Nicolas Sarkozy présente ce matin en conseil des ministres son projet de loi sur l'immigration. On en connait l'esprit depuis l'interview qu'il a donnée en février dernier au Journal du Dimanche :
- accent mis sur l'immigration économique, avec l'instauration de quotas et priorité donnée aux immigrés disposant des compétences élevées dont l'économie française a besoin,
- régime beaucoup plus rigoureux pour les étudiants avec sélection à l'entrée, création de quotas basés sur les capacités d'accueil et obligation de retourner chez soi à la fin de ses études,
- lutte contre les mariages mixtes, le mariage avec un français ne donnant plus aux immigrés clandestins la possibilité d'obtenir une carte de séjour,
- fin de la "prime" à la clandestinité : 10 ans de séjour irrégulier en France ne donneront plus droit à une carte de séjour,
- regroupement familial rendu plus difficile et soumis à une condition d'insertion,
- rôle accru du Parlement qui devra chaque année définir des objectifs quantifiés.
Ces mesures visent à 1) réorienter l'immigration vers l'économie alors qu'elle s'était depuis une vingtaine d'années concentrée sur le regroupement familial, 2) maîtriser les flux et les ajuster aux capacités d'accueil. Ces deux objectifs ont le mérite de réintroduire l'immigration dans le débat politique dans un registre rationnel. On n'est plus dans la fermeture complète des frontières pronée par le Front National et une partie de la droite. Mais, pour le reste, ces propositions sont extrêmement contestables.
Immigration choisie : la priorité au personnel qualifié
L'idée de base est que nous ne pouvons pas, pour différents motifs, former tous les personnels qualifiés dont nous avons besoin et qu'il est, dans ce cas, utile d'ouvrir le marché du travail.
Cette idée est contestable pour trois motifs :
- nous avons aussi besoin de main-d'oeuvre non-qualifiée ou peu qualifée, comme dans l'agriculture (emplois saisonniers du sud de la France), le bâtiment, le gardiennage, le nettoyage. Nous en avons d'autant plus besoin que notre système éducatif (études obligatoires jusqu'à 16 ans…) rend difficile le recrutement de jeunes français dans ces métiers ;
- il est extrêmement difficile d'évaluer la compétence et les qualifications dans de nombreux métiers. Tous les professionnels du bâtiment disent, par exemple, que les Portugais sont de meilleurs maçons que les Turcs. Ce qui ne tient ni aux personnes, ni aux diplômes (il n'y en a pas), mais aux méthodes de construction des pays d'origine. Mais comment faire un réglement d'un savoir qui relève de l'expérience de quelques patrons et qui peut varier : les Turcs sont peut-être de meilleurs peintres ou plombiers que les Portugais…?
- une main d'oeuvre immigrée peu qualifiée peut augmenter l'offre de travail qualifié indigène. Prenez une diplômée de l'enseignement supérieur qui vient d'avoir un enfant. Elle retournerait volontiers travailler mais elle n'a personne pour garder son bébé. Elle reste donc chez elle. La même pouvant recruter une garde d'enfant immigrée et sans qualification occupera un poste correspondant à ses compétences. La travailleuse immigrée sans qualification a remis sur le marché du travail une française qualifiée.
Le Parlement et les quotas
Nicolas Sarkozy veut confier au Parlement le soin de fixer chaque année des objectifs quantifiés. Là encore, on peut s'interroger : comment le Parlement fera-t-il? Comment pourra-t-il anticiper les besoins de l'économie alors même que les chefs d'entreprise ont du mal à le faire plusieurs semaines à l'avance? On nous parle en permanence de flexibilité et on crée là une rigidité.
On peut par ailleurs craindre deux dérives :
- les débats sur les objectifs devenant un enjeu dans la course à l'échalotte entre démagogues, c'est à qui sera le plus rigoureux,
- la concentration des objectifs sur les quelques secteurs dont les lobbies sont le mieux implantés à l'Assemblée. Les choix ne se feront pas en fonction des besoins de l'économie française mais en fonction du poids électoral de tel ou tel secteur.
Mariages et regroupement familial
80% des titres de séjour sont aujourd'hui délivrés à la suite d'un mariage ou d'un regroupement familial. Ce n'est bien évidemment pas satisfaisant. Mais pour résoudre ce problème, le projet envisage de rendre plus difficile l'accès à une carte de séjour. Le mariage avec un Français n'y donnerait plus droit. Et pour asseoir cette mesure discriminatoire et choquante aux yeux de beaucoup (on pourrait se marier avec un étranger et ne pas avoir le droit de vivre en France avec lui!), le gouvernement donne des chiffres qui sont, il est vrai, surprenants : "La situation du mariage a, de fait, beaucoup évolué, au cours de ces dernières années. Le mariage est en effet devenu un enjeu migratoire majeur, Ainsi, de 1999 à 2003, le nombre des mariages célébrés en France entre des Français et des ressortissants étrangers a progressé de 62 %. En 2005, ils représentaient 50 000 des 275 000 mariages célébrés en France. Dans le même temps, hors de nos frontières, 45 000 autres mariages ont été contractés par nos compatriotes, essentiellement avec des ressortissants étrangers. En définitive, un mariage sur trois est un mariage mixte. Parallèlement, le rapprochement de conjoint constitue le premier motif d'immigration familiale, tandis que pratiquement 50 % des acquisitions de la nationalité française ont lieu par mariage." (Pascal Clément à l'Assemblée Nationale le 22 mars 2006). Ces chiffres posent deux problèmes :
- ils sont trop globaux et ne permettent pas de faire la différence entre ce qui relève des mécanismes d'intégration (le mariage entre conjoints de communautés différentes est depuis très longtemps un mécanisme d'intégration en France) et ce qui est fraude ;
- la fraude existe (un mariage coûterait aujourd'hui à l'immigré qui souhaite régulariser ainsi sa situation 6000€), mais d'où vient-elle sinon de l'impossibilité d'obtenir par d'autres moyens des papiers? Que peut aujourd'hui faire celui qui a envie de rester parce qu'il a trouvé un travail ? Rien ou à peu près. Les textes le condamnent à la clandestinité (c'est-à-dire au travail au noir…) et à la fraude.
Ce n'est pas contre les mariages blancs qu'il faut lutter, mais contre les obstacles qui empêchent ceux qui le souhaitent de s'installer chez nous.
Les étudiants : sélection et retour au pays
Les étudiants étrangers posent un problème, comme le savent tous les responsables des services d'inscription dans les universités. Beaucoup d'éudiants s'inscrivent mais ne suivent pas vraiment les cours. C'est une manière de contourner les dispositions qui bloquent l'entrée des étrangers en France. Là encore la solution serait de lever des octacles inutiles.
Pour ce qui est des étudiants venus suivre des études (il y en a tout de même beaucoup), ces mesures paraissent contradictoires. On les accueillera en fonction des capacités. Ce qui en pratique veut dire qu'ils boucheront les trous, qu'ils pourront étudier dans les disciplines que les jeunes français désertent :
- soit parce qu'il s'agit de disciplines sans intérêt ni avenir : mais alors pourquoi inciter des étrangers à venir les étudier? Ne faudrait-ils pas plutôt réduire l'offre?
- soit parce qu'il s'agit de disciplines dont nous avons besoin que les étudiants français négligent pour d'autres motifs (cas, aujourd'hui, des disciplines scientifiques) : mais pourquoi alors demander aux étudiants que nous aurons formés de rentrer chez eux dès la fin de leur formation?
1 commentaire:
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