Nicolas Sarkozy est si bas dans les sondages, si attaqué de toutes parts, il lui reste si peu d'amis, qu'il est intéressant de s'interroger sur ce qu'il a accompli, ce qui restera de ce quinquennat s'il ne se représente pas. On a envie de dire peu de choses, mais l'exemple de Giscard invite à la prudence. Lui aussi est parti détesté et, pourtant, qui peut dire qu'il n'a pas contribué à sa manière à la modernisation de la France, qu'il a pris acte de 1968, ce que n'avait pas fait son prédécesseur.
Au delà des réformes ratées, à une ou deux exceptions près ( dont celle de l'université), Nicolas Sarkozy aura à sa manière, paradoxale, contribué à la modernisation de la France : il a pris acte de ce que nous étions une société diverse, complexe, il a donné sa chance à des enfants de l'immigration, il les a mis sur le podium. On peut critiquer les choix des personnes, juger que Rachida Dati n'avait ni l'expérience nécessaire ni un poids politique suffisant pour devenir garde des sceaux, reste que sa présence a témoigné, mieux que bien des discours, de la place prise dans notre société par les enfants de l'immigration. Même chose pour les missions confiées à Rama Yade et Fadela Amara. Il aura, de la même manière, contribué à dédramatiser notre vie politique. On peut, à juste titre, lui reprocher sa pratique du pouvoir, reste que l'ouverture si critiquée et si criticable quand elle l'a conduit à nommer des ministres de gauche, issus de la gauche la plus détestée à droite, la "gauche caviar", a été positive quand elle l'a amené à nommer Didier Migaud à la Cour des Compte. Il est sain dans une démocratie apaisée que des gens venus de l'opposition occupent des positions importantes dans l'appareil d'Etat.
Autre point positif, son activisme a donné un peu de sang frais à une Europe assoupie et inexistante au plein coeur de la crise et montré que lorsqu'elle avait à sa tête un dirigeant déterminé elle pouvait sortir de l'ornière.
Ces quelques rares réussites peuvent-elles lui permettre de rebondir? Plus personne n'y croit vraiment, ni à droite, dans son électorat, ni dans les médias. On aurait, cependant, tort de le condamner définitivement. Il lui reste de nombreuses ressources.
La première est, sans doute, l'absence de concurrent solide à droite. Villepin dont on parle tant surfe sur la vague de l'anti-sarkozysme, mais il traîne derrière lui tant de casseroles (de la dissolution ratée à l'affaire Clearstream en passant par ce cabinet noir qu'il dirigeait quand il était à l'Elysée) qu'il aura bien du mal à s'imposer dans une compétition difficile. Juppé est trop timoré pour se lancer dans l'aventure à temps, Morin trop insignifiant, Borloo trop farfelu, Coppé trop vert. On les imagine mieux, les uns et les autres, s'engageant derrière le Président sortant dans l'espoir de devenir son premier ministre. Ils se battront entre eux, mais pour lui.
Il lui reste, par ailleurs, assez de temps pour se réinventer et trouver un langage, des thèmes qui lui permettent de se ressaisir. Ses envolées sur la sécurité sont probablement à coté de la plaque, mais une analyse plus fine du vote populaire en faveur du Front National pourrait l'amener à développer une thématique protectionniste qui lui rallierait cet électorat qui se soucie plus de l'emploi que de la sécurité ou de l'immigration. Cette thématique est difficile à manier, elle le mettrait en porte-à-faux vis-à-vis de ses amis du CAC40, de l'Europe et de tout ce qui est moderne et ouvert au monde en France, mais elle lui permettrait de rallier cet électorat volatile et les retraités, seniors, artisans et professions libérales qui l'ont élu.
La présidence du G20 en 2011 pourrait lui donner l'occasion de traiter de ces questions avec un peu de hauteur au meilleur moment. Henri Guaino devrait savoir lui trousser quelques discours à la Villepin sur la finance ou le commerce international qui le réconcilient avec le sentiment national plus sûrement que les débats imbéciles sur le drapeau, la burqa ou l'identité nationale.
Son impopularité est d'autant plus grande que nous sommes au coeur de la crise, mais tous les signaux passent actuellement à l'orange : la croissance a repris dans les pays émergents, aux Etats-Unis. Pour peu qu'elle reprenne en France avant les prochaines élections présidentielles et que le chômage recule un peu, il pourra se vanter d'avoir su protéger les Français au plus fort de la crise et d'en avoir sorti la France. Sa courbe de popularité pourrait retrouver un peu de vigueur.
Beaucoup dépend, enfin, de la gauche. Elle a aujourd'hui le vent en poupe. Mais avec des primaires dangereuses et trois ou quatre candidats au premier tour (NPA, Front de gauche, Europe Ecologie, PS) qui n'auront de cesse de se faire des croche-pieds, elle pourrait bien se prendre une nouvelle fois les pieds dans le tapis et lui donner l'occasion de se présenter comme un rempart contre l'instabilité et la confusion.
Le jeu est beaucoup plus ouvert que le disent les sondages actuels.