vendredi, avril 30, 2010

Soirée lettriste à Montréal

A l'occasion de la prochaine sortie d'un livre que je viens d'écrire sur le lettrisme, Lettrisme, l'ultime avant-garde, j'ai donné il y a deux jours une conférence à la librairie Olivieri de Montréal. Une cinquantaine de personnes étaient présentes, pour assister à cette manifestation animée par Michel Pierssens, un spécialiste de littérature qui enseigne à l'Université de Montréal, qui avait eu la bonne idée de demander à deux de ses collègues, Gilles Dupuis et Karim Larose, de l'accompagner.



L'annonce de la manifestation dans Le Devoir

Pour qui a assisté à des manifestations lettristes à Paris dans les années 60, l'atmosphère était étrangement studieuse et calme : pas de cris, pas de chahut, pas de protestations, juste quelques sourires et des carnets de notes qui se remplissaient.

Cette manifestation m'a permis de faire découvrir des poèmes phonétiques d'Isou, Spacagna et Dufrêne, un poème ciselant de Lemaître lu par l'excellente et très talentueuse Marie-Thérèse Richol, des poèmes ultra-lettristes de Wolman et Dufrêne, de montrer des peintures d'Isou, Lemaitre, Altmann, Wolman, Sabatier, Spacagna, de présenter les deux grands romans métagraphiques d'Isou et Pomerand, de dire un mot des idées politiques d'Isou et de présenter son Traité de bave et d'éternité et les Hurlement en faveur de Sade de Debord.

La présence de spécialistes québécois a également permis de découvrir les liens que j'ignorais entre les lettristes parisiens, un écrivain d'avant-garde québécois qui a lui aussi pratiqué des langues imaginaires, Claude Gauvreau, et un situationniste québécois, Patrick Straram.

La librairie avait fait très bien les choses, avec une vitrine pleine d'ouvrages lettristes prétés par Monique Pourtalés, une artiste installée à Qébec qui a bien connu Isou dans les années 70.

Le public dans la librairie



Bernard Girard, Michel Pierssens et Gilles Dupuis


Karim Larose lisant un texte de Claude Gauvreau

J'avais envie d'ajouter que nous avons terminé la soirée en dînant dans le bistrot de la librairie, mais cela aurait vraiment trop fait article de complaisance dans un journal de province…

samedi, avril 24, 2010

Sarkozy n'est pas condamné


Nicolas Sarkozy est si bas dans les sondages, si attaqué de toutes parts, il lui reste si peu d'amis, qu'il est intéressant de s'interroger sur ce qu'il a accompli, ce qui restera de ce quinquennat s'il ne se  représente pas. On a envie de dire peu de choses, mais l'exemple de Giscard invite à la prudence. Lui aussi est parti détesté et, pourtant,  qui peut dire qu'il n'a pas contribué à sa manière à la modernisation de la France, qu'il a pris acte de 1968, ce que n'avait pas fait son prédécesseur. 

Au delà des réformes ratées, à une ou deux exceptions près ( dont celle de l'université), Nicolas Sarkozy aura à sa manière, paradoxale, contribué à la modernisation de la France : il a pris acte de ce que nous étions une société diverse, complexe, il a donné sa chance à des enfants de l'immigration, il les a mis sur le podium. On peut critiquer les choix des personnes, juger que Rachida Dati n'avait ni l'expérience nécessaire ni un poids politique suffisant pour devenir garde des sceaux, reste que sa présence a témoigné, mieux que bien des discours, de la place prise dans notre société par les enfants de l'immigration. Même chose pour les missions confiées à Rama Yade et Fadela Amara. Il aura, de la même manière, contribué à dédramatiser notre vie politique. On peut, à juste titre, lui reprocher sa pratique du pouvoir, reste que l'ouverture si critiquée et si criticable quand elle l'a conduit à nommer des ministres de gauche, issus de la gauche la plus détestée à droite, la "gauche caviar", a été positive quand elle l'a amené à nommer Didier Migaud à la Cour des Compte. Il est sain dans une démocratie apaisée que des gens venus de l'opposition occupent des positions importantes dans l'appareil d'Etat. 

Autre point positif, son activisme a donné un peu de sang frais à une Europe assoupie et inexistante au plein coeur de la crise et montré que lorsqu'elle avait à sa tête un dirigeant déterminé elle pouvait sortir de l'ornière.

Ces quelques rares réussites peuvent-elles lui permettre de rebondir? Plus personne n'y croit vraiment, ni à droite, dans son électorat, ni dans les médias. On aurait, cependant, tort de le condamner définitivement. Il lui reste de nombreuses ressources. 

La première est, sans doute, l'absence de concurrent solide à droite. Villepin dont on parle tant surfe sur la vague de l'anti-sarkozysme, mais il traîne derrière lui tant de casseroles (de la dissolution ratée à l'affaire Clearstream en passant par ce cabinet noir qu'il dirigeait quand il était à l'Elysée) qu'il aura bien du mal à s'imposer dans une compétition difficile. Juppé est trop timoré pour se lancer dans l'aventure à temps, Morin trop insignifiant, Borloo trop farfelu, Coppé trop vert. On les imagine mieux, les uns et les autres, s'engageant derrière le Président sortant dans l'espoir de devenir son premier ministre. Ils se battront entre eux, mais pour lui.

Il lui reste, par ailleurs, assez de temps pour se réinventer et trouver un langage, des thèmes qui lui permettent de se ressaisir. Ses envolées sur la sécurité sont probablement à coté de la plaque, mais une analyse plus fine du vote populaire en faveur du Front National pourrait l'amener à développer une thématique protectionniste qui lui rallierait cet électorat qui se soucie plus de l'emploi que de la sécurité ou de l'immigration. Cette thématique est difficile à manier, elle le mettrait en porte-à-faux vis-à-vis de ses amis du CAC40, de l'Europe et de tout ce qui est moderne et ouvert au monde en France, mais elle lui permettrait de rallier cet électorat volatile et les retraités, seniors, artisans et professions libérales qui l'ont élu. 

La présidence du G20 en 2011 pourrait lui donner l'occasion de traiter de ces questions avec un peu de hauteur au meilleur moment. Henri Guaino devrait savoir lui trousser quelques discours à la Villepin sur la finance ou le commerce international qui le réconcilient avec le sentiment national plus sûrement que les débats imbéciles sur le drapeau, la burqa ou l'identité nationale.

Son impopularité est d'autant plus grande que nous sommes au coeur de la crise, mais tous les signaux passent actuellement à l'orange : la croissance a repris dans les pays émergents, aux Etats-Unis. Pour peu qu'elle reprenne en France avant les prochaines élections présidentielles et que le chômage recule un peu, il pourra se vanter d'avoir su protéger les Français au plus fort de la crise et d'en avoir sorti la France. Sa courbe de popularité pourrait retrouver un peu de vigueur.

Beaucoup dépend, enfin, de la gauche. Elle a aujourd'hui le vent en poupe. Mais avec des primaires dangereuses et trois ou quatre candidats au premier tour (NPA, Front de gauche, Europe Ecologie, PS) qui n'auront de cesse de se faire des croche-pieds, elle pourrait bien se prendre une nouvelle fois les pieds dans le tapis et lui donner l'occasion de se présenter comme un rempart contre l'instabilité et la confusion. 

Le jeu est beaucoup plus ouvert que le disent les sondages actuels.

mercredi, avril 21, 2010

Il y a des avions pour Christine Lagarde, pas pour les autres…

Libération nous l'apprend : alors que toute l'Europe est bloquée, que 100 000 Français sont coincés aux quatre coins du monde dans des situations souvent précaires (on parle de Français forcés de faire la manche à New-York pour payer un taxi!), Christine Lagarde trouve un avion militaire pour rentrer de Madrid, ville qui, s'y j'ai bonne mémoire, est reliée à Paris tous les jours par des trains qui, s'ils mettent un peu de temps, circulent sans encombre…

Je suis sûr que notre ministre avait des choses très urgentes à faire à Paris. Mais des milliers de gens avaient certainement des choses tout aussi urgentes à faire dont on ne s'est pas vraiment préoccupé.

Ce n'est rien, presque rien, juste de quoi mettre en colère tous ceux qui galèrent. On s'étonne parfois de l'impopularité de ce gouvernement. Il fait tout pour!

lundi, avril 19, 2010

Avions renifleurs, le retour

Vous vous souvenez de ces "avions renifleurs" qui ont fait tant de tort à Giscard d'Estaing à la fin de sa présidence? La même histoire s'est reproduite ces dernières années aux Etats-Unis avec pour victimes, non plus un Président, mais des banquiers, dont Goldman-Sachs, des spécialistes du venture capital, dont Kleiner Perkins, et des industriels du pétrole. A l'origine de cette nouvelle affaire que raconte Fortune dans son dernier numéro, affaire qui a coûté à ses victimes des millions de dollars, un ex-ingénieur de la NASA, Erlend Olson, charismatique fondateur d'une entreprise appelée Terralliance, un algorithme qui lui aurait permis de détecter depuis des avions ou des satellites équipés de capteurs spéciaux des champs de pétrole et… beaucoup de culot. Soit, exactement, mais dans une version américaine l'affaire des avions renifleurs.

L'article montre combien des gens supposés compétents (rappelons qu'il y a eu parmi ses victimes des spécialistes de l'exploration pétrolière) peuvent se laisser entraîner dans des projets sans vérifier quoi que ce soit. Ils ne comprenaient manifestement rien à la technologie que Erlend Olson disait avoir inventée, mais comment l'avouer lorsqu'on a déjà investi des centaines de milliers, voire des millions de dollars? Cette incompréhension des technologies mises en oeuvre est somme toute assez banale, elle était déjà à l'oeuvre dans la crise financière : combien de fois l'a-t-on en effet expliquée par l'incapacité des dirigeants des grandes banques à comprendre les outils et concepts utilisés par ceux de leurs collaborateurs qui travaillent sur les produits nouveaux?

dimanche, avril 18, 2010

Est-ce le poisson qui pourrit par la tête ou la démocratie qui progresse?

Thierry Desjardins, essayiste, polémiste de cette droite traditionnelle qui reproche à Nicolas Sarkozy sa vulgarité, signale dans son blog la dérive de nos élites :  "Cette semaine, écrit-il, nous avons eu droit à un général condamné à dix mois de prison (avec sursis) pour détention d’images pédo-pornographiques, à une préfète arrêtée pour avoir barboté du mobilier (national) dans sa propre préfecture et à une députée dont on a levé l’immunité parlementaire parce qu’elle aurait piqué 700.000 euros dans la caisse du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sans parler de Charles Pasqua dont la condamnation à dix-huit mois de prison (avec sursis, lui aussi) pour l’affaire du casino d’Annemasse (faux, abus de confiance, etc.) a été confirmée par la Cour de cassation." "Ce n’est pas, ajoute-t-il, la première fois qu’un parlementaire est poursuivi pour détournement de fonds publics. Mais jusqu’à présent on n’avait jamais vu d’officiers généraux ou de membres du corps préfectoral traînés devant les tribunaux." "Le poisson, conclut-il, pourrit par la tête."

A le lire, et parce que j'aime bien le contredire, je me me dis que s'il a, en apparence, un peu raison, il a probablement tort sur le fond. Non que regarder des images pédopornographiques, s'approprier le mobilier national ou détourner de l'argent soient des pratiques insignifiantes qui mériteraient notre onction. Mais qui dit que les élites se comportaient autrement hier ou avant-hier? Elles n'étaient probablement guère plus vertueuses, mais étaient mieux protégées de la curiosité et les tribunaux plus prudents. Les magistrats savaient, lorsque nécessaire, se censurer. Si un préfet détournait quelques meubles de sa résidence, son successeur se gardait bien de porter l'affaire devant la justice, se contentant de le raconter à ses collègues et amis sur le ton de la confidence graveleuse.  Quant aux gendarmes! Auraient-ils hier mis dans l'embarras un général de la carrure de Germanos?


Ces affaires qui désolent tant Desjardins témoignent en réalité des changements de notre société, du progrès des valeurs démocratiques et de la plus grande efficacité du contrôle des citoyens sur les dirigeants. Nos institutions se sont démocratisées, elles ne respectent plus autant les élites et n'hésitent à leur appliquer la loi commune lorsqu'elles franchissent les clous. Bizarre, paradoxal, pénible? Sans doute. Mais plutôt sain, non?






vendredi, avril 16, 2010

Descente aux enfers

Rarement Président sera tombé aussi bas. Voilà que l'on évoque l'hypothèse d'une 22 avril 2002 à l'envers avec une droite éliminée du second tour au profit du Front National, ce qui conduirait à un combats entre Martine (Aubry) et Marine (Le Pen). Hypothèse folle qui en dit long sur l'état de déliquescence de l'équipe en place. Plus rien ne fonctionne. Aucune des intuitions de Nicolas Sarkozy n'est en phase avec l'opinion. Le débat sur l'identité nationale s'est révélé un fiasco insensé. La gestion des suites de Xynthia se révèle être une nouvelle catastrophe. La gestion du dossier des retraites pourrait être pire encore.

Que peut-il faire? Se taire, peut-être. Prendre du recul, laisser ses ministres prendre des coups à sa place, se concentrer sur des dossiers d'avenir et sur l'international. Demander à ses conseillers de se taire, signer un armistice avec Villepin, faire entrer Copé au gouvernement et épuiser Juppé de missions menées en partenariat avec Rocard.

Tout changer en somme.

Cela fait beaucoup et cela lui ressemble tellement peu…

jeudi, avril 15, 2010

La puissance d'un tabou


Le Monde et Libération ont publié hier deux articles sur des affaires passées devant le tribunal qui témoignent de la puissance de l'interdit sur la pédophilie qui s'est mis en place ces vingt dernières années alors même que la pornographie sortait de l'ombre pour devenir une "activité culturelle" juste un peu plus sulfureuse que d'autres.

La première concerne un général, Raymond Germanos, ancien chef du cabinet militaire de deux ministres (Alain Richard et Charles Millon), un homme à la carrière impeccable, homme public puisqu'il a dirigé le Service d'information et de relations publiques des armées. On lui reproche d'avoir téléchargé et consulté 3400 photos pédophiles mettant en scène des enfants de six mois à 12 ans. Pour se justifier et s'expliquer (à lui-même comme au tribunal) ce comportement, il avance la maladie, une tumeur au cerveau dont il a été opéré qui aurait levé ses inhibitions. Il est condamné à 10 mois avec sursis.

La seconde de ces affaires concerne un homme marié de 60 ans, père de deux enfants, bien sous tous rapports, accusé d'avoir téléchargé et collectionné 2 millions d'images  pédopornographiques. Cet homme ne se cherche pas d'excuses, il dit sa honte, raconte avoir éprouvé du soulagement lorsque les policiers l'ont arrêté. Il est condamné à un an de prison avec sursis.

Ces affaires sont remarquables à plusieurs titres : ces deux hommes très ordinaires, bons pères, bons voisins, bons amis, ne sont jamais passés à l'acte, ils se sont contentés de regarder et de collectionner des photos. C'est pour cela qu'on les condamne. Aurait-on, au moment de la prohibition de la pornographie condamné des gens pour possessions d'ouvrages pornographiques? Probablement pas. Libération précise, d'ailleurs, que ces deux condamnations sont liées à une loi de 2007 qui punit la "consultation habituelle" (plus de deux fois). C'est l'imaginaire que l'on condamne et lui seul, ce qui n'est pas… banal. On n'en est pas à arrêter des gens qui ont des fantasmes pédophiles, mais c'est sans doute qu'on est incapable de les identifier. 

La constitution de ces collections extravagantes n'a été possible que parce qu'Internet facilite l'accès à ces images. Même si elles sont clandestines sur le net (on ne les trouve pas sur les sites pornographiques ordinaires), il est apparemment possible d'y accéder sans appartenir à un réseau spécialisé, ce qui n'était pas le cas avant l'invention du net. Ce qui favorise probablement le développement de comportements de ce type.

Ces deux hommes sont manifestement victimes de troubles compulsifs, ce sont, au sens propre, des collectionneurs fous. Et l'on peut se demander s'ils ne sont pas plus victimes d'une forme de dépendance que vraiment pédophiles. Dépendance qui est probablement double :  à des images pédophiles mais aussi à l'internet (l'homme de soixante ans dit avoir passé devant son écran trois à quatre heures par nuit toutes les nuits et avoir dépensé un demi-smic par mois pour satisfaire son besoin). Le tribunal a d'ailleurs imposé à l'un de ces deux "collectionneurs" une obligation de soins.

Ces deux hommes éprouvent une formidable honte et personne, ni les magistrats qui les jugent ni les journalistes qui relatent les audiences ne semblent en douter. Ce n'est pas si fréquent. En ce sens l'action en justice peut les libérer de leur dépendance et se révéler utile pour eux sinon pour la société. 

Nos sociétés bougent en permanence, nos comportements évoluent sans cesse. Mais je ne me souviens pas d'avoir vu la mise en place d'un tabou aussi puissant. Nous avions plutôt l'habitude de voir les interdits se défaire, là, c'est tout le contraire. Les dispositifs mis en place sont d'une redoutable force. Ils touchent aussi bien les institutions (la justice, la police) que les consciences. Il semble bien, d'ailleurs, qu'il y ait un lien avec la libération de la pornographie ordinaire. Tous les combats en faveur de celle-ci ont été menés au nom du droit des adultes consentants de se comporter comme ils l'entendent, ce qui exclut naturellement les enfants : ce ne sont pas des adultes et on ne peut pas imaginer qu'ils soient consentants. Le tabou de la pédophilie pourrait donc bien n'être que le revers de la levée de l'interdit sur la pornographie.

On pourrait, naturellement, se demander si arrêter et de condamner les consommateurs d'images pédophiles est bien la meilleure manière de lutter contre la pédophilie? C'est un peu comme si pour lutter contre l'alcoolisme, on condamnait les buveurs invétérés. Il serait certainement plus utile de s'en prendre aux réseaux qui fabriquent et font circuler ces images et d'arrêter leurs organisateurs et financiers. Mais peut-être se protègent-ils mieux que leurs clients et est-il plus difficile de les attraper. Ce n'est en tout cas pas le moment de poser ce type de questions. J'ai l'impression que celui qui s'y essaierait ne recueillerait au mieux que l'incompréhension.

vendredi, avril 09, 2010

Réformes : pourquoi tant d'échecs?

Il est un peu tôt pour tirer un bilan des réformes de Nicolas Sarkozy, mais dans ce moment un peu particulier où l'on voit sa majorité détricoter ce qu'il a entrepris (ce qui, soit dit en passant est une première. C'est la droite qui avait entrepris de défaire les réformes du premier septennat de François Mitterrand, pas la gauche), on peut se demander ce qu'il en restera. Probablement pas grand chose. 

Non qu'il soit impossible de réformer la France, comme ceux qui échouent à le faire ont si facilement tendance à l'affirmer. Il suffit de regarder autour de nous. Michel Rocard, Martine Aubry et même Nicolas Sarkozy ont réussi quelques réformes. Je pense aux 35 heures. Il fallait du courage, de l'audace et du talent pour amener les entreprises à modifier si profondément leur organisation. Martine Aubry a su le faire en mêlant fermeté, habileté (les entreprises qui anticipaient le passage aux 35 heures bénéficiaient de baisses de leurs cotisations sociales) et intelligence pratique : c'était aux partenaires sociaux de négocier dans les entreprises, là où les questions se posent. Je pense également aux mesures prises pour lutter contre la vitesse sur la route, mesures efficaces que l'on peut attribuer à Nicolas Sarkozy. Il a su, là, concilier, fermeté (des sanctions pour les contrevenants) et une politique de communication qui a su convaincre les automobilistes, même les plus réticents, de la nécessité de lutter contre la vitesse. Je pense encore à la manière dont Michel Rocard a su inventer et mettre en place la CSG en conciliant le sens de la justice et le renvoi à plus tard de ce que cette réforme pouvait avoir de douloureux. Mais des réformes récentes (de la culture des résultats dans la police à la taxe carbone en passant par la réforme territoriale), il ne restera sans doute à peu près rien. Seules échapperont peut-être au désastre, la réforme des universités parce qu'elle répond à une attente d'une partie des acteurs et leur donne une certaine autonomie, l'introduction de la diversité au gouvernement qui s'est faire de manière brouillonne mais sur laquelle il sera difficile de revenir, et l'ouverture : autant les nominations de gens venus de la gauche au gouvernement étaient absurdes, autant la nomination à des postes de responsabilité (Cour des Comptes…) de gens venus de l'opposition est, dans une démocratie, le minimum.

Pourquoi, donc, tant d'échecs alors que Nicolas Sarkozy avait une majorité politique et une opinion plutôt favorable au changement. Trois facteurs expliquent, je crois, ses échecs :

- la confusion entre l'action et la législation. Il ne suffit pas de voter des lois pour que celles-ci soient appliquées. Il faut réfléchir à la manière de les mettre en oeuvre et susciter l'adhésion chez ceux qui seront amenés à les appliquer au quotidien. C'est sans doute ce qui fera le succès de la réforme de l'Université : les Présidents et leurs conseils d'administration ont commencé de prendre les choses en main. C'est ce qui n'a pas été fait pour les autres réformes. L'une des raisons de l'échec de Sarkozy est son instrumentalisation du Parlement. La loi sur la burqa en est un nouvel exemple : à quoi bon faire voter une loi dont chacun sait bien qu'elle sera inapplicable?

- le sentiment d'injustice. Il n'y a pas de réforme qui ne se fasse au dépens de quelques uns. Encore faut-il que ceux-là acceptent les sacrifices qu'on leur demande. Ils les acceptent d'autant plus volontiers qu'ils sont plus isolés et plus convaincus, comme citoyens, de la nécessité de changer. Une réforme n'a de chance d'aboutir que si elle améliore, d'une manière ou d'une autre, la situation d'une majorité. Qu'une réforme paraisse injuste et elle trouvera vite une majorité contre elle. Le bouclier fiscal, modèle même de la mesure injuste, a fait un immense tort à la volonté de réforme de Nicolas Sarkozy ;

- le trop plein. Nicolas Sarkozy avait théorisé sa volonté d'agir vite et de tout réformer à la fois. Il a ouvert tant de chantiers que tout se retourne aujourd'hui contre lui. Plutôt que de bâtir les réformes à venir sur des succès, comme semble en passe de le faire Barack Obama, il a pris le risque de voir se coaguler les oppositions, un seul échec dans un domaine suffisant à renforcer les opposants à ses projets dans tous les autres.  

De tous ces échecs, c'est le ratage de l'introduction de la culture du résultat dans la police qui me parait le plus gênant. Tout simplement parce qu'il va rendre plus difficile l'introduction dans la fonction publique de méthodes de management modernes nécessaires pour introduire de nouvelles réformes. Tout partait pourtant d'une bonne idée : il faut pouvoir mesurer le travail des fonctionnaires comme on mesure celui des salariés du privé. A ceci près qu'il aurait fallu regarder d'un peu plus près les difficultés du secteur privé en la matière et la spécificité du secteur public qui échappe à la concurrence. C'est là-dessus qu'il aurait fallu travailler, non pas pour mettre en concurrence des commissariats ou des lycées, ce qui n'a pas beaucoup de sens, mais pour donner à leurs responsables des éléments pour se comparer et s'améliorer mutuellement. Il aurait fallu se souvenir que les entreprises qui sont en concurrence savent aussi se rapprocher pour partager leurs meilleures pratiques. Des comparaisons entre commissariats ou lycées auraient permis à leurs responsables d'aller piocher chez leurs collègues ce qu'ils font de mieux. En lieu et place de cela (que l'on aurait pu mettre en oeuvre de différentes manières) on a fixé des objectifs chiffrés, comme si les fonctionnaires étaient des commerciaux. 

mercredi, avril 07, 2010

Des espions à la recherche d'une rumeur!

Une rumeur court sur les amours adultères du Président et de son épouse. Elle est reprise par la presse étrangère, fait le tour des rédactions, des dîners en ville puis s'essouffle faute de combustible. Tout aurait pu en rester là. Mais non, l'Elysée décide de faire un exemple, les services secrets sont convoqués, le parquet, des magistrats, des policiers sont mobilisés, il faut absolument retrouver celui qui l'a imaginée, ceux qui l'ont propagée… On se croirait dans un roman policier, c'est la réalité.

On espérait les plus hautes autorités de l'Etat penchées sur le chômage, l'insécurité ou les déficits publics. Mais non, elles sont toutes entières occupées à venger l'honneur du Président et de son épouse! Comme elles étaient, il y a quelques mois, toutes occupées à trouver un emploi pour le fils du Président. Lorsque l'on parlait, autrefois, de l'Etat RPR, on voulait dire qu'il avait été accaparé par une clique, un parti. Il est aujourd'hui au service d'un homme, de son épouse, de ses fils…

Les économistes ont si bien imposé leur modèle rationnel et individualiste à la réflexion politique qu'on en avait presque oublié combien la production de social est complexe. Cette affaire nous le rappelle : la fiction produit aussi des effets dans le réel. 

dimanche, avril 04, 2010

Les prêtres pédophiles se sont-ils confessés?

Difficile en ce dimanche de Pâques tandis que les Eglises sont, une fois n'est pas coutume, pleines, s'interroger sur la tourmente qui affole l'église catholique depuis quelques mois. La presse, les spécialistes s'interrogent sur le rôle de Benoit XVI et sur celui de son prédécesseur dans l'enfouissement de ces affaires. Les journalistes multiplient les révélations les plus extravagantes : on parlait hier d'un prêtre qui avait violenté 20 enfants, voilà qu'un cardinal aurait abusé de plus de 2000 mineurs. Les prêtres tentent de manière follement maladroite de se défendre. Les fidèles partent ou se rebellent contre les critiques, allant jusqu'à prendre des positions d'une violence indigne comme on peut le voir sur internet dans les réactions aux articles de la presse (comme dans le courrier des lecteurs en commentaire de cet article de Jean-Michel Bouguereau dans le Nouvel Observateur).

Je me pose pour ma part une autre question : il y a dans les églises chrétiennes une tradition de la confession. Les prêtres prononcent un voeu de chasteté. Abuser d'un enfant, avoir des aventures hétéro ou homosexuelles, comme c'est le cas, semble-t-il, de beaucoup, c'est rompre ce voeu. Pour des hommes qui ont choisi de mener une vie de clerc, ce doit être particulièrement troublant, cela doit susciter une très grande mauvaise conscience, au moins les premières fois. Or, l'Eglise a une institution spécialement désignée pour régler cette mauvaise conscience : la confession. Elle était, autrefois, nécessaire pour pouvoir communier. "Avant la Communion, il appartient aux prêtres d’inviter les fidèles à la confession individuelle des péchésJanis Pujats, archevêque de Riga, en Lettonie, dans son intervention au synodee meilleur endroit pour la confession des fidèles est le confessionnal, placé dans l’église et doté d’une grille fixe entre le confesseur et le pénitent. Dans la mesure du possible, les prêtres doivent créer les conditions pour que les fidèles accèdent au sacrement de Pénitence. En effet, si les hommes vivent et meurent dans le péché, tout autre effort pastoral est vain." Les prêtres ne sont pas dispensés de cette obligation. Eux aussi se confessent. Et on peut penser qu'un certain nombre d'entre eux ont avoué, lors de leurs confessions, ce penchant, leur passage à l'acte.

Si tel est bien le cas, comment l'institution a-t-elle pu si longtemps ignorer, garder secrètes les dérives de certains de ses membres, non pas quelques brebis galeuses, comme on voudrait aujourd'hui nous faire croire, mais des dizaines et des dizaines?

Derrière cette question, s'en cache une autre. Dans son exhortation apostolique post-synodale prononcée en Jean-Paul II disait : "la confession individuelle et intégrale des péchés avec absolution également individuelle constitue l'unique moyen ordinaire qui permet au fidèle, conscient de péché grave, d'être réconcilié avec Dieu et avec l'Eglise. De cette confirmation nouvelle de l'enseignement de l'Eglise il ressort clairement que tout péché grave doit être toujours avoué, avec ses circonstances déterminantes, dans une confession individuelle." Il ajoutait :  "Pour conduire les autres sur la voie de la perfection chrétienne, le ministre de la Pénitence doit le premier parcourir lui-même ce chemin et donner - plus par des actes que par d'abondants discours - des preuves d'expérience réelle de l'oraison vécue, de pratique des vertus évangéliques théologales et morales, d'obéissance fidèle à la volonté de Dieu, d'amour de l'Eglise et de docilité à son Magistère."

N'est-ce pas, au delà du scandale, le fondement même de la relation du fidèle et de l'Eglise qui est avec ces affaires menacé?

Ban the Burqa, suite sur France 24

J'étais il y a quelques jours de nouveau invité à débattre sur France 24 de la burqa avec cette fois une élue belge, Anne-Marie Lizin, personnalité haute en couleur, sympathique mais aussi sulfureuse, contestée au sein de son parti dont elle a été exclue, et Laurent Chambon, un jeune sociologue français installé aux Pays-Bas. En même temps que ce débat en anglais, deux autres, l'un en français, l'autre en arabe, étaient diffusés par la même chaîne.

Les arguments des adversaires de cette loi, le jeune sociologue et moi-même sur le plateau anglais, sont maintenant bien connus :
- problèmes juridiques soulevés par le Conseil d'Etat,
- difficultés pratiques d'appliquer ce texte au quotidien,
- stigmatisation d'une partie importante de la population au nom de ses convictions ou (plus souvent) origine religieuse,
- inutilité vu le faible nombre de personnes concernées, quelques centaines au plus,
- il s'agit de gesticulations politiques.

Ceux d'Anne-marie Lizin, qui est tout sauf une sotte, elle a occupé des positions importantes en Belgique, elle enseigne aujourd'hui à Science-Po Paris, sont plus révélateurs. Elle n'a pas caché, en effet, sa volonté de s'attaquer au voile après la burqa, d'étendre ce mouvement à d'autres pays et, notamment à la Grande-Bretagne, et de combattre, au delà de l'Islam, toute expression des croyances religieuses dans l'espace public. Jusqu'à envoyer, si nécessaire, en prison des femmes qui ne se plieraient pas à la loi. Ce qui rappelle un de ses précédents dérapages lorsqu'elle avait qualifié de jeunes belges enfermés à Guantanamo auxquels elle avait rendu visite de "belges entre guillemets", suscitant la colère des organisations anti-racistes.

On peut suivre ce débat en deux parties ici pour la première partie et là pour la seconde.

jeudi, avril 01, 2010

Il faut défendre Google contre les éditeurs!

Gallimard vient donc, après plusieurs autres éditeurs, d'annoncer sa décision d'attaquer en justice Google. Je ne suis ni juriste ni spécialiste de ces questions, juste un auteur qui utilise régulièrement Googlebooks dans son travail, que ces attaques choquent formidablement.
Je sais bien qu'il est en France de bon ton de critiquer Google, nouveau Leviathan, mais comment oublier ce que GoogleBooks, que ces procédures judiciaires menacent, m'apporte chaque jour. Ce service gratuit et, faut-il le rappeler? sans publicité, c'est-à-dire sans revenus pour Google, me donne accès à des milliers d'ouvrages autrement inaccessibles dans plusieurs langues alors que ces éditeurs qui attaquent aujourd'hui Google conservent dans leurs caves des milliers d'ouvrages qu'ils ne rééditeront jamais, qui sont donc à ce titre pour toujours inaccessibles au commun des lecteurs. S'il s'agissait d'espèces en voie de disparition, on parlerait de génocide et des ONG se battraient pour leur protection. C'est la sauvegarde de ce patrimoine culturel qu'a entrepris Google que La Martinière, Gallimard et quelques autres menacent.
Beaucoup de ces ouvrages ainsi menacés sont anciens, mais pas tous. Je cherchais il y a quelques jours dans une grand librairie de Saint-Germain des Près, Ruines de Vienne, un roman de Judith Brouste publié il y a moins de deux mois chez Flammarion dont on m'avait (à juste titre) dit le plus grand bien. Il avait déjà disparu des rayons. Le libraire m'a bien évidemment proposé de le commander, mais qui peut s'en satisfaire? Le taux de rotation des livres dans les librairies est tel que la plupart s'évanouissent quelques semaines à peine après avoir été mis sur le marché.
On me dira qu'il faut protéger les auteurs, qu'ils ont besoin de gagner leur vie. Sans doute. Mais comment oublier que le droit de la propriété intellectuelle a une histoire? Roger Chartier et les historiens du livre nous ont montré combien la notion d'auteur est récente (son nom n'apparaissait pas sur les premiers livres imprimés) et tous les sociologues et théoriciens de la littérature savent combien elle a été, récemment attaquée tant par les marxistes à la Macherey que la par la sociologie américaine (je pense à Howard Becker qui montrait, dans Le monde des arts, combien une oeuvre était une production collective). Et tous les bibliophiles connaissent ces ouvrages des 17ème et 18ème siècles qui reprenaient sans citer leurs sources des textes pris à d'autres.
Un examen plus précis de ce qui se passe vraiment, montrerait à tous nos éditeurs en veine de chicane que jamais il n'a été plus facile, grâce justement à Google, de démasquer les imposteurs qui copient sans les citer d'autres auteurs. J'irai même plus loin : l'un des effets bénéfique d'internet est d'inciter ceux qui écrivent à citer leurs sources de manière plus systématique, ce qui protège bien mieux la propriété intellectuelle des auteurs que tout autre mécanisme.
Quant à la dimension financière! Elle ne peut que faire sourire ces milliers d'auteurs dont les droits sont à ce point minuscules qu'ils leur permettent à peine d'inviter une fois par an leur famille au restaurant. Faut-il, pour protéger les revenus de quelques vedettes, priver l'ensemble du public d'ouvrages édités un jour et condamnés pour l'éternité à pourrir dans de lointains dépôts?
Plutôt que de s'en prendre à Google, le monde de l'édition devrait ouvrir les yeux. Pourquoi un lecteur qui, c'est mon cas, possède plusieurs milliers de livres et en achète plusieurs chaque semaine, fréquente-t-il presque tous les jours GoogleBooks? Pour faire des économies? Non! pour accéder à des textes que le système actuel rend inaccessibles, pire, même, invisibles et pour les consulter avec des outils modernes qui en modifient complètement la lecture. En voulez-vous un exemple? Dans un passage des Illuminations qui évoque le grand Nord et ses baleines, Rimbaud utilise le mot spunk, mot anglais qui veut aussi bien dire sperme que courage. J'ai voulu vérifier si Melville l'utilisait dans Moby Dick. Il m'a suffi de quelques secondes pour découvrir qu'il n'y était pas. Quels outils, nos chicaniers me proposent-ils pour faire la même chose?
Que le modèle de la gratuité de Google pose problème aux éditeurs, je le comprends. Ils font un travail indispensable qui mérite rémunération. Mais justement, plutôt que de s'arcbouter sur un modèle économique dont chacun sent bien qu'il est dépassé, n'auraient-ils pas plutôt intérêt à rechercher un modèle qui réduise considérablement le coût d'accès à leurs produits (car c'est bien ce qu'autorise la technologie) et leur permette en même temps de gagner leur vie. Il suffirait, par exemple, qu'ils incitent Google à faire payer à ses visiteurs, un droit de consultation de leurs livres. Quant aux auteurs qui se plaignaient hier de leurs éditeurs et protestent aujourd'hui contre Google, ils feraient mieux de le consulter un peu plus souvent et de réfléchir à un nouveau modèle économique. Ce n'est certainement pas impossible.
Dans tous les cas de figure, il serait scandaleux que l'avenir de notre culture, la défense et la protection de notre capital intellectuel soient laissées au seul jeu des groupes de pression économique. Les lecteurs que nous sommes ont aussi leur mot à dire. Les chiffres de consultation des sites de Google montrent où vont nos votes. Il doivent, eux aussi, être pris en compte!