mercredi, mars 23, 2011

Nicolas Sarkozy a-t-il lu Virgile?

C'est, à mesure que j'écoute les nouvelles de Libye, un souvenir d'adolescence qui me revient, de traduction latine, de l'Enéide, Livre IV, de ce livre titré Infelix Dido qui nous montre la reine dévorée d'un feu intérieur, aveugle, terrible, livre IV, livre splendide où l'on trouve ces quelques vers :

Extemplo Libyae magnas it Famas per urbes
Fama, malum quam non aliud ueloccius ullum :
Mobilitate uiget uirisque adquirit eundo…

Ce qu'André Bellesort (édition Budé, 1925) traduisait par : "Soudain, la renommée parcourt les grandes villes de Libye, la renommée plus rapide qu'aucun autre fléau." Et Klossowski (Gallimard, 1964) par :
"Sur le champ par les grandes cités de Libye, s'en va la Fame,
la, Fame plus que nul autre rapide :
dans la mobilité elle prospère et de forces n'acquiert qu'en marchant"
Et Chausserre Lapré (La différence, 1993) par :
"Sitôt, par la Libye et ses grandes cités,
D'un pas que nul n'égale, erre la Renommée,
Mais qui croit dans sa marche et vit de se mouvoir."

Mon latin est bien loin, mais il me semble reconnaître dans ces quelques vers un peu de notre Président parti chercher en Libye une gloire qui lui échappe ici, même si la scène que décrit Virgile n'a pas grand chose à voir puisqu'elle se passe quelque temps après que Didon se soit, lors d'un orage, donnée dans une grotte à Enée alors qu'elle était destinée au roi de Libye. Le rapprochement me tente cependant d'autant plus que les vers suivants évoquent les nuées et cette rumeur qui abreuve les peuples de ses discours et chante également ce qui est arrivé et ce qui ne l'est pas.

1 commentaire:

Lina a dit…

Oui, pourquoi pas, sauf que la Fama est ici décrite comme un monstre (au sens antique de chose qui montre et au sens moderne d'être horrible) diffusant une rumeur malveillante contre Didon, qui n'a pas respecté son voeu d'être éternellement fidèle à son mari, Sichée. Ce n'est pas du tout le sens de gloire.

Les Romains ont une attitude assez contrastée face à la Fama (qu'il est sans doute plus juste de traduire par "bruit" ; étymologiquement, c'est ce qu'on dit). Chez Virgile, elle est en général connotée négativement, ce qu'on explique par les horreurs de la guerre civile (réputations faites sur les actes horribles commis) ou par l'idéologie augustéenne (sous un excellent prince, tout le monde devient excellent, donc, si on se démarque, c'est parce qu'on ne l'est pas, d'où la connotation négative).

Dans tous les cas, je crains que Nicolas Sarkozy n'ait pas lu "L'Enéide" (mais, étant donné qu'il est capable de lire l'intégralité de "La Recherche" en quelques mois, tous les espoirs sont permis !). Quant à la renommée qu'il en tirera, espérons qu'elle sera meilleure que celle dont il est question chez Virgile...