Je me demande s'il ne conviendrait pas de revoir de manière assez radicale la politique culturelle que nous menons en France depuis de nombreuses années. Politique qui revient, d'une part, à protéger un certain nombre d'acteurs (comme la loi Lang sur le prix unique du livre) et, d'autre part, à les aider financièrement au travers d'une série de subventions de toutes sortes.
Cette politique a favorisé le développement d'un très grand nombre d'oeuvres et d'artistes, elle a favorisé la multiplication des lieux où l'on peut "consommer'' de la culture (musées, salles de théâtre, de cinéma…) mais a-t-elle favorisé la création?
Dans les années 50 et 60, tous les Français qui avaient fait quelques études secondaires et supérieures étaient capables de citer au moins cinq ou six noms de poètes vivants : Eluard, Aragon, Desnos, Saint-John Perse, Prévert, Breton, Ponge… Aujourd'hui, même les plus cultivés seraient bien en peine de faire de même.
Dans le premier article que j'ai écrit (j'étais alors lycéen et c'était au lendemain de la mort de Francis Poulenc), je citais les noms de Boulez, Stockhausen, Berio… Je savais que ces compositeurs qui n'avaient alors pas même 40 ans étaient important. Je mets aujourd'hui au défi quiconque, même parmi les amateurs les plus éclairés, de faire de même.
Le financement massif par la subvention, la multiplication des lieux de diffusion mais aussi la création d'une multitude de postes dans l'éducation qui permettent aux artistes de gagner leur vie tout en continuant d'exercer leur oeuvre, ont eu pour effet de multiplier le nombre d'artistes en activité. Leurs oeuvres ne sont pas forcément de mauvaise qualité, mais le travail de tri, de sélection qui se faisait impitoyablement dans les années 50 ne se fait plus. D'où la multiplication des artistes, des oeuvres et l'incertitude sur ce qui a de la valeur et ce qui n'en a pas.
Ce travail de tri se faisait de deux manières :
- au travers de la contrainte économique : les places étant chères, ne résistaient, ne duraient que ceux qui savaient s'imposer, qui investissaient le plus dans leur travail et avaient su constituer des réseaux de soutien puissants (d'où cette sociologie très particulière de l'art, avec ces groupes d'artistes, le groupe surréaliste, Cobra, les Nouveaux Réalistes, le Domaine Musical) ;
- au travers des choix esthétiques : les gens qui organisaient les expositions, les concerts, qui éditaient les livres étaient amenés à faire des choix et à les justifier… Ils s'engageaient eux aussi et n'hésitaient pas à dire : "c'est bon, c'est mauvais", d'où le développement d'un discours esthétique qui s'est effacé. Aujourd'hui, les oeuvres sont trop souvent sélectionnées et présentées par des gens dont la fonction et le métier est de présenter ce qui se fait sans exclusive (ou sans trop d'exclusive), à l'instar des conservateurs des musées d'art contemporain dont le métier n'a rien à voir ni avec celui de galeriste ni avec celui de théoricien de l'avant-garde (façon Restany ou Boulez). D'où la profusion de styles différents : chacun fait ce qu'il veut dans son coin…
Résultat : le monde de l'art est devenu illisible. Et si nous avons encore de grands artistes et des chefs-d'oeuvre, nul ne le sait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire