Est-ce que nous devons le plomb dans l’essence, plomb dont on connaît les effets catastrophiques sur la santé humaine et sur l’environnement, au droit de la propriété industrielle ? C’est une thèse que développe Jamie Lincoln Kitman dans l’excellent article qu’il a publié en 2000 dans la revue américaine The Nation, et que les éditions Allia viennent de traduire et d’éditer en français sous le titre : L’histoire secrète du plomb.
L’histoire (abominablement résumée) est la suivante. Les industriels de l’automobile sont dans les années 20 à la recherche d’un additif à l’essence pour éviter que les moteurs ne produisent un cliquetis. Une solution s’impose alors, l’utilisation de l’éthanol (que l’on a repris depuis), mais l’éthanol pose un double problème économique :
- sous-produit de l’agriculture , il peut être fabriqué par n’importe qui et ne peut être breveté. Il échappe en d’autres mots au contrôle de l’industrie,
- utilisé en grande quantité dans les carburants, il fait une concurrence directe aux produits pétroliers.
Pétroliers et constructeurs automobiles partent donc à la recherche d’un adjuvant à l’essence qu’ils puissent contrôler (c’est-à-dire breveter et dont la fabrication demande des investissements industriels). C’est le cas du PTE ou tétraéthylplombane dont un de leurs chercheurs découvre les propriétés anti-détonantes en 1921 et que DuPont qui contrôle à l’époque la General Motors met aussitôt en production alors même que ses dirigeants (des courriers en attestent) sont parfaitement informés de sa toxicité).
Si cette thèse exacte, elle met en évidence une des (nombreuses) limites de la propriété industrielle : elle fait préférer un produit qui exigent un processus industriel complexe (qui se prêtent donc à une appropriation par des groupes industriels) à des produits plus simples qui peuvent être fabriqués dans des unités plus petites avec des procédés banals.
J’imagine que si l’on recherchait un peu dans l’histoire des techniques on trouverait d’autres exemples de ce même phénomène. Ce serait à vérifier, mais je me demande si l’abandon dans les années 70 des procédés analogiques (hydrauliques…) au profit de procédés numériques dans les industries de la mesure ne relève pas du même mécanisme.
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