à ses enfants (ils ont les mêmes gênes) mais aussi de sélectionner au plus tôt (dès le plus jeune âge, à quand des analyses génétiques à la naissance) les individus susceptibles de devenir dangereux et de les traiter (emprisonner, castrer…) avant qu'ils ne passent à l'acte.

On remarquera que dans tous les cas (sauf peut-être dans celui de l'aristocratie) la science est convoquée pour justifier ce qui n'est qu'idéologie.

samedi, octobre 24, 2009

Dynasties politiques

L'affaire Jean Sarkozy a mis l'éclairage sur un phénomène que les politologues connaissent bien, celui des dynasties politiques. On sait que beaucoup de nos politiques sont des enfants de politiques. On pense aux Debré (Michel, Jean-Louis, Bernard), aux Joxe (Louis, Pierre), aux Jeanneney (Jean, Jean-Michel), aux Laurent (Paul, Pierre, Michel) ou aux Seguy au PC, aux Le Pen… le phénomène est fréquent chez nous, mais peut-être plus encore aux Etats-Unis.

Pareto, Mosca, Michels et tous les théoriciens de l'élitisme en ont, en leur temps, parlé. Trois jeunes économistes, Pedro & Ernesto Dal Bó et Jason Snyder, viennent de reprendre le dossier. Ils ont publié, il y a un peu plus de deux ans, un papier, Political dynasties, qui montre, à partir de données américaines, que ces dynasties sont fréquentes dans cette grande démocratie. On pense aux Bush, aux Kennedy, mais il n’y a pas qu’eux, loin s’en faut. Et ils s’interrogent sur les raisons de cela.

On peut avancer plusieurs hypothèses :
- la première est qu’il y aurait dans ces familles des gênes qui rendraient particulièrement aptes à l’exercice de responsabilités politiques. C’est une thèse qui nous était jusqu’à présent un peu étrangère et dont on a pu deviner l’émergence en France ces derniers jours. Il fallait lire les réactions de la presse, je ne parle même pas des politiques, au lendemain de la déclaration télévisée du jeune Jean pour voir combien l’idée était implicite dans de nombreux commentaires admiratifs : c’était "tel père tel fils…” à longueur de colonnes ;
- la seconde est le népotisme pur : la nomination d’un de ses enfants est une manière pour l’élu d’affirmer son pouvoir, de s’imposer face à ses adversaires politiques, c’est une marque de son pouvoir : “je suis élu, je fais ce que je veux” ;
- la troisième est que le pouvoir engendre le pouvoir.

Partant d'une analyse statistique sophistiquée Pedro et Ernesto Dal Bó et Jason Snyder retiennent cette dernière hypothèse : tout se passe comme si les élus construisaient au fil des années un capital, leur nom, leur réseau… qu’ils transmettent à leurs enfants. Plus quelqu’un a de pouvoir, plus il dure dans le pouvoir, plus il y a de chance qu’un de leurs enfants en hérite.

Ce phénomène dynastique choque nos sensibilités démocratiques. Ces trois auteurs montrent cependant qu'il a eu des effets inattendus. Il a notamment contribué à favoriser la montée en puissance des femmes dans la politique. Et, effectivement, beaucoup de femmes politiques sont des héritières. Comme Martine Aubry, Roselyne Bachelot qui a hérité de la circonscription de son père, Françoise de Panafieu, fille de François Missoffe et, bien sûr, Marine Le Pen. 31% des parlementaires femmes américains sont, d'après leurs calculs, des héritiers contre seulement 8% des hommes. Ce qui éclaire d’un jour un peu blême les progrès de la féminisation de la politique.

A l'inverse de ce que le cas Jean Sarkozy pourrait faire penser cela ne permet pas aux héritiers d’entrer dans la carrière plus jeune. Ce qui confirme que cette affaire est exceptionnelle et va bien au delà des pratiques ordinaires.

Ces trois auteurs montrent enfin, et ce n'est pas le moins surprenant, que la tradition dynastique, ce qu’ils appellent le biais dynastique, est plus forte dans le monde politique que dans la plupart des autres professions.

vendredi, octobre 23, 2009

Une faute politique majeure : la réforme de la taxe professionnelle

Si on a aimé l'affaire Jean Sarkozy, on va adorer la réforme de la taxe professionnelle. Car avec la suppression de cet "impôt imbécile", son père prend un risque politique considérable. Telle qu'elle a été conçue, cette réforme va mettre la droite à feu et à sang.

Cette réforme imaginée pour favoriser l'investissement industriel laisse, d'abord, de coté les professions libérales (les 700 000 travailleurs indépendants sous le régime des BNC) qui continueront de payer cette taxe. Médecins, infirmiers libéraux, experts-comptables, géomètres, kinésithérapeutes… il s'agit, pour l'essentiel d'électeurs de la droite qui pourraient très bien se venger lors des prochaines régionales.

Ensuite, et surtout, cette réforme suscite les plus extrêmes réserves (et ce n'est sans doute qu'un euphémisme!) chez les élus locaux, maires, conseillers généraux, régionaux qui savent mieux que quiconque que cette taxe représente 50% des recettes des collectivités territoriales.

L'Etat s'est, naturellement, engagé à compenser par transfert des impôts les recettes perdues Mais qui peut vraiment le croire? Une loi de finance promulguée en 1995 prévoyait de consacrer plus de 17,8 milliards de francs, soit 2, 8 milliards d’€ à la compensation de la taxe professionnelle. Dans la loi de finances pour 2009, cette compensation est passée à 582 millions d'euros, soit cinq fois moins.

Mais il n'y a pas que les montants, il y a aussi les affectations. Les élus territoriaux peuvent à bon droit craindre que l'Etat ne profite de ces transferts pour pousser ses projets qui ne sont pas forcément les leurs (zones franches, quartiers en difficulté…). En un mot, ils peuvent craindre de perdre une partie de leur liberté d'action.

Ils peuvent également craindre la perte d'un outil de négociation important. Lorsqu'une entreprise industrielle veut s'installer, il n'est pas rare qu'elle rencontre des oppositions de tous ceux qui craignent des nuisances. Les maires favorables à ces implantation pouvaient les défendre au nom de l'emploi et des recettes qu'elle pouvaient apporter ("avec la taxe professionnelle que va payer cette entreprise, nous allons pouvoir construire une piscine, réduire les impôts locaux…"). Ce sera impossible avec des transferts venus de l'Etat. D'où, probablement des problèmes d'aménagement du territoire pour les années à venir.

Sur le plan économique, cette réforme n'est pas plus convaincante. Elle repose sur l'idée que des entreprises moins imposées investiraient plus. Mais c'est mal comprendre le fonctionnement des entreprises qui :
- choisissent leurs investissements en fonction de leurs débouchés et non des taux d'imposition,
- savent parfaitement jouer des différentiels entre taux d'imposition. Faut-il le rappeler, dans un groupe international, il suffit de demander à la filiale installée dans un pays à imposition élevée de vendre à un prix faible à une filiale installée dans un pays avec peu d'impôt pour réduire ses bénéfices là où ils sont le plus imposés et les augmenter là où l'Etat est moins gourmand.

mercredi, octobre 21, 2009

"Les commentateurs, ils commentent…"

"Les commentateurs, ils commentent. Moi je suis du côté des acteurs, donc j'agis" (Nicolas Sarkozy à Saint-Dizier, le 20 octobre)

Phrase qui en dit long sur les ambitions de Nicolas Sarkozy : il aimerait rester dans l'histoire comme celui qui a agi, qui a transformé la société française.Mais il n'est pas sûr qu'il réussisse par la faute de la méthode qu'il a choisie.

On le sait, il est en permanence sur le front. C'est à lui qu'il revient d'annoncer toutes les réformes, il intervient sur tous les sujets au risque de lasser. Qui l'écoute encore? qui se souvient de ce qu'il nous disait la semaine dernière sur la jeunesse? sur la réforme des lycées? Ce zapping permanent laisse l'opinion désorientée, sceptique… Mais ce n'est pas le plus grave. A tout prendre à son compte, il retire à ses ministres le bénéfice de leurs efforts, il les démobilisent : pourquoi se donneraient-ils le mal de mener à bien n'importe laquelle de ses réformes dés lors qu'ils n'en tireront aucun bénéfice politique? Et comme cela n'avance pas, il intervient directement dans la gestion des ministères, prend des sanctions à l'égard des hauts fonctionnaires qui ne sont pas assez dociles (hier les préfets, demain qui d'autre?), au risque de rendre impossible toute action suivie. Une réforme, petite ou grande, bien ou mal acceptée de l'opinion, demande de la constance, un travail continu, de longue haleine or c'est ce dont il se prive, leur préférant de longs discours qui lui assurent un passage au journal de 20 heures et de textes soumis au Parlement dans la précipitation, au risque d'être inapplicables.

Peut-être devrait-il relire Henri Fayol qui dénonçait en 1920 dans un rapport d'une extrême férocité toutes les faiblesses de l'administration des PTT et de sa gestion par les politiques. Il y trouverait matière à réflexion. Ce rapport n'est pas à ma connaissance disponible sur internet mais on le trouve dans toutes les bonnes bibliothèques.

lundi, octobre 19, 2009

Petite leçon de vocabulaire

Nos professeurs d'anglais nous mettaient toujours en garde contre les faux-amis, ces mots qui se ressemblent en français et en anglais avec cependant un sens tout à fait différent. L'affaire Jean Sarkozy m'a donné l'occasion d'en découvrir un nouveau que je ne connaissais pas.

Dans un article du Times online sur cette affaire, Charles Bremmer, le correspondant parisien de ce journal, commente un papier du Monde sur le phénomène de cour. Il y parle de "courtiers", ce qui en anglais veut dire "courtisan". Le meme mot veut dire en français "intermédiaire", ce que l'on traduit en anglais par "middleman" ou par "broker". Voilà pour notre faux-ami.

"Courtier" vient manifestement du français "cour". Mais pourquoi diable les britanniques n'ont-il pas emprunté notre "courtisan"? Est-ce que le concept s'est développé dans les deux pays indépendamment? Cela valait bien une recherche dans quelques dictionnaires en ligne.

Le Merriam-Webster date "courtier" du 14ème siècle. Le trésor de la langue française ne donne pas d'occurrence du mot "courtier" antérieure au 19ème siècle, alors que le mot "courtisan" viendrait de "courtisien" (on se rapproche de l'anglais) mot utilisé au 14 ème siècle pour décrire les membres de la cour du pape Clément V. "Courtisan" serait apparu en français au XVème siècle dans un ordonnance de Louis XI.

Mais autre surprise, le féminin de "courtier" est en anglais "courtesan", ce qui est proche de notre "courtisan", alors que "courtisane", qui viendrait de l'italien "cortigiana", a pris chez nous très tôt, dès le 16ème siècle (chez Ronsard), le sens de femme galante.

Autre bizarrerie, les phénomènes de cour semblent être, si l'on en croit Wikipedia, un effet réservé à la France de Louis XIV et à quelques empires ou royaumes exotiques (la Chine, la Turquie…). Comme si la couronne britannique y avait échappé. L'article sur Ann Boleyn semble confirmer cette influence française : "Anne's education in France proved itself in later years, inspiring many new trends among the ladies and courtiers of England."

On s'y perd… délicieusement.

Pour terminer ces quelques vers de Banville, poète bien oublié que seuls les lexicographes lisent encore, que cite leTrésor de la langue française :

Oh! si quelqu'un lisait sous vos regards baissés
Tous les impurs désirs dont vous vous enlacez,
Courtisanes
d'esprit, filles dont le corps chaste
Est comme un champ de fleurs que l'ouragan dévaste!

BANVILLE, Les Cariatides, Les Baisers de pierre, 1842, p. 55.

dimanche, octobre 18, 2009

Comme en Corée du Nord?

Je ne sais pas grand chose de Christian Estrosi, sinon qu'il est ministre de l'industrie, mais l'entendre dire à propos de la visite surprise de Nicolas Sarkozy à Gandrange : "Je crois que ce soir, les seules manifestations qu’il peut y avoir en Moselle, ce sont des manifestations de joie autour d’un gouvernement, autour d’un président de la République qui sait redonner de l’espérance et qui démontre que la France est une grande puissance industrielle qui n’a pas baissé les bras" incite à beaucoup d'indulgence à l'égard de la Corée du Nord et de son groupe dirigeant.

samedi, octobre 17, 2009

Sarkozy(s) : quand le grotesque le dispute à l'insupportable

Je disais ici même il y a quelques jours mon inquiétude pour ces élus UMP obligés de défendre la candidature de Jean Sarkozy à la tête de l'EPAD alors qu'ils n'en pensent pas moins. Cela devient chaque jour un peu plus lourd, un peu plus pénible. Voilà que les mêmes se retrouvent dans l'obligation de concourir à qui sera le plus flagorneur.

Nous avions eu Isabelle Balkany parlant, à propos de ce jeune homme, du "meilleur d'entre nous." Eric Besson en remet une couche dans une interview donnée à Libération : "Ce garçon regorge de talents. Il va vite, très vite. Je prends date avec vous, s’il poursuit en politique, il ira très loin, il n'a pas besoin de grand monde pour le faire. Beaucoup de fées se sont penchées sur son berceau, je l’ai remarqué dès que j’ai fait sa connaissance.

Quand un joueur éclate sur un terrain de foot à 16 ou 17 ans, vous ne vous demandez pas s’il a tous les titres de noblesse, vous ne le laissez pas sur le banc de touche. Lui, son talent est éclatant au sens propre du terme. Je pense qu’il a des ambitions fortes et des atouts."

Et ce qui vaut pour le fils vaut également pour le père dont Jean-François Copé nous disait il y a quelques jours qu'il méritait plus le Nobel de la Paix qu'Obama!!

Réalisent-ils le ridicule de ce qu'ils disent? On ne fait pas pire en Corée du Nord, en Haïti, au Gabon, en Syrie… dans toutes ces dictatures où la violence du pouvoir est telle que l'on ne peut se maintenir en place qu'en léchant les bottes du chef suprême.

Mesurent-ils le mauvais tour qu'ils jouent à ceux qu'ils louent ainsi? Que le jeune Sarkozy soit fort, c'est indiscutable. Il suffit d'avoir vu son interview d'il y a quelques jours sur France 3 pour s'en convaincre. Mais faut-il le lui dire et le lui répéter au risque de casser ce qui pourrait devenir une belle machine politique?

Ont-ils donc à ce point perdu le sens commun qu'ils ne voient pas que ces propos choquent tous les bords, à gauche, bien sûr, mais aussi à droite. Qu'ils mettent, en les tenant, à mal l'un des principes fondateurs de notre société?

vendredi, octobre 16, 2009

Les publicitaires sont des imbéciles

Que les publicitaires soient des imbéciles qui prennent leurs clients pour des crétins et nous prennent, nous, les cibles de leurs publicités, pour des idiots n'est certainement pas un scoop. Je me suis toujours demandé ce que pouvaient penser les patrons de l'industrie automobile, des publicités érotiques censées vendre leurs véhicules. Mais je me suis plus souvent encore demandé par quelle perversion de l'esprit on pouvait espérer vendre à des Français en leur parlant anglais.

Une enquête tout récemment réalisée en Allemagne dont les résultats viennent d'être publiés dans le Spiegel ("Geschmack dreht dich um") montre que j'avais raison de m'interroger. Un quart seulement des personnes interrogées (des Allemands censés mieux parler anglais que les Français) comprennent le sens des publicités. L'article cite notamment des publicités d'Opel (Explore the City limits) et de Youtube (Broadcast yourself). On aimerait avoir une étude comparable en France. Cela nous éviterait bien des lois inutiles et inappliquées.

PS Il y a quelques années, j'ai été amené à animer une réunion de responsables de sociétés informatiques sur l'externalisation de la production informatique que certains appelaient alors "outsourcing". Près de la moitié de la discussion a consisté à chercher à distinguer les deux concepts. De l'art de couper les cheveux en quatre…

mercredi, octobre 14, 2009

Pédophilie, l'invention d'une nouvelle norme

L'un des effets de l'affaire Polanski-Mitterrand aura été de mettre en lumière combien la norme qui fait de la pédophilie l'horreur absolue est récente. Comme on l'a dit et répété à l'envie, et comme la diffusion sur le net d'extraits d'émissions, comme celle d'Apostrophe avec Gabriel Mazneff et Daniel Cohn-Bendit le confirme, jusqu'au début des années 80, la pédophilie n'était pas diabolisée. C'était une perversion parmi beaucoup d'autres. Le retournement semble s'être fait au tout début des années 80. Regarder comment les choses se sont passées peut éclairer la manière dont se construisent les normes sociales. Le processus est manifestement complexe.

A la fin des années 70 et au tout début des années 80 apparaît, dans la foulée du mouvement de libération de l'homosexualité (l'homosexualité cesse d'être un délit en France en juillet 1982 avec la suppression de l'article 332-1 du code pénal) et de levée de la censure sur les production pornographiques (loi de 1975 sur le classement des films X qui lève en réalité toute censure), un mouvement qui tend à dédiaboliser la pédophilie. Quelques écrivains la banalisent dans des livres qui présentent les relations sexuelles entre adultes et enfants avec une certaine complaisance. C'est le cas de Tony Duvert (L'enfant au masculin), de Gabriel Matzneff, mais aussi de Guy Hocquenghem (Les petits garçons, livre qui retrace l'affaire du Coral). Un philosophe, René Schérer, publie un livre (Emile perverti ou des rapports entre l'éducation et la sexualité) qui dénonce l'exclusion du désir dans la relation enseignante. Des psychologues et des éducateurs mettent en avant l'autonomie des enfants.

C'est dans ce contexte que Daniel Cohn-Bendit fait les déclarations qui lui sont aujourd'hui reprochées. Mais il n'est pas le seul. On en trouve de similaires dans d'autres textes et déclarations contemporaines. Dans un livre interview publié en 1983, le psychologue canadien Roch Duval dit, pour s'en offusquer, "l'autre soir, j'ai vu et entendu à la télévision un psychologue reconnu défendre avec opiniâtreté la pédophilie ; il est allé jusqu'à affirmer le plus sérieusement du monde que même les tous jeunes enfants ont "le droit de vivre leur sexualité"." Pour ces éducateurs et psychologues, c'est la liberté des enfants qui est en cause.

Des organisations se mettent en place qui militent pour l'abaissement de la majorité sexuelle à 13 voire 11 ans. Ce faisant, ces organisations radicalisent la revendication du CUARH (Comité d'Urgence Anti-Répression Homosexuelle) qui demande dans son manifeste de 1980 "l'abrogation immédiate de l'alinéa 3 de l'article 331 du code pénal, qui fixe à dix-huit ans l'âge licite pour les relations homosexuelles, alors qu'il est de quinze ans pour les relations hétérosexuelles."

Ce mouvement a une certaine visibilité. Gabriel Matzneff et Cohn-Bendit s'expriment sur le sujet dans les médias, notamment dans les émissions littéraires de Bernard Pivot, mais aussi dans la presse écrite. Plusieurs intellectuels de renom (dont Michel Foucault, Philippe Sollers…) signent en 1977 une pétition demandant l’abrogation de plusieurs articles de la loi sur la majorité sexuelle et la dépénalisation de toutes relations consenties entre adultes et mineurs de moins de quinze ans. La même année, Le Monde publie une lettre ouverte signée de Jack Lang, Bernard Kouchner, Michel Bon, André Glucksman qui prend la défense de trois Français accusés d'avoir eu des relations sexuelles avec des garçons et des filles de 13 et 14 ans. Libération publie, en 1979, une autre pétition en défense d'un certain Gérard R qui vit avec des jeunes filles de 6 à 12 ans. Puis, quelques mois plus tard, une longue lettre de Jacque Dugué dans laquelle on peut lire des phrases qui nous paraissent aujourd'hui intolérables : "Un enfant qui aime un adulte, sait très bien qu'il ne peut pas encore donner, aussi, il comprend et il accepte très bien de recevoir. C'est un acte d'amour. C'est une de ses façons d'aimer et de le prouver. Ce fut le comportement avec moi des quelques garçons que j'ai sodomisés."

C'est l'affaire du Coral en 1982 qui donne un coup d'arrêt à ce mouvement. Le Coral était une petite exploitation agricole du Gard qui accueillait quelques adolescents en grandes difficultés psychologiques dans une structure appliquant les principes de l'antipsychiatrie (voir sur cette affaire, ce papier de Libération : Trois nouvelles inculpations dans l'affaire du lieu de vie Coral). Un de ses jeunes animateurs (il a à l'époque 21 ans) accuse de nombreuses personnalités politiques ou intellectuelles, souvent orientées à gauche, de participer à des orgies avec les adolescents. Les enquêtes de police montrèrent qu'elles étaient innocentes, mais des relations sexuelles "sans violence, ni contrainte" entre les mineurs et les animateurs ont été mises à jour. Plusieurs des animateurs du centre sont condamnés à des peines légères (trois ans de prison avec un ou deux ans de sursis). A l'occasion de cette affaire sont inquiétés des intellectuels, René Schérer et Gabriel Matzneff qui avaient témoigné, en 1979, en faveur de Jacques Dugué, pédophile accusé (faussement, semble-t-il) d'avoir monté un réseau pédophile international.

Pourquoi ce coup d'arrêt? On peut, je crois, avancer plusieurs raisons :
- l'affaire du Coral a, d'abord, considérablement affaibli la thèse du consentement : il s'agissait de très jeunes adolescents psychologiquement fragiles, plusieurs autistes, pour lesquels il est difficile d'avancer qu'ils aient été consentants. Les accusations font état d'un réseau de personnalités, ce qui conforte la thèse d'une exploitation des enfants ;
- le vieillissement de la génération 68, la plus susceptible de porter ces thèses. Au début des années 80, les étudiants de 68 ont une trentaine d'années, sont parents et donc plus sensibles aux risques que peuvent courir leurs propres enfants ;
- la revendication de non-discrimination à l'encontre des parents homosexuels en matière de droit de garde, de visite et d'hébergement de leurs enfants qui venait immédiatement après la dépénalisation a incité la communauté homosexuelle à se démarquer de la revendication pédophile (comment faire avancer cette revendication si, par ailleurs, on entretient le doute sur l'exploitation sexuelle des enfants?) ;
- la dépénalisation de la pornographie invitait à fixer de nouvelles limites. La dépénaliser ne voulait pas dire la supprimer mais seulement en déplacer les frontières. La banalisation de la pornographie s'est faite au nom de la liberté des partenaires consentants : chacun peut vivre comme il l'entend dés lors qu'il ne fait pas de tort à autrui. Le consentement est la pierre angulaire de cette dépénalisation. Ce n'est pas un hasard si le premier argument contre la pédophilie est que les enfants ne peuvent en aucun cas donner leur consentement.

Depuis, la pédophilie n'a pas quitté l'actualité. Elle est devenue l'image même de l'horreur la plus intégrale, à l'occasion de plusieurs affaires qui ont effrayé l'opinion : affaire Dutroux en Belgique, affaire Outreau en France, mais aussi procès des prêtres pédophiles aux Etats-Unis.

Toutes ces affaires ont en commun de réveiller les images :
- de l'ogre qui mange les enfants (les coupables ne sont plus des pervers qui relèvent de la psychiatrie mais des monstres),
- du violeur en série (la plupart des affaires mettent en cause des pédophiles qui ont une longue histoire de violences à l'égard des enfants),
- des mauvais parents qui abandonnent ou, pire encore, vendent leurs enfants,
- et de plus ou moins avérés réseaux internationaux (on retrouve cette idée tant dans l'affaire Dutroux que dans l'affaire Outreau)

Toutes, enfin, gravement en cause des institutions chargées de protéger les enfants : l'école, l'église mais aussi la justice. De toutes ces institutions c'est la justice qui a, avec l'église, payé le prix le plus lourd. Les cas de pédophilie l'ont révèlée incompétente par excès d'insouciance comme en Belgique, ou par excès de brutalité comme en France, incapable de les traiter de manière satisfaisante. L'exaspération de l'opinion, la volonté de répondre à l'émotion populaire ont, par ailleurs, amené les politiques à multiplier les mesures qui, sous couvert de protéger des délinquants sexuels, réduisent les marges de liberté de chacun : textes sur les récidivistes, mesures prises pour s'assurer que demain ils ne recommenceront pas, projets de castration chimique…

L'enjeu de cette nouvelle norme est donc double. Il y a la figure de l'enfant qui est forcément une victime parce qu'il ne peut être consentant, qui n'a pas toute sa raison, a peur de l'adulte, ne sait pas lui dire non. Et celle du criminel dont on doute qu'il puisse être amendable et qu'il faudrait donc maintenir sous contrôle tout au long de sa vie.

mardi, octobre 13, 2009

Jean Sarkozy : une torture pour les responsables de l'UMP

A quoi reconnait-on une mauvaise décision? Aux contorsions que doivent faire ses avocats pour la justifier. A commencer par celui qui l'a prise, comme le souligne Pascal Riché dans cet excellent post. Mais on pense surtout à tous ces élus de l'UMP assez fortunés pour être sollicités par la presse, qui doivent défendre une mesure qui les choque certainement autant que n'importe qui d'autre. Les voilà obligés de dire le contraire de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils jugent justes. Les voilà condamnés à faire des analogies douteuses avec Jean-Christophe Mitterrand ou Claude Chirac (qui l'un et l'autre étaient au cabinet de leur père, ce qui n'est pas la même chose), qui en sont réduits à tresser les louanges d'un garçon dont le seul mérite est de s'être fait élire dans une circonscription tellement acquise à l'UMP qu'une chèvre y gagnerait les élections.

Beaucoup doivent aujourd'hui maudire ce Président qui fait i peu de cas de leur confort moral.

lundi, octobre 12, 2009

Nicolas Sarkozy doit garder Frédéric Mitterrand

Marine Le Pen poursuit son offensive contre F.Mitterrand avec cette fois-ci un petit film auquel celui-ci a participé il y a une dizaine d'années (en lisant un texte d'Albert Camus). Ce faisant, elle renoue avec la plus détestable des pratiques de l'extrême-droite des années 30 : les attaques ad hominem. Ce film n'a rien de choquant même si son script (un petit garçon d'une dizaine d'années veut voir la grosse bite de son copain Rachid et lui offre des bonbons) peut prêter à l'amalgame. Pour certains, cette nouvelle affaire devrait inciter Nicolas Sarkozy à mettre fin de la carrière ministérielle de Frédéric Mitterrand. Il me semble qu'il devrait faire exactement le contraire, le maintenir à son poste et trouver les mots pour condamner ces campagnes de déstabilisation. De son point de vue, il n'a pas grand chose à perdre : le mal auprès de ses électeurs, si mal il y a, est déjà fait. Du notre : nous avons tout à gagner à ce qu'il ne cède pas. Ce serait la meilleure manière d'éviter que se reproduise ce genre de campagne détestable.

dimanche, octobre 11, 2009

Polanski-Mitterrand : l'histoire d'une norme en construction

Les deux affaires Polanski-Mitterrand traitent en réalité du même sujet : de ce qui est acceptable ou pas dans nos comportements sexuels. Que le débat ait été si vif, qu'il ait opposé, front contre front, des gens de génération différente, montre qu'il s'agit de bien autre chose que d'une affaire de politique. Il y avait en jeu, derrière, toute la question de la norme en matière de comportements sexuels.

Celle-ci a profondément changé ces dernières années, comme je l'ai montré dans Pourquoi tant de pornographie sur le net?

La pornographie qui était hier encore interdite, censurée, est devenue objet de consommation courante. L'homosexualité est à ce point acceptée que les politiques ne s'en cachent plus. On parle librement de l'adoption d'enfants par les homosexuels. Les lesbiennes, hier encore invisibles ne se cachent plus.

La nouvelle frontière est devenue l'enfance et ce qui va avec (l'inceste et violence). S'il y a une chose qui est censurée, devenue proprement inadmissible, ce sont les relations entre un adulte et un enfant qui ne peut, dit la nouvelle norme, jamais être consentant, qui est donc forcément forcé, violé.

Cette nouvelle norme ne fait pas vraiment problème, nul ne s'y oppose, sinon peut-être dans la clandestinité. Mais elle est récente, très récente. Et cela a pour conséquence :
- que l'on trouve assez facilement dans les textes littéraires, chez Gide, Proust, Pierre Louys, Montherlant bien plus que chez Frédéric Mitterrand, des allusions à des amours pédophiles,
- que certains qui ont vécu avant que cette norme ne s'impose peuvent avoir tenu (comme Cohn-Bendit ou Frédéric Mitterrand) des propos équivoques.

Ce débat devrait renforcer cette nouvelle norme, contribuer à la rendre plus visible et surtout mieux partagée. Après tout, Polanski, bien loin de se justifier, s'est surtout excusé. Même chose pour Frédéric Mitterrand dont le texte est surtout une longue plainte (qui ne traite pas d'amours pédophiles mais d'amours tarifés qui ne vont jamais sans une certaine violence).

Chaque fois qu'une nouvelle norme émerge, se pose la même question : que faire de ceux qui ont exprimé dans le passé une norme différente? Faut-il les interdire, les censurer?

La question vaut surtout pour les grands textes littéraires. Je doute que l'on expurge Gide ou Proust. Jamais on n'a, à ma connaissance, censuré Aristote pour ses analyses de l'homosexualité présentée dans Politiques (II, 9, 1269b) comme une manière d'éviter le pouvoir des femmes dans les sociétés militaristes. Il en ira de même pour nos écrivains.

Pour les contemporains qui ont tenu des propos équivoques, les choses sont certainement plus compliquées. Ils n'ont d'autre choix que de contribuer à renforcer cette norme par leurs excuses et de s'en faire les meilleurs propagandistes. Au prix d'une mauvaise conscience lourde à porter et de quelques reniements qui ne sont pas sans conséquences : penser que des enfants ne peuvent être consentants, c'est leur enlever un peu de leur liberté et les renvoyer dans cette zone incertaine où les mettait déjà Aristote lorsqu'il leur retirait la faculté délibératrice. Tout le débat sur les valeurs de 1968 dont parle Bayrou porte, en fait, là-dessus.

samedi, octobre 10, 2009

Népotisme

Jean Sarkozy à la tête de l'EPAD? Je m'en suis frotté les yeux, je me suis demandé si ce n'était pas un poisson d'avril. Mais non, cela parait vrai. Le jeune fils du Président (23 ans) va présider un établissement qui, nous explique Le Monde, a réalisé en 2008 un chiffre d'affaires d'1 milliard d'euros et dégageait 350 millions de bénéfices grâce à la commercialisation des mètres carrés de bureaux du quartier d'affaires. Ce qui fait beaucoup d'argent et donne beaucoup de pouvoir. Tant d'argent que l'on se demande s'il n'y a pas derrière cette promotion éclair le désir de contrôler une cagnotte en vue des prochaines élections présidentielles. Mais quels qu'en soient les motifs, cette élection à l'unanimité, vrai fait du prince, ne devrait pas améliorer l'image d'un Président devenu inaudible tant les polémiques qui choquent son électorat de base se multiplient.

Polanski, Mitterand et la pédophilie

La condamnation de la pédophilie paraissait affaire entendue. Elle est devenue objet de débat d'une manière étrange, véhémente, compliquée comme le montre ce dialogue étonnant entre Alain Finkielkraut et Yves Michaud sur France Inter à propos de l'affaire Polanski où l'on entend l'un de nos "imprécateurs" préférés s'interroger sur l'âge auquel on cesse d'être enfant (la jeune fille l'était-elle encore à treize ans…), sur ce qu'est un viol (la jeune fille avait une vie sexuelle active…), sur l'amalgame que l'on peut faire entre Outraux et une soirée un peu arrosée à Hollywood…

L'affaire Mitterrand donne, par ailleurs, l'occasion de réflexions qui tournent de questions voisines, comme dans ce commentaire sur le site d'Art Goldhammer où l'on peut lire ce qui sonne comme une évidence : "there is probably not a colonel in the French army who has not indulged in some questionable sexual escapade abroad. Even the supposedly "puritanical Americans" tend to run wild when serving abroad." et "I have spent enough time in the Third World to know that, for me, the unconscionable thing is the way in which the juxtaposition of wealth and abject poverty at once creates temptations and opportunities and subdues moral compunctions."

Au delà du corporatisme des élites qu'elles révèlent (mais ce n'est pas une surprise), ces affaires jettent un coin dans le consensus sur la pédophilie qui nourrit tant de propositions sur la censure sur internet et l'aggravation des peines. C'est sans doute ce qu'on en retiendra.