mardi, novembre 30, 2004

A propos d'un article du Monde sur Bernard Heidsieck

Le Monde a publié dans son édition datée du 1er décembre 2004 un long papier sur Bernard Heidsieck accompagné d’une note sur l’histoire de la poésie sonore, deux articles qui font (est-ce un hasard?) suite à une émission de deux heures consacrées au même artiste sur France-Culture.
Heidsieck mérite ces hommages, on peut même les trouver tardifs et il y aurait toute raison de se féliciter de cet intérêt s'il n'illustrait une nouvelle fois l'une des énigmes de la vie littéraire contemporaine : l'effacement radical du mouvement lettriste qui plus que tout autre a contribué à faire de la poésie phonétique (et donc de cette poésie sonore dont se réclame Bernard Heidsieck) un genre à part. Il n’y est pas fait référence une seule fois dans ces deux articles alors que sont cités des tas de gens dont la contribution à ce genre littéraire est inexistante ou au mieux minuscule.
Ce silence est d'autant plus étrange que le fondateur et principal théoricien du mouvement lettriste, Isidore Isou n'est pas un inconnu : il est entré depuis la fin des années 50 dans le Larousse et, dès le début des années 60, les lecteurs du Lagarde et Michard pouvaient faire connaissance avec le lettrisme. De fait, et à quelques exceptions près, on ne parle aujourd'hui du lettrisme que par raccroc, à propos notamment des situationnistes (Guy Debord a fréquenté Isou auquel il a emprunté idées et méthodes et il a appelé son premier mouvement l'ultra-lettrisme). Dans cet article, le mot lettrisme n’est utilisé qu’une seule fois et pour parler d’un « ex-lettriste » : François Dufrêne que les amateurs de peinture connaissent pour sa participation au Nouveau Réalisme. Je précise, et cela ajoute à l'énigme, qu'Isou vit toujours, qu'il a récemment publié un pavé consacré à ce qu'il appelle la "créatique" et que plusieurs de ses disciples (Maurice Lemaitre, Roland Sabatier…) continuent de se démener, de publier des tracts et des revues éphémères.
Ce silence n'est pas de l'ostracisme : Patrick Kékichian, le journaliste du Monde, auteur de ces deux articles sur Heidieck, n’a sans doute aucun désir ou motif de passer sous silence les lettristes, il est plus probable qu'il ignore tout de leur rôle. Ce silence relève, je crois, plutôt de la sociologie des milieux littéraires. Il faut, pour y réussir, remplir quelques conditions. Et il semble qu’Isou et les lettristes qui ont su très vite se faire connaître par le scandale et l’invective n’ont pas su les remplir. Plusieurs facteurs ont probablement joué.
Le sectarisme du groupe lettriste, eux seuls détenaient la vérité, les autres, tous les autres ne pouvaient être que des escrocs ou des faussaires, l'a isolé et a interdit à ses membres de créer les réseaux, les alliances qui leur auraient permis de se faire connaître, de publier, d’exposer. Ce sectarisme qu’Isou a poussé jusqu’à nier l’existence des poèmes phonétiques de ses prédécesseurs a chassé tous ceux, critiques ou universitaires, qui auraient pu, du même geste, construire une carrière et contribuer à le faire connaître.
La philosophie esthétique d'Isou repose sur une théorie de la création artistique, mêlée à un comportement groupusculaire qui a en général attiré autour de lui des gens qui n'avaient que peu d'envergure et ne pouvaient faire carrière que dans son ombre. De fait les plus actifs (Lemaitre, Altman, Sabatier) ont été remarquables plus par leur activisme éditorial que par leur production esthétique,
Les poèmes lettristes se crient plus qu'ils ne se lisent, ce qui se prêtait mal à une diffusion : le mouvement lettriste a été surtout actif dans les années 50 et 60, à une période où les moyens de reproduction mécanique (disques, enregistrements) étaient coûteux et difficiles d'accès. Résultat : on ne dispose aujourd'hui que de peu de témoignages de leur travail.
La désinvolture dont Isou a constamment fait preuve quant à la qualité esthétique des œuvres, les siennes comme celles de ses amis, n’a favorisé ni la création d'un corpus d'oeuvres important (les oeuvres lettristes sont relativement peu nombreuses) ni, surtout, le développement d'un public d'amateurs susceptible d'assister à des spectacles, d'acheter des livres ou des disques. Les lettristes n'ont pas su créer autour d’eux ce climat d'échanges, d'analyse critique qui forme les amateurs. Cette désinvolture est à mettre en relation avec sa démarche plus soucieuse d’affirmer les mécanismes de la création que la production : si une œuvre a été retenue par la postérité, ce n’est pas, à ses yeux, parce qu’elle était belle, mais parce qu’elle était nouvelle, innovante.
Le monde intellectuel a connu bien d'autres mouvements sectaires (le surréalisme, le lacanisme…), la plupart ont réussi à se construire un public, à réunir des gens de qualité, à susciter des oeuvres. Le mouvement lettriste a échoué dans tout cela, alors même qu'une lecture, même rapide, des oeuvres d'Isou, qu’un examen même superficiel de ses interventions dans les domaines de la peinture, de la poésie et de la théorie politique (il a été l'un des premiers théoriciens de la révolte de la jeunesse comme en témoigne son livre, Le Soulèvement de la jeunesse publié en 1949 qui a manifestement inspiré Guy Debord et les situationnistes) montrent qu'il mérite mieux, beaucoup mieux. On a envie de dire : malgré lui…
Pour en savoir plus sur le lettrisme, voir les pages que j'y consacre sur mon site Dissonances

lundi, octobre 04, 2004

Faux amis

Dans un précédent message j'indiquais que l'anglais n'était pas la langue naturelle des affaires, à l'inverse de ce que disait le responsable d'une école de langue et de ce que pensent (ou semblent penser) un nombre croissant de responsables. Je voudrais ici mettre l'accent sur une difficulté rarement soulignée : celle des faux amis. Et je le ferai en prenant trois exemples :
- celui de l'engagement. Il y a quelques semaines, un cabinet américain spécialisé dans les ressources humaines, Towers-Perrin, a publlié une étude dont les résultats indiquaient que 20% des travailleurs français étaient peu "engagés". S'il avait fait l'effort de traduire le mot "engagement" il aurait parlé "d'implication" ce qui n'a pas tout à fait le même sens, est moins fort. Cela aurait évité aux journalistes trop rapides quelques déclarations définitives sur le mal français. Mais je me demande surtout ce que ce même sondage aurait donné si l'on s'était méfié de ce faux-ami (l'engagement est en français un mot fort : on s'engage dans l'armée, dans un parti politique, pour une cause, pas dans son travail!) Peut-être aurait posé des questions plus conformes à l'expérience et à la compréhension des locuteurs français et aurait-on obtenu des résultats différents ;
- celui de client : il ne se passe de semaine qu'un tract de syndicat de fonctionnaires ne dénonce la volonté des pouvoirs publics de privatiser des pans entiers de la fonction publique, de remplacer les usagers par des clients. Cette crainte serait sans doute moins vive si leurs auteurs savaient que ce mot "client" utilisé dans les programmes qualité (et c'est là qu'on le rencontre le plus souvent dans l'administration) ne veut pas dire consommateur comme nous l'entendons (les anglais et les américains ont pour cela le mot "customer") mais usager au sens où l'on parle de client dans une architecture informatique client-serveur;
- et puisque je parle d'informatique, je ne résiste pas au plaisir de me rappeler les très longues et très oiseuses conversations de spécialistes à la recherche de nuances entre l'outsourcing et l'externalisation. Il s'agissait bien évidemment de la même chose, mais dans un cas en anglais et dans l'autre en anglais.

mardi, septembre 21, 2004

Les vertus de l'immigration

Dans un livre qui vient tout juste de paraître (Plaidoyers pour l'immigration aux éditions Les Points sur les i), je démonte un à un tous les arguments de tous ceux qui mettent des barrages à l'entrée des étrangers qui souhaitent venir travailler chez nous.
Il n'est pas vrai que les immigrés prennent le travail des Français, il n'est pas vrai non plus qu'ils coûtent particulièrement cher à nos systèmes sociaux. Et quant aux difficultés d'intégration, elles relèvent plus du fantasme que d'autre chose : les difficultés, lorsque difficultés il y a, concernent d'abord des jeunes gens nés et élevés ici, des jeunes français, donc, qui sont, par définition, intégrés.
Cette déconstruction du discours anti-immigrés est nécessaire tant il est massif et dominant. Mais au delà, on peut développer toute une série d'arguments qui montrent que nous aurions tout intérêt à laisser nos frontières ouvertes.
Cinq types d'arguments peuvent, je crois, être avancés en ce sens :
Le premier tourne autour de la sécurité. La fermeture des frontières n'empêche pas l'arrivée de travailleurs étrangers, mais elle les force à entrer de manière calndestine, ce qui a trois effets :
- cela conduit au développement de mafias spécialisées dans le passage de frontières. Le chiffre d'affaires de ces mafias, qui ont partie liée avec les trafiquants de drogue et d'armes, est considérable. Et plus le passage des frontières est difficile, plus il progresse,
- elle favorise le développement de la délinquance fiscale (les salariés clandestins travaillent au noir dans des entreprises qui ne les déclarent pas et vendent leurs produits à des commerces qui eux-mêmes ne déclarent pas tous leurs revenus),
- elle entretient tout un secteur qui ne respecte pas les droits sociaux élémentaires et viole en permanence le code du travail.
Laisser les frontières ouvertes ferait immédiatement tomber ces mafias et faciliterait la lutte contre la fraude fiscale et contre les violations répétées du droit du travail. Ce dont nous serions tous bénéficiaires.
Le second argument relève du marché du travail. On sait qu'il fonctionne mal, que les entrepreneurs ne trouvent pas les salariés dont ils ont besoin, que ceux-ci soient qualifiés ou pas : l'ouverture des frontières permettrait de piocher dans un marché beaucoup plus vaste et de trouver plus facilement les personnels dont on a besoin.
Le troisième argument se situe à la jonction entre marché du travail et marché de l'innovation. Lorsqu'ils sont diplômés, les travailleurs immigrés ont un handicap réel : ils maîtrisent mal la langue, ont des diplômes qui ne sont pas toujours acceptés. Ils doivent donc mettre leurs compétences, leur savoir-faire au service d'activités que des professionnels autochtones négligent. Or, ce sont ces "pas de coté" qui sont à l'origine de la plupart des innovations. Le succès d'Israel dans le domaine des biotechnologies tient, pour beaucoup, à la présence d'un très grand nombre de médecins formés en Russie qui ne peuvent exercer la médecine, faute de maîtriser parfaitement l'hébreu, mais qui peuvent utiliser leurs compétences dans de nouveaux domaines.
Le quatrième argument tient à la création de liens commerciaux avec les pays d'origine. Les immigrés ne coupent pas tout lien avec leur pays d'origine. Ils sont souvent les mieux armés pour créer des relations commerciales entre pays. Lorsque ces pays connaissent un fort développement, comme c'est aujourd'hui le cas de la Chine ou de l'Inde, l'existence de ces liens favorise les relations commerciales et les échanges dont tout le monde profite.
Enfin, et c'est le cinquième argument, l'ouverture des frontières devrait rapidement contribuer à réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres. C'est ce qui s'est produit au début du 19ème siècle, lors de la première phase de mondialisation. C'est ce qui se produirait si l'on ouvrait aujourd'hui les frontières. Deux mécanismes devraient contribuer à cela :
- pour éviter que l'ouverture de nos frontières n'entraîne une trop rapide fuite des bras et des cerveaux, les pays d'origine (et les industriels qui y sont installés!) auront intérêt à réduire les écarts, à augmenter les salaires, à rapprocher les systèmes sociaux (alors qu'aujourd'hui, c'est tout le contraire!),
- l'amélioration des conditions de vie dans les pays de départ favorisera le retour des cerveaux qui pourront contribuer au développement de ces pays.
On le voit de nombreux arguments militent en faveur d'une ouverture aussi complète que possible de nos frontières. S'ils sont aujourd'hui encore peu connus, ils ne sont pas sans rappeler ceux avancés pour justifier la levée des obstacles au commerce des biens.

jeudi, septembre 16, 2004

L'occasion d'un débat sur l'Europe

Les déclarations de Fabius sur l'Europe font couler beaucoup d'encre dans la presse qui insiste en général sur la bataille au sommet du PS (il s'étripe titrait hier le Canadard Enchaîné). A ce titre, elles inquiètent les socialistes, militants et électeurs qui ne voudraient pas que se reproduisent les scènes piteuses du Congrès de Rennes. On peut, cependant, trouver des vertus à ce qui se passe. Pour la première fois, depuis depuis années, nousavons l'occasion d'un vrai débat sur l'Europe. Le fait qu'il oppose des gens apparatenant au même parti, associés à sa direction peut même être une bonne chose si cela incite les uns et les autres à aller au fond des choses. Que Fabius ait fait un calcul "politicien" (quel mot stupide et déplaisant : la politique, ce sont bien évidemment aussi ces calculs qui n'ont rien de nul), c'est probable, mais est-ce si grave? L'important est que les débats organisés à l'occasion de cet échange nous permettent de mieux comprendre les enjeux, de mieux connaître cette constitution qui nous concerne tous.
J'aimerai qu'un journal (Le Monde, Libération…) le texte de cette constitution que je n'ai personnellement vu nulle part, et demande aux uns et aux autres de commenter les articles qui font problème. Ce serait certainement la meilleure manière de nous aider à nous faire une opinion. Ce serait, en un mot, démocratique.

vendredi, septembre 03, 2004

Non, l'anglais n'est pas la langue naturelle du business

Cette formule, l'anglais, langue naturelle du business, a été prononcée il y a deux ou trois ans par le directeur d'une école qui fait profession d'enseigner l'anglais aux hommes d'affaires (le Wall street institute) à l'occasion d'un colloque professionnel. Ce qui surprend, ce n'est pas qu'elle ait été prononcée par un professionnel de l'enseignement de l'anglais (après tout ce slogan n'est pas plus stupide que beaucoup d'autres slogans publicitaires), mais qu'elle n'ait suscité aucune réaction. Tous les participants ont trouvé cela normal, comme si l'anglais était effectivement devenu la langue des affaires, comme si l'on ne pouvait pas faire d'affaires en une autre langue que l'anglais.
On pourrait naturellement comprendre cela en disant que l'anglais a développé un vocabulaire, des concepts qui se prêtent mieux à la négociation commerciale que d'autres langues, un peu comme les informaticiens parlent anglais parce que c'est dans cette langue qu'on été développés les principaux langages informatiques. Mais il ne s'agit pas de cela. Le directeur de cet institut voulait tout simplement dire que l'anglais était devenu la langue des affaires, que l'on ne pouvait pas en faire si on ne le parlait pas. Ce qui est faux et… dangereux.
Dangereux, ce l'est pour au moins quatre motifs :
- l'utilisation de l'anglais (ou de tout autre langue unique) dans les relations de travail donne un avantage déterminant à ceux dont c'est la langue maternelle. A compétences égales, on sera naturellement porté à préférer un anglais, un américain ou un australien à un français, un allemand ou un italien;
- l'utilisation de l'anglais dans les négociations donne un avantage à ceux qui le parlent le mieux, c'est-à-dire à ceux qui le pratiquent depuis l'enfance;
- l'utilisation de l'anglais comme langue de travail favorise l'importation de concepts venus du monde anglo-saxon. C'est vrai dans le monde de la comptabilité (la COB a du intervenir pour rappeler aux entreprises frnaçaises que certains des concepts qu'elles utilisaient n'avaient tout simplement aucun sens dans notre environnement institutionnel). Autre exemple : sous l'influence de la commission européenne, on utilise de plus en plus souvent le mot "client" dans l'administration en lieu et place du mot usager. Il a en français une connotation "commerciale" qu'il n'a pas en anglais où il est utilisé pour décrire les relations entre une profession libérale et son "client" (ce qui suppose un certain degré de confiance que l'on ne trouve pas dans les relations commerciales traditionnelles) ou encore pour décrire une relation dans un système informatique entre un serveur (qui conserve les données et les programmes) et des postes envoient les consignes (les clients. D'où des résistances des salariés qui seraient moins vives si le mot était pris dans son sens originel ;
- enfin, et peut-être même surtout, l'utilisation de l'anglais donne un avantage déterminant aux entreprises culturelles anglo-saxonnes. C'est vrai dans le monde de la chanson, du cinéma mais aussi, et c'est le plus grave, dans celui de l'éducation. Pourquoi aller dans une université allemande ou italienne quand on vous demande de travailler en anglais? Pourquoi se donner la peine de lire Racine ou Goethe quand Shakespeare sera la principale référence culturelle.
La logique qui consiste à privilégier une langue (l'anglais ou toute autre) est dangereuse. Nous gagnerons tous à développer le multilinguisme et à insister pour que se développent des outils de traduction et d'aide au dialogue entre locuteurs d'origine différente.

jeudi, septembre 02, 2004

Quand les droits de propriété limitent notre liberté

Il y a quelques semaines, la télévision a fait un reportage sur les dessous des jeux Olympiques, reportage au cours duquel on a pu voir, de manière incidente, des japonais refoulés des jeux parce qu'ils portaient des t-shirt à une autre marque que celle d'un sponsor. Ils avaient acheté leur billet, cher sans doute, et avaient peut-être fait tout le voyage pour assister à une compétition. Mais les millions de téléspectateur auraient pu voir une marque qui n'avait pas sponsorisée les jeux : on leur a donc demandé de retirer (ou, plutôt, de retourner) leur vêtement.
Ce n'est qu'une anecdote mais qui illustre bien un phénomène que l'on rencontre de plus en plus souvent : celui de l'aliénation de notre liberté (dans le cas présent, celle de nous habiller comme nous l'entendons) pour défendre des intérêts privés.

mercredi, septembre 01, 2004

Le retour de Platon dans la philosophie politique américaine

Platon est de retour aux Etats-Unis. Le Platon que connaissent bien tous les étudiants en philosophie, celui qui critiquait la démocratie qui donne le pouvoir au peuple qui ne peut être philosophe.
Il revient à l'occasion d'un débat sur la démocratie délibérative (Deliberative democracy), un mouvement qui reprend les thèses d'Habermas et milite pour un contrôle renforcé des citoyens sur le gouvernement. Les citoyens, disent en substance ses auteurs, doivent participer plus activement aux choix politiques et, pour cela, il faut que les gouvernants leur donnent la possibilité de débattre des décisions, ce qui suppose qu'ils aient accès aux éléments nécessaires pour arbitrer entre plusieurs politiques. Je citais à l'instant Habermas, ces auteurs pensent, comme le philosophe allemand que le but de la politique est d'obtenir, par la raison, par le dialogue et l'échange d'arguments, l'agrément de tous.
Or, la démocratie délibérative s'est trouvée des adversaires en la personne d'Ilya Somin et, surtout, Richard Posner, le théoricien de l'application du raisonnement économique au droit qui inspire la droite américaine. Dans des textes récents, ces deux auteurs s'en prennent à la démocratie délibérative : elle est, disent-ils, impossible parce que les citoyens sont ignorants.
Il leur est, on le devine, assez facile de multiplier les "preuves" de cette ignorance : il suffit de mettre bout à bout tous ces sondages qui nous montrent que x% des Américains ne connaissent pas le nom de leur Président, ne savent où se situent la France, croient que la terre est plate ou que les bébés naissent dans les choux…
Leur thèse tient en trois points qui reprennent (sans qu'ils les citent) celles de Platon et de Tocqueville, autre critique des régimes démocratiques :
- il est impossible, dans des socités modernes extrêmement complexes, d'organiser un contrôle du gouvernement par les citoyens : ceux-ci sont trop ignorants (ces auteurs parlent plutôt de capacités cognitives limitées, mais c'est bien le même sens);
- organiser des débats approfondis ne peut que mettre en évidence les différences morales profondes entre citoyens, cela ne peut que rompre le consensus sur lequel vit la société;
- enfin, dans une société commerciale, marchande, les citoyens sont pragmatiques, plus intéressés par leur intérêt privé, par les questions concrètes que par les questions d'ordre général. La politique ne les intéresse pas.
Ces positions conduisent Posner à développer une vision aristocratique de la politique comme dans ce texte :"Modern democracy, for reasons of efficiency and feasibility, is representative democracy, which involves a division between rulers and ruled. The rulers are officials who are drawn from—to be realistic—a governing class consisting of ambitious, determined, and charismatic seekers of power, and the role of the citizenry is to vote candidates for officialdom in and out of office on the basis of their perceived leadership qualities and policy preferences. The system exploits the division of labor and resembles the economic market, in which sellers and consumers constitute distinct classes. In the marketplace, the slogan “consumer sovereignty” signifies that the essentially negative power of the consumer—the power not to buy a particular product, a power to choose though not to create—constrains the behavior of sellers despite the vast gulf of knowledge and incentives that separates sellers and consumers. The same relationship exists between politicians and voters." (on peut consulter le texte intégral de cette intervention à l'adresse suivante : http://www.legalaffairs.org/issues/January-February-2004/feature_posner_janfeb04.html
Il ne s'agit bien sûr que de débats entre intellectuels, mais on aurait tort de croire qu'ils jouent un rôle négligeable aux Etats-Unis. Leur influence sur la classe dirigeante y est au moins aussi importante que chez nous.

Quand la police fait bien son travail…

Je ne suis pas de ceux qui chantent volontiers les louanges de la police et des policiers. Je trouve que l'on en fait en général trop, beaucoup trop, et je suis plus prompt à critiquer, à blamer qu'à féliciter. Mais la manière dont la police a su traiter deux affaires récentes qui ont fait beaucoup de bruit mérite les fécilitations. Je fais naturellement allusion à la fausse agression de Marie L. et à l'incendie du centre social juif de Paris. Dans les deux cas, la presse et les politiques ont immédiatement réagi, condamné avec la plus grande vigueur les auteurs de ces actes que l'on n'hésitait pas à désigner du doigt : des jeunes issus de l'immigration dans un cas, des islamistes ou des néo-nazis (c'était moins clair) dans le second. La police aurait pu, comme tout le monde, comme les journalistes, les politiques et l'opinion, se contenter de suivre le mouvement, lancer des coups de filet dans les milieux désignés à la vindicte populaire, arrêter au petit matin, devant les caméras de télévision, quelques barbus mal réveillés qu'on aurait relachés, faute de preuves quelques heures plus tard. Ce faisant, elle n'aurait naturellement trouvé aucun coupable, mais l'on aurait rapidement oublié ces affaires. Ce n'est pas ce qu'elle a fait. Elle a mené l'enquête. Elle l'a fait dans un contexte qui ne devait pas être particulièrement facile, mais elle a travaillé et mis son professionnalisme au service de la recherche de la vérité. Elle a montré en cette occasion qu'elle savait garder son sang-froid et échapper à l'émotion collective. J'imagine que la gravité des faits avait amené les responsables policiers à mettre beaucoup de moyens à la disposition des enquêteurs. Mais c'est rassurant. Cela veut tout simplement dire que la police et la justice peuvent faire correctement leur travail dans des conditions difficiles, que ses personnels peuvent résister à la pression politico-médiatique. Ce qui serait plus rassurant encore, c'est que cette même police trouve les responsables des actes antisémites restés impunis. Et l'on sait que c'est le cas du plus grand nombre.

dimanche, juillet 25, 2004

Le paradoxe de la productivité

Il y a une vingtaine d'années l'économiste et Prix Nobel Robert Solow a intrigué tout ce que la terre compte d'économistes et agacé tout ce qu'elle compte d'informaticiens en parlant de ce qu'il a appelé le "paradoxe de la productivité". On voit, disait-il en substance, des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques économiques. Il metttait, en somme, le point sur ce que des observateurs proches du terrain (dont moi-même dans une conférence de 1982 pour l'Afcet au titre explicite : Et si la productivité n'était pas au rendez-vous) commençaient à découvrir : il n'est pas certain que l'installation d'ordinateurs dans les entreprises améliore de manière significative leurs performances.
La plupart des auteurs qui se sont intéressés à cette thèse ont tenté de la dénoncer. Une fréquentation régulière du monde de l'informatique, des projets informatiques, me fait depuis longtemps penser qu'il serait plus utile de comprendre en quoi elle peut être juste, ce qui peut, dans les pratiques des professionnels, entraver la croiossance de la productivité qui est bien le principal argument avancé par les entreprises pour justifier de leurs investissements dans le domaine.
Dans la conférence de l'Afcet, dont on peut trouver le texte dans les annales de la conférence bureautique de 1982, j'insistais surtout sur le fait que si les outils permettent des gains de productivité sur certaines fonctions, ils favorisent également le développement de nouvelles fonctions qui consomment du temps et de l'énergie, fonctions dont on se passait parfaitement jusqu'alors. Ce n'était, naturellement, que l'un des aspects du phénomène.
D'autres facteurs peuvent aujourd'hui être avancés :
- l'évolution technologique, d'abord. L'industrie a, dans les années 80, abandonné les solutions propriétaires (développées par un industriel qui maîtrisait à peu près toute la chaine depuis le matériel jusqu'aux logiciels) au profit de solutions ouvertes, comme Unix, qui avaient l'avantage d'ouvrir la concurrence (d'où des baisses de prix rapides), mais l'inconvénient de multiplier les intervenants. Un système informatique est, aujourd'hui, un patchwork qui associe des produits venus d'horizons divers. Or, chacun de ces produits évolue à son rythme et chaque évolution peut être l'occasion d'un retour en arrière (des composants qui communiquaient parfaitement ne communiquent plus…);
- le rythme rapide de l'innvation a une autre conséquence : elle amène les entreprises à investir dans des solutions qui ne sont souvent pas mûres ou qui ne sont pas normalisées. Lorsqu'il est temps de généraliser cette solution, il apparaît que ce n'est pas la bonne, qu'on aurait mieux fait d'en choisir une autre;
- la complexité croissante des systèmes mis en place les rend à peu près incontrôlables. Le taux de projets qui n'aboutissent pas ou qui ne se terminent comme l'avaient imaginé leurs concepteuurs est considérable. L'une des raisons, la principale, peut-être, est l'extrême complexité de ces systèmes que plus personne ne maîtrise. Une autre difficulté vient de ce que la construction de solutions complexes demande du temps, beaucoup de temps, de sorte que lorsque la solution arrive enfin à maturité, elle est tout à la fois obsolète (la technologie a changé) et inadaptée (l'organisation a, elle aussi, évolué);
- la flexibilité des solutions informatiques favorise l'automatisation d'organisations qui ne sont pas performantes. Sous le prétexte que les outils informatiques peuvent se plier à beaucoup de choses, les clients leur demandent d'automatiser leurs pratiques existantes, ce qui a pour effet d'augmenter la complexité et de réduire les gains de productivité potentiels;
- le primat donné à la technologie dans le développement des nouvelles applications. Ce ne sont pas les besoins qui font les produits, mais les capacités, possibilités de la technologie qui amènent des ingénieurs à chercher des marchés pour les solutions qu'ils savent construire. Résultat : on promet des gains de productivité considérables sur des activités à peu près inexistantes (pour ne prendre que ces deux exemples, la PAO devait améliorer la productivité de l'édition d'entreprise sur des fonctions, comme la mise en page, que les secrétariats n'utilisaient pas. De la même manière, les logiciels de planification prétendaient améliorer la productivité d'une fonction que personne ne pratiquait);
- la nature des relations contractuelles. Les contrats signés entre fournisseurs de progiciels et clients sont rédigés de telle manière que les premiers ne sont en rien engagés dans la bonne fin de leur intervention, de sorte que les clients achètent bien souvent des produits qu'ils ne réussissent pas à mettre en oeuvre.
- plus récemment, la globalisation a amené un nouveau phénomène : où qu'ils soient conçus, les produits logiciels sont développés pour le premier marché mondial de l'informatique, c'est-à-dire le marché américain. Résultat, on automatise des fonctions qui n'ont aucun intérêt pour les utilisateurs européens et on laisse de coté des fonctions qui leur seraient utiles (il faut pour s'en rendre regarder dans le détail les progiciels qui nous sont proposés).
De temps à autre, des économistes nous assurent que le praradoxe de la productivité n'est plus qu'un souvenir, je n'en suis pas si sûr.

mardi, juillet 20, 2004

35 heures : allonger la durée de travail ou réduire les salaires?

Doux, Bosch, Mercédés… Les attaques contre les 35 heures (ou la réduction du temps de travail) se multiplient et prennent chaque jour un tournant plus étrange. Ce n'est pas tant la réduction du temps de travail qui parait visée que les salaires. Dans tous les cas, les entreprises négocient et obtiennent (merci la CFDT!) une augmentaion du temps travail sans augmentations de salaires. Ce qui revient à une diminution brute des revenus. C'est bien la première fois depuis longtemps que les entreprises procèdent de la sorte. Tant qu'il y a vait de l'inflation, l'écart entre les augmentations de salaires et l'inflation leur permettait de freiner les hausses salariales. Les gains de productivité, la sous-traitance, l'externalisation ont, dans les années 80 et 90, joué le même rôle. Elles s'en prennent aujourd'hui, directement, aux salaires. Les poliiques qui les soutiennent parlent d'emplois (la réduction du temps de travail détruirait des emplois, disent-ils, sans que l'on sache bien d'où ils sortent un raisonnement que contredisent absolument toutes les études réalisées en France à propos des lois Aubry).
Cette politique est, d'une certaine manière, suicidaire. On sait depuis une éternité (au moins depuis Courcelle-Seneuil qui écrivait au milieu du 19ème siècle) que les réductions de salaires ont des effets économiques désastreux :
- elles réduisent l'incitation à travailler : les salariés n'en feront pas pas plus chez Bosch en 36 heures qu'en 35. L'augmentation du temps de travail sans compensation financière entraînera une chute de la productivité dans les entreprises qui la pratiqueront,
- elles réduisent la propension à consommer : elle inquiète les salariés qui préfèrent l'épargne à la consommation. La manière dont ces allongements du temps de travail sont organisées, avec ces menaces à la délocalisation, ne peuvent que contribuer à inquiéter les salariés. A qui la manière sont les choses se sont passées chez Bosch (menace de délocalisation si les salariés n'acceptent pas de passer de 35 à 36 heures, seuil fixé à 90% pour le vote…) pourrait-elle inspirer confiance?

mercredi, juillet 14, 2004

La tentation américaine

Il y a un phénomène dont on parle peu dans la presse qui mériteraait qu'on s'y attarde : ce que j'appelerai la tentation américaine ou, si l'on préfère, le lent mouvement de transfert vers les Etats-Unis des centres de décision d'entreprises européennes ou françaises. Cela concerne surtout des entreprises internationales, basées à Paris, qui ont des filiales, desa ctivités aux Etats-Unis et qui progressivement importent des pratiques américaines, confient des responsabilités de plus en plus importantes à leurs équipes basées aux Etast-Unis, voire même se délocalisent complètement. On se souvient de Jean-Marie-Messier transformant une entreprise vendant de l'eau aux municipalités frnaçaises allant s'installer à New-York. Mais on pourrait citer bien d'autres cas. Parmil les plus récents, il y a Temposoft. Cette société informatique créée à Paris pour développer des logiciels de planification a déplacé il y a quelques mois son siège social à Chicago et s'est du même coup séparée de sa direction française. Temposoft est un cas exceptionnel, mais on pourrait citer ces entreprises dans lesquelles les directions générales se mettent à parler anglais pour ne pas gêner le responsable américain qui ne sait pas le français, ce qui crée cette situation absurde où l'on voit 19 directeurs français baragouiner un mauvais anglais devant un américain qui ne comprend pas un mot sur deux de ce qui lui est dit, mais qui aura retenu de la situation qu'il appartient à une espèce supérieure : si sa langue l'emporte sur les autres, ses méthodes, ses manières de faire et de voir le monde doivent également l'emporter. On voit également des entreprises (françaises et, bien sûr, européennes) transférer leur direction financière, leurs centres de recherche aux Etats-Unis. Et je ne parle pas de ces dirigeants qui, sous couvert de surveiller de plus près leurs filiales américaines s'installent carrément aux Etats-Unis.
Les arguments avancés par les rares observateurs à s'intéresser à ce phénomène (souvent, d'ailleurs, au Medef ou dans les milieux patronaux où on le mesure mieux) insistent sur les effets pervers des charges sociales (que l'on devrait apprendre à appeler des cotisaitons sociales) ou de l'impôt sur le capital. Ce ne sont certainement pas les seules ni même les meilleures raisons. J'en vois trois autres, plus pertinentes :
- la puissance du marché américain, infiniment plus important que n'importe lequel des marchés européens et, au moins en apparence, plus facile : on n'y parle qu'une langue, les effets frontières ont disparu. Témoignage de cettte puissance : des entreprises européennes comme SAP, autre spécialiste de l'informatique, créent d'abord des produits pour leurs consommateurs américains qu'ils adaptent ensuite à leurs clients dans le reste du monde. Ce faisant, ils se font les alliés, les fourriers d'une sorte d'impérialisme industriel (ce que l'on appelle globalisation n'est souvent que cela) qui ne peut que leur faire du tort;
- la richesse du marché du travail américain sur lequel on peut trouver facilement des collaborateurs de qualité,
- la puissance d'attraction des Etats-Unis et de la société américaine. S'il est difficile pour un directeur des ressources humaines d'envoyer au Japon ou en Allemagne un jeune collaborateur, il est beaucoup plus facile de l'envoyer aux Etats-Unis, pays qui malgré tous ses défauts et toutes les critiques qu'il suscite continue de fasciner.
Ces dévéloppement sont naturellement inquiétants : l'installation des centers de décision aux Etats-Unis est à terme synonyme de délocalisations, de dégradation de la qualité des produits (conçus aux normes américaines qui ne conviennent pas forcément aux consommateurs européens) de perte d'influence des consommateurs européens, de baisse de la valeur sur le marché du travail des européens (comment un italien peut-il faire concurrence à un anglophone de naissance dans une entreprise où l'anglais devient la langue officielle?).
L'Europe pourrait sans doute contribuer à lutter contre ce phénomène. C'est ce qu'elle fait lorsqu'elle favorise la création de sociétés européennes. Il faudrait aller plus vite dans cette direction.

lundi, juin 28, 2004

L'industrie pharmaceutique bientôt dans la tourmente?

Au moment où l'on parle à l'Assemblée Nationale d'une réforme de l'assurance maladie qui ne dit rien ou à peu près de l'industrie du médicament et de son impact sur les coûts, le salut nous viendra peut-être des Etats-Unis, de la justice américaine qui semble avoir engagé une épreuve de force avec les grands laboratoires pharmaceutiques. Plusieurs procès devraient dans les mois qui viennent ternir leur image et souligner ce que leurs méthodes de marketing coûtent à la collectivité. Un chiffre devrait notamment faire mal : celui qui montre que cette industrie dépense deux fois plus en marketing qu'en recherche. Ce qui se comprend mieux lorsque l'on sait qu'elle n'hésite pas à payer les médecins pour qu'ils prescrivent les médicaments qu'elle fabrique. Les sommes sont parait-il rondelettes (on parle de plusieurs milliers de dollars par an pour les médecins qui acceptent de signer des contrats d'exclusivité!). Plusieurs laboratoires sont aujourd'hui sur la sellette, notamment Schering-Plough qui fabrique des médicaments contre l'hépatite C mais aussi Pfizer qui a payé le mois dernier une amende de 430 millions de $, AstraZeneca qui a payé l'année dernière une amende de 355 millions de $ et TAP qui en a payé en 2001 une de 875 millions de $. Plus que leur montant, ces amendes ne sont que peu de choses dans les budgets de ces entreprises, c'est le tort fait à la réputation de ces entreprises qui pourrait moraliser un marché dont tous les malades souffrent partout dans le monde, en Europe comme aux Etats-Unis (où l'on voit les entreprises réviser les unes derrière les autres les plans santé qu'elles fournissent à leurs salariés pour en réduire le coût).
A suivre, donc…

jeudi, juin 24, 2004

EDF, les nationalisations et la sécurité sur les aéroports

Le débat sur le changement de statut d'EDF a pris une étrange tournure. La nationalisation ne trouve que peu d'avocats et ceux qui tentent l'aventure sont, et c'est un euphémisme, gênés aux entournures. C'est dommage, car les nationalisations ne sont pas forcément une sottise. On en a eu un exemple tout récent aux Etats-Unis où l'on a vu l'administration Bush, qui n'est pas vraiment gauchiste, nationaliser la sécruité dans les aéroports. Et cette expérience mérite qu'on s'y attarde un instant.
Le 12 septembre 2001, les Américains ont découvert que la sécurité de leurs aéroports était quasi inexistante. Depuis des années les experts tiraient la sonnette d'alarme et annonçaient des catastrophes (parfois même de manière étrangement prémonitoire), mais personne ne les écoutait.
A l'origine de cette débacle, il y a la dérégulation du transport aérien. On a alors confié aux compagnies aériennes, dont ce n'est certainement pas la première priorité, le soin de gérer la sécurité dans les aéroports. Pour réduire les coûts, elles se sont adressées à des sous-traitants, des sociétés d'intérim qui payaient mal leurs collaborateurs, ne les formaient pas et ne les contrôlaient guère plus.
Si l'administration s'est résolue à nationaliser cette activité, c'est que la nationalisation présente quatre avantages :
- elle permet de créer une agence spécialisée dans la sécruité, agence dont c'est le seul et l'unique travail. Pas question, pour elle, donc, de distraire une partie de ses ressources pour investir dans d'autres activités,
- elle facilite la coordination entre les services de sécurité des différents aéropports. Tous obéissant à la même hiérarchie utilisent les mêmes normes, peuvent facilement échanger des informations…
- elle facilite le contrôle et le pilotage de la sécurité par les pouvoirs publics (plutôt que d'aller chercher des informations dans des dizaines de sociétés, elles sont réunies dans une seule…) et permet donc de plus rapidement rectifier le tir,
- elle permet enfin d'offrir à des salariés des contrats de plus longue durée ce qui, d'une part, incite à les sélectionner de manière plus attentive et, d'autre part, permet de mieux les former.
On remarquera combien ces arguments sont différents de ceux en général avancés pour justifier les nationalisations. Et l'on peut se demander quel serait l'effet d'une privatisation sur :
- le principe de spécialisation : EDF a déjà été tenté d'investir ailleurs que dans l'énergie, le sera-t-il demain? Et quels en seront les conséquences pour son activité principale?
- la coordination entre les différents acteurs (la normalisation…) : l'exemple du téléphone montre que le marché réduit la coordination (il est aujourd'hui impossible de trouver un anunaire de tous les utilisateurs de mobiles). Qu'en sera-t-il dans le cas d'EDF?
- le contrôle et le pilotage : EDF gère des établissements dangereux. Quel sera l'impact d'une privatisation sur le contrôle de son travail dans le domaine de la sécurité?
- et, enfin, la qualité des personnels. L'exemple des chemins de fer britanniques est inquiétant. On sair qu'ils ont connu plusieurs accidents. Ils viennent de ce que les sociétés privées bénéficiant de monopoles provisoires ont évité d'investir dans la formation des personnels et dans l'entretien des matériels.
Un dernier mot à propos des avantages acquis. La dérégulation de la sécurité a permis de réduire tous les avantages qu'avaient pu acquérir les personnels chargés dans les années 70 de la sécurité dans les aéroports américains. La somme de tous ces avantages n'arrivait pas aux 10ème des coûts de la catastrophe des Twin Towers…

mardi, juin 15, 2004

Cofee and cigarettes

C'est un film de Jim Jarmusch. Un film étonnant, tout en noir et blanc, admirablement photographié qui pourrait être une sorte de documentaire de sociologue à la Erwin Goffman, avec des conversations de café, une ou deux personnes devant des tasses, un cendrier, qui bavardent et fument. Rien de plus, quelques scènes de la vie de tous les jours mises bout à bout qui aiguisent le regard et nous apprennent à voir ce que nous ne voyons plus. Un exercice poétique, si le poète est celui qui sait voir ce que nous ne voyons plus.

samedi, juin 12, 2004

Les riches vivent plus longtemps

C'est un phénomène étrange mais que l'on observe un peu partout, dans les pays développés comme dans le Tiers-Monde : les riches vivent plus longtemps que les pauvres. Pöurquoi?
Dans son dernier numéro (celui daté du 7 juin), Forbes, le magazine des millionnaires américains explique, avec cette délicieuse arrogance de ceux qui ne doutent jamais de rien, que c'est parce qu'ils sont plus intelligents ou, plutôt, parce qu'ils ont un QI plus élevé. Comme il s'agit malgrè tout d'un magazine sérieux (ou qui voudrait l'être), Dan Seliogman, l'auteur de ce papier, cite ses sources, un psychologue (Ian Deary) et une sociologue (Linda Gottfredson) qui ont rapproché le QI de la mortallité. Les gens avec un QI faible vivent en moyenne (bien sûr) moins longtemps qui ceux qui ont un QI élevé. Or, comme les riches ont, parait-t-il, un QI plus élevé (toujours en moyenne) que les pauvres, l'explication de leur plus grande longévité est toute trouvée.
Vous me direz : quel est le lien de cause à effet? Mais il est tout simple nous dit Seligman : plus on est intelligent, mieux on suit les prescriptions du médecin et plus on se méfie des comportements dangereux comme le tabac ou l'alcool…
Tout cela, naturellement, ne vaut pas grand chose, mais il ne faut pas fouiller beaucoup pour trouver des explications qui ne valent guère mieux, comme celle donnée tout récemment par Maurice Tubiana dans une interview radiophonique : les pauves vivraient moins longtemps parce qu'ils auraient moins de goût pour la vie!
Heureusement que la lecture de la presse nous remet parfois les pieds sur terre. Dans Libération d'aujourd'hui (daté du 12/06/04), il y a l'interview d'un spécialiste américain, Adam Drewnowski, qui explique que si l'obésité frappe plus les pauvres que les riches (9% de riches obèses à Seattle contre 16% de pauvres), c'est que les repas équilibtés coûtent deux fois plus cher que les repas sucrés qui favroisent le développement de l'obésité. Il suffit de faire de temps en temps son marché pour s'en rendre compte…

PS Cela ne surprendra personne, mais l'auteur de l'article de Forbes est associé à des mouvements dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils incitent à la prudence comme le Human Biodiversity Institute qui prone l'eugénisme.

Le coût des délocalisations

Les délocalisations posent des problèmes qui vont au delà de la perte d'emplois à laquelle on pense spontanément. Que se passe-t-il lorsqu'une entreprise ferme une usine en France ou en Allemagne pour l'installer ailleurs en Europe?
Elle crée du chômage dans le pays dans lequel elle était installé. Et pour peu que les salariés n'aient guère de chance de trouver un nouvel emploi (parce que le bassin d'emploi est sinistré, pârce qu'ils sont trop âgés, parcequ'ils ont des compétences qui n'ont que peu de valeur sur le marché du travail), la délocalisation se traduit par des coûts supplémentaiires pour la collectivité : ce sont les salariés et les entreprises restées en France ou en Allemagne qui vont financer, en versant leurs cotisations chômage, une partie des coûts liés à la délocalisation.
Pour peu que ces licenciements s'accompagnent d'ujne dégradation de la santé de plusieurs de ses victimes, ce qui est souvent le cas, la collectivité (entreprises et salariés restés en France) devra financer ces coûts.
Les délocalisations ont donc un coût pour la collectivité qui perd les emplois qui va au delà de la seule destruction de ces emplois.
On peut supposer que l'entreprise qui délocalise sa production le fait pour être plus compétitive, ce qui peut profiter à ses clients et à ses actionnaires. Pour que cela profite à ses clients, il faut qu'elle transforme les économies réalisées sur ses coûts de production en baisse des prix. Quant aux bénéfices qu'en tirent ses actionnaires, ils ne sont intéressants pour le pays qui a perdu des emplois que s'ils sont réinvestis d'une manière ou d'une autre dans son économie. Si ce n'est pas le cas, le solde est négatif.
Les délocalisations étant appelées à se multiplier, les pays apppelés à en souffrir doivent trouver le moyen d'en réduire l'impact sur l'économie. Non pas de les interdire, ce qui n'aurait pas de sens (certaines délocalisations sont utiles), mais de faire en sorte qu'ils n'en aient à supporter que le coîut le plus faible. Une solution serait sans doute d'indexer les cotisaitons payées par les entreprises aux coûts que leurs politiques induisent pour la collectivité, un peu à l'image de ce qui se fait pour les accidents du travail.

mardi, juin 08, 2004

Madame Edouard

C'est un film belge, belge comme les bandes dessinées auxquelles il ressemble : l'intrigue est un peu faible, les personnages n'ont qu'une profondeur toute relative, mais tout le plaisir est dans la fantaisie du récit, ses invraisemblances et dans l'humour des détails (ah! ce belge (il en a l'accent) qui a installé un porte-saucisses sur ses bretelles!). Les comédiens se sont amusés et ils nous font partager leur plaisir. Un petit bonheur en ces temps de canicule…

L'usine Lu de Ris-Orangis va-t-elle fermer?

Je viens de lire un petit livre tout à fait passionnant dont je recommande la lecture à tous ceux qui s'intéressent aux questions sociales, aux délocalisations et aux multinationales : "Les biscuits de la colère", un livre publié aux éditions Les Points sur les i (http://www.i-editions.com). Ce livre regroupe vingt interviews de salariés qui se battent depuis trois ans contre la fermeture de leur usine qui fabrique à Ris-Orangis des Pepito. On y découvre comment un groupe réputé social traite ses salariés et, surtout, ce que représente un plan social qualifié par ses auteurs de modèle du genre pour ceux qui le vivent.
On y apprend aussi comment un groupe peut licencier alors qu'il fait des bénéfices pour délocaliser en République tchèque, là où les salaires des ouvriers sont de six fois inféieurs et ceux des cadres de 10 à 20 fois inférieurs (le directeur financier de l'usine thcèque de Danone ne perçoit que 4900F par mois) à ceux pratiqués en France.
Ce livre montre aussi comment une guérilla judiciaire bien menée peut faire reculer un groupe industriel puissant et metter à mal une stratégie qui devait lui permettre d'améliorer sa productivité.
Tout comme Wilvorde a marquéé une étape dans le combat social, les Lu de Ris Orangis promettent d'en marquer une nouvelle par les batailles juridiques qu'ils ont gagnées :
- une première décision du tribunal a forcé Danone à recruter en CDI des intérimaires présents dans l'entreprise depuis dix ans ;
- une seconde décision a interdit à Lu de vider l'usine de ses machines, ce qui évite qu'un jugement favorable aux ouvriers se révèle sans effet : comment reprendre le traavil s'il n'y a pas de machine?)
Je le répète : un livre passionnant qui nous en apprend beaucoup sur la qualité des produits, sur les stratégies des entreprises multinationales et sur les nouvelles formes de conflits sociaux.

jeudi, juin 03, 2004

Blogs…

Depuis que j'ai créé ce blog, que j'ai pris goût à y venir une fois tous les deux ou trois jours pour y glisser une idée, une réflexion, un peu comme une de ces notes que l'on griffonne sur des bouts de papier avant de les jeter quelques jours plus tard, depuis, donc que j'ai créé ce blog, j'en visite régulièrement d'autres. Et toujours avec la même suprise amusée. Les journalistes s'y sont mis en nombre (j'en ai trouvé qui écrivent dans Libération, pour le Monde Diplomatique, pour la presse américaine), quelques journaux leur laissent même la possibilité de les éditer sur leur site web (comme une nouvelle forme d'opinion plus légère). C'est un bonheur sans cesse renouvelé, une mine d'informations (qu'il faudrait sans doute vérifier, mais qu'importe : on ne vérifie pas tout ce que nous disent nos amis), une sorte de conversation décousue que l'on mènerait à sa guise. Un vrai bonheur…

mardi, juin 01, 2004

Sarkozy et l'ouverture des magasins le dimanche

On me demandait, il y a quelques jours, ce que je pensais de la politique économique de Nicolas Sarkozy et si elle pouvait l'aider à grimper les marches de l'Elysée. J'ai l'impression que toute sa politique consiste à naviguer entre ses ambitions et les contraintes de la situation économique. En bon politique, il asure que le retour de la croissance est à rechercher du coté d'une relance de la consommation. Les syndicalistes ne disent pas autre chose. Mais en ami du Medef et des chefs d'entreprise, qui feront le gros de ses électeurs, il lui est difficile de proposer une augmentation des salaires. Il tente donc de relancer la consommation en tirant sur le bas de laine des français oou, pour dire les choses de manière plus convenable, en agissant sur une épargne jugée trop important (16% du revenu brut). C'est ce que visent toutes les mesures prises ces dernières semaines (annonce d'une ouverture des magasins le week-end, mesure qui permet de transférer à ses enfants ou petits enfants 20 000€…). C'est déjà ce que visaient les baisses d'impôts. On satisfait Neuilly sans désespérer Billancourt. Mais est-ce que cela peut marcher? Pas sûr! pas sûr!
Trois facteurs me font penser que ce pari a peu de chance d'être gagné :
- les difficultés économiques, le chômage qui ne recule pas incitent à la prudence les consommateurs,
- la réforme des retraites de Balladur dont on n'a pas mesuré les conséquences en termes de revenus commence à toucher les premières générations de retraités et incite ceux qui travaillent à se préparer,
- "l'équivalence ricardienne", enfin : on sait que dans les pays en fort déficit, les agents économiques ont tendance à augmenter leur épargne, comme s'ils anticipaient les hausses d'impôts pour réduire le déficit.
On le voit, les raisons de douter du pari de Sarkozy ne sont pas minces…
Pour en savoir plus : http://www.Bernardgirard.com

lundi, mai 24, 2004

Troy

Ne cherchez pas Homère dans ce film long, long, long, long… Si long qu'on a le temps de penser à autre chose, au restaurant dans lequel on ira diner en sortant de la salle, à la lessive qu'il ne faudra pas oublier d'acheter à Monoprix… Pour le reste, anachronismes et erreurs y sont trop nombreux pour ne pas être volontaires. Seul moment amusant : lorsque l'un des personnages (Ulysse?) explique qu'à ne plus avoir d'ennemis à craindre, on risque le pire. Allusion à l'actualité de dialoguistes qui ne se sont pas trop fatigués : tous les dialogues tiennent en quatre ou cinq feuillets. La salle était pleine!

Ma mère de Christophe Honoré

Si vous souhaitez voir un film dérangeant, allez donc voir Ma mère de Christophe Honoré. Mais si vous avez aimé le texte éponyme de Georges Bataille, vous serez déçu. Il n'y a dans ce film maladroit, déplaisant, violent et proprement obscène qu'une scène qui rappelle le livre de Bataille, celle de la toute fin, mais traitée si mal que l'on y reconnait à peine son modèle. Dommage!

vendredi, mai 21, 2004

Torture en Irak

Il faut lire la presse et la relire pour découvrir que ce que l'on découvre on le savait déjà. Exemple : les tortures en Irak. J'ai eu la curiosité de chercher un peu dans la litétrature et j'ai découvert qu'à la fin de 2002 et en 2003, toute une série d'intellectuels américains se sont intéressés à la torture, ont tenté de la justifier, donnant par la même aux fonctionnaires du Pentagone les fondements moraux dont ils avaient besoin pour autoriser le développement de ce que l'on appelle avec euphémisme dans la presse "stress and duress"