jeudi, mai 05, 2011

Du rififi chez les philosophes

Le Collège de France vient d’élire à la chaire de Jacques Bouveresse, rebaptisée chaire de Métaphysique et de philosophie de la connaissance, une drôle de bougresse, je veux dire une femme de caractère : Claudine Tiercelin. Ce n’est pas la plus connue des philosophes contemporaines, je ne suis pas sûr qu’elle ait jamais été invitée à la télévision et que ses livres se vendent beaucoup en dehors des quelques librairies universitaires. Abomination finale : elle n’a même pas de page sur Wikipedia. Il est vrai que sa spécialité, la métaphysique, n’est pas de celles qui attirent les foules. Mais cette femme ne mâche pas ses mots.

Mediapart a eu l’excellente idée de l’interviewer. Et on l’entend égréner les jugements les plus fermes sur le monde philosophique parisien. Cela commence par un hommage appuyé à son prédecesseur : “je fais d’abord suite à Jacques Bouveresse que je tiens, sans aucune espèce de nuance, pour le plus grand philosophe français des cinquante dernières années.” Exit les Derrida, Badiou, Deleuze, Foucault et autres Jean-Luc Marion! Elle continue en s’étonnant que jamais l’on ne cite Jules Vuillemin, Gilles Gaston Granger, Emile Meyerson, Jacques Herbrand, Jean Nicod ou Jean Largeault. “Je suis, ajoute-t-elle, toujours abasourdie, quand j’entends aujourd’hui parler de philosophie «française», de devoir constater que personne ne juge indécent de ne pas simplement «évoquer» ces très grands noms à cette occasion.” Exit Sartre, Merleau-Ponty, Levinas et tous les heidegeriens. Quant à ceux qui se piquent d’éthique, elle leur réserve une de ses meilleures piques : “Je crois vraiment qu’il faut se méfier comme de la peste de «l’éthique» quand elle est devenue, comme c’est apparemment le cas pour certains philosophes, un véritable fonds de commerce. Mais comme disait Peirce, pour déverser la philosophie à la louche, il y a toujours eu des marchands de soupe à tous les coins de rue.

On aura remarqué la fermeté du ton. La dame ne doit pas être commode! Il est vrai qu’elle se voit en militante : “En philosophie, il faut choisir et s’engager. La philosophie est à cet égard, comme la vie: un massacreur de possibles. Tout n’est pas possible en même temps.” Le reste de l’interview porte sur ses thèses et ses travaux. On devine à la lire qu’elle appartient à cette famille de philosophes français formés à la logique et à l’épistémologie qui ont redécouvert la philosophie analytique anglo-saxonne dans les années 70 et avec elle la métaphysique. Je pense à Frédéric Nef, Pascal Engel, Joëlle Proust et, bien sûr, quoique dans une spécialité un peu différente, Alain de Libéra.

Ce ton vigoureux annonce des cours passionnants, des débats vifs, de quoi sortir la philosophie parisienne de ce que notre métaphysicienne bagarreuse appelle de la “paresse intellectuelle.” D’ici à ce que l’on retrouve l’atmosphères des querelles scolastiques, il n’y a qu’un pas qui n’effaroucherait certainement pas la titulaire de cette nouvelle chaire.

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