jeudi, décembre 27, 2007

Enigme et casse

Feuilletant un ouvrage depuis longtemps dans ma bibliothèque, Sémiologie de la typographie de Gérard Blanchard (Québec, 1982), j’y découvre que la fréquence des lettres en français est attestée par le mot ESARTINULOC. Intrigué, je recherche ce mot sur Google. La première réponse renvoie à une interview savoureuse de Georges Pérec qui cite ce mot, sans en donner l’origine, mais explique qu’il n’a qu’un seul anagramme : Ulcérations (dans cette interview Pérec parle de son goût des jeux et nous propose une définition de mots croisée délicieuse (et empruntée à Robert Scipion qui a longtemps donné ses grilles au Monde) : du vieux avec du neuf en 11 lettres. Solution : nonagénaire.

Les autres réponses renvoient toutes, directement ou indirectement, à Pérec. Surpris de ce silence sur l’origine de ce mot, je recherche la fréquence des lettres en français, qui me renvoie à un article de Wikipedia qui me propose une autre liste : ESAITNRULOD et à un article d’Ars Cryptographica qui en propose une troisième : EASINTRLUOD.

On remarquera qu’on retrouve dans ces trois listes les mêmes lettres mais dans un ordre différent. Les deux dernières listes ont été composées à partir d’échantillons différents, ce qui est une raison de ces écarts. Pour la première, aucune explication sur Google, tous les sites utilisant ce mot disant, au mieux, que ce sont les lettres les plus utilisées.

Blanchard parlant dans le passage dans lequel il cite ESARTINULOC de la casse d’imprimerie, “cette grande boite ouverte, divisée en de nombreux petits compartiments ou cassentins, chacun d’eux étant réservé à un type répertorié ou sorte. Un simple coup d’oeil sur la casse nous montre que ces cassetins sont de diverses grandeurs et peuvent donc contenir un plus un ou moins grand nombre de types selon la fréquence d’emploi des lettres.” J’en conclue qu’il y a un rapport, ce que confirme un simple regard sur une casse comme sur cette photo trouvée sur Priceminister.


ESARTINULOC serait donc le classement de cassetins selon leur taille, celui étant réservé au E étant plus grand que celui réservé au S…

La différence entre ce classement et les deux précédents pourrait alors venir de ce que les types, les caractères ne s’usent pas tous de la même manière, qu’à fréquence équivalente équivalente, certains s’usent plus vite que d’autres. Le I pourrait ainsi passer de la quatrième à la sixième position parce que son usure serait plus faible ou, autre hypothèse, que son dessin le rendant moins ambigu permettrait de le conserver plus longtemps que le A ou le R.

Cette explication me paraissant séduisante et voulant en avoir le coeur net, je suis retourné sur Google avec une nouvelle requête : “Casse d’imprimerie esartinuloc”, qui ne m’a renvoyé aucune réponse. Une variante, “Typographie esartinuloc” ne renvoie que 5 réponses qui font toutes allusion à Georges Pérec. Le simple “casse d’imprimerie” renvoie à beaucoup plus de réponses, mais aucune n’apporte de réponse à une question qui restera donc sans… réponses. À moins qu’un lecteur de ce blog ait quelques lumières sur ce sujet dont l moins que l’on puisse dire est qu’il est insignifiant, encore que…

Cette promenade autour des casses d’imprimeries m’a fait découvrir ce petit texte qui fait penser qu’il ne l’est pas tant que cela : “Jean Dominique Baudy, rédacteur en chef du magazine Elle, victime en 2005 d’un accident vasculaire cérébral et atteint du locked-syndrom, a écrit à l’aide du seul battement de sa paupière gauche réagissant aux lettres de l’alphabet épelées dans cet ordre décroissant un livre bouleversant intitulé "Le scaphandre et le papillon", remarquablement mis en images et en émotions par Julian Schnabel.” (Le journal du neuf ou les aventures d’un oeuf dans une peau de peinture que l’on doit à un certain Delaunay).

Mais puisque j'anime ailleurs un blog consacré à Google (Googlemanagement.tv) et, donc, aux moteurs de recherche, peut-on en tirer une leçon : les moteurs de recherche peuvent beaucoup (comme je l’ai montré dans un autre note sur les barricades mystérieuses), mais ils ne peuvent pas trouver des informations absentes des documents qu’ils indexent. Ce qui nous rappelle cette vérité qu’on a trop tendance à oublier : malgré tous les efforts de Google (et de de beaucoup d’autres), tout le savoir de l’humanité n’est pas disponible sur le net.

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