Avoir des opinions est l'un des éléments du bien-être, affirmait il y a une quinzaine d'années, l'économiste A.O.Hirshman. Les blogs sont une bonne manière d'afficher ses opinions mais aussi, et peut-être même surtout, de les construire. C'est ce qui m'a donné envie de tenir celui-ci
dimanche, octobre 30, 2005
Un film subtil : Don't come knocking
Les inrockuptibles dont j’apprécie en général les critiques n’ont pas aimé le dernier film de Wim Wenders : Don’t come knocking. Ils y ont vu un cousin de Broken Flowers (qui était un excellent film mais très différent), une histoire mélancolique de l’Amérique de notre jeunesse d’amateurs de westerns et de randonnées à la Kérouac dans ce pays immense troué de villes improbables et de bars sinistres. Il y a de tout cela, bien sûr, dans ce film, mais le sujet est tout ailleurs, il est dans ce que l’on appelle, dans les associations, le « lien social », ce qui nous unit (ou devrait nous unir) et s’est, dans nos sociétés modernes, défait, décousu sous le coup de nos libertés, de nos rebellions mais aussi de notre angoisse. Le héros, acteur spécialisé dans les westerns, décide de quitter le film qu’il tourne. Il part, va retrouver sa mère qu’il n’a pas vue depuis des années, qui lui annonce, chose qu’il ignore, qu’une femme a cherché à le joindre, il y a de cela plus de vingt ans, pour lui dire qu’elle était enceinte de lui. Il ne sait où aller et part à sa recherche. Il la retrouve, il retrouve un fils, mais aussi une fille qui se promène avec les cendres de sa mère, morte quelques jours plus tôt. Mais ce n’est pas cette promenade qui intéresse Wenders, même s’il la traite à la manière des grands réalisateurs de westerns, avec force, c’est, de manière plus subtile, ce contrat que le comédien ne respecte pas et qui finit par le rattraper, ces liens familiaux qu’il a constamment négligés au profit de l’alcool, de la drogues et des filles d’un soir, dont il ne sait même pas s’ils lui manquent. Ce sont ces liens (le dialogue dit en anglais « related ») dont il met en évidence l’absence. Et si le personnage que joue Sam Shepard est vide et creux, comme le dit le critique des Inrocks, c’est qu’il a usé jusqu’à la corde sa liberté. Ce pourrait être un film sur la solitude, c’est, de manière plus subtile, un film sur ce qui nous désunit. C’est, à ce titre, un film infiniment moderne sous ses airs mélancoliques.
mercredi, octobre 12, 2005
Si la gauche savait… A propos du dernier livre de Michel Rocard
C’est un livre étrange, bien dans sa manière, que Michel Rocard vient de nous donner avec la complicité de Georges-Marc Benamou que l’on connaissait surtout pour son livre sur les derniers jours de François Mitterrand. Un livre à l’image de l’ancien premier ministre, décapant, intelligent, exaspérant qui nous éclaire sur bien des choses et explique une carrière brillante qui ne l’a jamais complètement satisfait.
Décapant et exaspérant, ce livre l’est par son ton souvent aigre, par cette manière qu’a son auteur de tirer à vue sur tout ce qui bouge dans son entourage immédiat. Cela commence par ses parents, par son père et sa mère, cela continue avec ses amis politiques. On le savait son amertume à l’égard de François Mitterrand, il la confirme naturellement dans ce livre chaque fois qu’il en a l’occasion, on ne savait pas qu’il portait des jugements aussi sévères sur la plupart de ses alliés politiques. Il y a du misanthrope chez cet homme qui a fait de la politique sa vie.
Il y a également chez Rocard du Rousseau : s’il critique sévèrement les autres, c’est qu’il s’autorise à se critiquer lui-même, habileté qui lui permet de tailler sa propre statue en grand, en très grand. S’il ne s’aime pas toujours, il s’admire beaucoup et se prête un rôle, une efficacité qu’il n’a peut-être pas toujours eu. Est-ce vraiment, comme il l’affirme, grâce à lui qu’il n’y a pas eu de morts en 1968? On peut en douter. Je ne me souviens pas en tout cas que le PSU ait joué à ce moment là le rôle qu’il lui prête. Je me souviens plutôt de la défiance qui était la notre à l’égard de cette organisation que nous sentions mal (je me souviens de la fouille que nous avions imposé à un journaliste du parti venu nous interviewer à Nanterre quelques semaines avant les journées de mai. Une carte du PSU ne valait pas passe-partout dans les milieux gauchistes de l’époque).
Puéril, ou naïf, lorsqu’il accuse Mitterrand de lui avoir menti lors d’un déjeuner de préparation des élections de 1967 (comme si mentir ne faisait pas partie des techniques les plus banales de la négociation…), il n’échappe pas à la paranoïa comme lorsqu’il reproche à Mitterrand de l’avoir volontairement rendu ridicule en l’invitant à l’improviste à marcher dans la campagne un jour de pluie.
Mais au delà de ce ton général, il y a dans ce livre de quoi faire un portrait approfondi d’une des personnalités qui a le plus compté dans la gauche dans la deuxième moitié du vingtième siècle; Son intelligence, sa rapidité d’esprit éclate à chaque page tout comme un trait de caractère qui explique beaucoup de ses positions politiques : son goût du double jeu. Il raconte, dans un passage qui fait rétrospectivement douter de son bon sens, la manière dont les dirigeants du PSU travaillaient en 1968 avec le patron de leur service d’ordre. Il fallait l’appeler chez sa mère qu’il appelait lui-même toutes les 15 minutes. Il rappelait alors son interlocuteur. Ce sont à l’évidence des méthodes qui auraient du mettre la puce à l’oreille : le patron du service d’ordre du PSU était un flic. Il a d’ailleurs fait carrière dans la police où il a depuis occupé des positions importantes. Mais Rocard n’éprouve a posteriori aucun froid dans le dos, il ne met pas en cause les méthodes de recrutement des militants de cet acabit, sa naïveté ou son manque de vigilance, non, il admire l’artiste. Il est vrai qu’il a lui-même longtemps joué double jeu militant le soir au PSU sous le nom de Servet, fonctionnaire le jour sous son nom officiel.
C’est ce même goût du double-jeu qui l’a amené, lui, le protestant, à se faire l’avocat et le leader du “parti catholique” à gauche et à toujours trouvé que les gens de droite n’avaient pas forcément tout faux. Au point de longuement hésiter avant de voter non au référendum de 1969 sur la régionalisation.
On y découvre également un autre trait intellectuel : l’intérêt, la passion pour les organisations politiques, pour leur fonctionnement et la conviction profondément ancrée semble-t-il, que ce sont les situations (ce qu’il appelle la sociologie) qui font les acteurs et non pas l’inverse.
Comme on pouvait s’y attendre, le conflit avec François Mitterrand occupe une place très importante dans ce livre, mais assez bizarrement et sans que Michel Rocard l’ait voulu, il rééquilibre les torts. Si Mitterrand a été aussi dur avec Rocard premier ministre, il ne faisait que rendre la monnaie de sa pièce à quelqu’un qui a tout fait pour l’isoler, le rejeter lorsqu’il était abandonné de tous. Rocard et ses amis ont nourri pendant des années la polémique sur l’attitude de Mitterrand pendant la guerre d’Algérie, ils ont tout fait pour le couler définitivement. Que celui-ci ne leur en ait pas été reconnaissant n’est qu’une demie-surprise.
Pour le reste, c’est un livre très intéressant, avec des portraits inattendus comme celui de Pierre Mendés-France en velléitaire, des absences, comme celles de Pompidou ou Giscard dont les noms sont à peine cités, il n’y a dans l’univers de Michel Rocard d’adversaires politiques que dans son camp. Cela a sans doute été la principale faiblesse d’un homme qui avait, par ailleurs, de grandes qualités qu’il a montrées chaque fois qu’il s’est retrouvé aux affaires.
Décapant et exaspérant, ce livre l’est par son ton souvent aigre, par cette manière qu’a son auteur de tirer à vue sur tout ce qui bouge dans son entourage immédiat. Cela commence par ses parents, par son père et sa mère, cela continue avec ses amis politiques. On le savait son amertume à l’égard de François Mitterrand, il la confirme naturellement dans ce livre chaque fois qu’il en a l’occasion, on ne savait pas qu’il portait des jugements aussi sévères sur la plupart de ses alliés politiques. Il y a du misanthrope chez cet homme qui a fait de la politique sa vie.
Il y a également chez Rocard du Rousseau : s’il critique sévèrement les autres, c’est qu’il s’autorise à se critiquer lui-même, habileté qui lui permet de tailler sa propre statue en grand, en très grand. S’il ne s’aime pas toujours, il s’admire beaucoup et se prête un rôle, une efficacité qu’il n’a peut-être pas toujours eu. Est-ce vraiment, comme il l’affirme, grâce à lui qu’il n’y a pas eu de morts en 1968? On peut en douter. Je ne me souviens pas en tout cas que le PSU ait joué à ce moment là le rôle qu’il lui prête. Je me souviens plutôt de la défiance qui était la notre à l’égard de cette organisation que nous sentions mal (je me souviens de la fouille que nous avions imposé à un journaliste du parti venu nous interviewer à Nanterre quelques semaines avant les journées de mai. Une carte du PSU ne valait pas passe-partout dans les milieux gauchistes de l’époque).
Puéril, ou naïf, lorsqu’il accuse Mitterrand de lui avoir menti lors d’un déjeuner de préparation des élections de 1967 (comme si mentir ne faisait pas partie des techniques les plus banales de la négociation…), il n’échappe pas à la paranoïa comme lorsqu’il reproche à Mitterrand de l’avoir volontairement rendu ridicule en l’invitant à l’improviste à marcher dans la campagne un jour de pluie.
Mais au delà de ce ton général, il y a dans ce livre de quoi faire un portrait approfondi d’une des personnalités qui a le plus compté dans la gauche dans la deuxième moitié du vingtième siècle; Son intelligence, sa rapidité d’esprit éclate à chaque page tout comme un trait de caractère qui explique beaucoup de ses positions politiques : son goût du double jeu. Il raconte, dans un passage qui fait rétrospectivement douter de son bon sens, la manière dont les dirigeants du PSU travaillaient en 1968 avec le patron de leur service d’ordre. Il fallait l’appeler chez sa mère qu’il appelait lui-même toutes les 15 minutes. Il rappelait alors son interlocuteur. Ce sont à l’évidence des méthodes qui auraient du mettre la puce à l’oreille : le patron du service d’ordre du PSU était un flic. Il a d’ailleurs fait carrière dans la police où il a depuis occupé des positions importantes. Mais Rocard n’éprouve a posteriori aucun froid dans le dos, il ne met pas en cause les méthodes de recrutement des militants de cet acabit, sa naïveté ou son manque de vigilance, non, il admire l’artiste. Il est vrai qu’il a lui-même longtemps joué double jeu militant le soir au PSU sous le nom de Servet, fonctionnaire le jour sous son nom officiel.
C’est ce même goût du double-jeu qui l’a amené, lui, le protestant, à se faire l’avocat et le leader du “parti catholique” à gauche et à toujours trouvé que les gens de droite n’avaient pas forcément tout faux. Au point de longuement hésiter avant de voter non au référendum de 1969 sur la régionalisation.
On y découvre également un autre trait intellectuel : l’intérêt, la passion pour les organisations politiques, pour leur fonctionnement et la conviction profondément ancrée semble-t-il, que ce sont les situations (ce qu’il appelle la sociologie) qui font les acteurs et non pas l’inverse.
Comme on pouvait s’y attendre, le conflit avec François Mitterrand occupe une place très importante dans ce livre, mais assez bizarrement et sans que Michel Rocard l’ait voulu, il rééquilibre les torts. Si Mitterrand a été aussi dur avec Rocard premier ministre, il ne faisait que rendre la monnaie de sa pièce à quelqu’un qui a tout fait pour l’isoler, le rejeter lorsqu’il était abandonné de tous. Rocard et ses amis ont nourri pendant des années la polémique sur l’attitude de Mitterrand pendant la guerre d’Algérie, ils ont tout fait pour le couler définitivement. Que celui-ci ne leur en ait pas été reconnaissant n’est qu’une demie-surprise.
Pour le reste, c’est un livre très intéressant, avec des portraits inattendus comme celui de Pierre Mendés-France en velléitaire, des absences, comme celles de Pompidou ou Giscard dont les noms sont à peine cités, il n’y a dans l’univers de Michel Rocard d’adversaires politiques que dans son camp. Cela a sans doute été la principale faiblesse d’un homme qui avait, par ailleurs, de grandes qualités qu’il a montrées chaque fois qu’il s’est retrouvé aux affaires.
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