Le programme d'évaluation des ministres qu'a annoncé hier Le Monde laisse perplexe. C'est, à ma connaissance, la première fois qu'un chef de gouvernement annonce pareille mesure. Mais on trouvera sans doute des précédents. Espérons seulement que ce ne soit pas dans une république bananière ou une dictature. Parce que cette mesure est, pour le moins, contestable.
Evaluer les politiques est une excellente chose qui devrait être développée. Evaluer les fonctionnaires au regard des objectifs qu'ils ont négocié avec leur hiérarchie serait également une excellente chose. Je le dis d'autant plus volontiers que je l'ai répété plusieurs années durant dans des séminaires que je donnais à Sciences-Po et dont trouvera ici le texte qui me servait à l'animer. Mais évaluer les ministres est une toute autre affaire. On devine bien l'inspiration : traiter les ministres comme les cadres dirigeants d'une grande entreprise. Mais je vois au projet tel qu'il nous est présenté dans cet article du Monde au moins trois obstacles.
Les ministres ne sont pas, d'abord, les patrons de leur administration comme peut l'être le directeur d'un service dans une grande entreprise. Ils n'ont pas les mêmes moyens de se faire obéir et de faire appliquer leur politique. Tout simplement parce qu'ils ne connaissent pas, le plus souvent, une administration qu'ils découvrent lorsqu'ils sont nommés et qu'ils risquent de quitter très rapidement. A l'inverse d'un cadre supérieur, ils n'ont pas le temps d'investir dans la connaissance de leurs équipes. Ils l'ont d'autant moins que leur principal champ d'activité est ailleurs, sur le plan politique, au Parlement, dans les campagnes électorales pour les prochaines municipales… Leur temps, celui de la politique, n'est pas celui de l'administration. Ils ne font pas que passer, ils peuvent à tout moment être révoqués, ils sont sur un siège éjectable, elle dure. La création de cabinets ministériels toujours plus importants auprès des ministres est la meilleure preuve de cette incompatibilité des temps politique et administratif.
Les critères choisis semblent, ensuite, l'avoir été de manière arbitraire en fonction des objectifs politiques du moment pour frapper l'opinion, mais on ne voit pas bien comment ils pourraient servir à évaluer les ministres. Est-ce Brice Hortefeux qu'il faut juger sur le nombre de reconduites à la frontière ou cette politique du nombre que l'administration n'arrive pas à conduire ? Comment peut-on évaluer Xavier Darcos sur le nombre d'heures supplémentaires réalisées par les enseignants alors même que l'on n'a aucune expérience en la matière? que l'on ne sait pas comment vont réagir les enseignants? que l'on ne sait même pas de combien d'heures supplémentaires on a effectivement besoin? Les plus ridicules sont, sans doute, les critères retenus pour l'évaluation du ministre de la culture : "l'évolution de la fréquentation des musées lorsqu'ils sont gratuits", "la part de marché des films français en France", ou "l'évolution du piratage des fichiers audio et vidéo". Quel moyen son administration ou elle-même ont-elles d'agir sur ces indicateurs? Les politiques menées dans chacun de ces domaines peuvent-être bonnes ou mauvaises, donner des résultats ou ne pas en donner, mais est-ce la ministre qui les définit? N'est-ce pas plutôt le Président et le gouvernement qui les accepte ou refuse?
L'appel à une société de conseil pose, enfin, plusieurs types de problèmes :
- il existe dans l'administration des institutions (Cour des Comptes, inspections des Ministères, CAE…) qui avaient tout autant légitimité qu'un cabinet privé de culture américaine (son fondateur Dominique Mars vient du BCG) pour mener ce type de mission et qui auraient certainement su mieux résister aux demandes politiques qu'un fournisseur extérieur,
- les cabinets privés connaissent mal les mondes de la fonction publique et de la politique et risquent de commettre des erreurs d'appréciation liés à cette méconnaissance,
- on ne sait pas si ce cabinet a la moindre référence dans ce domaine, si ces méthodes ont été testées.
Tout cela fait du bruit, mais je ne suis pas sûr que ce soit très sérieux.
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