mardi, mai 31, 2011

Le retour d'Eric Woerth en professeur de morale!

L'une des conséquences inattendue de l'affaire DSK est le retour d'Eric Woerth, que l'on croyait mort et enterré, sur nos plateaux de télévision en professeur de morale. Loin de s'expliquer sur ce qui lui a été reproché (il est vrai qu'il faudrait que les journalistes lui posent la question) il explique longuement que les socialistes ont perdu la bataille morale. On aimerait lui demander laquelle? Mais peu importe : tout cela montre une formidable confusion entre ce qui relève de la vie privée, et c'est bien le cas de DSK, et ce qui relève de la confusion des genres entre le privé et le public, comme dans l'affaire Woerth, mais aussi dans celles de tous ces ministres qui ont du quitter ces derniers mois le gouvernement pour cause de voyages privés dans des jets de milliardaire en pleine révolution, de cigare ou de location d'avion à des prix exorbitants.

PS. Balkany dont on connaissait déjà les moeurs aimables (fellation exigée sous la menace d'un pistolet) est de nouveau sur la sellette. C'est cette fois-ci sa suppléante, une judoka, qui se plaint d'avances répétées.


lundi, mai 30, 2011

Cachez ces radars que je ne saurais voir…

Nos débats sur les radars (faut-il en signaler la présence ou au contraire la cacher?) me rappellent ceux  sur le droit de porter des armes cachées (right to carry concealed guns) qui ont occupé dans les années 90 et 2000 nombre de chercheurs et d'économistes américains. La base de données du NBER, le National Bureau of EconomicResearch, recense 88 papiers sur ce thème qui reprennent en général les arguments développés par quelques auteurs, John Lott, David Mustard (auteurs d'un papier au titre explicite : "More guns, less crime") et de leurs critiques, Ian Ayres et John Donohue, notamment, qui soulignent que le crime a diminué aux Etats-Unis partout dans les années 90, dans les Etats où la circulation des armes était limitée comme dans ceux dans lesquels elle était autorisée.

La question est un peu la même : qu'y a-t-il de plus dissuasif? une menace affichée ou une menace cachée? L'argument des partisans de la menace cachée est simple : dés lors que n'importe qui peut être menaçant, le délinquant potentiel se méfie de tout le monde et adopte des comportements en conséquence. Les partisans de l'affichage mettent plutôt en avant sa dimension préventive : c'est dans les endroits les plus dangereux qu'on affiche le port d'une arme ou un panneau annonçant un radar.

L'essentiel de la discussion américaine a porté sur l'analyse des données statistiques. Elle est restée en ce sens très savante même si ses conclusions ont souvent été utilisées à des fins directement politiques et commerciales (quel meilleur argument pour imposer les ventes d'armes dans les Etats réticents que d'expliquer qu'elles favorisent la paix civile?).

Mais le plus intéressant dans ces débats est qu'il semble bien que la menace, cachée ou affichée, n'ait pas été le seul facteur dans le recul de la criminalité aux Etats-Unis que l'on peut attribuer à bien d'autres facteurs : le vieillissement de la population, une meilleure protection des biens, voire la légalisation de l'avortement comme l'a expliqué un auteur en s'appuyant sur l'exemple new-yorkais (avec un argument pour le moins… surprenant : ce sont les jeunes filles célibataires qui ont avorté en priorité or, ce sont leurs enfants qui étaient le plus souvent délinquants)… Il en va sans doute de même pour la baisse de la mortalité sur nos routes. L'amélioration des routes, l'élimination des points noirs, la multiplication des radars et des ronds points qui cassent la vitesse, le permis à points qui invite les amateurs de vitesse à plus de prudence, l'informatisation qui rapproche le délit de sa sanctions (48 heures pour recevoir l'amende) et rend plus difficile les arrangements avec le ciel ont probablement tous joué un rôle. Dommage que les pouvoirs publics qui s'étaient amusés à casser un outil qui fonctionnait si bien se soient précipités sur une solution qui fait beaucoup de bruit mais dont rien ne dit qu'elle sera efficace.

jeudi, mai 26, 2011

Cela ressemble à une blague, mais ce n'en est pas une…

Nous nous plaignons régulièrement de nos journalistes. L'affaire DSK nous donne l'occasion de jeter un coup d'oeil sur ce qui se fait aux Etats-Unis où l'on trouve à coté du meilleur des articles dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne témoignent d'une grande conscience professionnelle. Je pense notamment à cet éditorial d'Andrea Peyser qui n'est pas tout à fait n'importe si j'en juge par son CV puisqu'elle a travaillé pour plusieurs titres dont CNN et a obtenu plusieurs prix professionnels. Ce qu'elle dit de DSK (Sexy DSK had France in his pants) est à ce point caricatural que j'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'une plaisanterie, d'humour, mais non c'est semble-t-il très sérieusement qu'elle écrit : "Dominique Strauss-Kahn did not act alone. Throughout France, hands are as dirty as those of a chambermaid tasked with scrubbing a $3,000 Sofitel suite. The upstairs-downstairs saga of the Big Shot who allegedly sexually brutalized the maid did not hatch out of the ether. It is as if the majority of the citizens of France -- locked into 1950s-style notions of sexism, misogyny and racism -- was complicit in the horrific, accused deed." Tout le reste du papier est de la même eau. On y apprend que "to many in France, attempted rape is (…) Free love gone bad. A joke." Peut-être devrions nous cotiser pour lui offrir quelques jours de vacances en France. Qui sait, avec un peu de chance, elle en reviendra peut-être sans avoir été violée…

mercredi, mai 25, 2011

Rumeurs, coups bas, officines…

L'affaire DSK a donné l'occasion d'un véritable étalage de ragots de toutes sortes. On nous dit (à la télévision sur une chaîne nationale à une heure de grande écoute) qu'il aurait fréquenté une boite échangiste (s'agit-il des Chandelles dont parle par ailleurs Le Monde?), on nous raconte qu'il aurait été surpris en délicate posture et en galante compagnie dans une voiture, toutes informations qui seraient probablement sorties sous forme de rumeurs sur internet avec photos à l'appui dans quelques mois s'il n'avait été arrêté à New-York mais que personne n'a, à ma connaissance, cherché à vérifier. Ce qui serait vus la gravité des accusations portées contre DSK et le rôle joué par sa réputation bien plus utile que toutes les élucubrations sur un éventuel complot.

On découvre, par ailleurs, que la plupart des scoops sur cette affaire viennent d'un site français, ce qui est surprenant, la plupart des acteurs étant aux Etats-Unis, classé à droite : Atlantico. Ses informations viennent très certainement de la même source : le Ministère de l'intérieur de Claude Guéant, contre lequel DSK avait d'ailleurs mis en garde ses interlocuteurs avant sa dernière mésaventure.

L'utilisation de ce type de ragots pour descendre un adversaire politique n'est pas nouveau. On se souvient de l'affaire Markovic et des Pompidou. Exemple qui montre que ce n'est pas forcément efficace. Mais jusqu'à présent cela passait par des rumeurs entretenues par des sous-entendus dans la presse qui facilitaient une sorte de diffusion clandestine de l'information. Avec internet, ces "informations" deviennent publiques, présentées comme dans le cas d'Atlantico sous la forme du journalisme d'investigation (nous vérifions et croisons nos sources affirme le responsable du site) et reprises par des médias officiels et des journalistes qui les répètent sans les vérifier. Le cas de l'ADN sur la toilette de la jeune femme est caractéristique. Vrai, faux? Nul ne sait mais le doute est installé.

Dès lors qu'une information est disponible sur internet, il est impossible d'en empêcher la diffusion. Le mieux serait certainement que les journalistes enquêtent très vite sur son origine lorsqu'elle est de nature politique, vérifient et nous aident à distinguer ce qui relève, dans ce qu'on appelle journalisme d'investigation, d'enquêtes approfondies à la Mediapart et de la communication politique d'une Présidence aux abois prête à tout pour casser ses adversaires.  Et que les politiques s'emparent de cette affaire et demandent, puisqu'il y a des soupçons de manipulation, des comptes au pouvoir en place. Et qu'ils le fassent vite parce qu'après Dominique Strauss-Kahn on peut craindre que d'autres, à gauche comme à droite, se retrouvent victimes des mêmes pratiques.

mardi, mai 24, 2011

Paris change, un quartier perd son âme…

J'étais samedi dernier invité à parler de l'avant-garde dans une galerie parisienne dans le vingtième arrondissement. Il y a quelques années, cela se serait passé dans le sixième, quartier qui change. On me disait tout à l'heure que les Laines Ecossaises, institution plus que centenaire du boulevard Saint-Germain (créées il y a 116 ans) vont fermer en juillet pour cause de loyer trop élevé. Un salon de coiffure un peu plus loin sur le trottoir d'en face vient d'être remplacé par une boutique Maubuisson qui paie, dit-on, un loyer de 250 000€/an et La Hune est vendue à Vuitton. Il y a quelques années, déjà, l'hôtel qui jouxte Lipp, devenu filiale d'une chaine américaine, avait changé de nom, perdant ainsi sa référence à la rue qui se dressait autrefois à cet endroit. Le Drugstore qui faisait de si délicieuses glaces à la framboise est devenu magasin de mode. Que reste-t-il de Saint-Germain des Près?

Dior remplaçant le Divan avait réussi à tuer le coin de la rue de l'Abbaye et de la rue Bonaparte. Vuitton risque d'assassiner  le coin de la rue Saint-Benoit et du Boulevard Saint-Germain. Saint-Germain des Près meurt, le 10ème et le 20ème s'éveillent. 

lundi, mai 23, 2011

Mais bien sûr…

Il y a toutes ces théories du complot qui donnent envie de recommander à leurs auteurs de changer de métier et de se mettre à l'écriture de romans policiers. La fiction ne pourrait pas être pire que la réalité (la saga Strauss-Kahn? un nouvel épisode des Feux de l'amour au FMI) avec comme souvent aux USA un paquet de $. Cette fois-ci, l'auteur du scénario s'appelle Mike Whitney. Il a un blog où il s'interroge sur la globalisation. Il y affirme, avec tout le sérieux nécessaire, que DSK a été attaqué pour avoir voulu s'en prendre au dollar. Mais oui, tout s'éclaire : à la tête du FMI, il y avait ce Frenchie voulait dégommer le $, il fallait donc l'éliminer. On sait qu'ils ont la braguette énervée, pourquoi pas un petit scandale sexuel? Voici, pour les curieux son billet : Was Dominique Strauss-Kahn Trying to Torpedo the Dollar? Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer sa conclusion : "Can you believe it? DSK is lecturing bankers about redistribution? That's not what they want to hear. What they want to hear is why ripping off poor people actually makes the world a better place. DSK's speech just shows that he wasn't drinking the Koolaid anymore. He was becoming a nuisance and they needed to get rid of him." Quand je pense que l'on se moque de BHL ou de Jack Lang tout juste coupables de délits d'amitié!

samedi, mai 21, 2011

Les blogs et l'affaire DSK

Les bloggers ont chez les journalistes un statut un peu particulier : on les critique en public mais on s'inspire volontiers en privé des meilleurs. Dans l'affaire DSK, ils ont joué un rôle on ne peut plus utile. Quelques bloggers mieux informés des pratiques de la justice américaine, comme Arthur Goldhammer ou maître Eolas, ont dés le 16 mai inlassablement opposé à l'émotion et à l'incompréhension des Français (dont la mienne), leur connaissance de la procédure américaine. Ils nous ont  inlassablement dit et répété : ce qui lui arrive n'a rien d'exceptionnel et bien loin d'être particulièrement brutale la justice américaine a montré, en cette occasion, qu'elle savait traiter les puissants avec la même rigueur que les faibles ce qui, rappelaient-ils, n'est pas la première vertu de la justice française. Ils ont ouvert la voie aux avocats français inscrits au barreau de New-York (je ne savais pas qu'ils étaient si nombreux) qui ont enfoncé le clou sur un peu toutes les chaines de télévision.

Leur précision a agréablement tranché avec les approximations de la presse professionnelle auxquelles je faisais allusion hier et que Pasca Riché reprend dans cet article de Rue 89.

Ils ont, en cette affaire, servi de vigie et évité que nous ne sombrions dans un nouvel accès d'anti-américanisme primaire. Nous devons à ce titre les remercier. Ce qui n'interdit pas de penser que la justice a eu en cette affaire la main particulièrement lourde et qu'on l'a jugé et condamné dans la presse internationale et notamment américaine DSK un peu vite.

DSK trop vite condamné…

DSK est d'ores et déjà condamné. Il a violé cette jeune femme. Et ses amis qui le défendent, intellectuels, socialistes, sont d'abominables machistes comme ne nous l'ont pas envoyé dire Denise Bombarbier et tant d'éditorialistes de la presse anglo-saxonne.

Mais où sont les preuves de sa culpabilité? Nous n'avons pour l'instant que le témoignage de la victime que seule la police a entendue, la réputation de DSK de faire sa cour de manière très pesante et… beaucoup de confusion :  erreurs de la police sur l'heure, sur les vidéos (on le voyait parait-il sortir en toute hâte de sa chambre alors qu'il n'y a pas de caméras dans les couloirs de cet hôtel), le frère de la victime dont le témoignage a fait tant de bruit se révèle un ami… Tout cela mériterait, au minimum, un peu de prudence. Je veux bien que DSK soit un fou de sexe, mais même pour un pervers, sauter nu sur une femme de chambre inconnue dans une chambre d'hôtel n'est pas banal. Et téléphoner ensuite sur le lieu du crime pour réclamer son téléphone parait pour le moins imprudent.

Tant qu'un peu de clarté ne sera pas mis sur tout cela, mieux vaudrait garder son calme. Les présomptions de sa culpabilité sont fortes, mais cela ne suffit certainement pas à le condamner. La présomption d'innocence est aussi une manière de donner à la justice le temps de faire son travail. A trop la fouler, on risque de prononcer une condamnation avant même d'avoir mené l'enquête.



vendredi, mai 20, 2011

Triple peine pour DSK

DSK devrait donc sortir de prison, mais à quel prix. Alors même qu'il n'est pas jugé il est déjà condamné à une triple peine :
- l'obligation d'abandonner son poste au FMI et ses ambitions politiques,
- l'obligation de financer lui-même les gardes armés qui l'empêcheront de s'enfuir. La mesure qui va le ruiner, lui et sa famille, est extravagante : n'y a-t-il donc plus de police aux Etats-Unis pour exécuter ce qui relève d'une décision de justice? S'il avait choisi de rester en prison, lui aurait-on fait payer son hébergement et ses repas? On devine dans cette décision, une volonté de frapper, et de frapper fort au portefeuille quelqu'un qui n'est pas encore jugé mais aussi les effets délétères de la privatisation à outrance des services publics,
- une peine de prison qui peut être longue s'il est déclaré coupable.

Cela fait beaucoup. On est en tout cas bien loin de la juste proportion des peines dont parlaient Montesquieu er Beccaria.

Je parlais il y a quelques jours de la brutalité du système américain, ce qui m'a valu quelques échanges intéressants avec des lecteurs et amènera sans doute dans les semaines qui viennent des spécialistes à examiner de plus près ce qui rapproche et distingue nos systèmes. Ces derniers développements vont plutôt dans mon sens.

mercredi, mai 18, 2011

Affaire DSK : les conséquences politiques

Personne n'en parle, mais tout le monde y pense : quelles vont être les conséquences politiques de la mise hors jeu de DSK dans ces conditions? A droite, beaucoup se réjouissent, pensant que cela devrait profiter à Nicolas Sarkozy. A gauche, on est encore sous le choc, mais quatre points méritent attention.

Le PS est une organisation solide, résiliente Qu'on se souvienne de la manière dont il s'était sorti de l'abandon en rase campagne de Jacques Delors. Il avait su très vite se mettre en état de marche derrière Lionel Jospin. Ce sera cette fois-ci la même chose. Rien dans ce que l'on reproche à DSK ne peut porter atteinte au parti. C'est une affaire exclusivement personnelle qui n'a rien à voir avec ses opinions, ses engagements…

Le nouveau candidat, que ce soit Hollande, Aubry ou Fabius (qui pourrait bien sortir du bois) aura moins de soutiens affichés dans l'opinion de droite mais aussi beaucoup moins d'adversaires à l'extrême-gauche. Jean-Luc Mélenchon pourrait bien être une victime collatérale de cette affaire : il perd son meilleur ennemi, celui qu'il appelait "l'affameur des peuples".

Avec Dominique Strauss-Khan, la campagne aurait beaucoup tourné autour des questions internationales, son point fort mais aussi celui de Nicolas Sarkozy qui ne peut vraiment avancer de réussites que dans ce domaine. Avec Hollande, Aubry, la campagne se recentrera sur les questions intérieurs où son bilan est le plus souvent médiocre quand ce n'est pas mauvais.

Enfin, la personnalité de Strauss-Khan, la richesse de sa femme, sa ryad à Marrakech, ses promenades en Porshe avaient commencé de gommer les faiblesses de comportement de Nicolas Sarkozy. Le style infiniment plus sobre de François Hollande, celui de Martine Aubry, celui-même de Laurent Fabius ne peut que les mettre en évidence.

Pour tous ces motifs, il n'est pas certain que Nicolas Sarkozy ait, comme on le dit, tant de raisons de se réjouir.

Les conséquences à moyen terme de l'affaire DSK

On connait tous aujourd'hui les conséquences à court terme de l'affaire DSK : il ne sera pas candidat à la candidature du PS et donc pas aux présidentielles. Mais à moyen-terme, l'impact de cette affaire sur la société française pourrait être significati. J'en vois trois :
- elle pourrait, d'abord, désinhiber les journalistes : ils savaient, mais seul le correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer, et un humoriste, Stephane Guillon, avaient osé mettre les pieds dans le plat et encore de manière indirecte en faisant allusion à la réputation de directeur général du FMI. Il leur sera difficile, demain, de ne pas arguer de cette erreur professionnelle (s'ils avaient dénoncé plus tôt les incartades de DSK peut-être aurait-on évité cet épisode) pour publier ce qu'ils savent ;
- elle devrait, ensuite, donner un peu d'air aux juges d'instruction que la réforme de la justice voulait éliminer. La vision que donne la justice américaine, sa brutalité, son incitation à négocier plutôt qu'à juger, c'est-à-dire à chercher la vérité, devraient conduire à retrouver des vertus à un juge dont la fonction est d'instruire à charge et décharge. On ne pourra certainement pas, dans l'avenir, réformer la justice, donner au procureur plus de pouvoir sans penser à cette affaire ;
- elle pourrait, enfin, modifier assez profondément l'image que nous nous faisons d'une certaine forme de "drague" qui, quoique ne relèvant pas du viol proprement dit, utilise certaines formes de contraintes. Combien de femmes, ici comme ailleurs, on été confrontées à ce type de comportement de la part d'hommes par ailleurs tout à fait respectables? Les discussions sur cette affaire sont, pour beaucoup l'occasion de revisiter  tel ou tel épisode vécu avec plus ou moins de souffrance, de le réévaluer et de se dire : "c'était plus grave que je ne l'ai alors pensé, cela méritait plus qu'une gifle ou l'oubli". Et ce qui est vrai des femmes l'est également des hommes puisque ce "travail" de réévaluation se fait en public, dans ces conversations sur l'affaire où l'on entend des femmes, de toutes conditions, de tous âges, raconter comment elles ont été un jour ou l'autre confrontées à des violences similaires. La violence mesurée dans les rapports sexuels (je dis mesurée parce qu'il n'y eut évidemment ni coups de poings ni rien de similaire) jusqu'alors ignorée émerge et devient, sous nos yeux, un fait social.

dimanche, mai 15, 2011

DSK arrêté

Réveil brutal ce matin à 6h30 : DSK arrêté pour tentative de viol sur une employée du Sofitel. Que l'accusation soit exacte (le plus probable, on imagine mal la police new-yorkaise ne pas prendre ses précautions avec un personnage de cette stature) ou délirante (on ne peut, naturellement, l'exclure), sa candidature parait bien compromise. Comment se relever d'une affaire qui parait plausible tant ses antécédents militent contre lui? Les Français sont en général tolérants sur les amours de leurs dirigeants mais je doute qu'ils approuvent une agression sexuelle. La tonalité des réactions à gauche et à droite dans les heures qui viennent sera à suivre de près.

Reste à Martine Aubry à se mettre en selle et à très rapidement faire oublier cet épisode déplorable. Nous pourrons tester son envie d'être présidente à la manière dont elle va annoncer dans les heures ou les jours qui viennent sa candidature à la candidature.

samedi, mai 14, 2011

Le populisme de la classe ouvrière


(Blogger ayant à la suite de sa grande panne de jeudi (dont personne ne parle) effacé les messages de ce jour, je remets celui-ci. Pour ceux qui voudraient faire pareil, il suffit d'une interrogation sur Google avec le titre du message ou quelques mots clef et de cliquer sur cached pour retrouver le message d'origine).

Les sondages qui donnent Marine Le Pen en tête dans les intentions de vote dans la classe ouvrière étonnent et inquiètent, mais sont-ils si surprenants? Les meilleurs connaisseurs de la classe ouvrière le savent depuis longtemps, certains de ses membres ont toujours été sensibles aux sirènes populistes. En témoigne ce commentaire de Christian Lescureux, l'un des dirigeants de la Fédération communiste du Pas-de-Calais dans les années 60 que cite une jeune historienne, Marion Fontaine, qui l'a rencontré en 1998 pour la préparation d'une thèse sur la ville de Lens en plein pays minier : "Ils (les mineurs) demeuraient très souvent dépourvus d'une certaine culture politique. Ils étaient très sensibles à l'aspect spectaculaire des choses, très fragiles face aux discours populistes, facilement enclins à s'en remettre aux beaux parleurs, aux personnages dotés d'une certaine autorité charismatique?" (cité dans Sport, sociabilité et cultures politiques en territoire lensois, 1936-1955, Les Cahiers du centre de recherche historique, 2003).

Analyse que les observateurs ont reprises à l'occasion de scrutins ultérieurs. En 2002, Pascal Perrineau écrivait : "Le Pen fait un tabac chez les couches populaires. Un quart des ouvriers qui sont allés voter ont voté pour Jean- Marie Le Pen. C'est le premier électorat ouvrier, mieux que Chirac et Jospin. En revanche c'est dans la catégorie des cadres supérieurs et des professions libérales que Le Pen fait ses plus mauvais scores... (Ceux qui votent F.N.) sont des gens qui sont en bas de l'échelle des revenus mais aussi de l'échelle des savoirs. Plus le niveau de culture est élevé, plus on est à l'abri d'un vote Le Pen."

On remarquera la proximité des analyses : ce serait le manque de culture politique (le dirigeant communiste) ou de savoir (le politologue) qui expliqueraient la séduction que les leaders du FN exercent non pas sur toute la classe  mais sur 25 à 30% de celle-ci (un peu plus selon les derniers sondages). On notera également le glissement : le fasciste cède la place aux beaux parleurs, c'est-à-dire aux démagogues et aux populistes, et le  parallélisme fait entre hiérarchie sociale et "correction politique" : les cadres supérieurs ne se laisseraient pas séduire par le charisme du leader populiste.

Cette explication est à première vue séduisante. Elle éclaire bien le glissement d'une partie de la classe ouvrière de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, d'un démagogue à l'autre, de Georges Marchais à Jean-Marie Le Pen. Elle me parait pourtant s'appuyer sur une base bien faible :  le manque de culture politique ou de savoir de la classe ouvrière. Pourquoi ce même manque de savoir ou de culture en conduirait certains à se prononcer pour des partis populistes, d'autres pour des partis de gouvernement et d'autres encore à s'abstenir? Cette ignorance est-elle d'ailleurs avérée? Qui peut dire que les ouvriers sont moins bien informés que les cadres supérieurs de l'histoire des fascismes? Qui, du moins, l'a vérifié?

On gagnerait, je crois, à se pencher sur les raisons du succès des démagogues et à essayer de comprendre pourquoi certains penchent plutôt vers des démagogues d'extrême-gauche à la Mélenchon qui visent les possédants et d'autres vers des démagogues d'extrême-droite à la Le Pen qui ciblent les étrangers.

Dans ses analyses de la démagogie, dans le livre V de son traité de politique, Aristote insiste beaucoup sur les compétences rhétoriques des démagogues et sur leur capacité à exciter la haine du peuple contre les riches et les puissants. Les démagogues rencontrent leurs succés chez ceux qui en veulent aux riches, qui sont jaloux de leurs richesses ou qui leur reprochent de s'enrichir sur leur dos. Ils donnent à qui éprouve de la jalousie ou de la colère une justification, une bonne raison de haïr ceux qui sont mieux lotis, de les accuser de leurs malheurs. L'autorité que le démagogue tire de ses compétences et de sa capacité à réunir le peuple cautionne, légitime la jalousie de qui se sent menacé dans son statut, dégradé, mal traité. "Non seulement, dit-il en substance à ses auditeurs, vous n'êtes pas seul à penser ce que vous pensez, mais en plus vous avez raison de le penser." "Et, ajoute-t-il, avec moi les choses vont changer." Pourquoi changeront-elles? "Parce que j'irai au bout de mes promesses, je ne me laisserai arrêter par le premier obstacle."

Cette confiance qu'a le démagogue dans ses capacités à bousculer les obstacles est sans doute ce qui séduit le plus des électeurs qui ne sont pas ignorants mais en ont assez des promesses qui ne sont pas tenues et, plus encore, des projets qui n'aboutissent pas et sont en permanence remis en cause. En un sens, les électeurs n'en peuvent plus de cette hésitation permanente du politique dont témoigne plus que d'autres la présidence de Sarkozy qui passe son temps à défaire ce qu'elle a construit.

Le Pen, Mélenchon confortent leurs auditeurs dans le sentiment qu'ils ont bien raison d'en vouloir aux "affameurs du peuple", "aux destructeurs des services publics qui veulent tout privatiser" (version Mélenchon) ou au "étrangers qui prennent notre travail" (version Le Pen). Ils s'adressent à des populations différentes. Marine Le Pen séduit les ouvriers du secteur privé qui ont perdu leur emploi du fait des délocalisations, de la concurrence internationale et notamment de celle des  pays émergents qui se replient sur une France fermée aux autres. Mélenchon séduit les personnels du secteur public qui craignent son démantèlement. Mais l'un comme l'autre mettent en avant leur volonté de sauter les obstacles, de faire tomber les murailles. Quant à leurs électeurs, ils envoient aux candidats "sérieux" un double message de défiance : non seulement, on ne croit plus en vos solutions mais on ne croit même plus que vous soyez en mesure de mettre en oeuvre celles que vous proposez même lorsqu'elles paraissent pertinentes.

Vue sous cet angle, la stratégie de Nicolas Sarkozy qui consiste à coller au Front National pour lui voler ses électeurs parait vouée à l'échec : ce n'est pas seulement son programme qui les séduit chez Marine Le Pen mais aussi la capacité qu'ils lui prêtent de faire bouger les choses; Or, là-dessus, le bilan de Nicolas Sarkozy est on ne peut plus médiocre. Non seulement, il n'a pas mené à bien toutes les réformes promises, mais celles qu'il a conduites n'ont pas donné les résultats escomptés et, bien souvent, il est amené à revenir dessus ou à les désavouer. Le dernier épisode en date (les déclarations de Wauquiez sur le RSA) ne sont qu'une pierre de plus à jeter sur une présidence qui, malgré toutes les déclarations martiales, parait condamnée à l'immobilisme.

dimanche, mai 08, 2011

Quand les philosophes se mettent eux aussi à écrire en anglais

Je parlais ici même il y a quelques jours de Claudine Tiercelin qui vient d'être élue au Collège de France. Je disais qu'elle n'avait pas de fiche Wikipedia (ce qui ne saurait maintenant tarder) mais elle a un site, très sobre, très simple, avec beaucoup de liens vers ses papiers et une bibliographie semble-t-il très complète. Sa lecture illustre une double évolution du monde intellectuel :

- la multiplication des articles, qui semble être devenu le format canonique de la recherche quand le livre jouait, au moins en philosophie, ce rôle il n'y a pas si longtemps ;
- et l'utilisation de plus en plus fréquente de l'anglais dans une discipline dont les langues de travail étaient plutôt l'allemand ou le français.

Ces évolutions indiquent que la philosophie se plie à son tour aux règles de la publication de recherche développée dans d'autres disciplines (en économie notamment). On l'observe à d'autres signes, comme la multiplication des références, l'introduction de celles-ci au sein du texte entre crochets et non plus en notes ou dans le corps même du texte comme on faisait autrefois. Les textes de Deleuze ou Foucault avaient l'allure d'essais (ce qui n'interdisait ni la profondeur ni la richesse), ceux-ci ont plus l'allure de rapports d'étape dans une recherche.

De toutes ces évolutions, la plus contestable me parait être l'utilisation de l'anglais. On dira que cela facilite la communication avec des collègues qui ne lisent pas le français. Ce qui est vrai. Mais cet avantage doit être nuancé. L'utilisation de l'anglais par des non-anglophones pose plusieurs problèmes :

- cela met en situation d'infériorité les auteurs dont l'anglais n'est pas la langue maternelle par rapport à ceux de leurs collègues dont il l'est. Qui peut affirmer, sans rire qu'il maîtrise aussi bien l'anglais que sa langue maternelle même si, comme Claudine Tiercelin, on a une licence d'anglais.
- cela introduit un vague dans les concepts que devine quiconque s'est amusé à comparer différentes traductions d'un texte philosophique. Le travail des concepts demande une maîtrise de la langue dans laquelle on écrit que l'on n'a pas forcément dans une langue étrangère.
- cela risque de modifier à terme les hiérarchies et lignées au risque de prendre pour nouveau ce qui n'est que répétition d'idées déjà développées ailleurs. C'est déjà le cas en économie, comme le faisait remarquer non sans amertume Maurice Allais. Combien d'articles d'économies citent de lointains épigones anglo-saxons d'auteurs français ou allemands que l'auteur semble ignorer ;
- cela coupe du public cultivé de sa propre langue. Foucault ou Deleuze étaient lus bien au delà du cercle des spécialistes. Je doute que ce soit le cas de Claudine Tiercelin. Ce qui ne pose guère de problème lorsqu'il s'agit d'articles traitant de questions très techniques est plus gênant lorsque les thèmes abordés sont susceptibles d'intéresser bien au delà. L'un des effets secondaires de cette montée en puissance de l'anglais pourrait, d'ailleurs, bien être de couper l'enseignement de la philosophie qui se fait.

Cette coupure du public cultivé n'est certainement pas une bonne nouvelle. Tant pour le public cultivé et curieux qui perd une occasion de se frotter à des pensées complexes que pour la philosophie qui risque de s'enfermer dans des débats scolastiques sans fin. On ne peut pas à la fois s'en prendre à la philosophie mondaine des Finkielkraut, Ferry et autres BHL et rendre ses textes à peu près inaccessibles au lecteur le mieux disposé. C'est, d'ailleurs, un peu ce qui s'est produit lorsqu'à la fin du Moyen-Age des philosophes, cachés derrière leur latin de cuisine, en sont venus à débattre sans fin de sujets abscons. Faut-il le rappeler? la modernité est née avec l'abandon progressif du latin et l'utilisation des langues parlées dans les Eglises mais aussi en philosophie.

Je voudrais pour conclure citer le début de l'épitre sur l'art de traduire et sur l'intercession des saints de Luther, un texte qui date de 1530 : "Le sage Salon dit dans Proverbe XI (verset 26) : "Celui qui garde son blé, les gens le maudissent : mais la bénédiction vient sur celui qui le vend." Cette parole doit être comprise comme concernant tout ce qui peut servir à l'utilité commune ou à la consolation de la chrétienté. C'est pourquoi aussi le Seigneur, dans l'Evangile, traite le serviteur infidèle de coquin paresseux parce qu'il avait enterré et caché son argent dans la terre."




vendredi, mai 06, 2011

Football : discrimination pour cause de marketing?

L’affaire de quotas à la Fédération Française de Football n’en finit pas de faire des vagues. De nouvelles révélations montrent que la séance a été enregistrée par un de ses participants choqués par les propos entendus lors de réunions précédentes et l’on apprend, par Mediapart, que des cadres de la Direction technique avaient préparé des histogrammes sur les binationaux à partir de statistiques bricolées en partant des noms et de la couleur de peau des gamins engagées dans les écoles de formation (puisqu’il s’agit de cela : des enfants engagés dans les écoles qui forment l’élite footballistique de demain). Ailleurs, on parlerait probablement de racisme mais c’est là peu probable sauf à penser que les dirigeants du foot français sont masochistes. Depuis des années, ce sport emploie un très grand nombre de jeunes dont les familles sont originaires d’Afrique et jamais on n’avait entendu parler de racisme chez les professionnels (avec le public, il peut en aller autrement). Sans doute s’agit-il d’autre chose.

Je parierai pour une discrimination pour cause de marketing. L’équipe de France (car il s’agit d’elle et d’elle seulement) est censée représenter la France, celle au moins qui s’intéresse à ce sport. Elle est d’autant plus populaire que les spectateurs s’y reconnaissent : ses succès sont ceux de toute la France qui regarde les matchs à la télévision. Or, on peut imaginer qu’une équipe trop noire ait paru à ses grands argentiers, à ceux qui négocient avec leurs principaux pourvoyeurs de fonds, je veux dire les télévisions qui vivent de la retransmission des matchs, un handicap. Je ne serais pas surpris d’apprendre que les responsables de la FFF qui ont engagé ces démarches discriminatoires l’aient fait pour satisfaire une demande implicite ou explicite des télévisions, tel ou tel responsable d’une grande chaîne leur ayant dit dans une conversation, officielle ou informelle, qu’à avoir trop de noirs dans cette équipe on risquait de lasser ou d’agacer les téléspectateurs. Ce ne serait pas la première fois que la télévision intervient dans le fonctionnement de ce sport. Des horaires au jeu, les demandes explicites ou implicites des télévisions ont souvent été des ordres pour les professionnels (un journaliste sportif de France Culture (il y en a!) expliquait récemment dans un article publié dans Geste que la télévision avait ralenti le jeu).

Le silence assourdissant des responsables sportifs des télévisions sur cette affaire pourrait faire penser qu’ils ne sont peut-être pas si à l’aise que cela dans leurs baskets…

jeudi, mai 05, 2011

Du rififi chez les philosophes

Le Collège de France vient d’élire à la chaire de Jacques Bouveresse, rebaptisée chaire de Métaphysique et de philosophie de la connaissance, une drôle de bougresse, je veux dire une femme de caractère : Claudine Tiercelin. Ce n’est pas la plus connue des philosophes contemporaines, je ne suis pas sûr qu’elle ait jamais été invitée à la télévision et que ses livres se vendent beaucoup en dehors des quelques librairies universitaires. Abomination finale : elle n’a même pas de page sur Wikipedia. Il est vrai que sa spécialité, la métaphysique, n’est pas de celles qui attirent les foules. Mais cette femme ne mâche pas ses mots.

Mediapart a eu l’excellente idée de l’interviewer. Et on l’entend égréner les jugements les plus fermes sur le monde philosophique parisien. Cela commence par un hommage appuyé à son prédecesseur : “je fais d’abord suite à Jacques Bouveresse que je tiens, sans aucune espèce de nuance, pour le plus grand philosophe français des cinquante dernières années.” Exit les Derrida, Badiou, Deleuze, Foucault et autres Jean-Luc Marion! Elle continue en s’étonnant que jamais l’on ne cite Jules Vuillemin, Gilles Gaston Granger, Emile Meyerson, Jacques Herbrand, Jean Nicod ou Jean Largeault. “Je suis, ajoute-t-elle, toujours abasourdie, quand j’entends aujourd’hui parler de philosophie «française», de devoir constater que personne ne juge indécent de ne pas simplement «évoquer» ces très grands noms à cette occasion.” Exit Sartre, Merleau-Ponty, Levinas et tous les heidegeriens. Quant à ceux qui se piquent d’éthique, elle leur réserve une de ses meilleures piques : “Je crois vraiment qu’il faut se méfier comme de la peste de «l’éthique» quand elle est devenue, comme c’est apparemment le cas pour certains philosophes, un véritable fonds de commerce. Mais comme disait Peirce, pour déverser la philosophie à la louche, il y a toujours eu des marchands de soupe à tous les coins de rue.

On aura remarqué la fermeté du ton. La dame ne doit pas être commode! Il est vrai qu’elle se voit en militante : “En philosophie, il faut choisir et s’engager. La philosophie est à cet égard, comme la vie: un massacreur de possibles. Tout n’est pas possible en même temps.” Le reste de l’interview porte sur ses thèses et ses travaux. On devine à la lire qu’elle appartient à cette famille de philosophes français formés à la logique et à l’épistémologie qui ont redécouvert la philosophie analytique anglo-saxonne dans les années 70 et avec elle la métaphysique. Je pense à Frédéric Nef, Pascal Engel, Joëlle Proust et, bien sûr, quoique dans une spécialité un peu différente, Alain de Libéra.

Ce ton vigoureux annonce des cours passionnants, des débats vifs, de quoi sortir la philosophie parisienne de ce que notre métaphysicienne bagarreuse appelle de la “paresse intellectuelle.” D’ici à ce que l’on retrouve l’atmosphères des querelles scolastiques, il n’y a qu’un pas qui n’effaroucherait certainement pas la titulaire de cette nouvelle chaire.

mercredi, mai 04, 2011

Ben Laden, la torture et un peu d'autopromotion

Puisque l'exécution de Ben Laden remet au goût du jour la torture je me permets au texte que j'avais publié sur le sujets dans les Temps Modernes il y a quelques années et dont on trouvera ici une copie. J'y montre combien la justification de la torture est profondément inscrite dans la culture américaine, notamment chez des auteurs auxquels on ne penserait pas spontanément comme Robert Nozick. Seuls, dans mon enquête, les militaires et ceux qui enseignaient dans les académies militaires manifestaient un scepticisme de bon aloi. 

La montée de Le Pen : la faute à la gauche?

Dans une réponse aux critiques que lui adressait Arthur Godhammer, l’auteur du portrait plutôt complaisant de Marine Lepen dans le New-York Times écrit : "the success of Le Pen and others is related to the failure of the left to articulate answers to current crises." A ses yeux, donc, comme à ceux de beaucoup d’autres, l’incapacité de la gauche à apporter des réponses satisfaisantes à la crise que nous traversons serait responsable de la montée de Marine Le Pen en France et des populismes. On retrouvait il y a quelques jours la même idée dans un article publié dans le Monde (Les dérapages néo-réacs reflets de la panique morale) dont les auteurs expliquaient que “l’hégémonie culturelle dextriste ne serait pas ce qu'elle est si elle n'était pas d'abord partie de gauche.” Il est vrai qu’à leurs yeux le processus était ancien puisqu’il remontait “à une période allant de 1977 à 1984.

Attribuer à une gauche qui n’est plus au pouvoir depuis de nombreuses années la responsabilité de la montée des populismes est pour le moins surprenant. Si elle n’a pas su construire une réponse plausible à la crise qui peut dire que la droite a fait mieux? Et comme elle est aujourd’hui au pouvoir, ce serait plutôt de son coté qu’il faudrait en bonne logique chercher les causes de cette montée des populismes. Mais peut-être faut-il les chercher ailleurs.

Les politiques n’ont pas su nous dit-on trouver de réponse à la crise. Ce serait, d’abord, à vérifier. Nous avons après tout échappé au pire. Et si le choc de 2008 fut aussi brutal que celui de 1929, il n’a certainement pas eu les mêmes conséquences. Et sans doute faut-il en créditer les politiques tant en Europe qu’aux Etats-Unis mais il est vrai que des années de domination de la pensée libérale, la mondialisation et l’épuisement des solutions classiques, keynésiennes ou libérales (épuisement symbolisé par les remarques de François Mitterand sur le “on a tout essayé” à propos du chômage et de Lionel Jospin sur “L’Etat ne peut pas tout” à propos des licenciements chez Michelin), ont progressivement libéré le secteur économique de la main mise de l’Etat. Si le marché fut, comme l’expliquait Karl Polanyi, une invention de l’Etat, il faut convenir que ses principaux acteurs, les entreprises ont su prendre leur autonomie, elles peuvent aujourd’hui mettre en concurrence les Etats et ne manquent pas de le faire.

Beaucoup de citoyens ont donc le sentiment que leur vote, qu’il se porte à gauche ou à droite, ne change pas grand chose à la politique économique. D’où, sans doute, la montée de l’abstention (“à quoi bon voter si mon vote ne se sert à rien dans les domaines qui m’intéressent vraiment?”) mais aussi des thématiques populistes. Dès lors que les débats sur l’économie paraissent sans objet (“puisque de toutes manières les politiques n’y peuvent pas grand chose”), les affrontements politiques se portent sur des sujets sur lesquels les citoyens ont le sentiment que les politiques peuvent encore agir : la sécurité, l’immigration…

Le meilleur moyen de lutter contre le populisme est sans doute d’en montrer les dangers, mais aussi de convaincre les électeurs de la capacité du politique à reprendre le contrôle sur le secteur économique. Non pas au niveau national, ce qui n’a pas de sens, mais au niveau européen et surtout peut-être au niveau international. C’est là que l’expérience de DSK au FMI peut se révéler un atout de tout premier plan.

Ben Laden, déjà les théories du complot

C’est fascinant, il suffit de bavarder avec des inconnus dans la rue ou d’entendre les réactions à la radio ou à la télévision pour voir prospérer des théories du complot : les Américains ne pouvaient pas ignorer la cachette de Ben Laden. S’ils n’ont rien fait, c’est pour de bonnes raisons. Lesquelles? Au choix, et selon les interlocuteurs ses relations avec la famille Bush ou la CIA, la religion du père d’Obama… Et si on l’a tué quand on aurait pu le prendre vivant, c’est pour qu’il ne parle pas. Mais est-il vraiment mort? Pourquoi l’a-t-on jeté à la mer? et pourquoi ne veut-on pas nous montrer sa photo? celle que l’on a vue dans la presse était un montage. Etrange, non? La CIA nous a habitués à tant de coups tordus que cette fois-ci encore…

On retrouve dans ces rumeurs les ingrédients classiques : la défiance à l’égard de l’information officielle, défiance d’autant plus surprenante que nous vivons dans des sociétés libres où les autorités ont le plus grand mal à garder secret quoi que ce soit. Le désir d’établir toujours et partout des relations de cause à effet. Rien ne peut être laissé au hasard ou à l’incompétence. Tout doit avoir une explication rationnelle. Pourquoi, pourtant, ne pas imaginer que l’on peut cacher des choses aux services secrets? Pourquoi ne pas admettre les pannes, les failles dans les institutions les mieux huilées? Il y a tapie dans ces rumeurs l’idée d’une superpuissance qui contrôle tout et ne peut donc faillir.

On remarquera également la formidable flexibilité de ces réécritures de la réalité qui font beaucoup pour leur succès : ces rumeurs peuvent convenir à tout le monde, à l’anti-américain le plus féroce, au gauchiste qui en veut à Bush et à la CIA, à l’ennemi juré d’Obama comme au partisan de Ben Laden.

On peut parier qu’elles auront la vie dure et que toutes les dénégations du monde n’empêcheront pas leur diffusion.

lundi, mai 02, 2011

Football : un éclairage inattendu et bienvenu sur les discriminations

Il est rare qu'on ait le détail des échanges qui conduisent à prendre des mesures discriminatoires. Le verbatim des débats à la Fédération Française de Football est de ce point de vue un document passionnant. On y découvre plusieurs mécanismes à l'oeuvre :
- la stupidité de responsables qui accumulent sans sourciller les sottises sur les qualités athlétiques des jeunes noirs et des jeunes maghrébins comme si l'on ne trouvait pas des petits noirs malingres et de grands blondinets  ;
- les euphémismes qui permettent de concevoir des politiques discriminatoires sans jamais tenir le moindre propos raciste ;
- la perte des repères démocratiques et républicains : ces responsables envisagent tout simplement d'établir un distingo entre jeunes Français selon l'origine de leurs parents ou grands-parents (entre ceux dont la parentèle permet d'avoir une double nationalité et les autres). Ont-ils donc oublié que la loi ne peut qu'être la même pour tous?
- l'oubli des valeurs méritocratiques du sport devenu spectacle de masse. On veut que l'équipe de France ressemble à… mais à quoi? au public de la télévision? Je doute que ce soit comme cela que l'on gagne des compétitions.

Il est bon qu'un participant à cette réunion ait eu la bonne (mais oh combien étrange) idée de l'enregistrer et de faire passer cette bande à Medaipart dont on ne sait plus très bien si c'est un journal ou une vigie.

dimanche, mai 01, 2011

Le rêve poussiéreux de François Hollande

Le petit Journal de Canal Plus s’est amusé à comparer le premier discours de François Hollande dans sa campagne pour la candidature aux prochaines élections présidentielles à un discours que Nicolas Sarkozy a donné en 2007. Ses journalistes ont, naturellement, insisté sur les ressemblances : mêmes références, mêmes accents, presque les mêmes mots. C’était cruel et… désespérant.

François Hollande est un homme de qualité, il a du talent, des idées, il connaît les dossiers, sait rire et est ouvert aux idées des autres. Il y avait certainement plein de choses intéressantes dans son discours mais quelle idée de reprendre, pour structurer une campagne cette vieille idée du rêve? Non seulement cela montre un défaut d’imagination mais, plus grave, une mécompréhension de ce qu’attendent les électeurs. Nous ne voulons pas qu’on nous fasse rêver. A quoi d’ailleurs pourrions nous rêver?

Nous n'avons que faire de rêves. Nous voulons que l’on nous rende confiance dans l’avenir, dans notre société, dans nos chances de rester une grande puissance (nous ne voulons pas rêver d’en être une, non, plus simplement croire que c’est encore possible), dans notre possibilité d’agir, via la politique, sur l’économie, de contrôler nos vies… C’est à cette condition que nous aurons envie de retourner aux urnes parce que nous aurons le sentiment que nous pourrons, par nos votes, contrôler ce qui compte : l’économique et le social, alors que nous avons le sentiment que les décisions qui comptent, celles qui ont un impact sur nos vies de tous les jours sont prises ailleurs, loin par des gens sur lesquels nous n’avons aucun moyen d’action. Nous voulons que l’on nous rende confiance pas que l’on nous fasse rêver.