lundi, juillet 04, 2005

Le retour d'une consommation aristocratique?

Nous sommes entrés dans la période des vacances, beaucoup de gens vont prendre l’avion, vont faire des queues interminables dans les aéroports et vont peut-être être sensibles à un phénomène que j’ai observé ces derniers jours à l’occasion, justement, d’un voyage : le développement d’une offre de services qui, sous couvert d’offrir des services aux V.I.P. s’apparente à la vente de privilèges.
La notion de VIP n’est pas nouvelle. Il y a depuis longtemps dans les aéroports des salles d’attente réservées à ces personnes importantes, mais la nouveauté est, je crois, que cette notion est aujourd’hui en passe d’entrer dans les moeurs du marketing des services, elle est déjà entrée dans les pratiques courantes des grandes entreprises de service américaines.
Les services en contact avec le public, transports, distribution, sont confrontés à une difficulté majeure : les effets de volume. Tout le monde veut partir en voyage en même temps, tout le monde veut faire ses courses aux mêmes heures, d’où des embouteillages et des encombrements. Pour y échapper, les entreprises spécialisées ont développé ces dernières années des techniques de tarification flexible dont l’exemple le plus connu en France est, sans doute, celui de la SNCF. Le même voyage coûte du simple au double selon le jour, l’heure, l’âge… Si vous avez moins de 25 ans, si vous avez une carte 12-25 et si vous voyagez en semaine au mois d’octobre, cela vous coûtera beaucoup moins cher que si vous voyagez une veille de week-end chargé et que vous n’avez droit à aucune réduction.
C’est agaçant, compliqué et un peu injuste, mais cela incite ceux qui peuvent partir aux heures creuses à le faire, cela évite les queues trop longues et les trains surchargés et cela permet à la SNCF d’optimiser ses ressources,… Les prix varient, mais les services offerts sont identiques sur tous les trains ; ils vont à la même vitesse et les agents se comportent de la même manière avec tous les voyageurs. Or, ce qui se passe avec les VIP est tout différent. Les voyageurs ont bien le même produit, ils empruntent le même avion, mais on leur évite de faire la queue, on s’occupe d’eux de manière plus attentive, plus attentionnée. Pour ne prendre que cet exemple sur les quatre guichets affectés à un vol, deux sont réservés aux 150 ou 200 voyageurs en classe touriste et les deux autres pour les 25 ou 30 voyageurs en première classe ou à ce qui en tient lieu (executive, business…). Alors que les uns font la queue plusieurs dizaines de minutes, les autres ne la font pas. Ils ont acheté avec leur billet ce privilège et quelques autres dont celui d’être pris complètement en charge par le personnel. L’objectif des compagnies aériennes est, comme dans le cas de la SNCF, de maximiser les revenus du transporteur, mais la manière de s’y prendre est radicalement différente.
Il y a quelque chose d’aristocratique dans ce mode de consommation qu’on ne trouve pas dans la méthode de la SNCF. Les clients qui voyagent en executive class achètent le fait de ne pas être traité comme les autres, d’être reconnus comme une personne qui sort de l’ordinaire et non plus seulement comme un client. Ils achètent une distinction, un statut, une qualité de relation humaine. Les employés qui les traitent les font passer devant les autres, leur donnent des marques d’intérêt, d’importance un peu comparables à celles que donne le restaurateur qui salue ses clients de leur nom et soulignent ainsi aux yeux de tous que ce sont des habitués.
Ce mode de consommation s’oppose à un autre mode de consommation qui s’est développé dans les sociétés d’abondance et que l’on appelle aux Etats-Unis où il est le plus développé le “binge”. On y parle de binge eating, de binge drinking. Il s’agit de consommation excessive. Le binge eating consiste à manger sans fin et sans faim. Le binge drinking à boire plusieurs, en général au moins quatre ou cinq verres d’alcool à la suite. Il s’agit de consommation sans frein, assez voisine de l’orgie de l’antiquité romaine : on s’empiffre, on s’enivre, on devient boulimique, obèse jusqu’à en tomber malade (que de chaises roulantes, de béquilles, de corps blessés, usés, abîmés par les excès dans les rues américaines!).
Si être aristocrate dans cette société, c’est être reconnu pour ce que l’on est, c’est être une personne, être pauvre dans une société d’abondance ce n’est pas manquer de biens matériels (on en a à n’en savoir que faire! on mange jusqu’à plus faim), c’est manquer de reconnaissance sociale, c’est n’être personne, qu’un consommateur parmi tant d’autres.

1 commentaire:

all a dit…

Bonjour,
Votre billet et très intéressant surtout dans sa conclusion que j'approuve.
Pour le détail : Peut-on nommer cela « aristocratie » puisqu'il s'agit d'un privilège que quiconque peut acheter ?