Les mésaventures d’Hervé Gaymard, ce ministre qui loue un appartement de 600 m2 pour un loyer de 14000€ par mois sans se rendre compte qu’il s’agit d’un appartement exceptionnel, qui s’affiche fils d’un cordonnier marchand de chaussure mais cache qu’il possède plusieurs appartement et est assujetti à l’impôt sur la fortune invite à s’interroger sur les mécanismes intellectuels de nos dirigeants. Comment peut-on se comporter aussi sottement lorsque l'on sait que les journalistes sont à l'affut, que les amis (plus que les adversaires, semble-t-il) sont prêts à tout pour vous faire déraper?
Une première hypothèse pourrait être la malhonnêteté. Il ferait de la politique pour s’enrichir (ou, plutôt, profiterait de ce qu’il fait de la politique pour s’enrichir). Ce n’est pas impossible, rien, sinon sa bonne mine, ne permettant de l’exclure, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus intéressante : les voyous existent et l’on sait, en général, comment les traiter, même s’il faut parfois un certain temps avant de les prendre la main dans le sac.
Une seconde hypothèse serait celle de la « faiblesse de la volonté ». Gaymard savait bien que ce qu’il faisait n’était ni raisonnable ni correct, mais il a manqué de la volonté nécessaire pour ne pas le faire. C’est la thèse que défendent ses amis lorsqu’ils mettent sur le dos de son épouse ses « fantaisies ». Ce serait elle, disent-ils en substance, qui l’aurait poussé au crime. On imagine la scène : « Cet appartement est trop cher ? Mais tu l’as bien mérité mon chéri. Regarde comme tu travailles, tu n’es pas aux 35 heures, toi. Et, en plus, pense à nos 8 enfants qui ne te voient pas beaucoup. En plus, personne ne le saura. » Et lui, penaud, de se taire, préférant sans doute un risque aussi incertain que lointain à une scène de ménage imminente.
Cette seconde hypothèse ne serait pas sans panache. Après tout, la faiblesse de la volonté a fait l’objet de longs développements philosophiques chez Aristote, dans l’Antiquité, chez Davidson, plus près de nous.
Il me semble, cependant, raisonnable de retenir une troisième hypothèse : comme beaucoup d’hommes qui accèdent au pouvoir,Hervé Gaymard aurait tout simplement perdu le sens commun ou, si l’on préfère, le bon sens.
L’homme politique arrivé au faite de sa carrière, et ministre de l’économie et des finances est un sommet pour un homme qui si j’en juge par ses photos, est plutôt falot (je sais, je sais, il faut se méfier de ces jugements à l’emporte pièce, je dis peut-être une bêtise, mais il a un physique à la Barnier ou à la Baudis qui, c’est le moins qu’on puisse dire ne suscite pas l’enthousiasme immédiat), l’homme politique arrivé au sommet de sa carrière ne se voit plus tout à fait comme un homme ordinaire. Surtout s’il a eu une carrière rapide et facile. Même (surtout ?) s’il n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, il a tendance à surévaluer ses compétences, la justesse de son jugement et… ce que la collectivité lui doit. Il le fait d’autant plus volontiers que tout autour de lui, on s’empresse de le conforter dans cette auto-admiration : « Vous êtes, Monsieur le Ministre, si formidable ! », « Vos idées sont si brillantes ! », « Vous avez bien évidemment raison… ». De son chauffeur qui klaxonne à tout va pour ouvrir le chemin même lorsqu’on ne lui demande rien à son directeur de cabinet, en passant par les gens qu’il rencontre dans les dîners en ville ou, plus simplement, dans la rue, tous ceux qu’il croise sont béats d’admiration, prêts à tout pour lui faciliter la vie, anticiper ses envies et ses désirs.
Pour peu qu’il soit un peu fat, un peu trop conscient de sa valeur (qui n’est pas nulle puisqu’il est devenu ministre), il cédera à ces sirènes, se laissera aller à la suffisance, développera une sorte de comportement aristocratique : ce qui est bon pour les autres ne l’est pas pour lui. Que les Français se serrent la ceinture, qu’ils se désintoxiquent de la dépense publique, est souhaitable, il nous l'a dit et répété, mais cela ne vaut bien évidemment pas pour ceux qui, comme lui, font tant pour la collectivité. On imagine d'ailleurs ce qu'il se dit in immo pectore, ce que lui glisse le soir, sur l'oreiller, la belle Clara : « si tu étais entré dans le privé tu gagnerais beaucoup plus et personne ne te reprocherait ton loyer… » Mais ce n'est pas un argument que l'on peut vraiment utiliser à la télévision (à moins que… On verra bien, puisqu'il paraît qu'il doit parler ce soir sur TF1).
Les antidotes à cette suffisance existent : ils s’appellent ambition et menace. L’ambition de celui qui ne se pense pas au sommet et qui continue de se méfier, de prendre des précautions, de préparer le coup d’après, et la menace pour celui qui sait qu’il peut à tout moment perdre son poste, être battu aux élections ou, plus simplement, dénoncé par la presse.
Si l’on voulait éviter ce genre de mésaventure, le plus simple serait sans doute de publier intégralement les dépenses des ministres et de leurs cabinets. Que l’on sache lorsqu’ils prennent un avion privé avec l'argent public, lorsqu’ils louent un appartement ou une table dans un restaurant de luxe. S’ils ont de bons motifs de le faire, nul ne le leur reprochera, si c’est pour leur bon plaisir… des journalistes sauront les dénoncer.
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