samedi, mai 29, 2010

Quand les personnages se vengent de leur auteur

Ecrire une biographie n'est pas de tout repos. Il arrive que les personnages se rebiffent et font tout le contraire de ce que l'auteur aimerait. C'est la mésaventure qui vient d'arriver à Raphaëlle Bacqué. Cette journaliste du Monde vient de publier un petit livre (de lecture agréable, plutôt recommandable si vous avez  un voyage en train) sur François de Grossouvre, cet ami et conseiller de François Mitterrand qui s'est suicidé à l'Elysée : Le dernier mort de Mitterrand.

Tout le projet, avoué, de Raphaëlle Bacqué, est de montrer que ce malheureux Grossouvre, qu'elle a rencontré alors qu'elle débutait, a été une victime de Mitterrand, non que celui-ci ou l'un quelconque de ses collaborateurs ait commandité son assassinat, mais l'ancien Président serait, au moins indirectement, par son attitude, sa dureté, sa lâcheté, dit Bacqué à plusieurs reprises, responsable de sa mort. Mitterrand aurait attendu que Grossouvre  quitte de lui-même l'Elysée, alors qu'il aurait du selon Bacqué, refuser d'entretenir l'ambiguïté sur la nature de ses relations avec celui qui n'était plus à la fin qu'un ancien ami pour lequel il éprouvait un peu de pitié.

Or, ce qui ressort de la lecture de ce livre est que Grossouvre a très vite dérapé, nourrissant la presse de ragots contre Mitterrand sans que celui-ci ne fît rien pour sanctionner un vieil ami. Ce livre a été manifestement très documenté. Ce qui le rend, toutes choses égales par ailleurs, intéressant. On y apprend, incidemment, que Grossouvre a organisé au début du premier septennat de faux attentats contre Mitterrand pour le convaincre de revoir sa sécurité. On y apprend également que le livre interdit de Jean-Edern Hallier a surtout été jugé impubliable par tout ce que Paris comptait alors d'éditeurs anti-mitterrandistes. Ils craignaient moins la censure que le ridicule d'avoir publié un livre dans lequel on trouvait, à coté de la révélation de l'existence de Mazarine, des scènes dans lesquelles François Mitterrand se faisait sodomiser sur la plage d'Hossegor.

Bacqué a une thèse : il y a eu un coup de foudre entre les deux hommes, comme cela arrive souvent dans les cercles du pouvoir, Grossouvre est tombé amoureux de Mitterrand et n'a pas supporté d'être négligé lorsque celui-ci, arrivé à la Présidence, l'a abandonné au profit d'autres. Mitterrand aurait alors fait preuve de cruauté mentale. Il devrait donc sortir de ce livre sali. Or, ce n'est pas le cas. Bien au contraire, ce livre contribue à le réhabiliter un peu plus. La seule chose qu'on puisse, à sa lecture, reprocher à notre ancien Président est d'avoir conservé de la tendresse pour de vieux amis. Qui peut voir là un crime?

Ces villes qui affolent les architectes

S'il est des villes qui, telle Paris, assagissent les architectes, d'autres les affolent au contraire, les amènent à multiplier les extravagances au risque de commettre quelques belles erreurs. New-York, Barcelone, Vienne sont de celles-ci, mais aussi Budapest où je suis depuis trois jours à l'occasion de la sortie en hongrois, chez Typotex, une maison spécialisée dans les publications scientifique (son nom vient, d'ailleurs, de TeX, un langage informatique inventé dans les années 70 pour typographier des formules mathématiques) de mon livre sur Google. Entre conférences, interviews et autres tables-rondes, j'ai eu le temps de faire quelques promenades dans une ville qui n'a pas tant changé que cela ces trente dernières années (ce n'est pas ce que disent les habitants de Budapest, mais la ville que je vois aujourd'hui ressemble somme toute assez à celle que j'avais découverte dans les années 80).

Ce qui frappe, c'est l'audace des architectes, leur capacité à laisser libre cours à leur imagination. Ce n'est pas nouveau. C'est vrai de bâtiments relativement anciens, construits au 19ème ou au début du 20ème siècle, comme cet immeuble :



Ce l'est moins (ce ne l'est même pas du tout) des parties de la ville construites au 18ème siècle qui ont quelque chose de militaire, d'assez classique.


C'est, semble-t-il, une affaire du 19ème siècle qui s'est perpétuée comme on peut le voir avec cette image d'un bâtiment de construction manifestement récente qui tente de réinventer un chateau médiéval avec des matériaux modernes.


Des sociologues sauraient sans doute nous expliquer pourquoi (j'imagine qu'ils associeraient dans leur explication un peu de mégalomanie des promoteurs, de laxisme réglementaire, de mimétisme et une pincée de paprika), mais peu importe, cela rend la promenade dans ces villes toujours agréable : à chaque coin, on peut être surpris. On l'est aussi à Paris, bien sûr, mais cette surprise est, non pas plus rare, mais plus subtile, il faut mieux connaître l'histoire pour voir que tel pan de mur, tel balcon est surprenant.

Cette imagination trouve son inspiration un peu partout, y compris dans l'antiquité la plus lointaine comme avec ce zigurat installé à proximité d'un immense centre culturel un peu à l'extérieur qui associe (très belle) salle de concert et musée :



Zikurat aux pieds duquel on trouve naturellement un labyrinthe, malheureusement un peu fatigué :


Cela ne donne pas toujours de bons résultats, mais c'est parfois très réussi, comme ce bâtiment très moderne sur une des places les plus fréquentées de la ville :

dimanche, mai 09, 2010

Papandréou, Sarkozy et Cohn-Bendit

La presse en à peine parlé, mais Daniel Cohn-Bendit a accusé Nicolas Sarkozy d'avoir exercé des pressions sur le premier ministre grec, Georges Papandréou, pour qu'il respecte les contrats d'armement souscrits avec la France en échange de l'aide française à la grecque. L'Elysée et Matignon ont depuis vivement démenti. Mais s'il est vrai que des pressions de ce type ont été exercées (et on a tendance à croire Cohn-Bendit qui raconte rarement des bobards), c'est gravissime : la Grèce a, aujourd'hui, deux problèmes majeurs :
- une administration, notamment fiscale, très corrompue incapable de lever des impôts nécessaires pour rembourser ses dettes (voir là-dessus, l'excellent papier de Jean Quatremer dans Libération),
- un budget militaire énorme (près de 5% du PIB), le plus gros d'Europe.

Comme elle n'exporte à peu près rien (70% de son PIB est dans les services), elle ne peut s'en sortir qu'en moralisant sa fonction publique (en bref : en faisant payer des impôts à ceux qui gagnent de l'argent) et en coupant massivement dans ses dépenses militaires. En fait, les marchés ne croiront les Grecs que lorsqu'ils diront : nous faisons payer des impôts aux Grecs et nous abandonnons notre imbécile conflit avec les Turcs. Si Nicolas Sarkozy a effectivement exercé des pressions sur Papandréou, il n'a certainement pas aidé la Grèce à sortir du bourbier, il l'a plutôt enfoncée.

vendredi, mai 07, 2010

Tocqueville, Goldhammer au Collège

Les Américains ont de la chance : ils ont Arthur Goldhammer pour leur faire découvrir Tocqueville dans des traductions que je devine impeccables tant il en parle avec élégance, intelligence et subtilité comme ce matin au Collège de France où Jon Elster et Pierre Rosanvallon s'étaient unis pour l'accueillir, ce qui dit l'estime qui l'entoure.

Pour qui en aurait douté, il suffisait de jeter un coup d'oeil sur la salle pleine de tout ce que Paris compte de spécialistes de Tocqueville, admirable auteur, analyste impitoyable dont la pensée et les réflexions ne quittent plus ceux qui l'ont lu. Pour ne citer que cet exemple, je me souviens de ce passage, quelques lignes qu'a soulignées je crois Jon Elster dans un de ses livres, dans lesquelles il explique que ce sont les gens qui se marient par amour qui divorcent le plus souvent. S'ils se sont mariés par amour c'est, nous dit-il, qu'ils ont beaucoup de caractère (tout cela se passe au 19ème siècle, naturellement). Mais les gens qui ont beaucoup de caractère ne savent pas faire de compromis. Or, comment vivre ensemble longtemps sans faire de compromis?

Arthur Goldhammer, qui tient un excellent blog sur la vie politique française, était si entouré ce matin de femmes savantes et de messieurs importants, que je n'ai pas voulu le déranger. Mais à écouter ces analyses sur l'égalité des conditions (dont Pierre Rosanvallon nous a dit que le concept en était emprunté à un juriste du début du 19ème siècle, Jean-Simon Loiseau, qui traite dans ses commentaires de la jurisprudence de l'inégalité des conditions, ce dont les quelques références que j'ai trouvées sur Google Books me font un peu douter), à écouter ses commentaires, donc, j'ai mieux compris la finesse de ses analyses de notre société. Il sait le role que le rang continue de jouer chez nous et combien Nicolas Sarkozy (puisqu'il nous faut toujours revenir à lui) souffre de ne pas tenir le sien autant qu'il devrait.

jeudi, mai 06, 2010

Barricades mystérieuses, bis

Il y a quelques mois, j'ai publié un petit papier sur ce blog sur les "barricades mystérieuses", titre saisissant qu'ont utilisé Couperin et bien d'autres depuis. Me promenant hier à Montréal je suis tombé en arrêt devant un magasin d'antiquités qui porte le même nom. J'en ai pris deux mauvaises photos :




Je suis entré dans cette boutique qui vend des coucous fabriqués en Forêt noire et arrivés on ne sait comment au Québec. Mais on pardonne à son propriétaire : il connait François Couperin et Olivier Larronde, ce qui n'est pas si fréquent.

mercredi, mai 05, 2010

Sous-marins pakistanais et la presse

Thierry Desjardins qui connaît bien son monde voit derrière l'affaire des sous-marins pakistanais un nouvel épisode de la guerre Sarkozy-Villepin : Villepin, écrit-il, était directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères (Juppé) en 1994 au moment de la signature du contrat et le Quai d’Orsay doit toujours donner son autorisation pour toute vente d’armes à une puissance étrangère. Villepin, spécialiste des questions du sous-continent indien et donc du Pakistan, connaissait forcément, dans les détails, le contrat et ses clauses secrètes. Deux ans plus tard, quand Chirac décida d’annuler les clauses sur les commissions de ce fameux contrat (en fait pour interrompre les rétrocommissions et couper les vivres des Balladuriens) Villepin était secrétaire général de l’Elysée…" S'attaquer ainsi à un adversaire ressemble assez celui que l'on présentait il n'y a pas si longtemps comme le patron d'un cabinet noir à l'Elysée. Mais quel peut être l'impact sur l'opinion?

Desjardins compare avec d'autres affaires (rumeurs sur le couple Pompidou, diamants de Giscard, affaires Boulin et Bérégovoy, Observatoire et francisque de Mitterrand, valises de billet de Chirac).  Comparaison ne vaut pas raison (si la mort des employés de la DCN est liée au non-paiement des commissions aux Pakistanais, c'est bien plus grave que tout le reste mais ceux qui ont interdit le versement des commissions sont tout aussi coupables que ceux qui ont signé le contrat), mais l'histoire montre que les plus solides réussissent à passer au travers des gouttes.

Ce qui dans l'état actuel des choses me surprend le plus est le rôle de l'Express dont le patron est très proche de l'Elysée, ne s'en cache pas, le suggère régulièrement sur nos antennes et qui, pourtant, titre sur "l'affaire qui fait peur à Sarkozy". Nous avions l'habitude de voir les journaux amis éviter les sujets compromettants. En voici un qui aurait plutôt tendance à jeter de l'huile sur les braises. Faut-il en conclure que Christophe Barbier est plus l'homme sandwich du journal que le directeur de sa direction, comme on aime à le présenter? Il est vrai que l'homme sait jouer de l'ambiguïté. Je le pensais normalien, comme sans doute beaucoup d'autres, or sa fiche Wikipedia nous dit  que "sans avoir le statut de normalien, il est diplômé d'une maîtrise d'histoire de l'Ecole normale supérieure en 1991  après y avoir été promu sur dossier en 1987 , il est également diplômé du MS Média de ESCP Europe." C'est tout à fait honorable, mais ce n'est certainement pas la même chose.

mardi, mai 04, 2010

La police, l'omerta et les bavures

Le Nouvel Observateur fait état d'une nouvelle bavure policière : des jeunes se battent pour une affaire de cigarettes. L'un de ceux-ci est ivre. La police intervient frappe une première fois le jeune homme d'un coup de matraque, il s'enfuit, un policier le frappe une seconde fois, il tombe et tombe dans le coma. La scène a été filmée par des caméras de surveillance, ce qui évitera sans doute les mensonges des policiers, de celui qui a frappé et de ses collègues.

Affaire banale dont je ne parle que parce que je viens de lire un article de deux responsables de la police de Lausanne sur ces questions : Pierre Alain Raemy et Stéphanie Meylan (Changement culturel et organisationnel par le biais d'une approche éthique : l'exemple de la police municipale de Lausanne in Ethique publique, automne 2009). Article qui raconte les efforts de la police de Lausanne pour introduire un peu d'éthique dans les pratiques de ses membres et qui souligne une difficulté particulière à ces services :  comme tout service, la police est amenée à commettre des erreurs et des fautes qu'il faut corriger et sanctionner. Mais l'omerta est particulièrement puissante dans ce milieu : les policiers se protègent mutuellement, ils se protègent d'autant plus qu'ils exercent un métier où les erreurs et fautes ont des conséquences lourdes et graves (un coup de matraque en trop peut mettre comme dans le cas cité par le Nouvel Observateur dans le coma). Plus les sanctions des erreurs et fautes sont sévères, plus l'omerta est puissante. Faut-il alléger les sanctions en cas d'erreur ou de faute? ce serait sans doute la meilleure manière de faciliter les témoignages et de lutter contre l'omerta, comme le suggère Jean-François Malherbe, professeur d'éthique à l'université de Sherbrooke, auteur d'un livre sur l'éthique dans la police.

Mais renoncer autant que faire se peut aux sanctions ne va pas de soi pour deux motifs :
- cela amène d'abord à multiplier les signalements d'erreurs et de fautes qui dégradent l'image de services qui ont besoin pour fonctionner de manière satisfaisante et efficace de la confiance de la population. Qui ira dénoncer un crime ou témoigner à un service dont on lit chaque jour dans la presse qu'il travaille mal?
- cela conduit ensuite à une étrange conception de la justice où ceux qui sont chargés de faire respecter l'ordre seraient moins sanctionnés que le reste de la population.

Voilà un sujet de réflexion pour un prochain ministre de l'intérieur.