dimanche, décembre 25, 2005

Combien de temps dure Noël?

Je passe, ce 25 décembre, vers 16h50 rue Saint-Guillaume. La nuit n'est pas encore tombée, Paris est vide, mais je croise un habitant de cette petite rue qui vient jeter à la poubelle, dans le sac plastique doré de rigueur, son sapin de Noël. Il en est pour qui la fête ne dure pas très longtemps. Il est vrai que ce brave homme n'est plus, depuis longtemps, d'âge à croire au Père Noël.

Le piratage et le juste prix

Alors qu'au Parlement, on se préoccupe beaucoup de téléchargement, on parle moins des motifs pour lesquels on pirate. Or, là est peut-être la réponse aux questions que l'on se pose. J'avancerai deux motifs :
- la disponibilité : on trouve sur internet des choses qu'on ne trouve pas dans le commerce, et on les télécharge parce qu'on n'a pas d'autre manière de se les procurer. L'exemple le plus courant est celui des séries télévisées qui passent aux Etats-Unis et qu'on n'a pas en France ou (autre cas de figure) qu'on ne peut avoir qu'en s'abonnant à Canal Plus, ce qui fait un peu cher pour voir une émission, mais il y a d'autres exemples : Amazon, itunes et tous les distributeurs sur internet font pus de la moitié de leur chiffre d'affaires avec des disques, des livres… qu'on ne trouve pas dans le commerce (Amazon réalise un plus gros chiffre d'affaires avec les livres qui ne sont pas en vente chez Barnes Nobles qu'avec les 130 références que possède le grand libraire américain ;
- le coût trop élevé. Les éditeurs de disques, de films, de livres… vendent aux distributeurs sur internet à des coûts correspondant à leurs prix de vente en gros de leurs produits dans les circuits traditionnels. Apple achèrait les chansons qu'il vend 0,99$, 0,65$. L'objectif est, bien évidemment, déviter une révolte de leurs distributeurs, mais c'est évidemment bien trop cher et n'a aucun rapport avec ce que devrait être le prix d'une chanson prise sur internet.
On sait que les téléchargements pirates sont lents, très lents, prennent beaucoup plus de temps que les téléchargements payants.
Si l'on s'en tient à l'analyse économique, les pirates acceptent de travailler dans de mauvaises conditions (avec un ordinateur dont les performances sont ralenties) pour deux motifs :
- ils ne trouvent pas ailleurs le produit qu'ils recherchent,
- le prix à payer dans le circuit officiel ne compense les coûts qu'il y a à se fournir sur lecircuit parallèle : temps de connexion, ordinateur ralenti, attente du produit.
Le piratage cessera le jour où les producteurs se comporteront autrement qu'en défenseurs du passé.

samedi, décembre 24, 2005

Une exposition à ne pas manquer : Photo de ma photo

Il s'agit d'une exposition de photographie de quelqu'un qui n'a jamais été photographe au sens où tant d'autres ont pu l'être. Maurice Lemaitre dont on pourra début janvier voir un peu plus de 50 ans de photos à la galerie Christian Siret, dans les jardins du Palais-Royal, est plutôt un peintre qui s'est amusé avec la photographie, qui y a gllissé des signes, des lettres, des mots inventés, qui a joué en laboratoire. Le résultat est souvent étonnant et mérite d'être vu. J'ajouterai que ceux qui connaissent un peu l'oeuvre de Maurice Lemaitre, qu'il s'agisse de ses peintures, de ses films ou de ses poèmes phonétiques, letttristes, seront probablement surpris de découvrir que c'est dans cet art "mineur' (mineur pour lui en tout cas) qu'il a donné le meilleur de lui-même. Je ne suis pas certain que Maurice Lemaitre ait, demain, une grande place dans les histoires de l'art (s'il me lit, il va me jeter un sort!), sinon pour ces photos.

mercredi, décembre 21, 2005

Un nouveau navigateur

Je viens de découvrir un nouveau navigateur, encore à l'état de développement, tout à fait remarquable qui permet de stocker les signets sur la toile (et donc de les partager, mais aussi de les exploiter de manière infiniment plus commode que lorsqu'on les stocke sur son propre ordinateur), de rédiger des notes sur son blog et plein d'autres choses…

son nom : Flock. Je n'en ai pas encore fait le tour, je dois vérifier qu'il est plus rapide et aussi fiable que Safari, Camino ou Firefox que j'utilise régulièrement, mais il est sur plusieurs points déjà plus avancés que chacun de ces produits dont je pensais encore hier qu'ils étaient ce que l'on peut faire de mieux.

mardi, décembre 20, 2005

2 semaines de silence et… un livre

Je suis resté deux semaines sans intervenir sur ce blog. C'est long, trop long, mais j'ai une excuse : j'étais occupé à écrire et corriger le manuscrit d'un livre qui doit sortir en janvier aux éditions les Points sur les i sur les émeutes de novembre. Ma thèse en deux mots : nous avons assisté à deux mouvements simultanés : une insurrection des jeunes qui n’en peuvent plus du harcèlement policier, de l’échec scolaire et de tout ce qu’ils vivent comme des injustices, le ras le bol de leurs parents et de leurs « grands frères » qui ne supportent plus les discriminations et le soupçon qui les accompagnent en permanence. Tout le livre consiste à analyser en parallèle ces deux mouvements. A très bientôt en librairie…

La technologie aura-t-elle la peau des auteurs?

Je me souviens d'avoir lu, il y a une quinzaine d'années, peut-être plus, dans une revue américaine d'intelligence artificielle (elle s'appelait, je crois, tout simplement IA) un bel article racontant comment l'épouse d'un chercheur en informatique devenu amnésique avait demandé à ses collègues, amis, cousins… de raconter les aventures qu'ils avaient vécues ensemble sur un programme informatique. Elle pensait qu'en relisant son histoire vue par d'autres son mari retrouverait la mémoire. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de cette expérience, mais je retrouve ce principe sur un site consacré à l'histoire du Macintosh, Folklore.org, qui demande aux acteurs de raconter l'histoire de leur point de vue, de se compléter et se corriger éventuellement. On n'est pas très loin de Wipikedia, l'encyclopédie qui se construit de manière collective et anonyme (les articles ne sont pas signés). Sans doute voit-on d'ailleurs, au travers de ces différentes expériences s'évanouir la notion d'auteur dont Roger Chartier avait raconté l'émergence dans un beau livre trop méconnu : L'ordre des livres, publié aux éditions Alinéa en 1992, dans lequel il fait l'histoire du concept d'auteur et montre comment il est apparu au XVIIIème siècle avec la professionnalisation de l'écriture.

jeudi, décembre 01, 2005

La renationaliation de la musique contemporaine

Le compositeur Philippe Hurel que je rencontrais hier pour préparer un hommage à Ivo Malec, me disait les difficultés que ses collègues et lui-même avaient à se faire jouer à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne. Pierre Boulez s'en est, me dit-il, récemment ému, comparant l'ouverture internationale de sa génération à la fermeture actuelle.
Phiippe Hurel explique cela par la réduction des budgets. Lorsqu'ils sont trop faibles, on tente de les garder pour soi et on évite de les laisser partir à l'étranger.
Comme quoi, la mondialisation n'est pas ce long fleuve tranquille qu'on nous décrit parfois.

Internet va-t-il améliorer la presse écrite?

Si la nouvelle formule du Monde a été conçue pour résister à la déferlante Internet, c'est une réussite : articles plus riches, plus longs, qu'on lit moins bien sur un écran, papiers plus approfondis qui marquent la différence avec les à peu près des blogs et autres journalistes de forutune que l'on trouve sur le net, information plus variée (dans le numéro daté d'aujourd'hui une double page sur le procés d'Outreau et une autre sur les collectionneurs d'art contemporain), toutes ces innovations qui vont à l'encontre de ce que l'on a souvent entendu (les lecteurs aimeraient des papiers plus courts, comme si l'on pouvait, en faisant plus court, faire concurrence à la radio ou à la télé?) améliorent incontestablement la qualité du journal.

Elles procédent de deux mécanismes :
- mimétisme du journalisme internet : multiplication des informations, des points de vue qui permet au lecteur qu'un sujet intéresse de l'approfondir,
- exploitation des atouts du papier : il est plus facile et agréable de lire sur papier que sur écran, meilleur contrôle et donc fiabilité de l'information.

On verra si la nouvelle formule de Libération s'oriente dans la même direction. Reste à la presse à résoudre deux problèmes :
- inventer une articulation entre sa version imprimée et sa version électronique : les blogs des journalistes que proposent Le Monde et Libération sont une première piste intéressante, mais il y a encore beaucoup à faire (comme, par exemple, une meilleure exploitation des archives) ;
- résoudre le problème de sa distribution. Même lorsque l'on vit au centre de Paris, on n'est pas assuré de trouver facilement un quotidien (pour ne citer que cet exemple, il m'arrive d'aller à pied de Saint-Germain des Près à Boulogne. Je traverse la moitié de Paris sans passer devant un kiosque).

mercredi, novembre 30, 2005

Jeux de mots

En 1971, Ivo Malec, compositeur auquel je vais prochainement consacrer une série de trois émissions dans Dissonances, compose une oeuvre dont le titre est bien dans la manière de l'époque : Ga(m)mes. Je dis bien dans la manière parce qu'on y retrouve ces jeux de mots (ici entre la gamme musicale, synonyme d'ordre, et le game britannique, synonyme de jeu, de désordre) que l'on pratiquait alors sans retenue dans les milieux intellectuels. C'est la psychanalyse, dans sa version lacanienne, qui nous avait enseigné cette figure de style dont je me demande si elle n'est pas aujourd'hui un peu démodée.
Il serait amusant (juste amusant, rien de plus) de faire un petit dictionnaire de ces jeux de mots…

jeudi, novembre 24, 2005

Casser le thermomètre

Un malade qui a de la fièvre peut prendre de l'aspirine ou casser le thermomètre. C'est cette dernière solution qu'ont intelligemment retenue un certain nombre de députés UMP (pas quelques uns, 153 d'après Le Monde auxquels il convient d'ajouter 40 sénateurs) qui ont ont demandé au ministre de la justice d'envisager des poursuites contre sept groupes de rap. S'ils voulaient mettre de l'huile sur les braises mal éteintes des banlieues, ils ne pouvaient guère faire mieux. Mais peut-être s'en moquent-ils : plus les banlieues brûlent, plus la France, dit-on, vire à droite.
Plus grave : ils s'interdisent de comprendre ce qui s'y passe. car, à défaut de porte-parle, de leader ou de revendications, le seul moyen que l'on ait d'entendre les jeunes des quartiers difficiles, le seul outil qui permette d'analyser et de comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, ce sont justement les textes de ces rappeurs, souvent violents, excessifs et maladroits, mais passionnants pour qui se donne la peine de les lire, ce qui n'est pas très difficile puisque la plupart sont accessibles sur internet. On y découvre la rage de ces jeunes (une rage qui leur interdit justement de formuler des revendications), leur colère contre la police qui les harcèle en permanence, contre la police qui condamne à des mois de prison un gamin qui incendie des voitures mais exonère de toute responsabilité un flic qui a tue un gosse, mais aussi contre leurs pères. Et s'il est vrai qu'ils parlent de violences et d'émeutes, ils éclairent ce qui s'est passé ces dernières semaines bien plus qu'ils n'appellent au meurtre.

dimanche, novembre 20, 2005

Tour de Babel

Je feuillette le beau livre d'Eugene Green, La Parole baroque, pour la préparation d'une émission sur l'opéra de Salvatore Sciarrino (Luci mei traditrici) basé sur une pièce italienne du 17ème siècle. J'y trouve ce passage : "les pronociations anciennes avaient comme caractéristiques générales de s'ouvrir plus facilement à la voix et de permettre aux langues de s'ouvrir les unes aux autres. Aux oreilles des peuples latins, l'anglais devait moins sembler une bouillie, et il formait avec l'écossais un dialecte jumeau ; le portugais et le catsillan étaient largement compréhensibles à ceux qui parlaient l'autre langue, et le catalan s'ouvrait sur l'occitan et sur le français, dont les éléments sonores étaient plus facilement saisissables qu'aujourd'hui aux autres peuples." Y aurait-il là une piste pour comprendre le multilinguisme africain et, mais c'est plus contestable, une voie pour éviter cette absurde domination de l'anglais dont j'ai dit par ailleurs sur ce blog quelques uns des inconvénients?

samedi, novembre 19, 2005

L'UMP a-t-il organisé l'arrivée de Le Pen au second tour?

On a beaucoup dit en 1981 que les chiraquiens avaient favorisé l'élection de Mitterrand en incitant plusieurs de leurs amis à voter Mitterrand pour mieux faire battre Giscard (les communistes auraient dit-on fait la même chose dans l'autre sens). Une conversation entendue hier me fait penser qu'ils ont peut être recommencé lors des dernières élections présidentielles. Je passe sur les détails, mais j'ai entendu deux chiraquiens notoires de ma connaissance se vanter d'avoir voté et fait voter Le Pen au premier tour pour qu'il passe devant Jospin. Je ne sais pas s'il s'est agi d'une initiative personnelle ou d'une consigne donnée à quelques fidèles parmi les fidèles, mais on ne peut l'exclure : la manoeuvre était habile et elle a réussi. Pas très élégant, pas vraiment ragoûtant, mais efficace!

Quand un économiste vole du fumier…

On reproche souvent aux économistes d'être coupés des réalités à force de ne voir le monde qu'au travers de leurs équations. Ce n'est pas le cas de tous. Martin Weitzman, un économiste réputé qui enseigne à Harvard où il s'est fait une réputation dans le domaine de l'économie de l'environnement, est également un fervent pratiquant des méthodes naturelles de culture des fleurs, comme vient de le révéler l'étrange aventure qui lui a fait quitter les bancs de l'Université pour ceux du tribunal. Il est, en effet, accusé par un fermier de ses voisins, de vol de fumier. L'économiste ne nie pas s'être servi sur les terres de son voisin (difficile de le nier puisqu'il a été supris la pelle dans le tas), mais il assure qu'on lui en avait donné, il y a quelques années, l'autorisation. Qui? Il ne sait plus très bien, ce qui affaiblit son cas, mais il est à ce point convaincu de sa bonne foi qu'il a refusé toute transaction et qu'il veut aller devant un jury, ce qui inciterait plutôt à croire en sa bonne foi. Dans tous les cas de figure il nous aura fait sourire et peut-être même trouvera-t-il là l'occasion d'un nouvel article qui fera date. Un article sur les transactions ambiguës, par exemple.
Pour en savoir plus sur cette passionnante affaire, vous pouvez vous rendre sur le site du Boston Globe

mardi, novembre 15, 2005

Retour à l'emploi : l'exemple coréen

Les performances françaises en matière de politique de l'emploi sont si médiocres que l'on a tout intérêt à regarder ce qui se fait ailleurs. Parmi les idées que l'on pourrait reprendre, il y a ce bonus que le système d'allocation chômage coréen a mis en place poour inciter les chômeurs à reprendre rapidement un emploi. Le principe est le suivant : le salarié au chômage a droit à des allocations chômage versés pendant une période définie. S'il retrouve un emploi avant la moitié de cette période, l'organisme d'assurance chômage lui verse ce qu'il aurait perçu s'il avait épuisé ses droits sous forme de prime. C'est certainement une incitation à reprendre rapidement un emploi. C'est en tout cas plus astucieux que nos dispositifs qui 1/ enferment les chômeurs dans l'inactivité (tous les dispositifs de formation qui ne servent qu'à allonger les périodes de versement des allocations) et 2/ sanctionnent ceux qui ne reprennent pas assez rapidement un emploi.

Brûler les écoles

Le geste le plus fort, le plus fou, le plus incompréhensible des jeunes émeutiers a certainement été la mise à feu (pas à sac, mais à feu) d'écoles, crèches et gymnases. Incompréhensible, véritablement scandaleux et à ce titre, très significatif. On pourrait expliquer ce geste en remarquant, tout simplement que l'école, la crèche ou le gymnase sont les seules institutions publiques présentes dans les quartiers (les jeunes ne se sont pas atttaqués aux commissariats parce qu'il n'y en a pas dans leurs quartiers). Ce ne serait pas faux. Mais si ces institutions, et celles-là seulement, sont présentes dans les quartiers, c'est que ce sont les plus bienveillantes, les seules qui emploient des fonctionnaires capables de consacrer temps et énergie à aider, éduquer, former les enfants qui habitent ces quartiers, comme le montrent une nouvelle fois les reportages de Libération ce matin. C'est donc injuste, doublement injuste. Injuste pour l'institution qui se maintient envers et contre tout là où plus personne ne veut s'installer, injuste pour ses membres qui travaillent et s'investisent. On comprend donc la colère de ceux qui tiennent à l'école (je pense à Alain Finkelkraut) et qui ne comprennent pas qu'on puisse la détruire alors même que sa mission est, justement, de permettre aux enfants qui n'ont pas des parents fortunés (ce qui a sans doute été le cas de Finkelkraut, fils d'immigrés polonais) de s'en sortir et de réussir de brillantes carrières.
Mais cette même école, et c'est ce que nous disent à leur manière, violente, brutale, les émeutiers est aussi un lieu de souffrance et d'humiliation. Humiliation du mauvais élève que l'on montre du doigt, que l'on évalue et que l'on juge. Souffrance du petit gamin qui ne rève que de courir et que l'on force à se tenir assis, le dos raide sans s'endormir pendant de longues heures. Il y a dans l'enseignement de la discipline et du dressage que l'on supporte plus ou moins bien, que l'on supporte mal lorsque l'on est un petit graçon turbulent en quête d'un modèle masculin et que l'on ne trouve que des institutrices qui ont toutes les vertus du monde mais qui ne comprennent pas le plaisir que l'on peut éprouver à se battre, à voir les autres se battre ("du sang! du sang!" crions nous adolescents lorsque deux de nos camarades se battaient), à faire le malin.
Ceux que leur famille aide, soutient en lui répètant à l'envie que cette souffrance sera récompensée un jour supportent assez bien cette souffrance et ces humiliations. On la supporte moins bien lorsque votre famille ne vous dit pas cela, ne peut pas vous dire cela parce qu'elle sait bien que c'est faux.
Si l'on ajoute à cela que l'école est dans les quartiers, l'école est la seule institution qui rappelle les règles, on comprend mieux qu'elle soit visée lorsque ces règles sont contestées.

lundi, novembre 14, 2005

Marseille : des grèves mais pas d'émeutes

Il y a à Marseille des grèves dures depuis plus d'un mois, mais il n'y a pas eu d'émeutes ou en tout cas rien à voir avec ce que l'on a connu ailleurs. Alors même que c'est l'une des villes qui a le plus fort taux de population d'origine immigrée. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de Montpellier ou de Nice. Pourquoi? Peut-être est-ce tout simplement qu'il n'y a pas dans cette ville pauvre de ségrégation spatiale ou bien moins qu'ailleurs : il n'y a pas de banlieue difficile, rien en tout cas à voir avec ce que connaissent tant d'autres villes. Y a-t-il un rapport de cause à effet? Et si c'est le cas, comment l'expliquer?
Est-ce que cela tient à un contrôle social plus fort du fait d'une plus grande mixité? d'une strtucture urbaine plus serrée? des comportements quotidiens de la police plus "civils" du fait même de cette mixité? des effets positifs d'une pauvreté largement partagée (quand tout le monde est pauvre, on a moins le sentiment d'être victime de discriminations)? Il y a là en tout cas quelquechose à regarder de plus près.

dimanche, novembre 13, 2005

Sarkozy a-t-il choisi l'affrontement?

On a souvent accusé Sarkozy d'avoir une importante part de responsabilité dans ce qui s'est produit, tant il a contribué par ses insultes (en parlant de racaille) à exaspérer les jeunes gens et tant il a jeté de l'huile sur le feu en proposant d'expulser les étrangers. Bernard Salanié dans le blog qu'il écrit depuis qu'il est aux Etats-Unis en rajoute une couche. Il fait état d'une conversation avec Sudhir Venkatesh, un sociologue qui a beaucoup travaillé dans les quartiers difficiles et, notamment, en France. Je le cite :

"Au chapitre des similarités (entre la France et les Etats-Unis), Sudhir relève le rôle des "local brokers" : des intermédiaires entre la police et la communauté, parfois semi-institutionnels comme les animateurs de quartier ou les "grands frères", parfois beaucoup plus informels. Dans cette dernière catégorie, on peut trouver aussi bien des chefs de clans, des anciens, des mères de famille (c'est souvent le cas chez les Noirs américains pauvres), ou même des délinquants pas trop dangereux. Faveur contre faveur : ces intermédiaires maintiennent un semblant d'ordre, et la police ferme les yeux sur certaines de leurs activités et/ou leur accorde des traitements favorables pour, par exemple en France, l'obtention de papiers---ce qui renforce naturellement leur pouvoir.

Comme beaucoup de francais dans le public, je n'avais jamais entendu parler du rôle de ces brokers en France ; mais je doute que Sudhir les ait inventés. Il paraît effectivement logique que devant le semi-échec de la police de proximité (largement rejetée par les policiers comme on le sait), il ait fallu trouver un substitut. Il y a là un danger évident : voir les dérives corses, ou la Mafia en Sicile, quand les brokers commencent à s'organiser en réseau et deviennent incontrôlables. D'après les contacts de Sudhir, la police francaise aurait rompu ses liens avec ces intermédiaires dès le début des émeutes ; si c'était vrai, il faudrait en conclure que le gouvernement, ou au moins le Ministre de l'Intérieur, a délibérément choisi la carte de l'affrontement. Ce serait évidemment extrêmement grave."

A vérifier et… à comprendre. Quel pouvait bien être l'intérêt de N.Sarkozy dans cette affaire? De se montrer capable d'assurer la sécurité? C'est le contraire qui semble se produire puisque 1/ ces émeutes n'en finissent pas, 2/ elles remettent en cause une politique (sa politique) qui a consisté à en finir avec la police de proximité dont chacun dit aujourd'hui qu'elle seule peut faire régner l'ordre dans les quartiers les plus difficiles.

samedi, novembre 12, 2005

Le printemps des séries américaines

Desperate wives, West wing, Ally Mc Beal, Urgences, Soprano, Sex in the city… Les séries américaines de qualité se suivent à un tel rythme que l'on est bien obligé de s'en remettre à l'évidence : il se passe quelque chose, outre-atlantique, d'assez original : la télévision, cette télévision commerciale que nous critiquons si volontiers et pour de si bons motifs a réussi à créer un genre de qualité. Est-ce que cela durera? Bien malin qui peut le dire. Reste que depuis quelques années, on voit se multiplier les séries intelligentes, bien écrites, bien construites qui sont à l'Amérique d'aujourd'hui ce que les comédies avec Gary Grant, Katherine Hepburn & alii était à celle des années 50.
Quand on les regarde de près, ces séries partagent quelques traits communs qui expliquent sans doute leur succès :
- un regard critique, et pas du tout complaisant, sur l'Amérique (Desperate Housewives étant, sans doute, de ce point de vue, la plus incisive de ces séries même si ce que Urgences dit du système médical ou West Wing des rapports de force dans le monde politique ne manque pas non plus de sel),
- une forme dictée par les contingences matérielles qui incite à la construction solide de personnages, au tissage d'intrigues, à la densité du récit. On retrouve à peu près partout le même modèle : quatre personnages (chez Friend, dans Desperate Wives, Sex in the city…), des séquences courtes (quelques minutes entre deux coupures publicitaires), une unité de lieu (les urgences, un quartier petit-bourgeois…),
- de la variété dans la réalisation : ce sont rarement les mêmes réalisateurs qui filment plusieurs épisodes de la même série.
On aimerait que les séries télévisées françaises attteignent la même qualité. A part cettte série de Krivine qui se passe dans un commissariat du quai Saint-Martin et (peut-être, mais je l'ai trop peu vue pour en juger autrement que par ouïe dire) cette série d'Arte sur des esthéticiennes, on en est vraiment loin.

Construire des ghettos

L'une des conséquences sans doute voulues des émeutes aura été de rendre visibles les ghettos qui se sont constitués dans nos banlieues et que l'on ne voit pas lorsque l'on habite dans le centre-ville ou dans les banlieues "chic". Mais une autre conséquence inattendue et paradoxale sera probablement que ces quartiers sortiront de ces événements plus isolés, plus ghettoisés encore. On peut, en effet, anticiper trois effets :
- la fuite et l'éloignement de tous ceux qui en auront la possibilité : difficile de vivre dans des quartiers dans lesquels on risque à tout moment de voir brûler sa voiture,
- en brûlant voitures et autobus, les jeunes gens se sont attaqués à ce qui permet justement de sortir de ces quartiers, d'aller travailler ou vivre ailleurs,
- en s'en prenant aux écoles, aux gymnases, à leurs lieux de vie, ils ont dégradé les seuls services publics qui fonctionnaient à peu près dans ces quartiers, ils auront contribué à rendre plus difficile la vie dans ces quartiers.

Les émeutes, dernier épisode de notre histoire coloniale

A l'occasion de ces émeutes qui embrasent les cités de banlieue, plusieurs politiques ont réintroduit la question de l'immigration. Il faut, nous disent-ils, revoir les politiques d'immigration. Mais est-ce bien de cela qu'il s'agit? Les jeunes gens qui lancent des cocktails molotovs ne sont pas des immigrés, ce sont des Français, qui vivent et si problème il y a, ce n'est pas celui de l'immigration mais celui d'une société française qui n'accepte ni sa diversité ni son histoire, qui ne reconnaît pas que sa diversité tient à son histoire.
Si la plupart des émeutiers sont d'origine étrangère, si l'on insiste beaucoup sur cette dimension étrangère, il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle origine. Ces enfants, ces familles viennent, dans l'immense majorité des cas de pays qui appartenaient, avant la décolonisation, à l'Empire français qui s'est effondré il y a une quarantaine d'années. La France métropoitaine est devenue, à elle seule, une sorte d'image en réduction de la mosaïque de peuples qu'il constituait et que l'on mettait en avant comme une de ses forces dans les livres de géographie jusqu'au milieu des années 50. Les événements de ces jours-ci sont un bout de l'histoire que nous n'avons jamais faite de la colonisation, des relations complexes, cruelles et douloureuses qui se sont nouées entre ces peuples dominés et leur envahisseur. Relations paradoxales puisque ce sont ceux qui militaient le plus vigoureusement pour le maintien de l'Empire français, ce sont les plus ardents défenseurs de l'Algérie française qui sont aujourd'hui les plus farouches opposants de l'immigration.
Un député faisait récemment voter un amendement pour introduire dans les livres d'histoire une vision positive de la colonisation. Voilà une piste pour les historiens que j'imagine ennuyés (prétendre que la colonisation fut positive pour les colonisés relève de l'exploit) : montrer comment la colonisation a orienté les flux de population du Sud vers le Nord et contribué à la diversité de la société française.

mercredi, novembre 09, 2005

Statistiques et sites internet

Comme tous les utilisateurs de sites internet, je suis avec attention les statistiques de mes sites, notamment celui que j'ai consacré à l'émission de musique contemporaine que j'anime sur une radio parisienne, Aligre FM. J'ai à cette occasion découvert que j'avais plus de visiteurs sur les émissions consacrées à des compositeurs peu connus. Non que leur nom apparaisse plus souvent dans les recherches de Google et alii, mais comme peu de pages leur sont consacrées, il y a peu de concurrence et donc plus de chances que les rares curieux tombent sur mes pages. Si je voulais accroître la circulation sur mon site, j'aurais donc intérêt à me spécialiser dans ces compositeurs les plus rares.

dimanche, novembre 06, 2005

Emeutes : victimes, voyous ou carnaval?

Les émeutes dans les banlieues ont suscité deux types de discours de justification. Pour Nicolas Sarkozy, la droite et l’extrême-droite, il s’agit de délinquants (le mot a été employé par Sarkozy) et de voyous qui doivent être traités comme tels (d’où ces menaces de condamnations à de lourdes peines de prison). Pour les élus de proximité, de gauche comme de droite, pour les représentants des institutions musulmanes, pour les travailleurs sociaux et pour la plupart des éditorialistes étrangers, il s’agirait plutôt d’une réaction contre le racisme de la société française. Ces deux thèses sont commodes : elles permettent d’opposer front contre front la gauche et la droite et de proposer des solutions simples (plus de policiers et de contrôles dans un cas ; plus de traitement social et de lutte contre les discriminations dans l’autre), mais tiennent-elles la route?
Prétendre que ces émeutes sont le fait de délinquants, de professionnels de l’économie souterraine, de petits caïds attachés à la défense de leur territoire, comme l’a fait à plusieurs reprises le ministre de l’intérieur n’est guère plausible : qui peut un instant imaginer que les caïds et autres spécialistes de l’économie parallèle chercheraient à faire entrer plus de policiers et plus de contrôles dans les cités? Ils risquent d’être les premières victimes de ces affrontements et l’on peut même penser qu’ils sont plus que quiconque attachés au retour au calme. Faut-il le rappeler : jamais les voyous n’ont aimé les révolutions.
Dire que ces émeutes sont le fruit du racisme et des discriminations n’est guère plus convaincant. C’est vrai que le racisme et les discriminations existent. Je serai le dernier à le nier comme en témoigne tout ce que j’ai pu écrire sur le sujet. Reste que la jeunesse des émeutiers (entre 13 et 22 ans selon tous les témoignages) fait douter de cette explication : ils sont tout simplement trop jeunes pour avoir souffert des discriminations, sinon (et ce n’est pas rien) du harcèlement policier. Si les lycées qu’ils fréquentent ne sont pas les meilleurs (et c’est un euphémisme!), ils n’ont pas encore mesuré ce que cela veut dire. Si les employeurs leur préfèrent systématiquement des candidats d’autres origines (et c’est là encore une vérité), ils ne le savent, au mieux, que par ouï-dire. Ce sont leurs parents, leurs frères plus âgés, qui sont eux victimes de ces discriminations qui avancent cela comme explication.
Il me semble que très loin de la guerre civile dont parle CNN, il y a dans ces émeutes quelque chose d’un jeu. Les jeunes jouent à la guerre, mais une guerre dérisoire. Ils ne s’en prennent ni aux symboles de l’Etat ni, à quelques exceptions près, aux acteurs de la discrimination (écoles, commissariats de police, entreprises…), ils ne déboulent pas dans les quartiers plus riches, ils brûlent les voitures de leurs voisins et détruisent ce qui est souvent leur seul richesse sans la moindre haine (qui dit que la voiture qu’ils attaquent n’est pas celle de leurs parents?). Ces feux sont spectaculaires, ils se voient de loin, ils font beaucoup de flammes et de fumée, ils sont impressionnants et faciles à allumer.
Il y a dans ces “actions” réalisées par de petits groupes très mobiles, montés à deux ou trois sur des mobylettes ou des scooters quelque chose des actions de commando que l’on voit à longueur de soirée sur les chaînes de télévision. Les images de ces villes qui flambent rappellent celles de Bagdad ou d’ailleurs que les télévisions nous montrent dans leurs journaux. Les jeunes émeutiers ne font ni la révolution ni la guerre au système, ils s’amusent, ils jouent à la guerre avec Sarkozy dans le rôle de Bush (aussi maladroit et irresponsable) et les policiers dans celui des marines. Ils font des compétitions (c’est à la bande, au quartier qui fait le plus de feu et de fumée…) On est plus dans le registre du carnaval et du charivari plus que dans celui de la révolution. Ce qui ne veut pas dire que ce soit sans danger ni sans conséquences : les propriétaires des voitures brûlées doivent l’avoir amer. Le carnaval était, on l’a trop oublié, à l’origine subversif. Il précédait le carême, celui-ci le conclut (c’est au lendemain de la rupture du jeune que les événements ont débuté) et mettait le monde à l’envers : ce sont aujourd’hui les jeunes des banlieues, ces quartiers de la périphérie que l’on néglige en permanence, qui sont, inversion des valeurs, au centre de l’attention. Le carnaval pouvait finir par des révoltes sociales. On ne peut exclure qu’il en aille de même cette fois-ci.
C’est en regardant dans cette direction plus que dans celle de mai 68 que l’on a de chances de comprendre le phénomènes et de le traiter. Car, il faut, bien évidemment, le traiter. Et rapidement. Car, après tout, laisser ces incendies de voitures se multiplier, n’est-ce pas un signe de plus de l’indifférence de la société française à l’égard de ce que l’on a appris à appeler ses banlieues, de leurs souffrances (à commencer par les discriminations dont sont victimes leurs habitants). Si les voitures avaient brûlé dans le septième arrondissement, il y a bien longtemps que l’on aurait trouvé des solutions.

Amartya Sen : Pourquoi ses livres sont-ils si mal traduits?

Les éditions Odile Jacob viennent de publier un recueil d’articles important de l’économiste et philosophe (la frontière entre les deux disciplines est dans son cas parfois difficile à tracer, ce qui le rend si passionnant) d’origine indienne Amartya Sen (Rationalité et liberté en économie, Odile Jacob, 2005, traduit par Marie-Pascale d’Iribane-Jaawane). Ce qui devrait être une excellente nouvelle frôle la catastrophe.
Comme souvent chez Odile Jacob, ce livre est à peine édité. C’est à croire que personne n’a relu le manuscrit avant de l’envoyer chez l’éditeur. Deux exemples, entre mille :
- les notes que l’on a oublié de traduire (comme celle de la page 74),
- les bibliographies qui nous sont données en couper coller des versions anglaises des textes, sans traduction ni renvoi aux éditions françaises qui existent (notamment aux PUF).
Mais le pire, c’est, comme si souvent pour ce genre de livre, la traduction. Je ne suis pas certain que la traductrice ait compris tout ce qu’elle traduisait. Elle n’a en tout cas fait aucun effort pour aider à la compréhension de textes difficiles mais abordables dans leur version originale. Ce qui est particulièrement gênant pour des articles qui valent pour leur rigueur dans la définition des concepts.
Ce n’est pas la première fois que ce genre de mésaventure arrive à ce type de livre. Je me souviens encore de la traduction carrément illisible d’un livre de Nozick aux PUF (Anarchie, Etat et Utopie). On souhaiterait maintenir ces textes à l’écart du public français ou on voudrait le convaincre de se tourner vers l’original qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

vendredi, novembre 04, 2005

Sur les téléchargements sauvages

Les éditeurs et sociétés de collecte des droits d’auteur qui protestent contre le téléchargement insistent systématiquement sur les pertes de revenus qu’il entraîne et sur leurs conséquences à long terme. En copiant de manière sauvage des fichiers (films, chansons), on fait, disent-ils, du tort à l’ensemble de la profession et, in fine, à la culture. Si les chanteurs, les cinéastes ne sont plus rémunérés de leur travail, ils n’auront plus les moyens de le financer ou, version plus individualiste, ils choisiront une activité qui leur permet de mieux profiter de leurs efforts.
Mais est-ce vrai? Lorsque l’on a la curiosité de regarder un peu plus près ce qui se passe sur le réseau, les fichiers disponibles, ceux qui sont effectivement téléchargés, on découvre vite que ce sont les films, les séries télévisées, les chansons les plus populaires, ceux qui ont le plus de succès qui sont le plus demandés. Ce qui n’est, somme toute, pas très surprenant : ce sont ces films, ces séries, ces chansons que l’on a envie de voir et que l’on a le plus de chance de pouvoir télécharger rapidement (la vitesse du téléchargement est, sur les nouveaux systèmes type bittorrent, fonction du nombre d’ordinateurs sur lesquels on peut aller chercher le fichier).

Ces téléchargements réduisent, à première vue, les revenus des producteurs de ces oeuvres, mais cette réduction parait compensée (en partie? en totalité? je serai, bien sûr, incapable de le dire) par ce phénomène de concentration sur quelques oeuvres :

- le téléchargement contribue probablement à la popularité des oeuvres : celles que l’on télécharge sont celles que l’on attend, dont on parle, que l’on a envie de voir et de revoir ;

- le téléchargement se substitue aux modes traditionnels de diffusion là où celle-ci fait défaut. Il peut, alors contribuer à créer une attente, un marché potentiel. C’est ce qui se passe avec le téléchargement des séries télévisées américaines : ceux qui ont aimé les premières saisons d’une série vont télécharger les dernières saisons. Et comme ils en parleront à leurs proches, ils contribueront à créer une attente du produit.

Si l’on suit les sociétés d’auteurs et les adversaires du piratage dans leur lutte contre le téléchargement, on court donc deux risques :

- les producteurs des oeuvres les plus populaires risquent de se priver d’un moyen “naturel” et spontané de faire le marketing de leur travail,

- les producteurs d’oeuvres plus confidentielles risquent de ne pouvoir utiliser des moyens de diffusion moderne qui leur permettent d’échapper aux filtres des systèmes actuels qui privilégient les oeuvres qui ont le plus de succès (ou dont on pense qu’elles ont le plus de chance d’en avoir).

dimanche, octobre 30, 2005

Un film subtil : Don't come knocking

Les inrockuptibles dont j’apprécie en général les critiques n’ont pas aimé le dernier film de Wim Wenders : Don’t come knocking. Ils y ont vu un cousin de Broken Flowers (qui était un excellent film mais très différent), une histoire mélancolique de l’Amérique de notre jeunesse d’amateurs de westerns et de randonnées à la Kérouac dans ce pays immense troué de villes improbables et de bars sinistres. Il y a de tout cela, bien sûr, dans ce film, mais le sujet est tout ailleurs, il est dans ce que l’on appelle, dans les associations, le « lien social », ce qui nous unit (ou devrait nous unir) et s’est, dans nos sociétés modernes, défait, décousu sous le coup de nos libertés, de nos rebellions mais aussi de notre angoisse. Le héros, acteur spécialisé dans les westerns, décide de quitter le film qu’il tourne. Il part, va retrouver sa mère qu’il n’a pas vue depuis des années, qui lui annonce, chose qu’il ignore, qu’une femme a cherché à le joindre, il y a de cela plus de vingt ans, pour lui dire qu’elle était enceinte de lui. Il ne sait où aller et part à sa recherche. Il la retrouve, il retrouve un fils, mais aussi une fille qui se promène avec les cendres de sa mère, morte quelques jours plus tôt. Mais ce n’est pas cette promenade qui intéresse Wenders, même s’il la traite à la manière des grands réalisateurs de westerns, avec force, c’est, de manière plus subtile, ce contrat que le comédien ne respecte pas et qui finit par le rattraper, ces liens familiaux qu’il a constamment négligés au profit de l’alcool, de la drogues et des filles d’un soir, dont il ne sait même pas s’ils lui manquent. Ce sont ces liens (le dialogue dit en anglais « related ») dont il met en évidence l’absence. Et si le personnage que joue Sam Shepard est vide et creux, comme le dit le critique des Inrocks, c’est qu’il a usé jusqu’à la corde sa liberté. Ce pourrait être un film sur la solitude, c’est, de manière plus subtile, un film sur ce qui nous désunit. C’est, à ce titre, un film infiniment moderne sous ses airs mélancoliques.

mercredi, octobre 12, 2005

Si la gauche savait… A propos du dernier livre de Michel Rocard

C’est un livre étrange, bien dans sa manière, que Michel Rocard vient de nous donner avec la complicité de Georges-Marc Benamou que l’on connaissait surtout pour son livre sur les derniers jours de François Mitterrand. Un livre à l’image de l’ancien premier ministre, décapant, intelligent, exaspérant qui nous éclaire sur bien des choses et explique une carrière brillante qui ne l’a jamais complètement satisfait.
Décapant et exaspérant, ce livre l’est par son ton souvent aigre, par cette manière qu’a son auteur de tirer à vue sur tout ce qui bouge dans son entourage immédiat. Cela commence par ses parents, par son père et sa mère, cela continue avec ses amis politiques. On le savait son amertume à l’égard de François Mitterrand, il la confirme naturellement dans ce livre chaque fois qu’il en a l’occasion, on ne savait pas qu’il portait des jugements aussi sévères sur la plupart de ses alliés politiques. Il y a du misanthrope chez cet homme qui a fait de la politique sa vie.
Il y a également chez Rocard du Rousseau : s’il critique sévèrement les autres, c’est qu’il s’autorise à se critiquer lui-même, habileté qui lui permet de tailler sa propre statue en grand, en très grand. S’il ne s’aime pas toujours, il s’admire beaucoup et se prête un rôle, une efficacité qu’il n’a peut-être pas toujours eu. Est-ce vraiment, comme il l’affirme, grâce à lui qu’il n’y a pas eu de morts en 1968? On peut en douter. Je ne me souviens pas en tout cas que le PSU ait joué à ce moment là le rôle qu’il lui prête. Je me souviens plutôt de la défiance qui était la notre à l’égard de cette organisation que nous sentions mal (je me souviens de la fouille que nous avions imposé à un journaliste du parti venu nous interviewer à Nanterre quelques semaines avant les journées de mai. Une carte du PSU ne valait pas passe-partout dans les milieux gauchistes de l’époque).
Puéril, ou naïf, lorsqu’il accuse Mitterrand de lui avoir menti lors d’un déjeuner de préparation des élections de 1967 (comme si mentir ne faisait pas partie des techniques les plus banales de la négociation…), il n’échappe pas à la paranoïa comme lorsqu’il reproche à Mitterrand de l’avoir volontairement rendu ridicule en l’invitant à l’improviste à marcher dans la campagne un jour de pluie.
Mais au delà de ce ton général, il y a dans ce livre de quoi faire un portrait approfondi d’une des personnalités qui a le plus compté dans la gauche dans la deuxième moitié du vingtième siècle; Son intelligence, sa rapidité d’esprit éclate à chaque page tout comme un trait de caractère qui explique beaucoup de ses positions politiques : son goût du double jeu. Il raconte, dans un passage qui fait rétrospectivement douter de son bon sens, la manière dont les dirigeants du PSU travaillaient en 1968 avec le patron de leur service d’ordre. Il fallait l’appeler chez sa mère qu’il appelait lui-même toutes les 15 minutes. Il rappelait alors son interlocuteur. Ce sont à l’évidence des méthodes qui auraient du mettre la puce à l’oreille : le patron du service d’ordre du PSU était un flic. Il a d’ailleurs fait carrière dans la police où il a depuis occupé des positions importantes. Mais Rocard n’éprouve a posteriori aucun froid dans le dos, il ne met pas en cause les méthodes de recrutement des militants de cet acabit, sa naïveté ou son manque de vigilance, non, il admire l’artiste. Il est vrai qu’il a lui-même longtemps joué double jeu militant le soir au PSU sous le nom de Servet, fonctionnaire le jour sous son nom officiel.
C’est ce même goût du double-jeu qui l’a amené, lui, le protestant, à se faire l’avocat et le leader du “parti catholique” à gauche et à toujours trouvé que les gens de droite n’avaient pas forcément tout faux. Au point de longuement hésiter avant de voter non au référendum de 1969 sur la régionalisation.
On y découvre également un autre trait intellectuel : l’intérêt, la passion pour les organisations politiques, pour leur fonctionnement et la conviction profondément ancrée semble-t-il, que ce sont les situations (ce qu’il appelle la sociologie) qui font les acteurs et non pas l’inverse.
Comme on pouvait s’y attendre, le conflit avec François Mitterrand occupe une place très importante dans ce livre, mais assez bizarrement et sans que Michel Rocard l’ait voulu, il rééquilibre les torts. Si Mitterrand a été aussi dur avec Rocard premier ministre, il ne faisait que rendre la monnaie de sa pièce à quelqu’un qui a tout fait pour l’isoler, le rejeter lorsqu’il était abandonné de tous. Rocard et ses amis ont nourri pendant des années la polémique sur l’attitude de Mitterrand pendant la guerre d’Algérie, ils ont tout fait pour le couler définitivement. Que celui-ci ne leur en ait pas été reconnaissant n’est qu’une demie-surprise.
Pour le reste, c’est un livre très intéressant, avec des portraits inattendus comme celui de Pierre Mendés-France en velléitaire, des absences, comme celles de Pompidou ou Giscard dont les noms sont à peine cités, il n’y a dans l’univers de Michel Rocard d’adversaires politiques que dans son camp. Cela a sans doute été la principale faiblesse d’un homme qui avait, par ailleurs, de grandes qualités qu’il a montrées chaque fois qu’il s’est retrouvé aux affaires.

jeudi, septembre 29, 2005

Trou de la Sécurité sociale : et si l'on se souciait de la qualité des soins?

On parle de nouveau du déficit de la sécurité sociale qui continue de se creuser, ce qui annonce de nouvelles mesures contre les médicaments, contre les séjours à l’hôpital… qui ne régleront rien. Peut-être faudra-t-il un jour parler de la qualité des soins ou plutôt de la non-qualité des professions médicales. Je ne parle pas des cas graves, qui existent, mais de ceux qui ne le sont pas et qui coûtent cher à la sécurité sociale. En voici un exemple tout récent qui est arrivé à un jardinier de mes connaissances. Un jour d’orage, la foudre tombe à quelques mètres du banc sur lequel il est assis. Il est ébloui et affolé. Quelques jours plus tard, un bouton apparaît sur son visage, en dessous de son oeil, le long du nez. Se demandant si ce n’est pas une conséquence de la foudre, il se rend chez son médecin qui le rassure : “Ce n’est pas la foudre, mais il faudrait quand même mieux voir ce que c’est. Et comme c’est près de l’oeil, je préfère que vous alliez voir un ophtalmologiste.”
Notre brave homme se rend donc chez le spécialiste qui procède aux examens habituels et lui fait une ordonnance pour changer de lunette. “Mais, docteur, je ne suis pas venu pour mes lunettes, mais pour ce bouton.” “Ah! lui répond le spécialiste, je ne vois rien, mais il faudrait un scanner.”
Mon jardinier vas donc voir le radiologue qui lui fait un examen qui ne donne rien. “Il faut, dit-il, une scintigraphie. Mais il faut prendre rendez-vous.” Ce qui est aussitôt fait. Les jours qui suivent, dans l’attente de ce nouvel examen, notre homme se renseigne, il découvre, ce qu’il soupçonnait, qu’on ne pratique cet examen que dans des cas graves(déjà, le scanner l’avait inquiété). Il en conclut que le médecin craint un cancer et comme la grosseur est sur le visage, il se voit déjà avec un cancer du cerveau. Sa femme, ses enfants, toute sa famille vit pendant quelques jours dans la plus folle inquiétude.
Arrive enfin le jour de la scintigraphie : le radiologue procède à un premier examen qui ne donne rien, puis à un second qui conclut à… un banal furoncle. Banal mais coûteux : trois consultations de spécialistes, trois examens radiologiques que la sécurité sociale, bonne fille, va rembourser. A qui faut-il s’en prendre? Au malheureux qui se rend chez son généraliste ou à ces trois médecins fortement diplômés et cher payés qui n’ont pas su reconnaître un petit bouton?
Nous avons tous des exemples de ce type. Et peut-être devrait-on appliquer aux médecins (et de manière plus générale aux professions médicales) ces contrôles qualité et bilans de compétence que l’on pratique partout ailleurs.

mardi, septembre 27, 2005

Nos élites : sourdes ou plus simplement tétanisées ?

Le Monde du 28/09/05 se fait l’écho d’une enquête d’opinion originale qu’a fait réaliser le maire de Vénissieux après le succès du non (qu’il avait défendu au dernier référendum) dans sa ville : 69,5%. J’en retiens cette phrase qui fait écho à ce que l’on entend de plus en plus souvent : « Les hommes et les femmes interrogés sont d'autant plus amers qu'ils jugent les "élites" politiques, catégorie où sont rejetés le PS et l'UMP, "incapables" de proposer des solutions. » alors même que ces électeurs jugent incapables de gouverner les mouvements (extrême-gauche ou extrême-droite) pour lesquels ils ont voté. Et cette autre phrase : « La situation sociale et politique, jugée catastrophique avant le référendum, paraît désormais bloquée entre "des élites politiques sourdes, un retour à la normale, ponctué de jeux de chaises musicales, tant au gouvernement qu'au PS" , analysent les auteurs de l'étude, et des "forces alternatives qui ne semblent ni assez puissantes ni assez crédibles pour redéfinir un cap". »
Ce n’est pas la première fois que j’entends développer cette idée selon laquelle nos élites seraient incapables de proposer des solutions à nos problèmes, idée que me surprend toujours un peu. Après tout, qu’ils soient de droite ou de gauche, nos gouvernants savent en général ce qu’il faudrait faire. C’est du moins le sentiment qu’ils donnent lorsqu’ils s’expriment en privé. Ils admettent, en gros, qu’il faut introduire plus de souplesse dans notre système, banaliser le statut de la fonction publique, favoriser les mobilités du secteur privé au secteur public, retarder l’âge de la retraite, réformer en profondeur nos systèmes scolaire et universitaire, simplifier le droit du travail et notre système fiscal et éliminer tous ces dispositifs qui favorisent les lobbies et autres groupes de pression (des cultivateurs aux transporteurs en passant par bien d’autres corporations et catégories). Ils ne sont pas forcément d’accord sur le détail, mais sur le fond, ils sont à peu près d’accord sur les pistes à suivre. S’ils n’affichent pas avec toute la fermeté que l’on aimerait ce programme (que l’on peut habiller des couleurs de droite comme des couleurs de gauche), c’est qu’ils ont le sentiment (peut-être justifié) que ce serait la meilleure manière de perdre toute chance d’emporter les élections.
Je ne dirai donc pas que nos élites sont sourdes, mais plutôt qu’elles sont tétanisées, qu’elles n’osent mener aucune réforme de peur de devoir reculer sous la pression de la rue. C’est cette peur de l’opinion qui guide depuis plusieurs années la politique de Chirac, qui retarde les réformes que tout le monde juge indispensables et conduit à ces programmes mi figue-mi-raisin qui ne satisfont personne et à cette politique qui ne se préoccupe plus que de communication (comme nous en a encore donné un exemple Nicolas Sarkozy : que la police arrête des islamistes qui préparent des attentats est une excellente chose, mais pourquoi le faire devant des caméras ? A quoi cela sert-il, sinon à faire parler du ministre alors que Dominique de Villepin a le vent en poupe ?). Un livre à la mode (l’auteur a les moyens de faire sa publicité sur les murs du métro) parle de la société de la peur.Ce sont nos dirigeants qui ont aujourd’hui trop souvent peur des électeurs.

lundi, septembre 26, 2005

Un peu d'épistémologie au tribunal

Les séries télévisées américaines nous ont familiarisé avec les longs changes d’arguments entre avocats, les interrogatoires de témoins, les poses alanguies des Présidents du Tribunal, les objections et les conciliabules dans le bureau du juge.
Les amateurs un peu versés en philosophie des sciences et tous ceux que l’offensive des religieux inquiète devraient suivre (et aimer!) le débat qui va s’ouvrir dans quelques jours sur le créationnisme. Il oppose 11 parents d’élèves et le Conseil d’une petite école qui a imposé à ses enseignants de biologie de présenter le créationnisme (ou, plutôt, sa version moderne : le projet intelligent). Ce devrait être l’occasion de voir traiter devant un tribunal de questions qui relèvent en général plutôt des débats entre épistémologues, comme le suggère cet article du New-York-Times.

September 26, 2005
A Web of Faith, Law and Science in Evolution Suit
By LAURIE GOODSTEIN
DOVER, Pa., Sept. 23 - Sheree Hied, a mother of five who believes that God created the earth and its creatures, was grateful when her school board here voted last year to require high school biology classes to hear about "alternatives" to evolution, including the theory known as intelligent design.
But 11 other parents in Dover were outraged enough to sue the school board and the district, contending that intelligent design - the idea that living organisms are so inexplicably complex, the best explanation is that a higher being designed them - is a Trojan horse for religion in the public schools.
With the new political empowerment of religious conservatives, challenges to evolution are popping up with greater frequency in schools, courts and legislatures. But the Dover case, which begins Monday in Federal District Court in Harrisburg, is the first direct challenge to a school district that has tried to mandate the teaching of intelligent design.
What happens here could influence communities across the country that are considering whether to teach intelligent design in the public schools, and the case, regardless of the verdict, could end up before the Supreme Court.
Dover, a rural, mostly blue-collar community of 22,000 that is 20 miles south of Harrisburg, had school board members willing to go to the mat over issue. But people here are well aware that they are only the excuse for a much larger showdown in the culture wars.
"It was just our school board making one small decision," Mrs. Hied said, "but it was just received with such an uproar."
For Mrs. Hied, a meter reader, and her husband, Michael, an office manager for a local bus and transport company, the Dover school board's argument - that teaching intelligent design is a free-speech issue - has a strong appeal.
"I think we as Americans, regardless of our beliefs, should be able to freely access information, because people fought and died for our freedoms," Mrs. Hied said over a family dinner last week at their home, where the front door is decorated with a small bell and a plaque proclaiming, "Let Freedom Ring."
But in a split-level house on the other side of Main Street, at a desk flanked by his university diplomas, Steven Stough was on the Internet late the other night, keeping track of every legal maneuver in the case. Mr. Stough, who teaches life science to seventh graders in a nearby district, is one of the 11 parents suing the Dover district. For him the notion of teaching "alternatives" to evolution is a hoax.
"You can dress up intelligent design and make it look like science, but it just doesn't pass muster," said Mr. Stough, a Republican whose idea of a fun family vacation is visiting fossil beds and natural history museums. "In science class, you don't say to the students, 'Is there gravity, or do you think we have rubber bands on our feet?' "
Evolution finds that life evolved over billions of years through the processes of mutation and natural selection, without the need for supernatural interventions. It is the foundation of biological science, with no credible challenges within the scientific community. Without it, the plaintiffs say, students could never make sense of topics as varied as AIDS and extinction.
Advocates on both sides of the issue have lined up behind the case, often calling it Scopes II, in reference to the 1925 Scopes Monkey Trial that was the last century's great face-off over evolution.
On the evolutionists' side is a legal team put together by the American Civil Liberties Union and Americans United for Separation of Church and State. These groups want to put intelligent design itself on trial and discredit it so thoroughly that no other school board would dare authorize teaching it.
Witold J. Walczak, legal director of the A.C.L.U. of Pennsylvania, said the plaintiffs would call six experts in history, theology, philosophy of science and science to show that no matter the perspective, "intelligent design is not science because it does not meet the ground rules of science, is not based on natural explanations, is not testable."
On the intelligent design side is the Thomas More Law Center, a nonprofit Christian law firm that says its mission is "to be the sword and shield for people of faith" in cases on abortion, school prayer and the Ten Commandments. The center was founded by Thomas Monaghan, the Domino's Pizza founder, a conservative Roman Catholic who also founded Ave Maria University and the Ave Maria School of Law; and by Richard Thompson, a former Michigan prosecutor who tried Dr. Jack Kevorkian for performing assisted suicides.
"This is an attempt by the A.C.L.U. to really intimidate this small-town school board," said Mr. Thompson, who will defend the Dover board at the trial, "because the theory of intelligent design is starting to gain some resonance among school boards across the country."
The defense plans to introduce leading design theorists like Michael J. Behe, a professor of biochemistry at Lehigh University, and education experts who will testify that "allowing students to be aware of the controversy is good pedagogy because it develops critical thinking," Mr. Thompson said.
The case, Kitzmiller et al v. Dover Area School District, will be decided by Judge John E. Jones III of the United States District Court, who was nominated by President Bush in 2002 and confirmed by a Senate vote of 96 to 0. The trial is expected to last six weeks and to draw news coverage from around the world.
The legal battle came to a head on Oct. 18 last year when the Dover school board voted 6 to 3 to require ninth-grade biology students to listen to a brief statement saying that there was a controversy over evolution, that intelligent design is a competing theory and that if they wanted to learn more the school library had the textbook "Of Pandas and People: the Central Question of Biological Origins." The book is published by an intelligent design advocacy group, the Foundation for Thought and Ethics, based in Texas.
Angry parents like Mr. Stough, Tammy Kitzmiller, and Bryan and Christy Rehm contacted the A.C.L.U. and Americans United. The 11 plaintiffs are a diverse group, unacquainted before the case, who say that parents, and not the school, should be in charge of their children's religious education.
Mr. Rehm, a father of five and a science teacher who formerly taught in Dover, said the school board had long been pressing science teachers to alter their evolution curriculum, even requiring teachers to watch a videotape about "gaps in evolution theory" during an in-service training day in the spring of 2004.
School board members were told by their lawyer, Mr. Thompson, not to talk to the news media. "We've told them, anything they say can be used against them," Mr. Thompson said.
The Supreme Court ruled in 1987 that teaching creation science in public schools was unconstitutional because it was based on religion. So the plaintiffs will try to prove that intelligent design is creationism in a new package. Richard Katskee, assistant legal director of Americans United, said the "Pandas" textbook only substituted references to "creationism" with "intelligent design" in more recent editions.
Mr. Thompson said his side would prove that intelligent design was not creationism because it did not mention God or the Bible and never posited the creator's identity.
"It's clear they are two different theories," Mr. Thompson said. "Creationism normally starts with the Holy Scripture, the Book of Genesis, then you develop a scientific theory that supports it, while intelligent design looks at the same kind of empirical data that any scientist looks at," and concludes that complex mechanisms in nature "appear designed because it is designed."
A twist in the case is that a leading proponent of intelligent design, the Discovery Institute, based in Seattle, removed one of its staff members from the Dover school board's witness list and opposed the board's action from the start.
"We thought it was a bad idea because we oppose any effort to require students to learn about intelligent design because we feel that it politicizes what should be a scientific debate," said John G. West, a senior fellow at the institute. However, Professor Behe, a fellow at the institute, is expected to be the board's star witness.
Parents in Dover appear to be evenly split on the issue. School board runoffs are in November, with seven candidates opposing the current policy facing seven incumbents. Among the candidates is Mr. Rehm, the former Dover science teacher and a plaintiff. He said opponents had slammed doors in his face when he campaigned and performed a "monkey dance" when he passed out literature at the recent firemen's fair.
But he agrees with parents on the other side that the fuss over evolution has obscured more pressing educational issues like school financing, low parent involvement and classes that still train students for factory jobs as local plants are closing.
"There's no way to have a winner here," Mr. Rehm said. "The community has already lost, period, by becoming so divided."

jeudi, septembre 08, 2005

Un programme, mais pour quoi faire ?

Nicolas Sarkozy a annoncé à La Baule toute une série de mesures qu’il serait absolument nécessaire de prendre pour sauver la France du déclin (réduire l’impôt, remplacer un fonctionnaire qui part à) la retraite sur deux…). Immédiatement les syndicats et la gauche sont montés au créneau. Mais, avant même de s’interroger sur le bien fondé de telle ou telle mesure, il est une question presque naïve que l’on a envie de poser. Ce programme a-t-il la moindre chance d’être un jour appliqué. Même dans l’hypothèse où Nicolas Sarkozy serait élu Président de la République, où il obtiendrait la majorité au parlement et serait en mesure de faire la politique qu’il souhaite, pourrait-il mettre en place ces politiques ? S’est-il une seconde interrogé sur la « faisabilité » (le mot est vilain, mais il exprime bien ce que je veux dire) de son projet ?

Un exemple parmi d’autres : réduire l’impôt, soit, mais sauf à revenir aux vieilles lunes de Laffer, il faudra réduire d’autant les dépenses, ce qui, l’actualité de ces jours-ci le montre une nouvelle fois, est toujours plus facile à dire qu’à faire.

Autre exemple : réduire le nombre de fonctionnaires ? Cela fait depuis longtemps partie des promesses électorales de la droite qui n’a jamais réussi à la mettre en œuvre. On devrait se demander pourquoi ? Est-ce parce que les syndicats de fonctionnaires sont prompts à descendre dans la rue comme on le dit trop souvent, est-ce parce les français rêvent tous de devenir fonctionnaires, comme on le dit également souvent ? N’est-ce pas, tout simplement, parce que la démographie de la fonction publique et la multiplicité des compétences qu’elle utilise rendent en pratique impraticable ce type de mesure (imaginez un instant que la démographie des gardiens de prison amène à de très nombreux départs dans les mois qui suivent l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée alors que celle de l’Education Nationale est plus favorable, mettra-t-il des professeurs de latin et d’allemand en surnombre dans les prisons ?).

On pourrait ainsi multiplier les exemples. 2007 est loin et l’on aimerait que les politiques se penchent un peu sur leur capacité à mener à bien leur programme, qu’ils ne se contentent pas de nous dire ce qu’il serait bon de faire mais qu’ils nous expliquent aussi comment ils comptent s’y prendre.

mardi, septembre 06, 2005

Le plomb dans l'essence ou les méfaits du droit de la propriété industrielle

Est-ce que nous devons le plomb dans l’essence, plomb dont on connaît les effets catastrophiques sur la santé humaine et sur l’environnement, au droit de la propriété industrielle ? C’est une thèse que développe Jamie Lincoln Kitman dans l’excellent article qu’il a publié en 2000 dans la revue américaine The Nation, et que les éditions Allia viennent de traduire et d’éditer en français sous le titre : L’histoire secrète du plomb.
L’histoire (abominablement résumée) est la suivante. Les industriels de l’automobile sont dans les années 20 à la recherche d’un additif à l’essence pour éviter que les moteurs ne produisent un cliquetis. Une solution s’impose alors, l’utilisation de l’éthanol (que l’on a repris depuis), mais l’éthanol pose un double problème économique :
- sous-produit de l’agriculture , il peut être fabriqué par n’importe qui et ne peut être breveté. Il échappe en d’autres mots au contrôle de l’industrie,
- utilisé en grande quantité dans les carburants, il fait une concurrence directe aux produits pétroliers.
Pétroliers et constructeurs automobiles partent donc à la recherche d’un adjuvant à l’essence qu’ils puissent contrôler (c’est-à-dire breveter et dont la fabrication demande des investissements industriels). C’est le cas du PTE ou tétraéthylplombane dont un de leurs chercheurs découvre les propriétés anti-détonantes en 1921 et que DuPont qui contrôle à l’époque la General Motors met aussitôt en production alors même que ses dirigeants (des courriers en attestent) sont parfaitement informés de sa toxicité).
Si cette thèse exacte, elle met en évidence une des (nombreuses) limites de la propriété industrielle : elle fait préférer un produit qui exigent un processus industriel complexe (qui se prêtent donc à une appropriation par des groupes industriels) à des produits plus simples qui peuvent être fabriqués dans des unités plus petites avec des procédés banals.
J’imagine que si l’on recherchait un peu dans l’histoire des techniques on trouverait d’autres exemples de ce même phénomène. Ce serait à vérifier, mais je me demande si l’abandon dans les années 70 des procédés analogiques (hydrauliques…) au profit de procédés numériques dans les industries de la mesure ne relève pas du même mécanisme.

samedi, septembre 03, 2005

Rousseau avait tout bon

On croyait la théorie de l'état de nature de Rousseau un peu démodée. Et bien non. C'est tout le contraire. C'est ce qui ressort de l'excellent article de Jared Daimond sur les travaux récents des paléontologues et des paléopathologistes qui se sont intéressés à la naissance de l'agriculture. Nos ancètres chasseurs et cueilleurs étaient infiniment plus heureux, en meilleure santé que leurs descencants devenus cultivateurs. Un nourriture plus riche et plus variée, des ressources plus régulières (pas de famine par destruction d'une récolte), moins d'épidémies, moins de maternités pour les femmes, plus de loisirs, xdes exercices plus variés… Ils avaient tout pour être plus heureux. D'auatnt qu'avec l'agriculture, comme le disait Rousseau sont arrivés les clotures (souvenez-vous du passage sur la naissance de la propriété), les inégalités, la domination des hommes sur les femmes…
Cet article qui mérite vraiment d'être lu date de 1987 a été ressorti par un économiste, Brad de Long, pour enseigner à ses étudiants le modèle du malthusianisme.

vendredi, juillet 08, 2005

Les marchés, les économistes et le terrorisme

Les économistes sont des gens merveilleux. Quelques dizaines de minutes seulement après que ma fille qui vit à Londres m’ait annoncé les attentats, je recevais un mail d’une organisation, le (Roubini Global Economics services) me proposant des articles sur l’impact du terrorisme sur l’économie. On y trouve plusieurs papier dont il faut retenir que les marchés ont appris à tenir le choc et que la bourse ne devrait pas trop souffrir des bombes dans le métro londonien, ce qui est, somme toute, plutôt une bonne nouvelle pour beaucoup de gens même si cela laisse rêveur. On nous a toujours expliqué que les investisseurs se méfiaient comme de la peste de l’incertitude or quoi de plus imprévisible que des attentats ? Peut-être l’envisagent-ils tout simplement comme une catastrophe naturelle, typhon, tsunami ou tremblement de terre que l’on ne craint pas parce qu’on ne peut pas les prévoir. Peut-être faudrait-il ressortir la distinction de Knight entre le risque et l’incertitude ou celle de Keynes entre le risque que l’on peut calculer et celui qui échappe à tout calcul (que Daavidson appelle non-ergodique) : les financiers ne s’inquiétant, comme chacun de nous, que des risques que l’on peut anticiper et négligeant ceux que l’on ne peut calculer, ils continueraient de vaquer à leurs petites affaires au milieu des attentats suicides et des massacres dans les transports en commun…

Vers la « fin » de la retraite pour tous?

Dans une précédente note, je parlais du modèle japonais de la retraite (on continue de travailler après sa retraite, tout en touchant sa pension mais pour un salaire plus faible). S’il était à l’origine japonais, il se développe un peu partout dans le monde anglo-saxon, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Etats-Unis où l’on trouve des auteurs pour expliquer que la retraite est une catastrophe et que l’on est beaucoup plus heureux lorsque l’on continue de travailler (Jerry Sedlar, Rick Miners, Don’t Retire, rewire, publié en 2003 ou Too young to retire : 101 ways to start the rest of your life de Marika et Howaard Stone également publié en 2003).
Et il est vrai que l’on voit aux Etats-Unis beaucoup de personnes âgées travailler dans la grande distribution ou la restauration. Certaines entreprises se sont fait même une spécialité du recrutement de ces travailleurs âgés qui auraient, paraît-il, l’avantage d’être plus sérieux et compétents. J’imagine qu’il faut plutôt entendre : moins cher. Moins cher parce qu’ils ne travaillent que pour compléter une pension qui n’est pas suffisamment importante. Le mouvement paraît appelé à se développer. Le Bureau of Labor Statistics américain prévoit qu’en 2012 65% des personnes âgés de 55 à 65 ans travailleront contre 61% en 2004. Plus significatif, il prévoit qu’à cette date 16% des gens de plus de 65 ans travailleront contre 14% en 2004.
Pour autant que l’on puisse en juger d’après les quelques indications que j’ai pu glaner ici ou là, les emplois de ces retraités présentent deux caractéristiques :
- ils sont mal rémunérés, moins bien en tout cas que les emplois qu’ils occupaient précédemment,
- ils ne se situent pas dans les domaines de compétences que les retraités ont exploré dans leur vie professionnelle.
Ce qui confirme bien qu’il s’agit, pour l’essentiel, d’emplois pris pour compenser des pensions trop faible et n’a donc rien à voir avec la lutte contre les discriminations contre les travailleurs les plus âgés ni même à un allongement de la durée de la vie professionnelle et l’abandon de la retraite à 60 ans. Aucun homme politique n’a en France, à ma connaissance, proposé de faire travailler les plus âgés, mais c’est une idée que pourrait développer Nicolas Sarkozy dont on imagine bien l’argumentaire :
- on est en pleine forme à 57 ans, bien trop jeune pour s’arrêter (« regardez Chirac, pourrait-il ajouter, il est bien Président à 72 ans », mais son animosité à l’égard du Président pourrait nous éviter cet argument) ;
- le monde du travail a beaucoup changé : les retraites « précoces » se justifiaient lorsque les travailleurs avaient des tâches manuelles, elles ne se justifient plus dans des économies dominées par des activités de service ;
- il y a plein d’activités bénévoles qui ont besoin des compétences acquises dans le monde professionnel ;
- il faudrait être bien bête pour cracher sur un supplément, même minime, de rémunération, surtout si l’on y attache une pointe de déduction fiscale (ce n’est pas le cas dans la plupart des pays qui ont organisé le travail des retraités, mais on pourrait l’envisager en France où l’on aime bien compliquer les règles fiscales ;
- enfin, les autres le font et nous ne sommes pas plus intelligents qu’eux. Du reste, cette interdiction de travailler après la retraite n’est qu’une nouvelle forme de notre exception sociale qui nous fait tant de tort.
Politique fiction ? Je n’en suis pas si sûr…J’en suis d’autant moins sûr que la question des retraites est loin d’être réglée alors même que l’on ne mesure pas encore tous les effets sur les pensions versées des dispositions prises par Balladur il y a quelques années et plus récemment par Fillon.

jeudi, juillet 07, 2005

Une phrase de Christian Dotremont

Passant à la Hune ce matin, je m'achète un livre de Christian Dotremont, le poète belge qui a été le théoricien du mouvement Cobra. J'ai déjà chez moi ses poèmes. Ce qui m'incite à acheter ce roman ce n'est pas tant ce que je sais de l'auteur qu'une phrase lue alors que je feuilletais ce livre : "Avant de jouer du Wagner, je dois m'allumer comme un poste de radio." Je ne suis pas sûr de savoir ce que cela veut dire, mais un livre où l'on trouve ce genre de phrases ne peut pas être mauvais.

Je ne sais pas s'il existe des études sur ce qui incite à acheter les livres. Pour ma part, je me fie au désir de lire la suite qui me saisit dans les librairies, désir qui m'amène très soouvent à acheter les romains que publient les éditions de Minuit (Gailly, Echenoz…). Je les lis mais je les oublie souvent presque aussitôt, ce qui ne m'empêche pas de recommencer l'expérience.

JO : et si l’on reparlait du dopage ?

Plusieurs membres de Paris 2012 se sont demandés dans les minutes qui ont suivi l’annonce de la sélection de Londres si le CIO n’avait pas voulu sanctionner Paris. Ils ne sont pas allés beaucoup plus loin dans l’analyse, mais on peut le faire à leur place et avancer une hypothèse : en rejetant la candidature de Paris, le CIO a voulu sanctionner la seule capitale qui ait, il y a quelques années, tenté de lutter sérieusement contre le dopage, la seule qui se soit attachée à protéger les sportifs contre eux-mêmes, contre leurs entraîneurs et leurs sponsors.
Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, et je suis peut-être victime d’un effet de perspective, mais j’ai bien l’impression que si on parle aujourd’hui de lutte contre le dopage, si des athlètes sont interdits de compétition pour ce motif, c’est à l’action de Marie-Georges Buffet que nous le devons. En s’en prenant à ces pratiques, elle a attaqué les institutions sportives (le CIO, les fédérations sportives, la presse spécialisée…) au cœur : depuis que l’on parle de dopage, depuis que l’on tente de lutter contre, on ne peut plus tout à fait croire leur discours. Depuis les mesures prises par Marie-Georges Buffet et les arrestations de cyclistes et de soigneurs, on sait que les sportifs sont aussi (sont d’abord ?) des tricheurs, que leurs mentors (entraîneurs, fédérations, journalistes…) acceptent de risquer la santé des athlètes contre des médailles rémunératrices. Vu du coté du CIO, cela mérite sans doute une condamnation à vie…
L’insistance de Delanoë et de son équipe sur leur volonté de respecter les règles, de se faire modeste avait quelque chose de pathétique, je dirai presque de puéril, de naïf, dans un monde dont chacun sait bien qu’il ne respecte aucune règle et surtout pas celles qu’il se donne. Il y a dans la défaite de Delanoë quelque chose qui rappelle celle de Jospin : dans un monde de canailles, on peut parler d’honnêteté à longueur de discours, mais mieux vaut ne pas trop y croire.

lundi, juillet 04, 2005

Le retour d'une consommation aristocratique?

Nous sommes entrés dans la période des vacances, beaucoup de gens vont prendre l’avion, vont faire des queues interminables dans les aéroports et vont peut-être être sensibles à un phénomène que j’ai observé ces derniers jours à l’occasion, justement, d’un voyage : le développement d’une offre de services qui, sous couvert d’offrir des services aux V.I.P. s’apparente à la vente de privilèges.
La notion de VIP n’est pas nouvelle. Il y a depuis longtemps dans les aéroports des salles d’attente réservées à ces personnes importantes, mais la nouveauté est, je crois, que cette notion est aujourd’hui en passe d’entrer dans les moeurs du marketing des services, elle est déjà entrée dans les pratiques courantes des grandes entreprises de service américaines.
Les services en contact avec le public, transports, distribution, sont confrontés à une difficulté majeure : les effets de volume. Tout le monde veut partir en voyage en même temps, tout le monde veut faire ses courses aux mêmes heures, d’où des embouteillages et des encombrements. Pour y échapper, les entreprises spécialisées ont développé ces dernières années des techniques de tarification flexible dont l’exemple le plus connu en France est, sans doute, celui de la SNCF. Le même voyage coûte du simple au double selon le jour, l’heure, l’âge… Si vous avez moins de 25 ans, si vous avez une carte 12-25 et si vous voyagez en semaine au mois d’octobre, cela vous coûtera beaucoup moins cher que si vous voyagez une veille de week-end chargé et que vous n’avez droit à aucune réduction.
C’est agaçant, compliqué et un peu injuste, mais cela incite ceux qui peuvent partir aux heures creuses à le faire, cela évite les queues trop longues et les trains surchargés et cela permet à la SNCF d’optimiser ses ressources,… Les prix varient, mais les services offerts sont identiques sur tous les trains ; ils vont à la même vitesse et les agents se comportent de la même manière avec tous les voyageurs. Or, ce qui se passe avec les VIP est tout différent. Les voyageurs ont bien le même produit, ils empruntent le même avion, mais on leur évite de faire la queue, on s’occupe d’eux de manière plus attentive, plus attentionnée. Pour ne prendre que cet exemple sur les quatre guichets affectés à un vol, deux sont réservés aux 150 ou 200 voyageurs en classe touriste et les deux autres pour les 25 ou 30 voyageurs en première classe ou à ce qui en tient lieu (executive, business…). Alors que les uns font la queue plusieurs dizaines de minutes, les autres ne la font pas. Ils ont acheté avec leur billet ce privilège et quelques autres dont celui d’être pris complètement en charge par le personnel. L’objectif des compagnies aériennes est, comme dans le cas de la SNCF, de maximiser les revenus du transporteur, mais la manière de s’y prendre est radicalement différente.
Il y a quelque chose d’aristocratique dans ce mode de consommation qu’on ne trouve pas dans la méthode de la SNCF. Les clients qui voyagent en executive class achètent le fait de ne pas être traité comme les autres, d’être reconnus comme une personne qui sort de l’ordinaire et non plus seulement comme un client. Ils achètent une distinction, un statut, une qualité de relation humaine. Les employés qui les traitent les font passer devant les autres, leur donnent des marques d’intérêt, d’importance un peu comparables à celles que donne le restaurateur qui salue ses clients de leur nom et soulignent ainsi aux yeux de tous que ce sont des habitués.
Ce mode de consommation s’oppose à un autre mode de consommation qui s’est développé dans les sociétés d’abondance et que l’on appelle aux Etats-Unis où il est le plus développé le “binge”. On y parle de binge eating, de binge drinking. Il s’agit de consommation excessive. Le binge eating consiste à manger sans fin et sans faim. Le binge drinking à boire plusieurs, en général au moins quatre ou cinq verres d’alcool à la suite. Il s’agit de consommation sans frein, assez voisine de l’orgie de l’antiquité romaine : on s’empiffre, on s’enivre, on devient boulimique, obèse jusqu’à en tomber malade (que de chaises roulantes, de béquilles, de corps blessés, usés, abîmés par les excès dans les rues américaines!).
Si être aristocrate dans cette société, c’est être reconnu pour ce que l’on est, c’est être une personne, être pauvre dans une société d’abondance ce n’est pas manquer de biens matériels (on en a à n’en savoir que faire! on mange jusqu’à plus faim), c’est manquer de reconnaissance sociale, c’est n’être personne, qu’un consommateur parmi tant d’autres.

jeudi, juin 23, 2005

Pour tous ceux que Bourdieu met mal à l'aise…

A tous ceux que la lecture de Pierre Bourdieu met mal à l'aise, à tous ceux que ses thèses qui lui permettent de se mettre, lui, l'intellectuel en dehors des classes sociales qu'il décrit, je recommande l'excellent livre de Louis Gruel, tout simplement intitulé Pierre Bourdieu illusionniste aux éditions des Presses Universitaires de Rennes. L'auteur, sociologue y démonte piècesà l'appui les tricheries, à peu près et ruses rhétoriques utilisées par le sociologue. Un délice. plus qu'un délice, une illustration de ce qu'il aurait fallu faire lorsque Bourdieu était encore vivant. Cela nous aurait valu de belles empoignades, mais aussi peut-être des progrès scientifiques.

mercredi, juin 22, 2005

Immigraton : une étude à lire

Extrait d'une dépêche de la BBC qui fait référence à une étude de l'IOM (International Organization for migration) que l'on peut trouver ici

Migration is 'good for everybody'

Migrant workers send their earnings back home across the globe
Migrants can bring many benefits to both the countries they move to and the ones they leave behind, according to a major new study.

The International Organization for Migration looked at the costs, benefits and disadvantages of global migration.

It found that common concerns about the negative effects of migration on jobs and welfare costs are often unfounded.

The IOM says there up to 192 million migrants and many bring a wide range of economic and other benefits.

Filling spaces

"We are living in an increasingly globalised world that can no longer depend on domestic labour markets alone. This is a reality that has to be managed," said Brunson McKinley, head of the IOM.

"If managed properly, migration can bring more benefits than costs."

The IOM cites a British report showing that, between 1999 and 2000, migrants in the UK contributed $4bn (£2.1bn) more in taxes than they received in benefits.

And, rather from taking jobs from local workers, the report says that migrants tend to fill spaces at the poles of the labour market - working both in low-skilled, high-risk jobs and highly skilled, well-paid employment.

"There's very little evidence in many of the Western countries that are receiving migrants that migrants are substituting the local workforce," the report's editor, Irena Omelaniuk, added.

The IOM says that migrants make up less than 3% of the global population and that almost half of all migrants are women.

It says that although the number of migrants has risen, from 82m in 1970 to around 190m people today, some countries - including Asia and Africa - have seen their proportional share of migrants decline.

'Brain gain'

The most popular destination countries for migrants include the US - which alone is home to more than 20% of the world's migrants - and Russia, home to almost 8% of global migrants.

Migrants make a significant contribution to the economies of their home states, the report says, with returning cash flows sometimes exceeding official development aid.

Migrant workers sent back more than $100bn (£55bn) to their countries of origin in 2004 and the report estimates that more than double this figure may also be sent through informal channels.

Morocco, the report says, received $2.87bn (£1.57bn), or 8% of its GDP, from money sent home by migrant workers in 2002 and remittances sent to The Philippines accounted for almost 10% of its GDP.

The report says that, although many skilled workers abandon their home countries seeking higher pay abroad, many can be encouraged to return home bringing acquired skills and experience - a process of "brain gain".

"Trends suggest a greater movement towards circular migration, with substantial benefits to both home and host societies," the report says.

dimanche, juin 19, 2005

Une film à éviter : Les poupées russes

J'avais gardé un plutôt bon souvenir de l'Auberge espagnole. J'attendais donc beaucoup des Poupées russes, le derier Klapisch. Je suis tombé de haut, de très haut. Non seulement, c'est long à mourir, j'ai regardé au moins cinq, six fois ma montre, mais cela ressemble à du Lelouch (chabada, chabada, version je ne sais pas très bien quel partenaire choisir?) pour la profondeur des idées et des sentiments. La mise en scène est quelconque. Il n'y a que la direction d'acteurs qui soit bonne. Ce qui m'a fait penser à un film réalisé pour répondre à la commande d'une agence de casting. Chaque comédien joue un bout de rôle qui le met en valeur puis s'en va. Ce qui fait qu'on a le sentiment en sortant que l'on aurait pu suppimer à peu près n'importe quel personnage (la mère, la vendeuse sénégalaise, le frère et son épouse russe, l'ex…) sans que le film perde quoi que ce soit. J'ajouterai qu'il y a dans ce film un petit quelque chose de déplaisant : il se moque des téléfilms et il nous en montre un tellement ridicule que l'on ne peut s'empêcher de penser que l'auteur n'est pas tout à fait honnête. Il est vrai que son film fera les délices d'une chaine privée qui a le droit de couper les films de tunnels publicitaires.
Deux heures de perdues que j'aurais mieux fait de passer à poursuivre la lecture du Dostaler sur Keynes (Keynes et ses combats chez Albin Michel) qui, et c'est sans doute une première, nous propose une biographie d'un économiste dans son siècle. Le livre a le mérite de nous faire découvrir des facettes de Keynes que l'on connaît mal en général (ses goûts esthétiques, sa philosophie morale…)

Il parait que le non au référendum allait aider à la création d'une Europe plus sociale…

Les partisans du non de gauche nous assuraient que leur vote allait favoriser l'émergence d'une Europe plus sociale. Si j'en juge par ce qu'écrit le Monde à la suite du double échec du sommet de Luxembourg, c'est plutôt le contraire qui risque de se produire :
"Le programme de la présidence britannique sera rendu public le 23 juin. Le chancelier de l'Echiquier, Gordon Brown, en a donné un aperçu le 26 mai, dans une communication au Parlement britannique, en souhaitant que l'Europe réforme le marché du travail, réduise les subventions publiques, achève la libéralisation du marché de l'énergie, crée un marché financier libre transatlantique. M. Blair sera notamment attendu sur deux projets controversés en discussion à Bruxelles, la directive Bolkestein sur la libéralisation des services et la directive sur la durée du travail, que la Grande-Bretagne veut assouplir."
C'était prévisible et nous avions été nombreux à le dire, mais on nous accusait alors de ne pas prendre au sérieux la voix de la France dans le concert européen. C'est vrai : nous n'avions pas imaginé que le non de la France entraînerait aussi rapidement les opinions européennes dans un refus de l'Europe qui ressemble trop souvent à une dérive nationaliste.

samedi, juin 18, 2005

Propriété intellectuelle et liberté d'expression

J'ai depuis longtemps le sentiment (c'est plutôt une intuition) qu'une protection trop féroce de la propriété intellectuelle va à l'encontre de la liberté d'expression. En voici une nouvelle illustration, extraite d'une interview d'Elmore Leonard, un auteur de romans policiers, publiée dans la dernière livraison de Time (celle datée du 20 juin 2005). Le journaliste lui demande pourquoi il n'a pas un personnage récurrent, à la Philip Marlowe.
Sa réponse : "Je pense qu'il m'ennuierait vite. Après que j'aie vendu City Primeval à United Artist, j'ai utilisé le même personnage dans le livre suivant et mon agent m'a dit : "il faut changer son nom parce que United Artist en est propriétaire et si nous lui vendons pas ce nouveau livre, on ne pourra pas le vendre à d'autres." Alors j'ai changé son nom et allégé sa moustache."
Qu'ajouter à cela? Sinon que cela apporte un peu plus d'eau à mon moulin?

vendredi, juin 17, 2005

Un monde anglo-saxon

Un monde anglo-saxon
Je viens de télécharger sur mon mac un widget, un de ces petits outils gratuits que l’on peut trouver sur le net et qui vous permettent de faire un million de choses (consulter directement l’annuaire des téléphones, la circulation dans Paris, traduire un mot de l’allemand, noter une chose à faier…). Celui-ci est développé par une entreprise qui a eu l’excellente idée de cartographier l’actualité : elle fabrique des cartes qui évaluent le poids des événements du jour (de l’heure…) selon l’importance que leur accorde la presse. C’est une bonne manière de représenter l’actualité. Et c’est, sur le plan technologique, une petite performance même s’il ne s’agit après tout que d’appliquer aux articles de presse une technique que les documentalistes et spécialistes du monde de la recherche connaissent bien (on calcule l’importance d’un papier au nombre de citations dans d’autres papiers scientifiques…). C’est donc un très bel outil qui n’a qu’un défaut : il n’analyse que des articles parus en anglais. Ceci pour de bonnes raisons qu’il serait stupide de critiquer : pour les ingénieurs qui avaient d’autres soucis, c’était évidemment plus simple. Reste que le monde que l’on nous montre est vu au travers de lunettes anglo-saxonnes. Ce qui donne des cartes étranges comme on peut en juger d’après cette liste où à coté de chaque nom de ville est associé un poids :
0. Baghdad (13%)
0. Washington (09%)
0. Gaza (07%)
0. Mosul (07%)
0. Moscow (06%)
0. London (06%)
0. Luxembourg (05%)
0. Pyongyang (05%)
0. Tehran (04%)
0. Brussels (04%)
0. Seoul (04%)
0. New York (03%)
0. Victoria (02%)
0. Berlin (02%)
0. Phnom Penh (01%)
0. Hong Kong (01%)
0. Guatemala (01%)
0. Delhi (01%)
0. New Delhi (01%)
0. Ankara (01%)
Pas besoin d’être grand clerc pour voir que cette hiérarchie correspond à celle des préoccupations, non pas de l’administration américaine, pas même de la presse américaine, mais de la presse qui utilise l’anglais comme langue.
Ce n’est pas la première fois que j’observe ce phénomène (voir, par exemple, une amorce d’analyse dans un texte publié il y a quelques années dans les Temps Modernes : quand les économistes veulent enchaîner la démocratie que l’on peut lire sur mon site : la domination modernes passe par d’étranges détours. Elle n’a plus besoin d’armes, de bombes et de soldats, il lui suffit de n’utiliser que la langue dominante pour effacer de la carte des zones entières. Il n’est même pas nécessaire de les détruire ou des les occuper militairement pour les soumettre à la loi du plus fort. J’ajouterai que ce n’est pas tellement surprenant : je me souviens, lycéen traduisant César, de m’être demandé ce que l’on savait de la Gaulle ou de la Germanie en dehors de ce qu’en disait le général romain. Je n’en sais toujours pas plus que ce qu’il en disait.

jeudi, juin 16, 2005

Modèles : et si l’on parlait du modèle japonais en matière de retraite?

On parle ces jours-ci beaucoup du modèle français mais aussi de modèles étrangers dont nous pourrions nous inspirer. L'idée même que l'on puisse, enfin!, regarder ce que font les autres est une bonne nouvelle. Mais il ne faut pas se contenter de regarder ce qu'ils font en matière de chômage, il faut aussi s'intéresser à ce qu'ils font dans d'autres domaines.
Je voudrais aujourd’hui dire un mot du modèle japonais (et, semble-t-il coréen) en matière de retraite qui pourrait un jour inspirer nos politiques. Au Japon, comme en France et en Corée, l’âge de la retraite officiel est à 60 ans (alors qu’il est plutôt de 64 ans dans les autres pays de l’OCDE). Mais, à la différence de ce qui se passe en France, l’âge réel de départ est beaucoup plus tardif : les Coréens et les Japonais continuent de travailler jusqu’aux abords des 70 ans (67 ans pour les Coréens, 69 ans pour les Japonais. En général, cela se passe de la manière suivante : à 60 ans, leur entreprise leur propose un contrat de 5 ans à un salaire plus faible. Lorsqu’ils arrivent à l’âge de 65 ans, ils reprennent une nouvelle activité à un salaire plus faible encore.
Ce mécanisme n’est possible que parce que l’on peut 1) concilier une retraite et une activité professionnelle, ce qui n’est pas le cas en France et 2) parce que les retraites versées par les entreprises ou le gouvernement sont faibles (si le coût du travail au Japon est à peu près comparable au coût du travail en France, la distribution des revenus est différente : une partie plus importante du coût est, chez nous, affecté au paiement de cotisations).
Ce modèle présente deux aspects qui pourraient, un jour, retenir l’attention de nos gouvernants :
- il limite l’effet chômage des plus âgés que notre dispositif encourage : aucune entreprise ne peut recruter un salarié de plus de 55 ans, sachant qu’il la quittera vers soit au moment où sa formation au poste achevée (cela demande selon les postes de quelques semaines à quelques mois), il est devenu pleinement opérationnel. Le taux de participation des personnes âgées de plus de 55 ans au marché du travail (actifs ou à la recherche d’un emploi) est de l’ordre de 40% en France, il est de l’ordre de 90% au Japon et supérieur à 70% pour les hommes de plus de 60 ans ;
- il compense les faiblesses des pensions, un problème dont on parle peu mais qui se profile à notre horizon, comme commencent à le découvrir sur le terrain les travailleurs sociaux : les différentes réformes de la retraite ont créé et vont créer de plus en plus de retraités pauvres. On peut, d’ailleurs, à ce propos, souligner le véritable piège qu’est devenu le modèle français en la matière : d’un coté, un départ à la retraite précoce réduit fortement le taux d’activité des plus de 54 ans, de l’autre, les réformes de la retraite reposent sur un allongement de la durée des cotisations, ce qui ne peut que conduire à un appauvrissement de la majorité de tous les retraités qui n’ont pas commencé leur carrière professionnelle à 14 ans.
Ce modèle n’est bien évidemment pas satisfaisant, mais il ne faudrait pas qu’on nous le présente dans quelques années comme une évidence et un moindre mal : une évidence pour résoudre les tensions sur le marché du travail qui ne manqueront pas d’apparaître du fait du vieillissement de la population si rien n’est fait pour ouvrir les frontières ; et un moindre mal pour améliorer les revenus de travailleurs âgés mais encore en bonne santé. Or, c’est bien ce qui risque de se produire si on continue de négliger la question de l’âge et de laisser irrésolues les contradictions et difficultés réelles qu’il pose :
- il est vrai que beaucoup de salariés sont fatigués à un âge relativement jeune, d’autant plus fatigués que nous avons un taux de productivité horaire élevé,
- il est également vrai que les salariés âgés sont souvent moins efficaces (parce que fatigués ou dépassés par la technologie),
- mais il est aussi vrai que s’arrêter de travailler à un âge trop précoce n’est pas une solution : cela appauvrit les retraités et crée du chômage chez les plus de 50 ans.

mercredi, juin 15, 2005

Just revenge de Allan M. Dershowitz

Allan Dershowitz est l’un des auteurs qui a le plus milité dans la presse américaine pour une utilisation « mesurée » de la torture au lendemain du 11 septembre (pour en savoir plus sur ses thèses, voir mon texte Torture : l’inquiétante candeur américaine dans les Temps Modernes, mars-juin, 2005). Passant dans une librairie de gare, il y a quelques jours, je tombe sur un roman policier que cet avocat qui enseigne à Harvard, a publié il y a quelques années et que l’on trouve aujourd’hui dans une collection de poche : Just revenge (collection policière du livre de poche). Je l’ai acheté, je l’ai lu. C’est plutôt un bon roman policier, qui se lit d’autant plus agréablement que l’on devine, derrière l’intrigue assez classique (dans une première partie on voit un théologien juif (mais athée) dont toute la famille a été décimée pendant la guerre se venger de manière particulièrement subtile du milicien letton qui a tué toute sa famille ; la seconde partie est, comme dans beaucoup de policiers américains, le récit de son procès) une réflexion sur la revanche et sur la possibilité des institutions contemporaines de juger.
On retrouve, par moments, dans ce texte, où l’on devine les interrogations de l’auteur et, au delà de ses interrogations, une pensée en mouvement, comme un écho aux réflexions de Jankélévitch sur ces mêmes thèmes. On comprend mieux, en le lisant, combien la pensée juive sur l’holocauste, mais aussi sur le conflit israélo-palestinien, a nourri la pensée politique américaine, a renouvelé les thèmes classiques de la revanche, de la violence, de l’impossibilité de pardonner mais aussi de juger. Ce qui, mieux que le poids politique de la communauté juive expliquerait la constance des positions américaines dans le conflit israélo-palestinien : il ne s'agirait pas seulement de real-politik mais aussi d'éthique. J’ajouterai que ce texte ne laisse, dans sa deuxième partie, en rien préjuger des positions de son auteur au lendemain du 11 septembre alors même que sa première partie leur laisse la porte grand ouverte.

Les quotas, l’immigration

Le gouvernement parle depuis quelques jours des quotas en matière d’immigration. Il voudrait, comme le dit Le Monde, trouver le moyen de ne faire venir en France que des immigrés utiles, ceux dont notre économie a besoin. Disons-le tout de suite : c’est un progrès sur les positions antérieures qui revenaient à interdire, dans les discours sinon dans les faits, toute entrée de travailleurs étrangers. Mais c’est plus un progrès dans la symbolique (une reconnaissance de ce que notre économie a besoin de travailleurs étrangers) que dans la réalité. Pourquoi ? Tout simplement, parce que cette position repose sur une triple illusion :
- illusion de croire que nous sommes capables de mesurer nos besoins en matière d’effectifs et de traduire ces besoins en prescription administrative du type : 750 plombiers, 225 tanneurs, 72 psychanalystes… Une entreprise peut le faire puisqu’elle maîtrise les projets qu’elle envisage de développer, un Etat ne peut pas le faire puisque les décisions sont prises par une multitude d’acteurs indépendants qui ne prennent leur décision qu’au vu des disponibilités sur le marché du travail. Les critiques que Hayek faisait la planification sont ici pleinement valides ;
- illusion de croire, à l’inverse de ce que suggère dans son blog Bernard Salanié, que nous n’avons besoin que de gens qualifiés : une jeune sénégalaise sans qualification qui garde des enfant et permet à une mère de famille diplômée de l’enseignement supérieur de prendre un emploi est aussi utile à notre économie qu’une diplômée de l’enseignement supérieur d’origine étrangère. J’ajouterai que la distinction emploi qualifié/emploi non-qualifié perd beaucoup de sa pertinence lorsque l’on se rapproche des emplois réels : l’essentiel des compétences des agents économiques sont aujourd’hui, plus peut-être encore qu'hier, apprises sur le tas. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le système scolaire agit beaucoup plus comme un moyen de sélection qui donne à l’employeur des informations sur le niveau, la capacité de travail et les préférences des candidats que comme un outil de formation à des compétences qui évoluent en permanence ;
- illusion de penser que l’immigration fonctionne sur le modèle de l’ANPE avec des petites annonces pour des CDD : les immigrés qui viennent se décident pour un emploi, mais aussi pour une carrière. Ils choisissent le pays qui leur offre les meilleures possibilités d’emploi, d’accueil pour leur famille sur la durée. Ce ne sont pas des mercenaires que l’on peut révoquer et renvoyer chez eux à tout instant.
Mais, plutôt que de me citer, j’ai envie de renvoyer sur ces questions les lecteurs à Plaidoyers pour l’immigration, le livre que j’ai publié aux éditions Les Points sur les i en septembre dernier.