jeudi, février 14, 2008

"Confier à chaque enfant de CM2 la mémoire d'un enfant victime de la Shoah"

Nicolas Sarkozy a annoncé hier devant le CRIF sa volonté de voir confier, dés la rentrée prochaine, "à chaque enfant de CM2 la mémoire d'un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah". La formule "confier la mémoire" est belle tout comme est juste cette autre phrase du discours : "Rien n'est plus intime que le nom et le prénom d'une personne."

Je n'ai pas très envie de voir là un coup médiatique, une pierre dans la reconstruction d'une image dégradée, même si cela y participe probablement. Et, de fait, je recevrais avec bienveillance cette mesure si elle ne s'inscrivait dans deux des constantes du discours politique de Nicolas Sarkozy qui me paraissent contestables : la construction d'une société des victimes et la hiérarchisation de celles-ci.

Traditionnellement, on demandait aux élèves dans les écoles d'honorer les héros. On les emmenait assister aux défilés du 14 juillet, on donnait à leur école le nom de personnalités qui s'étaient montrées particulièrement héroïques (Guy Moquet, Pierre Guéguin…). On leur demande aujourd'hui d'honorer des victimes innocentes, doublement innocentes parce qu'enfants et juifs. C'est évidemment tout à fait différent. D'un coté, on valorise la volonté, le courage, la révolte contre les injustices, le don de soi pour des valeurs, la patrie, autrui…, on souhaite susciter de l'admiration, donner en exemple, de l'autre, on met en avant la compassion pour des personnes victimes non pas pour ce qu'elles ont fait, non pas même pour ce qu'elles croient ("A Auschwitz, on ne mourrait pas pour sa foi" dit Benny Lévy dans Etre juif et André Néher qu'il cite : "Après que la loi nazie eut défini comme juifs tous ceux qui ont un grand-parent juif, les juifs ont été massacrés à cause de la foi juive de leurs grands-parents. Si ces arrière-grands-parents avaient abandonné la foi juive et n'avaient pas élevé d'enfants juifs, leurs descendants à la quatrième génération auraient pu être parmi les criminels") mais pour ce qu'elles sont.

Je ne sais pas ce qui est le meilleur du point de vue pédagogique, je ne suis pas sûr que la construction d'un imaginaire collectif basé sur les seules victimes soit souhaitable (il faudrait relire dans le détail René Girard et Nietzche), mais cela participe de cette politique de la victime que Nicolas Sarkozy développe et que l'on retrouve dans sa politique judiciaire, dans les propos de Rachida Dati ("Ce sont les victimes qui priment", "Il faut que le préjudice des familles des victimes soit reconnu pour qu'elles puissent faire leur deuil"…) voire même dans la manière dont la justice est présentée par la presse au quotidien, dont on oppose, même dans les cas les plus techniques, la parole des victimes (ou de leurs proches) et celle de ceux que l'on juge (ce matin même, sur France Inter, on opposait la douleur des familles des 5 pompiers morts dans la lutte contre un incendie à la propriétaire du studio dans lequel le feu a pris et dont on ne sait si la négligence est responsable du sinistre, comme si la douleur des victimes devait peser sur la recherche de la vérité, comme si la réparation de leur souffrance ne pouvait passer que par la désignation et la condamnation d'un coupable. Comment ne pas penser à cette phrase de Nietzsche : "Les martyrs ont nui à la vérité").

Cette initiative conforte, par ailleurs, l'étrange et très discutable hiérarchie des victimes que Nicolas Sarkozy pratique. Il y a, d'un coté, celles que l'on honore, dont on prend soin et, de l'autre, celles auxquelles on refuse le statut même de victime, victimes de la colonisation et de l'esclavage (c'est bien ce que veut dire "pas de repentance"), mais aussi enfants juifs exclus de cet hommage parce qu'étrangers : le Président ne parle que des enfants français, mais combien d'enfants étrangers, vivant sur le territoire français, ont été victimes de la Shoa? En ce sens, on peut craindre que cette mesure ne contribue à aiguiser cette guerre des mémoires qui s'est déclarée dans notre pays, guerre d'autant plus dangereuse qu'elle confond en permanence le juif victime d'hier au juif "réel" d'aujourd'hui qui ne se laisse pas faire, ne laisse rien passer et se bat pour ses droits. Confusion qui ne peut que choquer qui éprouve de la sympathie pour ces autres victimes que sont les Palestiniens.

mercredi, février 13, 2008

De la torture à l'intelligence artificielle

Nos lectures parallèles nous amènent parfois à d'étranges questions.

J'ai actuellement sur ma table de travail Brainstorms, un recueil de Daniel Dennett (le philosophe américain) que j'ai consulté pour la deuxième version de mon livre sur le management Google (en deux mots et pour ceux que cela intriguerait, j'y oppose les réserves à l'égard de la technique de la culture et des philosophes européens, comme Heidegger ou Ellul, à la confiance que lui font les Américains, confiance dont je vois un témoignage dans la manière dont Dennett, Fodor, Putnam et quelques autres, ont abordé les questions de l'intelligence artificielle) et la biographie de Jean Améry, un essayiste et romancier autrichien qui a vécu en France, en Belgique et en Allemagne et a écrit des textes importants sur la torture, sujet sur lequel j'ai travaillé il y a peu (voir Tortures en Irak : l'inquiétante candeur américaine publié dans les Temps Modernes).

Dans l'un des articles de ce recueil, Dennett se demande si un ordinateur peut ressentir de la douleur. Cet article s'achève sur ces quelques mot : "thoughtful people would refrain from kicking such a robot". Améry explique, lui, que la torture nous déshumanise, "fait de nous un corps, abolit la contradiction de la mort et nous fait vivre notre propre mort." Et ajoute : "celui qui a été torturé reste un torturé (…) Je pendouille toujours, vingt deux après, suspendu au bout de mes bras disloqués à un mètre du sol."

D'où cette question qui m'est venue à l'esprit et que j'aimerais poser à Dennett : peut-on torturer un robot?

mardi, février 12, 2008

Ségolène : pourquoi tant d'animosité?

Arthur Goldhammer s'interroge dans son excellent blog sur cette animosité que suscite Ségolène Royal à gauche. C'est une bonne question. Lorsqu'on l'interroge Ségolène Royal parle de misogynie, c'est une explication facile, mais sans doute fausse. Faut-il le rappeler, elle n'est pas la première dans ce cas. François Mitterrand en son temps, Laurent Fabius, plus récemment, ont également suscité des réactions très hostiles à gauche.

Sans doute est-ce que tous trois ont un parcours un peu similaire : venus de milieux de droite, ils se sont engagés à gauche. Les milieux sont différents : bourgeoisie provinciale pour Mitterrand, bourgeoisie cultivée et raffinée pour Fabius, droite catholique, autoritaire et traditionnelle pour Ségolène Royal. Mais tous trois ont conservé quelque chose de cette origine qui rappelle en permanence d'où ils viennent : les bonnes manières de Fabius, une certaine raideur chez Ségolène, des amitiés pour Mitterrand. Or, ce quelque chose leur fait doublement tort : cela fait douter de leur légitimité de gauche (un ouvrier sera toujours pour des néo-marxistes plus naturellement à gauche qu'un bourgeois) mais aussi de leur engagement. Quoiqu'ils fassent, il n'est pas complet puisqu'ils continuent de partager valeurs et comportements avec l'adversaire.

Ségolène a, de plus, sur ses deux prédécesseurs un handicap majeur : elle s'exprime mal en public, elle a du charisme mais elle n'est pas bon orateur alors que s'exprimer correctement, avec élégance et naturel, ce que faisait François Mitterrand, ce que fait Laurent Fabius dont les discours sans notes suscitent toujours autant d'admiration, est un atout majeur à gauche surtout pour qui est en décalage par rapport à l'image traditionnelle du militant de gauche : cela permet de séduire, de bluffer les intellectuels, les fonctionnaires, les professeurs, les journalistes, tous les faiseurs d'opinion qui peuvent juger en expert de l'habileté rhétorique d'un politique. Une belle langue est nécessaire pour réussir à gauche quand on n'a pas cette légitimité que donnent une naissance populaire ou l'appartenance à une corporation qui fait profession de servir l'intérêt général.

On dira que Ségolène Royal n'est pas la première à mal s'exprimer. Et l'on aura raison. Mais la comparaison avec d'autres est intéressante et instructive.

On se souvient des phrases alambiquées, très longues et parsemées de vocabulaire technocratique de Michel Rocard. Personne n'y comprenait rien, mais il en ressortait une impression de compétences, de connaissance des dossiers qui donnaient envie de lui faire confiance : lui comprenait, maîtrisait ce que nous ne comprenions pas.

Dominique Strauss-Khan ne s'exprime pas non plus très bien, mais ses discours donnent une impression d'intelligence qui fait oublier ses pataquès et autres faiblesses grammaticales.

Il n'y a rien de pareil chez Ségolène Royal. Ses défauts d'expression deviennent chez elle des faiblesses de caractère ou, pire encore, de ses capacités intellectuelles. La bravitude, joli mot-valise, qui prononcé par De Gaulle, Fabius ou Mitterrand aurait enchanté les journalistes, aurait porté à leur crédit (quelle invention! quelle liberté avec la langue avec les conventions!) est devenu, chez elle, barbarisme, objet de moquerie. Et pour un motif tout simple : personne n'a cru à un jeu de mot volontaire tant elle pratique l'à peu près dans son expression publique.

Parce qu'elle maltraite la langue, on la soupçonne de ne pas maîtriser ses dossiers et d'être incompétente. C'est naturellement injuste. Mais comment juger de l'authenticité et de la capacité d'un politique sinon par la manière dont il exprime ses vues?

samedi, février 09, 2008

Sarkozy ; cherche Ségolène désesperément

L’absence de leader à gauche, le silence du PS que la presse dénonce à longueur de colonnes ont sans doute contribué à la chute vertigineuse de Nicolas Sarkozy dans les sondages. S’il avait eu en face de lui un(e) adversaire de sa taille, plusieurs des facteurs qui ont contribué à ce dérapage dans l’opinion lui auraient été épargnés :

- les élus de l’UMP, ses ministres auraient serré les rangs autour de lui. Leurs réponses aux aux attaques de la gauche auraient caché, masqué leurs divergences, mis en au second plan plusieurs des faiblesses du Président. On aurait oublié, ou négligé, son coté bling bling au profit de ses résultats, du traité européen, notamment, dont on aurait beaucoup plus parlé.

- ses électeurs auraient fait de même, gardant pour eux leur déception,

- quant aux journalistes ils se seraient rangés dans leur camp, ceux de droite évitant les critiques trop frontales.

Faute d’un adversaire bien identifié, les critiques se sont libérés, ils sont partout, chez les amis comme chez les autres. Et pas moins cruels chez les plus proches. Ce qui rend beaucoup plus compliquée la riposte. Faut-il s’en prendre aux ministres qui ruent dans les brancards? aux députés qui boudent? aux journalistes qui font circuler des bruits peu aimables? Nicolas Sarkozy a choisi de répondre à tous les coups. Il ne peut sans doute pas faire autrement, mais à tirer ainsi sur tous les buissons qui bougent, l’artilleur épuise ses munitions, donne le sentiment de perdre son sang froid et ajoute de l’eau au moulin des critiques qui s’interrogent sur sa dimension d’homme d’Etat.

Beaucoup disent déjà qu'il aura du mal à rebondir. Qu’il est, pour reprendre une expression que j’ai entendue dans la bouche d’un de ses électeurs, “carbonisé”. C’est sans doute aller un peu vite en besogne. Mais il aura du mal à se reconstruire sans le soutien d’un adversaire qui soude autour de lui ses amis, les aide à hiérarchiser ses priorités, à donner du sens à une action que plus personne ne comprend bien. Vu l’état du PS, ce n’est pas pour demain.

jeudi, février 07, 2008

Taxis : la réforme à reculons

Les taxis ont gagné : leur profession ne sera pas déréglementée et leurs tarifs vont augmenter. Pour un gouvernement qui dit vouloir réformer la France, il y quelque chose qui ressemble à un contre-exemple. Mais reprenons le fil.

Pour la troisième fois en quelques mois (en septembre dernier, le 30 janvier et le 6 février), les taxis se sont mis en grève bloquant la circulation un peu partout en France. Leur cible : les projets de déréglementation contenus dans le rapport Attali. On remarquera l'insolite de cette grève qui vise non pas une loi, pas même un projet de loi mais quelques lignes d'un rapport dont nul ne sait s'il sera appliqué. Ajoutons qu'en septembre dernier, les taxis n'avaient même pas l'excuse de ce rapport pour bloquer la circulation et faire rater leur train ou leur avion à des dizaines de malheureux qui n'y pouvaient mais.

Le succès de ces mouvements s'explique sans doute par la sociologie de cette population de travailleurs indépendants qui se fréquentent beaucoup dans les stations, ne manquent jamais une occasion de se plaindre (à les entendre personne ne travaille plus qu'eux) et ne gagnent pas très bien leur vie. Le chiffre d'affaire de la profession (55 590 conducteurs) ne dépasse pas les 3 milliards d'$, ce qui fait un CA de l'ordre de 54 000€ annuel par conducteur. Une fois payées leur voiture, l'essence et remboursé leurs emprunts, il n'y a effectivement pas de quoi rouler sur l'or même si certains s'en tirent mieux que d'autres. Cela pourrait les inciter à rechercher une autre organisation de leur profession. S'ils ne le font pas, c'est que le système actuel les enrichit sans rien faire. Oui, sans rien faire!

Le nombre de "plaques" délivrées par les préfectures, plaques indispensables pour travailler, étant depuis des années bloqué, les prix de celles-ci ont monté jusqu'à atteindre des sommes absurdes (190 000€ à Paris, 300 000€ à Nice). Cette augmentation du prix des plaques de taxi est un effet secondaire, inattendu du chômage de masse qui a introduit dans le métier une nouvelle population : des salariés qui ont perdu leur emploi, perçu des indemnités et qui doutent de la possibilité de retrouver un emploi rapidement. Le métier de taxi leur parait "facile" (conduire un taxi ne demande pas de grandes compétences, il suffit de trois mois pour se former) et sans grands risques (investir dans un commerce est certainement plus risqué que d'investir dans une plaque de taxi). Résultat de ce décalage organisé de l'offre et de la demande, l'achat de la plaque est devenu un excellent placement. La même plaque parisienne qui vaut aujourd'hui 190 000€ en valait 120 000€ en 2000, soit une progression de 60% en 7 ans. Qui dit mieux? Il n'y a pas que les capitalistes qui s'enrichissent en dormant!

Pour financer cette plaque, mais aussi leur voiture, les taxis empruntent. Les remboursements réduisent leurs revenus, d'où ces plaintes et protestations permanentes. Comme ils ne veulent pas d'une déréglementation qui réduirait la valeur de leur plaque, qu'ils sont pris à la gorge par des coûts toujours plus élevés, que les tarifs sont administrés, ils demandent aux pouvoirs publics de régler leurs problèmes. Un jour, ils manifestent et obtiennent la détaxation du carburant, le lendemain une augmentation des tarifs plus ou moins déguisée (comme il y a quelques mois par la modification du début et de la fin des heures de nuit). Mais qui dit augmentation des tarifs dit réduction du nombre de courses. En 1960, les taxis effectuaient 20 prises en charge par jour, ils n'en réalisent plus que 13 par jour.

Il serait intéressant de calculer l'effet d'une baisse des prix des taxis sur la circulation automobile. A partir de quel moment, il serait plus intéressant pour les parisiens de prendre un taxi plutôt que leur voiture. Si des études de ce type existent, elles sont bien cachées. En attendant, les pouvoirs publics que les derniers sondages ont affolé, cèdent, rendant un peu plus illisible leur politique. Mais c'est une autre affaire.

mercredi, janvier 30, 2008

Une photo de Carla Bruni vaut 500 000€

Il est une règle que connaissent bien les politiques : quand rien ne va, plus rien ne va. Nicolas Sarkozy en fait aujourd'hui l'expérience. Le plus petit incident tourne à la catastrophe. Exemple : cette affaire Ryan Air. la compagnie d'aviation détourne une photo du couple, en fait une publicité qui tourne immédiatement sur le net. Sarkozy proteste et demande 1€ de dommage et intérêt. Rien à dire, c'est assez normal. Mais où les choses se corsent, c'est lorsque l'on découvre que Mme Bruni porte également plainte et demande 500 000€ de dommages et intérêt. Explication de son avocat : "l'exploitation de son image est une partie de l'activité professionnelle de Mme Bruni. Elle a des contrats publicitaires avec des marques qui lui offrent des ponts d'or pour qu'elle les représente. Une photo de Carla Bruni, c'est 500 000 euros", qui annonce son intention de produire ces contrats à l'audience.

Comment éviter demain la confusion des genres et l'exploitation de l'image de la compagne du Président (et donc, indirectement, la sienne) dans des campagnes publicitaires? comment échapper aux soupçons? En demandant à Madame Bruni de ne plus faire de publicité, de chansons? C'est un peu dur… et pourtant.

jeudi, janvier 24, 2008

Sarkozy = Pétain?

Il y quelques jours, je rendais compte ici même du livre d'Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom?, succès de librairie dans lequel le philosophe s'interrogeait sur le pétainisme transcendental de Nicolas Sarkozy. Formule qu'il a utilisée à plusieurs reprises à la télévision sans être le moins du monde inquiété. Tout le monde n'a pas cette chance. Rue 89 nous indique qu'un militant de la CNT qui parlait de pétainisme dans un courrier à Claude Guéant du temps où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur est aujourd'hui poursuivi en justice, par le Président, pour outrage.

J'imagine qu'il ne s'agit que d'un geste d'intimidation lancé à l'égard d'un contestataire qui dérape, mais ne serait-il pas temps de supprimer cette notion même d'outrage au chef de l'Etat qui ne grandit jamais ceux qui l'utilisent? Lorsque l'on parle de De Gaulle et de sa grandeur, je me souviens toujours de ce jeune homme condamné à quelques jours de prison dans les années 60 pour avoir écrit sur un mur "De Gaulle, salaud" et je ne peux m'empêcher de penser que cette condamnation insignifiante (encore que…) met une ombre déplaisante sur le"grand homme".

mercredi, janvier 23, 2008

Bernard Lavilliers pris la main dans le sac

Il y avait, hier matin, dans le Figaro, un excellent (et inattendu) papier sur le dernier disque de Bernard Lavilliers, un chanteur que l'on ne savait pas tant apprécié des journalistes du quotidien. Il est vrai que ce papier met en évidence ce qui ressemble beaucoup à une copie d'un poème de Claude Roy, auteur aujourd'hui un peu oublié. L'article est intéressant, mais le courrier qui suit l'est plus encore qui nous montre :

- que Claude Roy n'est pas si oublié que cela (enfin, qu'il a encore des lecteurs prêts à prendre la plume pour défendre sa mémoire),

- que le "communiste" Lavilliers a de nombreux amateurs chez les lecteurs de ce journal que l'on imaginait plus conservateurs (il est vrai qu'aimer les chansons de Lavilliers peut passer pour un peu "vieillot", disons, pour une manière de préférer les années 70 aux années 2000),

- qu'il n'en est pas à son premier couper-coller un peu audacieux,

- que, grâce à internet, ce journal est lu au Québec,

- et, enfin, que beaucoup de lecteurs ont appris à utiliser Google pour retrouver les "inspirations".

Impôts "invisibles"

Cela commence à ressembler à une mauvaise habitude, à moins que ce ne soit une stratégie, auquel cas, il faudrait vraiment s'inquiéter.

Régulièrement, on nous annonce la création de nouvelles taxes pour financer des programmes particuliers :

- il y avait eu la taxe de 2% sur les ventes de poissons dans les grandes surfaces pour financer la filière pêche et moderniser la flotte,

- il y a eu, il y a quelques jours, l'annonce du financement de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques par la création d'une taxe sur les ventes d'ordinateurs, de téléviseurs et les sociétés de téléphonie mobile,

- puis, une semaine plus tard, ce projet d'une taxe de 2 à 3 euros sur les chambres de palaces (bénéfice attendu : 50 millions d'euros par an) annoncé par la ministre de la culture.

Ces taxes ont quelques "avantages" : elles sont à peu près invisibles, elles épargnent les populations les plus remuantes (pas question de taxer les petits poissonniers ou les petits hôteliers) et laissent de marbre la plupart (qui ira se plaindre d'une augmentation du prix des chambres des palaces?).

Mais elles ont aussi de nombreux défauts. Pas besoin d'être un spécialiste pour voir que cela complique un système fiscal dont chacun nous dit qu'il gagnerait à être simplifié. Pas besoin, non plus, d'être grand calculateur pour voir que cela augmente ces prélèvements obligatoires dont tout le monde nous dit qu'il faudrait les diminuer et réduit, pour certaines au moins (le poisson, les téléviseurs…) ce pouvoir d'achat que l'on voudrait augmenter. Cela introduit, enfin, des distorsions de toutes sortes sur le marché au risque d'aller à l'encontre de politiques que l'on poursuit par ailleurs. Pour ne prendre que cet exemple : augmenter le prix du poisson frais, produit déjà cher, dans les grandes surfaces ne peut que favoriser le transfert vers les produits industriels que les nutritionnistes déconseillent si vivement (voir, hier, l'article du Monde : Manger sain, plus facile à dire qu'à faire).

mardi, janvier 22, 2008

David Martinon en candidat à Neuilly

David Martinon est porte-parole de l'Elysée et candidat à Neuilly. Je ne sais pas s'il est bon dans son premier rôle, mais le candidat n'impressionne ni par son talent d'orateur ni par la profondeur des consignes qu'il donne aux jeunes militants de l'UMP auxquels il s'adresse dans cette vidéo que les gens de Bakchich ont trouvé sur DailyMotion et légèrement raccourcie. Ceci explique peut-être qu'il n'ait pas été accueilli avec enthousiasme par les militants de l'UMP local.

lundi, janvier 21, 2008

Une défense des syndicats en riant

Richard Freeman est un économiste de Harvard connu pour ses livres sur le syndicalisme (What do union do?) et sa défense plutôt insolite aux Etats-Unis et dans sa profession de ces organisations. Il a participé au Colbert Show, une de ces émissions vraiment amusantes que l'on trouve sur la télévision américaine qui manque chez nous. Le résultat est vraiment drôle.

vendredi, janvier 18, 2008

Choqué

Libé a aujourd’hui des papiers extrêmement sévères sur Nicolas Sarkozy. Sans doute un peu de vengeance après le traitement au karcher qu’il avait réservé à Laurent Joffrin. On a toujours tort de s’en prendre aux journaliste…

Mais pas besoin de Libé pour sentir que le vent tourne. On ne parle que de lui dans les dîners en ville. Lui, vous l’avez compris, c’est Nicolas Sarkozy. On en parle tant que des gens qui jamais ne vous auraient dit pour qui ils votaient, vous l’avouent, pour s’en excuser ou s’en laver les mains (“moi, Dieu merci, je n’y suis pour rien”). Autant dire que les procureurs sont plus nombreux que les avocats et qu’il ne trouve plus grâce auprès de grand monde. Les rares malheureux qui tentent de le défendre sont rapidement à court d’arguments tant le feu de leurs adversaires est nourri.

Mitterrand a été beaucoup haï en son temps, parce qu’il avait trahi sa classe sociale et qu’il s’était allié avec les communistes, je me demande si Sarkozy n’est pas en passe de l’être tout autant mais pour d’autres motifs.

La plupart des critiques que je rencontre dans des dîners parisiens disent que sa vie privée n’est pour pas grand chose dans ce rejet palpable, qu’elle ne les gêne pas, même s’ils regrettent son étalage. Disent-ils vrai? Je n’en suis pas certain.

Personnellement, je n’ai jamais partagé ses choix politiques, je crois qu’il se trompe lourdement sur de nombreux sujets, sur l’immigration, notamment, mais sa vie privée et l’indiscrétion dont il fait preuve me choquent au delà de ces différences d’opinion. Au risque de paraître abominablement conventionnel (ce que je suis sans doute) :

- je ne comprends pas qu’un Président nous parle en permanence de Dieu et de nos racines chrétiennes (ce n’est pas notre tradition, cela va contre notre identité nationale, si ce mot a un sens), je le comprends moins encore venant de quelqu’un qui a divorcé deux fois,

- je n’apprécie pas qu’un Président de la République affiche avec autant d’impertinence et d’ostentation ses amours : cela ne nous regarde tout simplement pas,

- je n’aime pas qu’un homme qui passe sa vie à exhorter les autres à travailler toujours plus vive aux frais d’industriels qui tirent parti de sa politique (qui sera le grand gagnant de la fin de la publicité sur les chaînes publiques, sinon Bolloré, propriétaire de Direct 8, une des chaînes de la TNT?),

- je déteste voir nos journaux, quotidiens et hebdomadaires, condamnés à faire la course avec Closer ou Point de vue - Images du Monde.

Conventionnel et ringard? Sans doute, mais suis-je le seul?

PS Je parlerai mardi prochain sur AligreFM de la fin de publicité sur les chaînes publiques. Le sujet est plus grave et plus inquiétant. L'émission sera mise en ligne mardi on pourra la consulter ici.

mardi, janvier 15, 2008

La hache californienne

Malo Girod de l'Ain, un éditeur qui se passionne pour les nouvelles technologies (il a publié mon livre sur les méthodes de management chez Google) est actuellement en Californie. Il donne sur son blog son journal de voyage. Passionnant, avec quelques perles, comme celle-ci :

"L'état de Californie, après des années de budgets excédentaire, se trouve actuellement en déficit. Assez lourdement du fait de moins bonnes rentrées fiscales en particulier. Sans rentrer dans le détail, ce qui est spectaculaire, ce sont les propositions du gouverneur, Arnold Scharzenegger :
- Coupe de plus de 4 milliards dans les budgets des écoles
- Coupe de plus d'un 1 milliards dans les budgets de la sécu locale, les aides sociales...
- Fermeture de 48 parcs
- Libération de 22.000 prisonniers pour faire de la place dans les prisons
- ...

Dans les premières réactions, ce qui frappe aussi c'est que pratiquement personne (cela a changé après) ne parlait de la possibilité d'augmenter les recettes, c'est-à-dire d'augmenter les impôts."

Comme le dit Malo, "A coté, Sarkozy parait un gauchiste utopique ! Ici, on prend la hache et on discute (un peu) après..." J'imagine que cela tient à ce que ceux qui votent (les classes moyennes) sont moins dépendantes de l'Etat que chez nous. Après tout, pourquoi se préoccuper du budget de l'éducation si l'on envoie ses enfants dans des établissements privés? Reste que Malo raconte qu'il est arrivé à San Francisco en plein blackout (2 millions de personnes privés d'électricité dans la baie). Il y a certainement un rapport de cause à effet.



vendredi, janvier 11, 2008

Sur l'antiparlementarisme d'Alain Badiou

On dit que le dernier livre d'Alain Badiou est un succès de librairie (voir cet article du Monde). Il est vrai qu'il a tout pour plaire, un petit format (pas plus de 150 pages dans un petit format), un titre épatant (De quoi Sarkozy est-il le nom?) et un auteur qui, s'il n'est pas très connu, n'est pas non plus complètement inconnu des milieux intellectuels qui se souviennent, pour les plus âgés (je veux dire pour ceux qui flirtaient à la fin des années 60 avec l'extrême-gauche) qu'il était de ces épistémologues maoïstes, philosophes amateurs de mathématiques, qui intriguaient un peu tout le monde. Et pourtant, j'imagine que nombre de ses lecteurs attirés par son titre ont été surpris de lire, dés les premières pages, dés les premières lignes, des déclarations anti-parlementaires qui tranchent avec le consensus générale sur les vertus de la démocratie représentative.

Il n'y a pas que cela dans ce livre, il y a aussi le développement d'une thèse sur le pétainisme de Nicolas Sarkozy, thèse qu'ont retenue les quelques journalistes qui ont parlé de ce livre, et qui vaut mieux que ce que la formule peut avoir de provocant. Badiou explique clairement que Sarkozy n'est pas Pétain, mais qu'il relève de cette même tradition (ce n'est pas ainsi qu'il s'exprime puisqu'il parle de pétainisme transcendental) qui a commencé avec le retour, sous la Restauration, des immigrés dans les fourgons de l'ennemi, qui s'est poursuivie, sous la Commune, avec la reconquête du pouvoir par la bourgeoisie à l'ombre des armées ennemies, puis, en 1940, avec l'installation d'un Etat français à la botte de l'occupant allemand. Sarkozy s'inscrit, nous explique Badiou, dans cette tradition par son programme réactionnaire, sa volonté, propre à ses prédécesseurs, d'en finir avec la dernière révolution populaire (voir son discours hallucinant sur 1968) et par ses références permanentes à l'étranger, toujours présenté comme sachant mieux que nous faire ce qu'il faut. Tout cela se soutient, mais revenons au coeur de l'ouvrage : cette tentative, qui n'est pas inédite chez Badiou, de fonder un antiparlementarisme d'extrême-gauche.

L'antiparlementarisme n'est pas une nouveauté. Il est en général associé à l'extrême-droite qui l'a développé sous trois nuances que l'on connaît bien :

- la nuance royaliste : le lien entre le roi et le peuple est fondé sur un lien surnaturel, c'est de Dieu que le roi tire son autorité (c'est l'Eglise catholique qui a poussé le plus loin ce raisonnement, allant jusqu'à dire le Pape infaillible),

- la nuance fasciste : le leader entretient, grâce à son charisme, un lien direct avec le peuple qui rend inutile tout intermédiaire,

- la nuance poujadiste qui ne voit dans les élus que des corrompus, c'est le fameux tous pourris.

On remarquera que le Front National a, en définitive, relativement développé ces thèses. Seul le thème du tous pourris est revenu régulièrement dans les discours de ses dirigeants.

Dans les années 60, s'est développé aux Etats-Unis, un antiparlementarisme d'un genre nouveau, chez les économistes les plus libéraux, chez Milton Friedman et ches les théoriciens de l'école du Public Choice, notamment Tullock et Buchanan. La démocratie représentative, expliquaient-ils, donne aux citoyens de mettre des obstacles au libre jeu du marché. Il convient donc, disaient-ils, de modifier le système électoral et de généraliser les majorités qualifiées (à 60, 70%) qui rendent beaucoup plus improbables ces dérives. Pour Milton Friedman, le meilleur système était celui de Hong-Kong d'avant le retour de la Chine communiste, qui garantissait les libertés économiques mais limitait les libertés politiques.

Ces thèses très académiques ne sont pas imposées dans le débat politique, mais elles ont nourri les réflexions de tous ceux qui ont analysé les succès économiques de la Chine après la chute du mur Berlin et les difficultés de la Russie qui avait choisi, sous l'impulsion de Gorbatchev et Elstine, de construire une société démocratique. On retrouve leur inspiration chez certains de ceux qui réfléchissent aujourd'hui aux institutions européennes.

L'antiparlementarisme de Badiou est d'une toute autre nature, puisqu'il s'inscrit dans la suite de "blanc bonnet - bonnet blanc" de Jacques Duclos aux élections présidentielles de 1969. On se souvient que le dirigeant communiste avait alors appelé à s'abstenir expliquant (avec, d'ailleurs, d'excellents motifs) qu'il n'y avait pas de différence entre Poher et Pompidou. Pour Badiou, il n'y en a pas non plus entre Sarkozy et Royal, non qu'ils aient proposé les mêmes politiques, mais, plus simplement, parce que le régime parlementaire est le fourrier du capitalisme.

Il l'est en ce qu'il est profondément corruption du politique. Non que les politiques s'en mettent tous plein les poches, mais le régime parlementaire est asservissement de la puissance gouvernementale au cours des affaires. Nous tenons, collectivement, que "l'enrichissement, collectif ou privé, est le but naturel des actions politiques." (p.121) Dit autrement, la démocratie est corrompue parce qu'elle crée les conditions du développement capitaliste, soit exactement le symétrique de l'argument de Milton Friedman et des théoriciens de l'école du Public Choice.

Alain Badiou ne développe pas beaucoup plus. Pour le communiste qu'il est et continue d'être malgré l'échec et les crimes (qu'il passe à peu près sous silence) des régimes socialistes, l'important est d'établir ce lien entre démocratie parlementaire et capitalisme. Mais on peut essayer d'aller plus loin et se demander, poursuivant dans sa ligne de pensée, comment la démocratie parlementaire peut contribuer au développement du capitalisme.

On se souvient qu'Amartya Sen a montré qu'elle informait les politiques des besoins de la population, qu'elle les rendait sensibles à ceux-ci et les forçait à orienter les dépenses publiques dans la bonne direction. On pourrait ajouter qu'elle conduit à la mise en place des règles qui :

- égalisent les conditions de la concurrence ou, du moins, limitent les écarts entre opérateurs et facilitent donc le libre jeu de la concurrence : une durée du travail, un salaire minimum, l'obligation de payer les mêmes cotisations… mettent sur le même plan des entrepreneurs qui ont des situations de départ très différentes,

- redistribuent vers le plus grand nombre une partie des richesses produites par le capitalisme, grâce à différents mécanismes qui vont du salaire minimum aux différentes aides apportées aux plus démunis, évitant ainsi une concentration qui freinerait son développement,

- font circuler les richesses produites entre les générations, grâce, notamment, aux droits de succession, ce qui favorise l'émergence de nouvelles entreprises, de nouvelles idées et le développement de la concurrence.

Toutes règles qui sont demandées par les citoyens et obtenues de haute lutte dans le combat politique, mais qui favorisent le développement économique. A l'inverse de ce que l'on dit du coté des libéraux, le capitalisme a besoin pour se développer de ces règles que lui impose la démocratie parlementaire. C'est en ce sens que l'on peut reprendre et retourner l'argument de Badiou. Oui, la démocratie parlementaire a partie liée avec le capitalisme, mais bien loin d'être un motif de la critiquer, ce devrait en être un de la défendre puisque cela correspond au souhait d'enrichissement individuel et collectif des citoyens.

lundi, janvier 07, 2008

It's a free world de Ken Loach

Voilà un film que les socialistes devraient aller voir en masse pour mieux comprendre leurs difficultés programmatiques. C'est un film dur dans la veine sociale de Ken Loach qui crée un véritable malaise, malaise qui me paraît être au coeur de la crise des gauches en Europe.

On connaît l'histoire : une jeune femme, mère célibataire de milieu populaire qui a accumulé les emplois précaires décide, après s'être fait licencier par un patron à la main baladeuse, de créer sa propre agence de placement de travailleurs immigrés. Elle est efficace, énergique et… impitoyable. Le film nous décrit les conditions de vie effrayantes des immigrés, surtout des sans-papiers (travailleurs qu'un patron indélicat refuse de payer, vie dans des caravanes, queues chaque matin devant le bureau de placement pour trouver un emploi à la journée, voire dit à un moment Angie, l'héroïne de Loach, à l'heure) au temps de l'ouverture de l'Europe à l'Est (ces immigrés sont presque tous européens). Il nous montre comment les plus pauvres sont exploités par presque aussi pauvres qu'eux.

Le malaise vient de ce que l'on hésite sur les conclusions à tirer de ce récit. Faut-il fermer les frontières, interdire l'accès des étrangers (même européens) à nos marchés du travail? A un moment, Angie dit à son père que ses pratiques horrifient : "tu n'as qu'à entrer au Front National". Et c'est là, au fond, la leçon que l'on peut tirer de ce film, leçon que ne nous donne pas Loach, mais que le spectateur peut tirer de l'analyse de son malaise : si l'on veut satisfaire les revendications d'une partie de la classe ouvrière, il faut fermer les frontières, limiter voire interdire la circulation des personnes au sein de l'Europe, mais cela ne peut se faire qu'au dépens d'autres moins deux autres catégories de travailleurs : les immigrés qui n'ont pas de travail chez eux, et les travailleurs qui vivent dans les entreprises qui profitent de la globalisation.

Ce film illustre cette explosion des classes populaires que je décrivais dans une note précédente et qui est, je crois, au coeur des défaites successives des gauches européennes qui, incapables de construire un programme qui unisse toutes les composantes des classes populaires, les laisse donc naviguer entre l'extrême-droite (qui a ce programme protectionniste et anti-immigré), l'extrême-gauche anti-européenne et la gauche traditionnelle.

Comme souvent chez Loach, ce film est plus militant que sociologique. Je doute que beaucoup de patrons se satisfont de travailleurs recrutés à la journée, qu'il faut former, équiper, guider chaque matin. S'ils existent, ils sont une infirme minorité plus à chercher du coté des entreprises maffieuses que du coté des entreprises classiques. Mais peu importe, ce film met l'accent sur un point qui fait souffrir et dont la gauche ne se sortira qu'en abordant cette question de front.

dimanche, janvier 06, 2008

Changement climatique, Paris, ville sous l'Equateur?

Nous ne nous sommes sans doute jamais tant occupé du changement climatique. D'où, peut-être, l'attention renouvelée pour les changements climatique du passé, pour cette petite glaciation du 17éme siècle que nous a révélée, il y a maintenant plus de 40 ans, Leroy Ladurie dans ce qui est sans doute l'un des plus beaux livres d'histoire que j'ai jamais lus (Histoire du climat depuis l'an mille, 1967) mais aussi pour cette découverte toute récente de chercheurs du Muséum National d’Histoire Naturelle qui, analysant, des éléments trouvés dans l'Oise, ont montré qu'ils provenaient d'arbres comme on en trouve aujourd'hui dans les forêts d'Amazonie. De là à conclure que le climat de l'Ile de France était alors (il y a 55 millions d'années) comparable à ce qu'il est aujourd'hui en Amazonie, il n'y a qu'un pas qu'ils franchissent allègrement.

Pour ceux que cela intéresse, on peut trouver leur article sur le site du Journal of Organic Chemistry.

vendredi, janvier 04, 2008

Evaluer les ministres?

Le programme d'évaluation des ministres qu'a annoncé hier Le Monde laisse perplexe. C'est, à ma connaissance, la première fois qu'un chef de gouvernement annonce pareille mesure. Mais on trouvera sans doute des précédents. Espérons seulement que ce ne soit pas dans une république bananière ou une dictature. Parce que cette mesure est, pour le moins, contestable.

Evaluer les politiques est une excellente chose qui devrait être développée. Evaluer les fonctionnaires au regard des objectifs qu'ils ont négocié avec leur hiérarchie serait également une excellente chose. Je le dis d'autant plus volontiers que je l'ai répété plusieurs années durant dans des séminaires que je donnais à Sciences-Po et dont trouvera ici le texte qui me servait à l'animer. Mais évaluer les ministres est une toute autre affaire. On devine bien l'inspiration : traiter les ministres comme les cadres dirigeants d'une grande entreprise. Mais je vois au projet tel qu'il nous est présenté dans cet article du Monde au moins trois obstacles.

Les ministres ne sont pas, d'abord, les patrons de leur administration comme peut l'être le directeur d'un service dans une grande entreprise. Ils n'ont pas les mêmes moyens de se faire obéir et de faire appliquer leur politique. Tout simplement parce qu'ils ne connaissent pas, le plus souvent, une administration qu'ils découvrent lorsqu'ils sont nommés et qu'ils risquent de quitter très rapidement. A l'inverse d'un cadre supérieur, ils n'ont pas le temps d'investir dans la connaissance de leurs équipes. Ils l'ont d'autant moins que leur principal champ d'activité est ailleurs, sur le plan politique, au Parlement, dans les campagnes électorales pour les prochaines municipales… Leur temps, celui de la politique, n'est pas celui de l'administration. Ils ne font pas que passer, ils peuvent à tout moment être révoqués, ils sont sur un siège éjectable, elle dure. La création de cabinets ministériels toujours plus importants auprès des ministres est la meilleure preuve de cette incompatibilité des temps politique et administratif.

Les critères choisis semblent, ensuite, l'avoir été de manière arbitraire en fonction des objectifs politiques du moment pour frapper l'opinion, mais on ne voit pas bien comment ils pourraient servir à évaluer les ministres. Est-ce Brice Hortefeux qu'il faut juger sur le nombre de reconduites à la frontière ou cette politique du nombre que l'administration n'arrive pas à conduire ? Comment peut-on évaluer Xavier Darcos sur le nombre d'heures supplémentaires réalisées par les enseignants alors même que l'on n'a aucune expérience en la matière? que l'on ne sait pas comment vont réagir les enseignants? que l'on ne sait même pas de combien d'heures supplémentaires on a effectivement besoin? Les plus ridicules sont, sans doute, les critères retenus pour l'évaluation du ministre de la culture : "l'évolution de la fréquentation des musées lorsqu'ils sont gratuits", "la part de marché des films français en France", ou "l'évolution du piratage des fichiers audio et vidéo". Quel moyen son administration ou elle-même ont-elles d'agir sur ces indicateurs? Les politiques menées dans chacun de ces domaines peuvent-être bonnes ou mauvaises, donner des résultats ou ne pas en donner, mais est-ce la ministre qui les définit? N'est-ce pas plutôt le Président et le gouvernement qui les accepte ou refuse?

L'appel à une société de conseil pose, enfin, plusieurs types de problèmes :

- il existe dans l'administration des institutions (Cour des Comptes, inspections des Ministères, CAE…) qui avaient tout autant légitimité qu'un cabinet privé de culture américaine (son fondateur Dominique Mars vient du BCG) pour mener ce type de mission et qui auraient certainement su mieux résister aux demandes politiques qu'un fournisseur extérieur,

- les cabinets privés connaissent mal les mondes de la fonction publique et de la politique et risquent de commettre des erreurs d'appréciation liés à cette méconnaissance,

- on ne sait pas si ce cabinet a la moindre référence dans ce domaine, si ces méthodes ont été testées.

Tout cela fait du bruit, mais je ne suis pas sûr que ce soit très sérieux.

lundi, décembre 31, 2007

Attentats suicide : rapide revue de la littérature

Les attentats suicide sont la forme de moderne de guerre qui nous est le plus étrangère, celle que nous comprenons le moins et chaque nouvelle occurrence nous laisse un peu plus désemparés. La mort de Bénazir Bhutto est de ceux-là. Nous ne comprenons pas. Comment peut-on donner sa vie (non pas la risquer, mais la donner) pour assassiner une adversaire politique à laquelle son assassin n'avait probablement rien à reprocher de personnel (elle n'a pas fait tuer sa famille, sa femme, ses enfants…)?

Comprendre ces attentats, ce qui animent ceux qui les commettent, ce qu'ils nous disent de leur stratégie devrait être une priorité. Le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas le cas dans la presse. Même dans la meilleure. Ce ne l'est pas non plus à l'université. La littérature savante sur le sujet est, bizarrement, maigre et, souvent, décevante. La recherche piétine, hésite… Il est vrai qu'il n'est pas facile d'approcher les candidats à des attentats suicide pour les interroger, qu'il n'est pas plus possible de réaliser des expériences. Les auteurs paraissent condamnés à compter les attentats, à les documenter, d'un coté, et à construire des modèles, de l'autre, chacun tentant d'appliquer, avec plus ou moins de bonheur, les modèles de sa discipline au phénomène, ce qui nous donne :

- des modèles politiques, comme celui que développe Robert Pape dans l'un des premiers livres consacrés à cette question : Dying to Win: The Strategic Logic of Suicide Terrorism (New York, Random House, 2005),

- des modèles socio-psychologiques qui s'intéressent aux phénomènes de groupe et tentent de comprendre comment des jeunes gens pris dans un groupe peuvent en venir à de telles extrémités,

- des modèles économiques qui tentent d'expliquer comment des agents rationnels (censés poursuivre leur intérêt) peuvent en venir à se suicider poour faire aboutir leur cause,

- des modèles psychologiques qui tentent de cerner le profil de ces terroristes,

- et, enfin, des modèles, que j'appellerai philosophiques ou polémologiques qui tentent de comprendre le phénomène en réfléchissant sur les conflits armés et leur gestion.

Ces travaux développent des hypothèses très différentes, mais leurs auteurs sont à peu près d'accord sur un point : les explications les plus classiques, celles par la misère (“We fight against poverty because hope is an answer to terror”disait George Buch) ou par l'irrationalité que développent régulièrement les gouvernements, à commencer par Georges Bush, sont fausses. Voici, cependant quelques repères pour avancer (à tous petit pas) dans la compréhension de ce phénomène.

Les données

Commençons par la description du phénomène, qui commence à être bien documenté : "During 2000–2004, écrit Scott Atran du CNRS (The Moral Logic and Growth of Suicide Terrorism ) there were 472 suicide attacks in 22 countries, killing more than 7,000 and wounding tens of thousands. Most have been carried out by Islamist groups claiming religious motivation, also known as jihadis. Rand Corp. vice president and terrorism analyst Bruce Hoffman has found that 80 percent of suicide attacks since 1968 occurred after the September 11 attacks, with jihadis representing 31 of the 35 responsible groups. More suicide attacks occurred in 2004 than in any previous year, and 2005 has proven even more deadly, with attacks in Iraq alone averaging more than one per day, according to data gathered by the U.S. military" Autrement dit :

- le 11 septembre a constitué un tournant dans l'utilisation de cette arme,

- le nombre d'attentats terroristes a été, sur cette période, en progression rapide,

- les attentats ne sont pas limités à quelques pays, aucune région du monde n'est épargnée,

- ils sont très meurtriers,

- ils sont surtout, mais pas exclusivement, perpétrés par des organisations islamistes (les attentats suicide des Tigres Tamoul et du PKK n'ont pas de motivations religieuses, les organisations qui les montent sont laïques).

Un graphique de cet article met en évidence cette montée des attentats suicide après le 11 septembre :

Autre enseignement de ces études : ces attentats ne sont pas liés à la misère. Les jeunes gens (et jeunes filles) qui les commettent appartiennent souvent aux classes moyennes (plusieurs études le confirment, notamment un sondage réalisé en 2001 par le PCPSR, un organisme de sondage palestinien, auprès de 1357 adultes). D'autres travaux, s'appuyant sur la situation en Palestine, ont également mis en évidence le lien entre éducation et terrorisme : les terroristes se recrutent parmi les mieux formés au point que la montée du terrorisme parait liée à la montée de l'éducation, devenue terrain de bataille entre laïcs et religieux (voir, sur ce point, Reuven Paz, “Higher Education and the Development of Palestinian Islamic Groups ”, Meria, juin 2000)

L'analyse politique

Robert Pape a développé cette analyse dans un livre publié en 2003. Il a a étudié 188 attentats suicide réalisés entre 1988 et 2000 et a, donc, travaillé sur des données antérieures à la grande explosion des attentats suicide. Sa thèse tient en quelques mots :

- le fanatisme religieux n'explique pas le phénomène, à preuve, les attentats réalisés par les Tigres Tamoul, une organisation marxiste-léniniste,

- le terrorisme et les attentats suicide relèvent d'une stratégie conçue pour forcer les démocraties libérales à abandonner des territoires qu'elles occupent : "Suicide terrorists sought to compel American and French military forces to abandon Lebanon in 1983, Israeli forces to leave Lebanon in 1985, Israeli forces to quit the Gaza Strip and the West Bank in 1994 and 1995, the Sri Lankan government to create an independent Tamil state from 1990 on, and the Turkish government to grant autonomy to the Kurds in the late 1990s. In all but the case of Turkey, the terrorist political cause made more gains after the resort to suicide operations than it had before."

- Al Qaeda est moins un réseau informel d'organisations religieuses intégristes qui prennent contact au travers d'internet qu'une alliance militaire entre mouvements de libération nationale qui s'opposent à un même ennemi : l'impérialisme américain et occidental (Dying to win, p.102). "Pour Al Qaeda, écrit-il, la religion importe mais d'abord dans le contexte d'une guerre de résistance nationale",

- les terroristes qui commettent des attentats suicide ne sont pas des suicidés ordinaires. S'appuyant sur les travaux de Durkheim, Pape les analyse comme des suicides altruistes. On se souvient que Durkheim, s'appuyant sur des pratiques des sociétés primitives (suicides épouses, des serviteurs à la mort du maître) développe la thèse d'un suicide altruiste : "si l'homme se tue, ce n'est pas parce qu'il s'en arroge le droit, mais parce qu'il en a le devoir. S'il manque à cette obligation, il est puni par le déshonneur et aussi souvent pas des châtiments religieux" (Le suicide, p.236) et un peu plus loin : "dans tous ces cas, nous voyons l'individu aspirer à se dépouiller de son être personnel pour s'abîmer dans cette autre chose qu'il regarde comme sa véritable essence. Peu importe le nom dont il la nomme, c'est en elle et en elle seulement qu'il croit exister, et c'est pour être qu'il tend si énergiquement à se confondre avec elle." Ce type de suicide (dont Durkheim poursuit, de manière significative l'analyse par celle des suicides des militaires) se développe là où la société tient les individus trop sous sa dépendance. Une thèse que Pape confirme dans son examen des profils des suicidés qui ne sont jamais, dit-il des outcast, des solitaires, des isolés, mais au contraire des gens parfaitement intégrés dans leur milieu, dans leur famille.

L'analyse socio-psychologique

Scott Atran s'élève contre cette interprétation politique. S'appuyant sur les interviews qu'il a pu réaliser au début des années 2000 (soit dans une période différente de celle étudiée par Robert Pape) avec des jeunes gens susceptibles d'en commettre, il montre que ces attentats ne sont pas seulement le fait de militants tentant de défendre une terre occupée par un ennemi (comme ce peut-être le cas en Palestine), qu'il ne s'agit donc plus seulement de guerres de libération nationale, mais qu'ils sont également perpétrés dans des contextes complètement différents, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne. Ce sont alors des membres de diasporas ou des militants récemment convertis à l'Islam qui les commettent, ce qui l'amène à réévaluer la dimension religieuse de ces attentats.

Scott Atran met également en doute la responsabilité d'Al Qaeda dans les attentats suicide. La plupart sont, explique-t-il, réalisés par des groupes autonomes, sans contacts avec d'autres groupes. Leurs réseaux sont constitués pour l'essentiels d'amis proches et de membres de leur famille. Il n'y a ni leader ni organisation terroriste mondiale qui chapeauterait les attentats. On a d'ailleurs vu, dans le cas de l'attentat contre Benazir Bhutto, les représentants "officiels" d'Al Qaida au Pakistan protestent fermement de leur innocence : "Je le démens fermement. Les tribus ont leurs propres règles. Nous ne nous en prenons pas aux femmes", a déclaré par téléphone Maulvi Omar, porte-parole de M. Mehsud." (Le Monde du 28/2/07). Déclaration qui surprend un peu sachant que les attentats suicide ont, justement pour caractéristique de ne pas faire de détail, de ne pas sélectionner leurs victimes.

Si l'on en croit Atran, Al Qaeda jouerait, au travers d'internet et de la multitude sites qui s'en inspirent (3000, dit-il), le rôle d'une université du terrorisme, permettant à des groupes de jeunes gens isolés, sans contact avec des représentants de l'organisation, de se familiariser avec son idéologie, de collecter des informations sur la fabrication de bombes… On aurait donc affaire à une forme d'organisation ultra-moderne basée sur l'esprit d'initiative de quelques groupes très lâchement reliés entre eux par la consultation des mêmes sites internet et par des réactions de colère similaires devant les images que la télévision nous montre de ce qui se passe en Palestine, en Irak et, de manière plus générale, dans le monde arabe, lorsque celui-ci est confronté aux armées occidentale,s qu'elles soient américaine ou israélienne.

Les analyses divergentes de Pape et Atran font penser que les attentats terroristes apparaissent dans différentes configurations :

- dans une configuration "organisée" : ce sont des organisations qui ont, comme le Hamas, les Tigres Tamoul… un programme, souvent de libération nationale, qui mènent des actions de propagande auprès de la population (les attentas suicide pouvant d'ailleurs être une manière de s'attirer la sympathie de la population comme ce fut le cas en Palestine où le Hamas l'a emporté contre le Fatah qui s'y opposait), qui, souvent, sont associées à des associations caritatives qui sélectionnent les candidats au suicide, qui les forment, les préparent et les envoient dans des actions pensées dans un cadre stratégique ;

- dans une configuration "anarchique", comme ce fut le cas en Espagne et en Grande-Bretagne où ce sont des membres de diasporas, apparemment bien intégrés, sans contacts avec des organisations terroristes qui organisent ces attentats. Ces jeunes gens se mobilisent et se forment en utilisant les moyens de communication les plus modernes : la télévision qui les maintient en colère contre les exactions des armées occidentales, internet qui leur offre bagage théorique et documents pour construire leurs armes.

Une des différences entre ces deux formes pourrait être que dans la première, les terroristes ont des comportements pro-sociaux, qui améliorent le bien-être de la communauté et l'aident à atteindre ses objectifs (les attentats amènent l'ennemi à modifier son attitude sur le moyen ou long terme), alors que dans la seconde, ces comportements sont anti-sociaux (ils ne font que dégrader le bien-être de la communauté), différence qui pourrait être signalée par le comportement de la communauté, tolérante ou complice dans le premier cas, hostile ou perplexe dans le second : les terroristes du Hamas ont contribué à rendre populaire ce mouvement en Palestine alors qu'on ne voit pas en quoi les attentats de Londres ou Madrid ont pu satisfaire ou faire plaisir à quiconque, que ce soit dans les pays dans lesquels ils ont été commis ou ailleurs dans le monde.

L'analyse économique

Les quelques économistes qui se sont intéressés au sujet ont essayé de comprendre comment des agents rationnels peuvent mener des actions suicide.

Ces travaux sont relativement convaincants lorsqu'ils s'intéressent aux stratégies des organisations terroristes, lorsqu'ils insistent sur la dimension coût-bénéfice ou lorsqu'ils analysent les politiques de ressources humaines des organisations terroristes et montre qu'elles sélectionnent les candidats au suicide en fonction de la difficulté de l'attentat : plus celui est complexe, plus il est confié à des candidats mieux formés, qui ont un capital humain plus élevé (Benmelech, Berrebui, Attack assignment in terror organizations and the productivity of suicide bombers ). Dans un papier d'une veine voisine, Bueno de Mesquita rapproche la situation économique et terrorisme de manière originale : une situation économique très dégradée peut favoriser le développement d'activités terroristes, mais, dans ce cas, les organisations terroristes sélectionnent les mieux formés et les plus diplômés qui sont plus efficaces, loyaux et fiables que les jeunes qui n'ont pas fait d'études.

Leurs analyses des organisations, de la combinaison d'activités caritatives et terroristes sont également éclairantes. Pierre Emmanuel Ly envisage (in The charitable activities of terrorist organizations, Public Choice, 2007) "charitable investments by terrorist groups as a way for them to advertise their ideals among potential sympathizers. Indeed, charities not only provide a conduit for money laundering, they also truly benefit people in need. As a result, those who at least partly share the goals of the terrorist group are likely to be more willing to make their contribution to the fight." Les activités caritatives des organisations terroristes fonctionnent comme de la publicité et ont pour objet de changer les préférences des personnes. Ce qui n'est jamais qu'une vieille idée présente chez les théoriciens de la guérilla, notamment chez Che Gevara.

Les économistes sont moins convaincants lorsqu'ils essaient de comprendre les motivations des candidats aux attentats suicide, l'argument le plus fréquent insistant sur la préférence du futur. C'est celui que développe, par exemple, Jean-Paul Azam pour expliquer la prééminence de jeunes issus de milieux favorisés dans les candidats au atttentats-suicide : "educated people, écrit-il, have a stronger concern for the welfare of the future generations. This stronger altruistic feeling leads them to engage more decisively in terrorist activities, described as a means for increasing the probability of the next generation benefiting from some public good like freedom or national independence." (in How to Curb “High Quality” Terrorism? octobre 2006). Thèse qui amène Azam à envisager les politiques d'aide comme un remède au terrorisme : si ces politiques sont crédibles et efficaces (ce qu'elles n'ont pas été jusqu'à présent) ceux qui commettent ces attentats dans le seul but d'améliorer le sort des plus défavorisés sur le long terme n'auront plus de raisons de commettre des attentats. Dans ce même article, Azam explique que l'éducation peut conduire au terrorisme en combinant tout à la fois ressentiment (les jeunes diplômés ne trouvent pas l'emploi que leurs études leur permettrait d'obtenir) et volonté de changer les choses pour les générations futures.

Des économistes ont également utilisé la théorie des jeux pour comprendre les stratégies des Etats cibles (Arce, Sandler, Counterterrorism : a game theoric analysis, Journal of conflict resolution, 2005). Ils en ont identifié trois : la stratégie défensive (se protéger contre les attaques), ne rien faire, la stratégie offensive (porter le fer contre les organisations terroristes) et montré que la première des trois avait le plus de chance d'être retenue par les Etats puisqu'elle a pour effet de reporter sur les Etats qui se protègent le moins la menace alors que la troisième présente, à l'inverse, le risque du passager clandestin, un Etat s'appuyant sur ses voisins pour lutter contre le terrorisme.

L'analyse psychologique

Venons-en maintenant aux terroristes eux-mêmes. Nous avons vu qu'ils appartenaient plus souvent aux classes moyennes qu'aux classes déshéritées, qu'ils pouvaient, dans la diaspora, appartenir à des familles parfaitement "intégrées" (quoi que cela puisse vouloir dire), qu'ils avaient souvent fait des études. Mais ont-ils des comportements psychologiques différents? Atran ne le pense pas qui écrit explicitement : "In targeting potential recruits for suicide terrorism, it must be understood that terrorist attacks will not be prevented by trying to profile terrorists. They are not sufficiently different from everyone else." Ce qui l'amène à conclure : "Insights into home-grown jiahdi attacks will have to come from understanding group dynamics, not individual psychology. Small-group dynamics can trump individual personality to produce horrific behavior in otherwise ordinary people." C'est en travaillant sur la dynamique de groupe que l'on pourrait donc prévenir les actions terroristes. Une thèse que développe également Marc Sageman, un pionnier de l'étude des terroristes, auteur d'un livre sur le sujet (Understanding Terror Networks, 2004) qui a dit “it’s a group phenomenon. To search for individual characteristics… will lead you to a dead end” Mais comment faire lorsque l'on sait que ces groupes, s'ils ont des caractéristiques communes (de petite taille, avec des membres uqi partagent une foi profonde), peuvent émerger n'importe où? La solution est, dit-il, de contrôler de manière très fine les sites internet que ces jeunes gens consultent. Non pas de les supprimer, ce qui conduirait au développement d'autres formes de formation de ces groupes, mais de les contrôler de très près, de suivre les agissements des jeunes gens qui les consultent, leurs fréquentations, leurs publications (parce qu'ils annoncent souvent ce qu'ils vont faire dans des tracts…).

Les psychologues ont naturellement cherché à identifié des profils type. De nombreux travaux ont été menés très tôt, sans grand succès, comme le montre la revue très complète de ces travaux que donne Jeff Victoroff in The Mind of the Terrorist, a review and critique of psychological approaches, (Journal of Conflict Resolution, 2005) qui montre que les personnalités des terroristes sont très différentes et qu'il est donc à peu près impossible d'en tracer un profil type. Article dont la lecture est un peu déprimante puisqu'il consiste en une critique souvent convaincante de la plupart des modèles avancés pour analyser les comportements des terroristes. Sa conclusion n'est guère plus optimiste : "Students of terrorism might justifiably conclude from the peer- reviewed literature that the total number of published theories exceeds the number of empirical studies—an imbalance that may be of more than academic import. Even the small amount of psychological research is largely flawed, rarely having been based on scientific methods using normed and validated measures of psychological status, comparing direct examination of individuals with appropriate controls, and testing hypotheses with accepted statistical methods. Insofar as policy makers rely on published analyses of the “the mind of the terrorist,” policies intended to reduce the risk of terrorism may be based on invalid premises."

L'analyse polémologique

Je voudrais, pour conclure cette revue d'une littérature qui reste maigre, dire un mot d'un modèle qui peut nous aider à comprendre ce phénomène : le mimétisme de René Girard. Dans son dernier livre (Achever Clausewitz, Canretsnord, 2007) Girard approfondit ses thèses sur le mimétisme en s'appuyant sur une réflexion sur la guerre et l'un de ses plus grands théoriciens, Clausewitz. Il ne parle pas du terrorisme que par allusion, mais il avance quelques concepts qui peuvent aider à comprendre le phénomène :

- celui, d'abord, de l'indifférenciation qui amène à ne plus voir de différence entre ses victimes, à ne plus en distinguer entre militaires et civils, adultes et enfants, hommes et femmes… qui est une caractéristique de la guerre moderne (les bombardements des villes lors de la dernière guerre mondiale, la guerre atomique, le terrorisme, justement), cette indifférenciation n'est possible que si la haine à l'égard de l'adversaire rend aveugle aux différences au sein de la population,

- celui de la montée aux extrêmes,

- celui, enfin, de l'action réciproque : "Le terrorisme, écrit-il, est l'aboutissement de ce que Clausewitz identifiait et théorisait sous le terme de "guerre des partisans" : il tire son efficacité réelle d'un primat de la défense sur l'attaque ; il se justifie toujours de n'être qu'une réponse à une agression ; il se fonde donc sur la réciprocité." (p.41). "L'action réciproque, écrit-il un peu plus loin, provoque et diffère à la fois la montée aux extrêmes. Elle la provoque si chacun des deux adversaires se comporte de la même manière, répond aussitôt en calquant sur l'autre sa tactique, sa stratégie, sa politique ; elle diffère la montée aux extrêmes si chacun spécule sur les intentions de l'autre, avance, recule, hésite en tenant compte du temps, du brouillard, de la fatigue…" (p.44)

Ce modèle peut très bien s'appliquer aux groupes de jeunes gens qui posent des bombes en Europe. Ils peuvent avoir le sentiment de réponde à une agression de l'Occident à l'égard des sociétés du Moyen-Orient, agression que leur montrent les images de la télévision, en posant des bombes qui tuent des civils, ils peuvent avoir le sentiment de se comporter comme l'armée américaine qui bombarde des villages, ils font la même chose. Et, comme ils sont, par ailleurs, très éloignés de toute organisation hiérarchique traditionnelle, comme ils n'appartiennent à aucune armée, ils ne se comportent pas comme des militaires dont les analyses des stratégies et tactiques ennemies, jouent comme un frein à la montée aux extrêmes. Rien ne les retient de monter aux extrêmes.

samedi, décembre 29, 2007

Jusqu'où devrons nous aller?

Le voyage en Egypte de notre Président nous avait valu son pesant de… surprises, voilà que l'on apprend, au détour d'un papier du Monde sur la presse qui a couvert son déplacement que plusieurs paparazzi ont essuyé des tirs de semonce (de la police égyptienne, sans doute).

Je n'ai même pas envie de commenter tant c'est… au delà de tout ce qu'on pouvait imaginer.

jeudi, décembre 27, 2007

Enigme et casse

Feuilletant un ouvrage depuis longtemps dans ma bibliothèque, Sémiologie de la typographie de Gérard Blanchard (Québec, 1982), j’y découvre que la fréquence des lettres en français est attestée par le mot ESARTINULOC. Intrigué, je recherche ce mot sur Google. La première réponse renvoie à une interview savoureuse de Georges Pérec qui cite ce mot, sans en donner l’origine, mais explique qu’il n’a qu’un seul anagramme : Ulcérations (dans cette interview Pérec parle de son goût des jeux et nous propose une définition de mots croisée délicieuse (et empruntée à Robert Scipion qui a longtemps donné ses grilles au Monde) : du vieux avec du neuf en 11 lettres. Solution : nonagénaire.

Les autres réponses renvoient toutes, directement ou indirectement, à Pérec. Surpris de ce silence sur l’origine de ce mot, je recherche la fréquence des lettres en français, qui me renvoie à un article de Wikipedia qui me propose une autre liste : ESAITNRULOD et à un article d’Ars Cryptographica qui en propose une troisième : EASINTRLUOD.

On remarquera qu’on retrouve dans ces trois listes les mêmes lettres mais dans un ordre différent. Les deux dernières listes ont été composées à partir d’échantillons différents, ce qui est une raison de ces écarts. Pour la première, aucune explication sur Google, tous les sites utilisant ce mot disant, au mieux, que ce sont les lettres les plus utilisées.

Blanchard parlant dans le passage dans lequel il cite ESARTINULOC de la casse d’imprimerie, “cette grande boite ouverte, divisée en de nombreux petits compartiments ou cassentins, chacun d’eux étant réservé à un type répertorié ou sorte. Un simple coup d’oeil sur la casse nous montre que ces cassetins sont de diverses grandeurs et peuvent donc contenir un plus un ou moins grand nombre de types selon la fréquence d’emploi des lettres.” J’en conclue qu’il y a un rapport, ce que confirme un simple regard sur une casse comme sur cette photo trouvée sur Priceminister.


ESARTINULOC serait donc le classement de cassetins selon leur taille, celui étant réservé au E étant plus grand que celui réservé au S…

La différence entre ce classement et les deux précédents pourrait alors venir de ce que les types, les caractères ne s’usent pas tous de la même manière, qu’à fréquence équivalente équivalente, certains s’usent plus vite que d’autres. Le I pourrait ainsi passer de la quatrième à la sixième position parce que son usure serait plus faible ou, autre hypothèse, que son dessin le rendant moins ambigu permettrait de le conserver plus longtemps que le A ou le R.

Cette explication me paraissant séduisante et voulant en avoir le coeur net, je suis retourné sur Google avec une nouvelle requête : “Casse d’imprimerie esartinuloc”, qui ne m’a renvoyé aucune réponse. Une variante, “Typographie esartinuloc” ne renvoie que 5 réponses qui font toutes allusion à Georges Pérec. Le simple “casse d’imprimerie” renvoie à beaucoup plus de réponses, mais aucune n’apporte de réponse à une question qui restera donc sans… réponses. À moins qu’un lecteur de ce blog ait quelques lumières sur ce sujet dont l moins que l’on puisse dire est qu’il est insignifiant, encore que…

Cette promenade autour des casses d’imprimeries m’a fait découvrir ce petit texte qui fait penser qu’il ne l’est pas tant que cela : “Jean Dominique Baudy, rédacteur en chef du magazine Elle, victime en 2005 d’un accident vasculaire cérébral et atteint du locked-syndrom, a écrit à l’aide du seul battement de sa paupière gauche réagissant aux lettres de l’alphabet épelées dans cet ordre décroissant un livre bouleversant intitulé "Le scaphandre et le papillon", remarquablement mis en images et en émotions par Julian Schnabel.” (Le journal du neuf ou les aventures d’un oeuf dans une peau de peinture que l’on doit à un certain Delaunay).

Mais puisque j'anime ailleurs un blog consacré à Google (Googlemanagement.tv) et, donc, aux moteurs de recherche, peut-on en tirer une leçon : les moteurs de recherche peuvent beaucoup (comme je l’ai montré dans un autre note sur les barricades mystérieuses), mais ils ne peuvent pas trouver des informations absentes des documents qu’ils indexent. Ce qui nous rappelle cette vérité qu’on a trop tendance à oublier : malgré tous les efforts de Google (et de de beaucoup d’autres), tout le savoir de l’humanité n’est pas disponible sur le net.

mardi, décembre 25, 2007

Barricades mystérieuses

Les barricades mystérieuses est le titre d'un très beau recueil de poèmes d'Olivier Larronde publié en 1946 aux éditions Fontaine, repris en 1948 chez Gallimard. Mon fils auquel j'en parle me fait remarquer que j'ai dans ma bibliothèque un autre recueil de poèmes plus récent portant le même titre, mais de Maurice Blanchard, cette fois-ci, recueil également publié chez Gallimard.

Vérification faite, le poème qui a donné son titre au recueil de Blanchard a été publié en 1937, soit 10 ans avant celui de Larronde. Mais cette petite vérification sur Google (suivie d'une exploration du catalogue de la Bibliothèque nationale) m'a donné l'occasion de découvrir plusieurs autres occurrences du même titre, plus tardives :

- en 1998 pour un roman de Sébastien Lapaque publié dans une collection policière d'Actes Sud dont la couverture représente une femme remettant une paire de bas dans la plus grande tradition des romans noirs des années 50,


- en 1995, pour le catalogue d'une exposition de photographies de Sophie Ristelhueher,
- la même année pour un roman de Jean Malzac publié à Bordeaux, sans doute à compte d'auteur,
- toujours dans les années 90 pour un ensemble de musique baroque dirigé par le musicologue Stefan Perreau,
- en 1989, pour une oeuvre pour flûte et orchestre de Luca Francesconi,
- en 1988, pour un livre d'ethnologie sur des récitations nocturnes chez les Fang,
- en 1988, pour le titre d'un conte spiritualiste (in Ariane Buisset, Le Dernier tableau de Wang Wei : contes de l'éveil, Albin Michel),
- en 1985, pour un article consacré à Victor Hugo (Bernard Leuilliot, in Europe),
- en 1968, pour un documentaire télé de Charles Brabant sur François Couperin,
- en 1961 pour un tableau de René Magritte, tableau célèbre représentant une maison aux fenêtres éclairées cachée par des arbres gris


- en 1960, pour un roman de Jacqueline Bellon, auteur de romans sentimentaux en général publiés dans des magazines féminins, édité par Plon

mais aussi antérieures :
- en 1922, pour un livre d'Edmond Jaloux,
- et, surtout, en 1717, pour une oeuvre de Couperin dont le titre énigmatique a fait couler beaucoup d'encre. On a parlé d'une allusion aux vêtements féminins, au corset, aux harmonies non résolues de l'oeuvre.

Comment expliquer le succès de ce titre? Je doute que les auteurs se soient copiés les uns les autres. Je préfère imaginer qu'ils ont les uns et les autres "réinventé" cette belle formule séduits par sa force. Force poétique : ces "barricades mystérieuses" ne sont pas un oxymore, mais un peu un paradoxe, les barricades sont en général là pour afficher une opposition vive qui ne se cache pas. Force érotique également comme suggèrent tant l'illustration du roman de Lapaque que les interprétations que l'on a données du titre de Couperin que l'utilisation de cette formule dans des textes consacrés à la littérature érotique, comme dans les analyses qu'Anne Giard a données du Sopha de Crébillon fils. Ces barricades mystérieuses seraient celles qui amènent une femme à refuser de se donner alors même que tout dit son désir et qui, d'une manière plus générale, nous amèneraient à ne pas faire ce que nous souhaitons comme le suggère le tableau de Magritte : la barricade est mystérieuse parce qu'absente, invisible, elle est bien là, elle nous interdit d'avancer et cependant on ne la voit pas dans l'ombre.

Ces barricades mystérieuses seraient donc une proche cousine de cette akrasia qui a tant intéressé les philosophes américains (Davidson…) après Aristote (bizarrement, les traducteurs français du philosophe grec traduisent akrasia par incontinence), qui nous amène à faire le contraire de ce que nous jugeons bon et juste.

vendredi, décembre 21, 2007

"La République a besoin de croyants" (sic)

Les déclarations de Nicolas Sarkozy laissent de plus en plus souvent perplexes. Voilà qu’à Rome, il critique la laïcité à la française… au risque de susciter en France les réactions les plus vives, y compris dans son camp. Comme si cela l’amusait, comme s’il avait choisi de faire de la politique une permanente provocation.

On dira que ce n’est pas la première fois qu’il aborde ce sujet. Déjà lorsqu’il était ministre de l’intérieur, il avait critiqué la loi de 1905. Mais depuis, est venue son idée de créer un ministère de l’identité nationale. Et là, on ne comprend plus. Si identité nationale française il y a, elle est, de l’aveu même des avocats de ce ministère, à chercher du coté de la langue française et de la laïcité. Être Français, c’est, nous ont-ils expliqué en long et en large, accepter cette règle de la laïcité que Sarkozy critique aujourd’hui. Ce fut un des thèmes récurrents du colloque sur l’intégration et l’immigration qui s’est tenu il y a quelques semaines à Paris et j’ai rendu compte ici. Alors? Incohérence? Changement de cap? Mots en l’air pour plaire à son interlocuteur? On ne sait plus à quel saint se vouer.

jeudi, décembre 20, 2007

Vulgaire?

Il y avait la rolex affiché au poignet le soir du débat avec Ségolène Royal, le yacht, la soirée au Fouquets, le jogging dans des toilettes ridicules, la démarche, tronc en avant, fesses dressées en arrière copiée sur celle d'Aldo Maccione, les amours en première page de la presse people deux mois à peine après d'être séparé de Cécilia qu'il aimait, nous a-t-on dit et répété, d'un amour exceptionnel. Et maintenant Jean-Marie Bigard à Rome! C'est à se demander si Nicolas Sarkozy n'est pas tout simplement… vulgaire.

PS : on nous dit que Bigard est profondément religieux, certains de ses sketchs sont aussi extrêmement… ambigus pour rester dans l'euphémisme (voir ici)

lundi, décembre 17, 2007

PS : l’ouverture, la question sociale et la rénovation

L’ouverture qu’a pratiquée Nicolas Sarkozy, et qu’il envisage, semble-t-il de poursuivre, a fait à ce jour l’objet de peu d’analyses approfondies, la plupart des commentateurs se satisfaisant d’une interprétation qui mêle désir de carrière des socialistes qui entrent au gouvernement, habileté de Nicolas Sarkozy et crise du Parti socialiste.

Cette interprétation n’est pas satisfaisante. Le désir de poursuivre une carrière ministérielle envers et contre tout n’est pas une nouveauté, Kouchner, Besson, Bockel et alii ne sont pas plus ambitieux que leurs prédécesseurs de gauche ou de droite. Nul ne doute de l’habileté de Nicolas Sarkozy, mais François Mitterrand qui n’était pas moins habile n’a pas réussi l’ouverture lorsqu’il l’a tentée. Quant à la crise du PS, il convient sans doute de la relativiser. Un parti dont la candidate a eu 47% des voix au deuxième tour de l’élection présidentielle n’est certainement pas dans le coma. On peut ajouter que d’autres partis se sont trouvés auparavant dans des situations bien plus désastreuses sans que leurs dirigeants se rendent armes et bagages à l’ennemi.

Cette ouverture donne, au moins en apparence, en fait raison à ceux qui expliquent que l’opposition entre la droite et la gauche n’a plus de sens, est démodée. Si tel était bien le cas, il devrait effectivement être possible de créer un gouvernement des meilleurs, de recruter des ministres sur tout l’échiquier politique en fonction de leurs compétences, de leur savoir-faire. Si Jean-Pierre Jouyet a été choisi comme secrétaire d’Etat aux affaires européennes, il le doit sans doute, pour partie, à son passage à la tête du cabinet de Jacques Delors à Bruxelles. Mais chacun le sait bien : être de gauche et de droite, ce n’est pas la même chose. On peut d’ailleurs supposer que Bernard Kouchner ou Fadela Amara éprouvent quelques hauts le coeur lorsqu’ils bavardent avec des élus UMP qui ne sont pas à droite par hasard. Si malgré cette frontière toujours très marquée, ils ont sauté le pas, ce n’est pas seulement par ambition : c’est que, malgré les désagréments supportés ici ou là, ils ne voient plus vraiment la différence ou que, du moins, ils ne la voient plus suffisamment pour refuser de passer la frontière.

Ils sont trop nombreux pour que ce ne soit qu’une affaire individuelle, le changement d’opinions de quelques personnes. La raison profonde est l’affaissement de ce qui se structure traditionnellement l’opposition entre la gauche et la droite : la question sociale. Être de gauche, ce n’est pas seulement être républicain, laïc, antiraciste et anticolonialiste, comme l’affirme Bernard-Henri Levy, c’est aussi être du coté des classes populaires, de ceux qui travaillent, souffrent, sont exploités et aliénés.

Le succès de l’ouverture et les difficultés de la gauche viennent de ce que cette question sociale ne joue plus ce rôle de l’espace politique. Le parti Socialiste n’est plus aux cotés des plus démunis, ils n’arrivent plus à tenir un discours, à développer un programme, des arguments qui séduisent les classes populaires.

À l’extrême-gauche, on explique ce glissement par l’embourgeoisement des cadres du PS. L’explication qui serait plus convaincante si cette même extrême-gauche s’était révélée plus capable que le PS de séduire les classes populaires. Ses résultats aux dernières élections législatives montrent qu’elle en est loin. Elle non plus n’embraie plus sur les attentes des travailleurs. Et comme on ne peut pas sérieusement accuser d’embourgeoisement les dirigeants du PC, de LO ou de la LCR, il faut chercher ailleurs les raisons de ces difficultés.

La réponse est sans doute à trouver du coté des classes populaires elles-mêmes. On s’est peu interrogé sur les raisons qui pouvaient inciter une partie non négligeable de la classe ouvrière à voter pour le Front National. Et lorsqu’on la fait, on a souvent cherché des explications compliquées, du coté de l’histoire, de la manière dont la guerre d’Algérie a été vécue dans certaines communes (voir, là-dessus, les analyses de Bernard Alidières). Mais peut-être est-ce tout simplement que ces électeurs, qui ne sont pas moins rationnels que d’autres, ont trouvé dans le programme de ce parti des réponses à leurs questions. À y regarder de plus près, le Front National est, en effet, le seul à avoir développé une thématique protectionniste qui touche directement ceux dont l’emploi est menacé par la concurrence des pays émergents. Lorsque votre patron vous dit, “je vais devoir fermer l’usine” alors même qu’il investit en Chine ou en Roumanie, la réaction naturelle est de demander la fermeture des frontières et de voter pour ceux qui proposent d’en faire le coeur de leur politique économique.

Les déclarations de Le Pen sur la préférence nationale, toutes les formules du type “Les Français d’abord…” peuvent être interprétées comme une déclaration de guerre faite aux immigrés, ce qu’elles sont effectivement, mais aussi comme le refus des délocalisations. Les deux interprétations sont plus complémentaires que contradictoires.

Difficile pour le PS de tenir un discours protectionniste qui va à l’encontre de ses valeurs traditionnelles (l’internationalisme), de son attachement au projet européen et du bon sens économique. Le protectionnisme peut protéger quelques temps les victimes de la concurrence internationale, mais il menace directement les plus compétitifs qui n’ont rien à gagner à des guerres commerciales qui leur feraient perdre des parts de marché à l’étranger. Il lui est d’autant plus difficile de tenir un discours protectionniste qu’il ne peut séduire qu’une partie des classes populaires : celle qui vit mal la mondialisation. Les ouvriers, techniciens, employés et ingénieurs d’Airbus dont l’essentiel des revenus viennent des ventes à l’étranger n’éprouvent évidemment aucune sympathie pour des politiques qui forceraient leur employeur à délocaliser ses usines pour échapper aux tarifs douaniers que les pays étrangers ne manqueraient pas de nous infliger en mesure de rétorsion.

La difficulté majeure de la gauche vient de là : les classes populaires ont changé. Elles ont éclaté, elles se sont diversifiées. On peut en première analyse distinguer trois pôles, trois blocs, aux attentes antagonistes, contradictoires, inconciliables :

- les victimes de la mondialisation qui sont en attente d’une politique protectionniste qui les protège de la concurrence internationale,

- les bénéficiaires de cette même mondialisation qui attendent, eux, des politiques une modernisation de la société française, des conditions de travail et de vie moins pénibles, des possibilités de promotion pour eux et leurs enfants et le développement de services qui leur permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie privée,

- les immigrés et leurs enfants, qui pèsent d’un poids très lourd dans les classes populaires comme le confirme n’importe quelle visite d’une entreprise de la région parisienne, qui attendent de leurs élus qu’ils fassent tomber tout ce qui bloque leur promotion sociale, tout ce qui leur interdit de tirer parti de leurs investissements dans le système scolaire.

Le poids politique de ces trois catégories n’est pas le même : les immigrés ne votent pas, leurs enfants en sont pas toujours inscrits sur les listes électorales, les salariés victimes de la mondialisation s’abstiennent plus souvent que ceux qui en profitent, mais toutes trois devraient intéresser également la gauche.

La question sociale n’a évidemment pas disparu, mais elle s’est formidablement compliquée, au point que les partis politiques de gauche se trouvent aujourd’hui dans l’impossibilité pratique de développer un programme susceptible de séduire l’ensemble de ces trois blocs. Le cas de l’augmentation du SMIC que proposait Laurent Fabius lors de la dernière campagne est caractéristique de cette difficulté. Cette mesure aurait du être fédératrice, or cela n’a pas été le cas :

- les victimes de la mondialisation n’y ont vu qu’un artifice dangereux : ils savent d’expérience qu’une augmentation de ce type ne peut que réduire la compétitivité de leur entreprise et donc augmenter les risques de délocalisation. Ils savent, par ailleurs, que leurs employeurs font tout pour y échapper, pour maintenir leur masse salariale au niveau le plus bas, ce qui, en pratique, veut dire plus de temps partiel, d’emplois précaires et d’écrasement des salaires,

- les bénéficiaires de la mondialisation ne sont en général pas intéressés : parce qu’elles sont compétitives, leurs entreprises versent presque toujours des salaires supérieurs au SMIC, ils n’avaient pas besoin d’une augmentation qui ne leur aurait rien rapporté,

- quant aux immigrés et à leurs enfants, souvent mal payés, ils ne sont pas hostiles à une augmentation du Smic, mais ils savent bien qu’aucune augmentation du salaire minimum ne les fera échapper aux discriminations dont ils souffrent et qui les bloquent dans des emplois ne correspondant pas à leurs attentes.

Ce qui est vrai du Smic, l’est d’à peu près tous les autres points du programme socialiste (mais aussi du programme des partis d’extrême-gauche). Tant que ce problème n’aura pas été résolu, tant que la gauche n’aura pas trouvé le moyen de reconstruire un programme susceptible de réunir et séduire ces trois blocs, elle sera dans la difficulté. Elle pourra continuer de gagner les élections locales là où ses élus sont meilleurs gestionnaires, elle pourra profiter, lors d’élections intermédiaires, du rejet de la droite au pouvoir, mais elle ne pourra espérer renouer durablement avec sa mission historique et son électorat naturel que si elle résout ce problème et trouve les projets et les mots susceptibles de séduire tout à la fois ces trois blocs antagonistes. Toute rénovation qui ne s’attaquera pas directement à cette question est vouée à l’échec.

jeudi, décembre 13, 2007

Les managers sont-ils plus dyslexiques que la moyenne?

C'est une question idiote qui m'est venue à la lecture d'un article de Business Week sur les dyslexiques. Son auteur cite les caractéristiques des dyslexiques (difficultés de s'exprimer par écrit, de lire), leurs préférences pour les échanges parlés et les rapproche des traits que l'on rencontre le plus souvent chez les dirigeants, notamment leur préférence pour les échanges verbaux, et il est vrai que c'est assez troublant. Faut-il en conclure (et c'est là ma question idiote) que mieux vaut être dyslexique pour réussir dans les affaires?

L'article le suggère. Au moins pour les Etats-Unis où 35% des entrepreneurs présenteraient, d'après une étude que cite son auteur, des signes de dyslexie. Cela fait beaucoup. Sans doute faut-il éviter de sauter aux conclusions. Il se pourrait très bien que les dyslexiques ayant plus de difficultés à réussir les tests d'embauche choisissent la création d'entreprise par défaut. Ce n'est évidemment pas la conclusion des experts que cite l'article qui expliquent, ce qui n'est pas non plus absurde, que les contraintes qu'impose la dyslexie aux jeunes enfants les amènent à développer des compétences utiles pour qui doit diriger une organisation : capacité à aller à l'essentiel ("Dyslexia forces you to look at things in totality and not just as a single chess move. I play out the whole scenario in my mind and then work through it.… All of my life, I've built organizations with a broad perspective in mind." explique le patron de Cisco, dyslexique lui-même), volonté de déléguer le maximum de choses (ce que l'on est amené à faire très tôt lorsque l'on est dyslexique), manque de patience pour les discussions trop longues…

Voilà en tout cas de quoi donner un peu d'espoir aux parents dont les enfants souffrent de dyslexie.

PS. J'ajouterai que ce sujet est moins nouveau que je le pensais. Dans un article récent, le New-York Times cite des artiles publiés dans Fortune il y a quelques années allant dans la même direction.

dimanche, décembre 09, 2007

Trop faciles, les réformes!

Nicolas Sarkozy est en passe de réussir l'un des points forts de son programmes : les réformes. Celle sur les régimes spéciaux de retraite est bien engagée, celles sur la fusion de l'ANPE et l'Unedic et la réorganisation du ministère de l'économie et des finances sont également en bonne voie. Au delà des satisfecit bien légitimes (qui pourrait reprocher à un politique de se féliciter de ses succès et de se comparer avantageusement à ses prédécesseurs?), ces succés amènent à s'interroger sur les causes de ces réussites après tant d'échecs.

Deux au moins de ces réformes relèvent du même scénario : depuis longtemps envisagées, préparées par de nombreux rapports, elles ont suscité une forte opposition des salariés concernés, voire des conflits majeurs qui ont vu le gouvernement reculer au point que leurs promoteurs (Juppé, Sauter) ne s'en sont pas remis.

Or, cette fois-ci, cela parait en bonne voie. Pourquoi?

Dans le cas de la SNCF, deux facteurs semblent avoir été déterminants :

- le renouvellement des équipes. Encore que je n'ai pas vu de chiffres, on peut penser qu'en 12 ans, les effectifs de l'entreprise ont été fortement renouvelés, surtout dans ces métiers où l'on part le plus tôt à la retraite. Les cheminots entrés dans l'entreprise depuis 1995 savaient bien que leur régime de retraite était menacé, qu'il y avait de fortes chances qu'ils n'en bénéficient pas pleinement ;

- l'évolution des organisations syndicales sur le sujet. A part Sud, qui campait sur les 37,5 annuités de cotisations, toutes les autres centrales avaient accepté, fut-ce du bout des lèvres, le principe d'un allongement des durées de cotisation.

Au Ministère de l'Economie et des Finances, on observe des évolutions voisines. L'idée de guichet unique pour les contribuables a fait son chemin, au point que la CGT en a fait la promotion dans ses publications sous le nom d'Hôtels et de Maisons des Finances où sont regroupées les différentes administration. Ce n'est pas tout à fait la réforme voulue par le gouvernement, mais on en est proche.

Dans les deux cas, le plus frappant est l'évolution des organisations syndicales qui ne s'opposent plus frontalement aux projets gouvernementaux, mais tentent, par différents biais, de les ajuster de manière à les rendre le moins douloureuses possibles pour les salariés. Or, cela fait une différence considérable.

Dès lors que les organisations syndicales ne s'opposent plus frontalement au projet de réforme, dès lors qu'elles n'en contestent plus le sens et l'esprit, il reste à négocier des contre-parties pour les salariés dont la situation va évoluer. C'est beaucoup plus facile, surtout si le gouvernement s'est à ce point engagé dans l'affirmation de sa volonté de réforme qu'il est près à beaucoup (c'est-à-dire à ouvrir large son portefeuille) pour atteindre son objectif. Paradoxalement, les organisations syndicales n'ont jamais été en meilleure position pour négocier des avantages pour leurs mandants. Leur défaite apparente (elles ont cédé sur l'objectif affiché par le gouvernement) leur donne en réalité le moyen de négocier dans les meilleures conditions.

En résumé, l'un (Nicolas Sarkozy) aura triomphé sans beaucoup d'efforts quand les autres vont gagner beaucoup au prix d'une petite défaite dans les médias.

On a beaucoup dit que les organisations syndicales avaient mis de l'eau dans leur vin pour ne pas se mettre à dos les salariés du privé qu'elles tentent par ailleurs de séduire, que cela a contribué aux différences d'appréciation entre la CGT cheminots et Bernard Thibault. L'argument n'est pas complètement convaincant : le salarié qui souhaite être bien défendu a intérêt à se rapprocher des organisations les plus déterminées. Sa gêne occassionelle, bien loin de le metre en colère contre la CGT, devrait au contraire l'inciter à s'en rapprocher dans son entreprise.

Le changement d'attitude des organisations syndicales relève probablement d'autres causes plus complexes qui renvoient à ce qui s'est passé après les crises majeures vécues à la SNCF et au Ministère de l'Economie.

Dans le cas du Ministère de l'Economie et des Finances, on ne peut exclure un effet de révision a posteriori des positions syndicales. La victoire des syndicats a été obtenue à un prix très élevé pour un gouvernement de gauche dont les syndiqués étaient plutôt proches et on a vu se développer chez certains une sorte de regret, un "nous sommes allés trop loin", "cette réforme et les conditions dans lesquelles elle était proposée ne justifiaient certainement pas ces conséquences", mouvement de regret qui a pu amener beaucopup à reconsidérer les objectifs de la réforme et à les accepter. Des enquêtes menées après le mouvement de 2000 ont montré que les agents, plutôt hostiles à la réforme avant qu'elle soit annoncée, l'acceptait après.

Dans le cas des régimes spéciaux, d'autres facteurs ont joué. Le débat n'a pas été limité à la sphère publique. Chaque agent l'a rejoué dans son univers privé, avec sa famille, ses proches, a du, pendant des années, défendre ses positions. On peut penser que ce travail souterrain, travail d'autant plus approfondi que la grève de 1995 avait été plus longue, a joué, conduit beaucoup de cheminots à réévaluer leurs positions et en a amenés beaucoup à se battre sur un nouveau terrain : oui à la réforme si elle me permet de conserver, à titre privé et personnel, les avantages que le système ma garantissait.

Dans les deux cas, la réforme aura réussi parce que préparé par un long travail réalisé en souterrain, loin des lieux de négociation traditionnels, dans les services, dans la sphère privée, là où réévalue ses positions et les construit.

Tout cela amène à nuancer le jugement que l'on pourra porter sur les réformes de Nicolas Sarkozy. Il aura d'autant plus facilement réussi :
- que le terrain a été longuement préparé,
- qu'il s'est mis en faisant monter très haut les enjeux en position de céder rapidement aux exigences des salariés.