Brice Hortefeux, le ministre que la justice a condamné pour racisme et atteinte à la présomption d'innocence, l'inénarrable inventeur de la présomption de culpabilité, veut, à la demande des syndicats de police, poursuivre en justice indymedia paris un site internet qui publie des photos de policiers en civil. Et ceci quelques jours seulement après que les mêmes syndicats (et le même ministre) aient toléré une manifestation de policiers protestant la condamnation de collègues qui avaient menti, commis des faux au risque d'envoyer en perpétuité en prison un innocent pour des faits commis par l'un des leurs. Ce qui pourrait donner quelques arguments à ceux qui veulent instaurer un contrôle citoyen sur la police.
Ce n'est pas la première fois que Hortefeux s'en prend à ce site si j'en crois cet article publié le 26 juillet dernier dans 20 minutes. Le même jour, il avait également annoncé qu'il porterait plainte contre deux entreprises spécialisés dans la volaille qui avaient joué avec le mot poulet. Le bruit fait autour de cette dernière plainte, l'oubli dans lequel était tombée celle de juillet fait penser qu'il pourrait ne s'agir que d'effets de manche, bien dans la manière de ce ministre dont le bilan en matière de sécurité n'est pas des plus glorieux.
Je ne connaissais pas Indymedia. Je suis allé le visiter. Il est vrai qu'il est vigoureusement engagé contre la loi Lopsi 2 et qu'il dénonce les violences policières. J'y ai trouvé quelques photos présentées comme de policiers mais aussi toute une série d'articles qui présentent les techniques de copwatch (de surveillance des policiers) inventées aux Etats-Unis il y a une quinzaine d'années. On comprend la colère des policiers, il est certainement très désagréable de se voir ainsi dénoncé, mais on aimerait qu'ils soient aussi en colère lorsque leurs collègues usent et abusent de leur pouvoir.
Indymedia.Paris est l'antenne française d'une organisation de presse alternative internationale : L'independent Media center qui a des antennes aux Etats-Unis, en Irlande, en Grèce, au Mexique, en Belgique… créé il y a une dizaine d'années il fonctionne de manière ouverte ("open publishing"), ce qui veut dire sans contrôle éditorial, d'où des dérives. Il publie de nombreuses informations de groupes contestataires de toutes sortes, souvent passionnantes et c'est certainement un excellent observatoire du radicalisme, mais il semble qu'il ne vérifie pas toujours l'exactitude des informations. D'où la présence sur ce site d'articles qui utilisent un vocabulaire pour le moins contestable (comme Zionazis pour décrire l'armée israélienne) et font circuler des thèses qui relèvent plus de la paranoïa que de l'exactitude journalistique.
Pour ce qui est de la police, il est vrai qu'elle n'est pas ménagée et que certains des textes paraissent plus inspirés par la colère que par la raison et le bon sens comme celui-ci : "Nous souhaitons apporter quelques précisions à ce travail de fond sur la police nationale. Depuis toujours la hiérarchie policière a tout fait pour montrer une bonne image d’elle même. Nous souhaitons montrer SON vrai visage, celui que la presse, volontairement, ne montre jamais. Oui la police nationale est une milice digne de celle de Joseph Darnand et alliance vire de plus en plus vers le FPIP (syndicat d’extrême droite de la police nationale). Lorsque celle ci tabasse des lycéens à coup de flashball…" Mais le web est plein de textes de ce tonneau qui ne méritent certainement pas des poursuites.
Ces poursuites judiciaires sont évidemment destinées à calmer la grogne des policiers qui ne se sentent plus les privilégiés du régime mais elles posent un double problème :
- celui de la légitimité d'un contrôle citoyen de la police lorsque les institutions en charge de ce contrôle se révèlent défaillantes : pourquoi interdire aux citoyens victimes de violences policières de les dénoncer quand on sait que les policiers serrent systématiquement les rangs autour de leurs collègues coupables de ces mêmes violences?
- celui de la possibilité même d'interdire ce contrôle quand tous les citoyens sont équipés de matériel d'enregistrement, smartphones qui prennent des photos, filment et enregistrent et qu'ils ont tout à fait le droit de les utiliser sur la voie publique, comme le rappelait la commission de déontologie : "les journalistes et particuliers ont le droit de photographier et de diffuser des photos des forces de l’ordre si elles ne portent pas atteinte à la liberté de la personne ou au secret de l’instruction. Ces mêmes forces de l’ordre ne peuvent pas s’opposer à l’enregistrement de leur image ni confisquer les appareils ayant servi à cet enregistrement. Les seules exceptions sont les forces de l’ordre affectées dans des services d’intervention (Raid, GIGN, GIPN, BRI, sécurité du Président…), à la lutte anti-terrorisme ou au contre-espionnage, en vertu de l’arrêté du 27 juin 2008."
Avoir des opinions est l'un des éléments du bien-être, affirmait il y a une quinzaine d'années, l'économiste A.O.Hirshman. Les blogs sont une bonne manière d'afficher ses opinions mais aussi, et peut-être même surtout, de les construire. C'est ce qui m'a donné envie de tenir celui-ci
vendredi, décembre 24, 2010
jeudi, décembre 23, 2010
Un nouveau scandale pour Nicolas Sarkozy : l'affaire Servier
Après l'affaire Bettencourt (qui, il est vrai, ne le mettait que très indirectement et sans doute de manière injuste en cause ) et l'affaire Karachi (qui, pour le coup, le mettait au centre des interrogations), voici l'affaire Servier qui met de nouveau en première ligne Nicolas Sarkozy puisqu'il a longtemps été l'avocat du groupe et qu'il s'est à plusieurs reprises présenté comme l'ami personnel de son fondateur. Comme dans l'affaire Karachi, il y a mort d'hommes.
J'imagine que dans les jours et semaines qui viennent, journalistes, inspecteurs de l'IGAS et juges vont mettre à jour les relations étroites que Nicolas Sarkozy a entretenus avec les acteurs de ce drame. Cela n'en fait évidemment pas un coupable, pas même un responsable de ce qui s'est produit. Reste que son nom va être une nouvelle fois associé à une vilaine affaire qui n'est plus, cette fois-ci, politique.
Même s'il a été dans cette dernière affaire absolument impeccable (je n'imagine pas d'autre hypothèse), cela fait beaucoup et amène à s'interroger moins sur sa personne que sur la confusion des genres qu'autorisent les doubles carrières. Avocat d'affaires réputé et homme politique ambitieux, cela ne fait pas un bon cocktail, pas plus que trésorier d'un parti politique (Woerth) ou animateur d'une campagne présidentielle et ministre du budget.
Ne serait-ce que pour éviter d'être accusé, l'ex-avocat du groupe Servier qu'est Nicolas Sarkozy peut être tenté de détourner l'attention de l'opinion et la porter du coupable (le laboratoire) vers l'administration. C'est exactement le tour de magicien qu'il est en train de jouer. Je ne suis pas sûr que la vérité ait grand chose à gagner à ces tours de passe passe. Et comme il y a mort d'hommes, on peut penser que les victimes et leur famille ne lâcheront pas le morceau. Sa campagne présidentielle commence sous de drôles d'auspices.
J'imagine que dans les jours et semaines qui viennent, journalistes, inspecteurs de l'IGAS et juges vont mettre à jour les relations étroites que Nicolas Sarkozy a entretenus avec les acteurs de ce drame. Cela n'en fait évidemment pas un coupable, pas même un responsable de ce qui s'est produit. Reste que son nom va être une nouvelle fois associé à une vilaine affaire qui n'est plus, cette fois-ci, politique.
Même s'il a été dans cette dernière affaire absolument impeccable (je n'imagine pas d'autre hypothèse), cela fait beaucoup et amène à s'interroger moins sur sa personne que sur la confusion des genres qu'autorisent les doubles carrières. Avocat d'affaires réputé et homme politique ambitieux, cela ne fait pas un bon cocktail, pas plus que trésorier d'un parti politique (Woerth) ou animateur d'une campagne présidentielle et ministre du budget.
Ne serait-ce que pour éviter d'être accusé, l'ex-avocat du groupe Servier qu'est Nicolas Sarkozy peut être tenté de détourner l'attention de l'opinion et la porter du coupable (le laboratoire) vers l'administration. C'est exactement le tour de magicien qu'il est en train de jouer. Je ne suis pas sûr que la vérité ait grand chose à gagner à ces tours de passe passe. Et comme il y a mort d'hommes, on peut penser que les victimes et leur famille ne lâcheront pas le morceau. Sa campagne présidentielle commence sous de drôles d'auspices.
lundi, décembre 20, 2010
La neige, révélateur…
J'ai passé hier quatre heures à Londres à attendre pour prendre un Eurostar qui n'avait plus rien d'un train à grande vitesse. J'ai passé la semaine dernière trois heures dans des trains, des autobus pour aller d'Haarlem à Amsterdam (20 kilomètres). Une neige, deux pays, mais bien des similitudes. Dans les deux cas, j'ai observé :
- le même manque crucial d'informations, le pompon allant aux chemins de fer néerlandais dont les écrans continuaient d'afficher des trains alors que ceux-ci ne partaient plus depuis une bonne heure. Au moins Eurostar parle à Londres deux langues mais son français est à peu près incompréhensible,
- le manque criant voire l'absence de personnel : je n'ai pas vu un seul agent dans les gares d'Amsterdam et d'Haarlem ; à Londres, il n'y avait que des agents de sécurité débordés et des policiers,
- l'absence totale de coordination entre les différents opérateurs. A Londres, la queue était remplie de gens qui avaient manqué leur avion, qui n'avaient pas de billets : ils se sont faits refouler après plusieurs heures d'attente,
- l'inanité des services internet dont les messages lénifiants n'incitaient pas à retarder son départ,
- l'indifférence au confort des passagers : est-il donc si difficile d'offrir une tasse thé ou de café à des gens qui attendent dans le froid?
- le respect scrupuleux des règles tarifaires : des enfants pouvaient se geler dans la queue, pas question de leur permettre d'emprunter le couloir réservé aux premières classes.
PS. Oh J'oubliais : le train Londres Paris n'était pas plein. Il y avait quelques places vides (sans doute des places réservées pour des voyageurs qui devaient monter à Asford et qui ont au dernier moment annulé leur départ).
- le même manque crucial d'informations, le pompon allant aux chemins de fer néerlandais dont les écrans continuaient d'afficher des trains alors que ceux-ci ne partaient plus depuis une bonne heure. Au moins Eurostar parle à Londres deux langues mais son français est à peu près incompréhensible,
- le manque criant voire l'absence de personnel : je n'ai pas vu un seul agent dans les gares d'Amsterdam et d'Haarlem ; à Londres, il n'y avait que des agents de sécurité débordés et des policiers,
- l'absence totale de coordination entre les différents opérateurs. A Londres, la queue était remplie de gens qui avaient manqué leur avion, qui n'avaient pas de billets : ils se sont faits refouler après plusieurs heures d'attente,
- l'inanité des services internet dont les messages lénifiants n'incitaient pas à retarder son départ,
- l'indifférence au confort des passagers : est-il donc si difficile d'offrir une tasse thé ou de café à des gens qui attendent dans le froid?
- le respect scrupuleux des règles tarifaires : des enfants pouvaient se geler dans la queue, pas question de leur permettre d'emprunter le couloir réservé aux premières classes.
PS. Oh J'oubliais : le train Londres Paris n'était pas plein. Il y avait quelques places vides (sans doute des places réservées pour des voyageurs qui devaient monter à Asford et qui ont au dernier moment annulé leur départ).
dimanche, décembre 19, 2010
Neige : qui fait pire?
J'étais il y a dix jours à Amsterdam pendant une tempête de neige : ville bloquée, plus de trains, personne dans les rues pour nettoyer pendant plusieurs jours, quatre heures pour rentrer d'Haarlem, d'ordinaire à vingt minutes. Les jours qui suivent, c'est au tour de Paris et de l'Ile de France d'être bloqués. C'est depuis hier Londres dont on ne sale pas, me dit-on, les rues faute de... sel. Plus d'avions, trains immobilisés par quelques centimètres de poudreuse. On savait que l'Europe allait mal, mais à ce point!
Ce qui, au delà de ces difficultés frappe est la différence des réactions. A Paris, les difficultés de circulation ont presque créé une crise politique, à Amsterdam, on sortait les luges et on continuait de circuler à bicyclettes comme si l'atonie des services publics était un fait de la vie, à Londres, chacun prend son mal en patience, radios et télévisions invitent à rester chez soi tout en s'inquiétant de l'impact de cette neige sur le chiffre d'affaires des commerces en cette veille de Noël. Il est vrai qu'on y a d'autres soucis, comme la prochaine hausse de la TVA et ces chiffres sur la pauvreté sortis en même temps que la tempête de neige (on est passé de 1,3 à 3,6 millions de pauvres en quelques mois).
- Posted using BlogPress from my iPad
Ce qui, au delà de ces difficultés frappe est la différence des réactions. A Paris, les difficultés de circulation ont presque créé une crise politique, à Amsterdam, on sortait les luges et on continuait de circuler à bicyclettes comme si l'atonie des services publics était un fait de la vie, à Londres, chacun prend son mal en patience, radios et télévisions invitent à rester chez soi tout en s'inquiétant de l'impact de cette neige sur le chiffre d'affaires des commerces en cette veille de Noël. Il est vrai qu'on y a d'autres soucis, comme la prochaine hausse de la TVA et ces chiffres sur la pauvreté sortis en même temps que la tempête de neige (on est passé de 1,3 à 3,6 millions de pauvres en quelques mois).
- Posted using BlogPress from my iPad
samedi, décembre 18, 2010
Hortefeux : un ministre du désordre
Condamné une première pour racisme, une seconde fois pour atteinte à la présomption d'innocence, cela fait beaucoup pour un ministre de l'intérieur, beaucoup trop pour le patron d'une administration qui, plus que toute autre, du fait même de ses activités court le risque du racisme (il commence avec le simple délit de faciès) et de l'oubli de la présomption d'innocence. On ne saurait avoir une bonne police avec pareil individu à sa tête. Hortefeux doit démissionner ou plutôt être licencié pour ce que l'on appellerait dans le monde du travail une faute professionnelle lourde.
- Posted using BlogPress from my iPad
- Posted using BlogPress from my iPad
jeudi, décembre 16, 2010
Fillon, Hortefeux et la rhétorique
On se demande parfois pourquoi François Fillon est plus populaire que Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et alii. C'est peut-être, tout simplement, qu'il a mieux compris les principes de la rhétorique classique, cet art de l'éloquence politique dont la première règle était, selon les anciens, la "captatio benevolentiae", gagner la confiance des auditeurs. C'est ce qu'il a fait à deux reprises cette semaine en disant tout simplement la vérité : les comportements des policiers condamnés étaient inexcusable, la gestion des chutes de neige a été calamiteuse. On éprouve spontanément plus de sympathie et de confiance pour celui qui dit tout simplement la vérité qui pour celui qui à force de mentir nous prend, comme fit à plusieurs reprises ces derniers jours Hortefeux, pour des imbéciles. Ce n'est pas grand chose, cela ne veut pas dire qu'on partage plus ses opinions, mais cela suffit…
lundi, décembre 13, 2010
L'Amérique, la France les immigrés
Wikileaks a publié un rapport secret de l'Ambassades Etats-Unis à Paris qui donne une image de l'action des Etats-Unis en Europe à des lieues de celle que véhicule depuis cinquante ans l'anti-américanisme. Bien loin d'être l'allié de la droite la plus bornée, l'ambassade américaine s'inquiète des difficultés de la société française à intégrer les immigrés. Elle y voit une des sources des tensions à venir et veut aider à les éviter. Ingérence dans les affaires françaises, il y a certainement, mais là où on ne l'attendait pas même si quelques articles publiés dans la presse il y a quelques mois (comme ici ou là), articles sans doute soufflés aux journalistes par l'Ambassade, nous avaient prévenus. Mais voici quelques extraits d'un câble rédigé en janvier dernier qui éclairent cette politique :
-"We believe that if France, over the long run, does not successfully increase opportunity and provide genuine political representation for its minority populations, France could become a weaker, more divided country, perhaps more crisis-prone and inward-looking, and consequently a less capable ally. To support French efforts to provide equal opportunity for minority populations, we will engage in positive discourse to set a strong example; implement an aggressive youth outreach strategy; encourage moderate voices; propagate best practices; and deepen our understanding of the underlying causes of inequality in France. We will also integrate the efforts of various Embassy sections, target influential leaders among our primary audiences, and evaluate both tangible and intangible indicators of the success of our
strategy."
- "The National Assembly, among its 577 deputies, has a single black member from metropolitan France (excluding its island territories), but does not have any elected representatives of Muslim or Arab extraction, though this minority group alone represents approximately 10 percent of the population. The Senate has two Muslim Senators (out of 343), but no black representatives and only a few Senators hail from other ethnic or religious minorities. (…) none of France's approximately 180 Ambassadors is black, and only one is of North African descent. Despite Sarkozy's appointment of leaders such as Rachida Dati, Fidela Amara and Rama Yade, minorities continue to confront a very thick glass ceiling in France's public institutions."
Cet intérêt n'est sans doute pas innocent. Les Etats-Unis sont engagés dans une bataille longue contre le terrorisme islamiste et voient dans le mécontentement de communautés immigrées musulmanes mal traitées une source de problèmes : constitution d'une classe de révoltés susceptibles de s'enrôler dans des mouvements radicaux et d'autant plus difficiles à contrôler qu'ils ont la nationalité de pays amis et ne peuvent être facilement refoulés. "Social exclusion, écrit l'auteur de ce câble, has domestic consequences for France, including the alienation of some segments of the population, which can in turn adversely affect our own efforts to fight global networks of violent extremists." Comment lui donner tort?
Nos politiques de droite qui flirtent si souvent avec l'islamophobie seraient bien inspirés d'écouter ce qu'ont à leur dire ces diplomates et de prendre modèle sur la politique en sept points que ce câble décline en sept points :
- engage in a positive discourse,
- set a strong example,
- launch agressive youth outreach,
- encourage moderate voices,
- propagate best practices
- deepen our understanding of the problem,
- integrate, target and evaluate efforts.
-"We believe that if France, over the long run, does not successfully increase opportunity and provide genuine political representation for its minority populations, France could become a weaker, more divided country, perhaps more crisis-prone and inward-looking, and consequently a less capable ally. To support French efforts to provide equal opportunity for minority populations, we will engage in positive discourse to set a strong example; implement an aggressive youth outreach strategy; encourage moderate voices; propagate best practices; and deepen our understanding of the underlying causes of inequality in France. We will also integrate the efforts of various Embassy sections, target influential leaders among our primary audiences, and evaluate both tangible and intangible indicators of the success of our
strategy."
- "The National Assembly, among its 577 deputies, has a single black member from metropolitan France (excluding its island territories), but does not have any elected representatives of Muslim or Arab extraction, though this minority group alone represents approximately 10 percent of the population. The Senate has two Muslim Senators (out of 343), but no black representatives and only a few Senators hail from other ethnic or religious minorities. (…) none of France's approximately 180 Ambassadors is black, and only one is of North African descent. Despite Sarkozy's appointment of leaders such as Rachida Dati, Fidela Amara and Rama Yade, minorities continue to confront a very thick glass ceiling in France's public institutions."
Cet intérêt n'est sans doute pas innocent. Les Etats-Unis sont engagés dans une bataille longue contre le terrorisme islamiste et voient dans le mécontentement de communautés immigrées musulmanes mal traitées une source de problèmes : constitution d'une classe de révoltés susceptibles de s'enrôler dans des mouvements radicaux et d'autant plus difficiles à contrôler qu'ils ont la nationalité de pays amis et ne peuvent être facilement refoulés. "Social exclusion, écrit l'auteur de ce câble, has domestic consequences for France, including the alienation of some segments of the population, which can in turn adversely affect our own efforts to fight global networks of violent extremists." Comment lui donner tort?
Nos politiques de droite qui flirtent si souvent avec l'islamophobie seraient bien inspirés d'écouter ce qu'ont à leur dire ces diplomates et de prendre modèle sur la politique en sept points que ce câble décline en sept points :
- engage in a positive discourse,
- set a strong example,
- launch agressive youth outreach,
- encourage moderate voices,
- propagate best practices
- deepen our understanding of the problem,
- integrate, target and evaluate efforts.
La vision américaine de l'Europe
La lecture des rapports de Wikileaks est absolument passionnante. Elle nous montre que les Américains ont une vision souvent très originale et moderne de l'Europe. Je pense à quelques phrases d'un câble consacré à la lutte contre le terrorisme en Espagne.
Son auteur propose de créer à Barcelone un "hub" anti-terroriste. Pourquoi Barcelone? Parce que c'est une ville dynamique, un port important, avec des communautés immigrées qui vivent en marge de la société et sont donc susceptibles de verser dans le radicalisme (il fait état de 60 000 paskitanais, le plus souvent célibataires et sans emploi installés en Catalogne), des groupes mafieux qui s'y sont installés pour développer leurs activités (trafic de drogue, de femmes…) et blanchir leur argent (25% des billets de 500€ qui circulent en Espagne se trouveraient dans la région de Barcelone). Mais Barcelone n'est pas la capitale de l'Espagne. Les Américains ne l'ignorent évidemment pas. C'est même à leurs yeux plutôt un atout, au point que ce hub qu'ils imaginent dans la capitale de la Catalogne (un officier accompagné de 7 attachés chargés de traiter, en collaboration avec les autorités locales des dossiers spécifiques) pourrait servir de modèle à des coopérations ailleurs en Europe : "The hub concept can also serve as a potential model of how we can work with our European allies in common purpose on law enforcement, security, and intelligence initiatives away from the more bureaucratic and politicized world of capital cities." Dit autrement, les spécialistes de la lutte contre le terrorisme américain ont pris acte de l'émiettement en cours de l'Europe, ils l'ont compris bien avant beaucoup d'Européens et sont prêts à (ou ont commencé de) ajuster leur politique en conséquence.
Son auteur propose de créer à Barcelone un "hub" anti-terroriste. Pourquoi Barcelone? Parce que c'est une ville dynamique, un port important, avec des communautés immigrées qui vivent en marge de la société et sont donc susceptibles de verser dans le radicalisme (il fait état de 60 000 paskitanais, le plus souvent célibataires et sans emploi installés en Catalogne), des groupes mafieux qui s'y sont installés pour développer leurs activités (trafic de drogue, de femmes…) et blanchir leur argent (25% des billets de 500€ qui circulent en Espagne se trouveraient dans la région de Barcelone). Mais Barcelone n'est pas la capitale de l'Espagne. Les Américains ne l'ignorent évidemment pas. C'est même à leurs yeux plutôt un atout, au point que ce hub qu'ils imaginent dans la capitale de la Catalogne (un officier accompagné de 7 attachés chargés de traiter, en collaboration avec les autorités locales des dossiers spécifiques) pourrait servir de modèle à des coopérations ailleurs en Europe : "The hub concept can also serve as a potential model of how we can work with our European allies in common purpose on law enforcement, security, and intelligence initiatives away from the more bureaucratic and politicized world of capital cities." Dit autrement, les spécialistes de la lutte contre le terrorisme américain ont pris acte de l'émiettement en cours de l'Europe, ils l'ont compris bien avant beaucoup d'Européens et sont prêts à (ou ont commencé de) ajuster leur politique en conséquence.
Marine Le Pen ou l'épuisement des signes
Nous pensions en avoir fini avec les références à la seconde guerre mondiale dans la politique. Mais non, les voici de retour et de la manière la plus inattendue. Grâce à Marine Le Pen, la représentante d'une famille politique qui s'est plus illustrée dans la collaboration avec l'occupant que dans la résistance. "Il y a dix ou quinze endroits où de manière régulière un certain nombre de personnes viennent pour accaparer les territoires (…) s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire. (…) Certes y’a pas de blindés, y’a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants." Le pense-t-elle vraiment? Peu importe : il lui faut durcir son discours pour séduire la frange ultra du FN et l'outrance islamophobe ne peut, dans le contexte des primaires (ou guerre de succession) à l'extrême droite que servir ses ambitions. Reste que l'on peut se demander à quoi rime ce retour insistant de la seconde guerre mondiale dans notre vie politique et ce qu'il nous dit de sa place dans notre imaginaire.
Nous avons connu la France du déni, celle toute résistante des gaullistes, l'aveu pompidolien de 1972 (il faut "jeter le voile", beaucoup de Français ont collaboré, des horreurs ont été commises des deux cotés, il serait temps d'oublier), aveu intéressé puisque, nous l'avons appris hier au détour d'une conversation sur l'épuration, son oncle paternel avait été condamné à mort, la "période Shoa" (les Français ont collectivement fermé les yeux sur les crimes commis en leur nom), l'hymne à la résistance (la Nouvelle Résistance des maoïstes du début des années 70), la saison de l'ambiguïté illustrée par le parcours de François Mitterrand, séduit par le pétainisme avant de devenir résistant et la reconnaissance de la responsabilité française avec le discours de Jacques Chirac sur le Vel d'hiv.
Henri Rousseau dit tout cela infiniment mieux que moi dans Le syndrome de Vichy. Dans ce livre paru au Seuil en 1997, il distingue quatre périodes : le deuil inachevé de l'immédiat après-guerre (de 1944 à 1954), le refoulements (de 1954 à 1971), le miroir brisé (de 1971 à 1974), 'obsession (depuis le milieu des années 1970).
Et voici la sortie de Marine Le Pen. Avec tout ce qu'ils colportent d'absurdité historique, de brouillage maladroit des symboles, ses propos sont à ce point absurdes qu'ils me font penser que la charge émotionnelle de cette période s'est tout simplement évanouie. Quand les signes n'ont plus de sens on peut leur faire dire n'importe quoi. Et c'est bien ce qu'a fait la future candidate à l'élection présidentielle du FN.
Hier soir, trois films à la télévision en prime time se déroulaient pendant la seconde guerre mondiale. Trois divertissements insignifiants, inutiles que personne n'a remarqués.
Nous avons connu la France du déni, celle toute résistante des gaullistes, l'aveu pompidolien de 1972 (il faut "jeter le voile", beaucoup de Français ont collaboré, des horreurs ont été commises des deux cotés, il serait temps d'oublier), aveu intéressé puisque, nous l'avons appris hier au détour d'une conversation sur l'épuration, son oncle paternel avait été condamné à mort, la "période Shoa" (les Français ont collectivement fermé les yeux sur les crimes commis en leur nom), l'hymne à la résistance (la Nouvelle Résistance des maoïstes du début des années 70), la saison de l'ambiguïté illustrée par le parcours de François Mitterrand, séduit par le pétainisme avant de devenir résistant et la reconnaissance de la responsabilité française avec le discours de Jacques Chirac sur le Vel d'hiv.
Henri Rousseau dit tout cela infiniment mieux que moi dans Le syndrome de Vichy. Dans ce livre paru au Seuil en 1997, il distingue quatre périodes : le deuil inachevé de l'immédiat après-guerre (de 1944 à 1954), le refoulements (de 1954 à 1971), le miroir brisé (de 1971 à 1974), 'obsession (depuis le milieu des années 1970).
Et voici la sortie de Marine Le Pen. Avec tout ce qu'ils colportent d'absurdité historique, de brouillage maladroit des symboles, ses propos sont à ce point absurdes qu'ils me font penser que la charge émotionnelle de cette période s'est tout simplement évanouie. Quand les signes n'ont plus de sens on peut leur faire dire n'importe quoi. Et c'est bien ce qu'a fait la future candidate à l'élection présidentielle du FN.
Hier soir, trois films à la télévision en prime time se déroulaient pendant la seconde guerre mondiale. Trois divertissements insignifiants, inutiles que personne n'a remarqués.
vendredi, décembre 10, 2010
Histoires de neige
Arthur Goldhammer se moque de la panique qui a saisi Paris et l'Ile de France avant hier avec cette neige. Il a raison, c'était ridicule. Et plus ridicules encore les dénégations des ministres.
Cet incident devrait amener les autorités à s'interroger sur la gestion de ces incidents climatiques qui semblent se multiplier et révèlent à chaque fois un peu plus la fragilité de nos sociétés contemporaines. Cette réflexion devrait être collective parce que je ne suis pas sûr que nous soyons les seuls à rester ainsi tétanisés devant quelques centimètres de neige. J'étais la semaine dernière à Amsterdam. Il y a neigé comme à Paris. Et les trains ont cessé de fonctionner. Impossible de se rendre de Haarlem à Amsterdam (25 kilomètres, une vingtaine de minutes d'habitude). Les rues d'Amsterdam sont restées couvertes de neige glacée pendant trois jours. On dira qu'Amsterdam n'a pas l'habitude de la neige, mais je me souviens de Genève complètement coincé pendant deux jours par une vingtaine de centimètres de neige Plus rien ne fonctionnait dans une ville qui sait pourtant ce qu'est le froid. Et je ne parle pas de Montréal dont les trottoirs sont restés en février dernier couverts de neige glacée pendant plusieurs jours dans certains quartiers (le dessalement y est réalisé par des sociétés privées et organisé par arrondissement, résultat : certains arrondissements attendent plusieurs jours pour déneiger). Pour ce qui est des Etats-Unis, je me souviens de nuits passées à attendre un avion qui ne partait pas du fait de la neige à Atlanta, à Boston et à New-York. Chez les autres, ce n'est pas mieux. Mais ce n'est évidement pas une excuse. Plutôt que de se défendre, les spécialistes de ces questions devraient revoir leurs méthodes et regarder ce que font ceux qui s'en tirent mieux (les Russes ou les Polonais peut-être?).
Cet incident devrait amener les autorités à s'interroger sur la gestion de ces incidents climatiques qui semblent se multiplier et révèlent à chaque fois un peu plus la fragilité de nos sociétés contemporaines. Cette réflexion devrait être collective parce que je ne suis pas sûr que nous soyons les seuls à rester ainsi tétanisés devant quelques centimètres de neige. J'étais la semaine dernière à Amsterdam. Il y a neigé comme à Paris. Et les trains ont cessé de fonctionner. Impossible de se rendre de Haarlem à Amsterdam (25 kilomètres, une vingtaine de minutes d'habitude). Les rues d'Amsterdam sont restées couvertes de neige glacée pendant trois jours. On dira qu'Amsterdam n'a pas l'habitude de la neige, mais je me souviens de Genève complètement coincé pendant deux jours par une vingtaine de centimètres de neige Plus rien ne fonctionnait dans une ville qui sait pourtant ce qu'est le froid. Et je ne parle pas de Montréal dont les trottoirs sont restés en février dernier couverts de neige glacée pendant plusieurs jours dans certains quartiers (le dessalement y est réalisé par des sociétés privées et organisé par arrondissement, résultat : certains arrondissements attendent plusieurs jours pour déneiger). Pour ce qui est des Etats-Unis, je me souviens de nuits passées à attendre un avion qui ne partait pas du fait de la neige à Atlanta, à Boston et à New-York. Chez les autres, ce n'est pas mieux. Mais ce n'est évidement pas une excuse. Plutôt que de se défendre, les spécialistes de ces questions devraient revoir leurs méthodes et regarder ce que font ceux qui s'en tirent mieux (les Russes ou les Polonais peut-être?).
jeudi, décembre 09, 2010
On peut aussi aimer Sarkozy
J'ai croisé hier des sarkozystes, deux jeunes femmes charmantes, de droite, catholiques, de milieu traditionnel mais actives, rien à voir avec Nadine Morano, plutôt le genre Valérie Pécresse. C'était dans un de ces dîners entre invités qui ne se connaissent pas et ne se reverront probablement jamais où la conversation, à force de passer d'un sujet à l'autre, finit par tomber sur notre Président. Rien d'agressif dans les propos des uns et des autres, plutôt de la réserve et si la critique était, chez plusieurs convives, à fleur de peau, elle prenait la forme de l'ironie, de l'amusement lorsque ces deux jeunes femmes nous dirent qu'elles l'appréciaient tout particulièrement. C'est si étonnant en ces jours de sondages calamiteux que force fut de leur demander pourquoi. Leur réponse : il parle bien.
Elles auraient pu citer son dynamisme, sa manière de faire avancer les dossiers, son efficacité, ses réformes, l'un ou l'autre de ces arguments qu'avancent les militants UMP (ce qu'elles ne sont pas). Non, elles nous ont parlé de la manière dont il s'exprime. Et comme nous étions tous plutôt d'accord pour dire que la grammaire et l'élégance du style ne sont pas ses premières vertus, elles nous ont expliqué qu'elles comprenaient ce qu'il dit. Il est vrai qu'il n'y a chez lui ni la délicieuse ambiguité de Mitterrand ni la clarté trompeuse de Giscard ni la componction ennuyeuse de Balladur ni l'invention verbale de Ségolène Royal ni, bien sûr, le brouillamini technocratique de Rocard. Il y a autre chose, une autre chose qui ressemble assez bien au discours franc et carré, dynamique et entraînant de ces patrons de choc qui adorent jouer au tribun dans les réunions de cadres.
Je dis cela sans ironie. Sarkozy est moderne en ce qu'il parle aussi mal mais avec autant de conviction, de franchise et d'engagement personnel qu'un patron de PME qui n'a pas fait l'ENA et s'en félicite. C'est sans doute ce que ces deux jeunes femmes appréciaient chez lui. C'est aussi ce qui en exaspère plus d'un.
Elles auraient pu citer son dynamisme, sa manière de faire avancer les dossiers, son efficacité, ses réformes, l'un ou l'autre de ces arguments qu'avancent les militants UMP (ce qu'elles ne sont pas). Non, elles nous ont parlé de la manière dont il s'exprime. Et comme nous étions tous plutôt d'accord pour dire que la grammaire et l'élégance du style ne sont pas ses premières vertus, elles nous ont expliqué qu'elles comprenaient ce qu'il dit. Il est vrai qu'il n'y a chez lui ni la délicieuse ambiguité de Mitterrand ni la clarté trompeuse de Giscard ni la componction ennuyeuse de Balladur ni l'invention verbale de Ségolène Royal ni, bien sûr, le brouillamini technocratique de Rocard. Il y a autre chose, une autre chose qui ressemble assez bien au discours franc et carré, dynamique et entraînant de ces patrons de choc qui adorent jouer au tribun dans les réunions de cadres.
Je dis cela sans ironie. Sarkozy est moderne en ce qu'il parle aussi mal mais avec autant de conviction, de franchise et d'engagement personnel qu'un patron de PME qui n'a pas fait l'ENA et s'en félicite. C'est sans doute ce que ces deux jeunes femmes appréciaient chez lui. C'est aussi ce qui en exaspère plus d'un.
mardi, décembre 07, 2010
Que nous a appris Wikileaks?
Ai-je été le seul? J'ai bien aimé les révélations de Wikileaks. Et pour je crois de bonnes raisons. Les révélations du site nous ont, en fait, enseigné plein de choses. Dans le désordre :
- que la diplomatie sert à quelque chose. Si on se demandait à quoi elle servait, on a là une belle réponse : elle informe le pouvoir et de manière le plus souvent intelligente,
- que les diplomates américains travaillent et sont souvent aussi subtils que les meilleurs journalistes et bloggers,
- que les dirigeants américains que l'on accuse si souvent de provincialisme sont, en réalité, très bien informés de ce qui se passe à l'extérieur,
- que les puissances, toutes, les plus petites comme les plus grandes, n'hésitent pas à manipuler une Amérique qui n'a pas la liberté sur la scène internationale que l'on dit,
- que Barack Obama est un réaliste déguisé en gentil garçon : il veut bien négocier avec tout le monde mais a toujours un plan de rechange en préparation. Il est tout saut naïf!
- que les zones de friction se sont déplacées, que le Brésil et, surtout, la Chine posent aux Etats-Unis des problèmes nouveaux et réels,
- que l'Iran affole ses voisins arabes tout autant qu'Israël,
- que la maîtrise des technologies joue un rôle déterminant dans les relations internationales. Tout ce que l'on a appris de la bataille entre la France et les USA pour la vente d'avions de combats au Brésil porte sur son transfert : c'est à qui en donnera le moins,
- que beaucoup de décisions importantes se prennent derrière notre dos (comme celle qui concerne la livraison de pétrole à la Chine en provenance d'Arabie Saoudite pour l'inciter à modérer sa défense de l'Iran),
- que nos politiques, et c'est sans doute le plus important méritent mieux que l'image qu'on en a parfois : ils ne pensent pas forcément au court terme et s'intéressent aussi au long terme. Ils apparaissent dans ces cables souvent plus responsables qu'on le dit d'ordinaire.
- que la diplomatie sert à quelque chose. Si on se demandait à quoi elle servait, on a là une belle réponse : elle informe le pouvoir et de manière le plus souvent intelligente,
- que les diplomates américains travaillent et sont souvent aussi subtils que les meilleurs journalistes et bloggers,
- que les dirigeants américains que l'on accuse si souvent de provincialisme sont, en réalité, très bien informés de ce qui se passe à l'extérieur,
- que les puissances, toutes, les plus petites comme les plus grandes, n'hésitent pas à manipuler une Amérique qui n'a pas la liberté sur la scène internationale que l'on dit,
- que Barack Obama est un réaliste déguisé en gentil garçon : il veut bien négocier avec tout le monde mais a toujours un plan de rechange en préparation. Il est tout saut naïf!
- que les zones de friction se sont déplacées, que le Brésil et, surtout, la Chine posent aux Etats-Unis des problèmes nouveaux et réels,
- que l'Iran affole ses voisins arabes tout autant qu'Israël,
- que la maîtrise des technologies joue un rôle déterminant dans les relations internationales. Tout ce que l'on a appris de la bataille entre la France et les USA pour la vente d'avions de combats au Brésil porte sur son transfert : c'est à qui en donnera le moins,
- que beaucoup de décisions importantes se prennent derrière notre dos (comme celle qui concerne la livraison de pétrole à la Chine en provenance d'Arabie Saoudite pour l'inciter à modérer sa défense de l'Iran),
- que nos politiques, et c'est sans doute le plus important méritent mieux que l'image qu'on en a parfois : ils ne pensent pas forcément au court terme et s'intéressent aussi au long terme. Ils apparaissent dans ces cables souvent plus responsables qu'on le dit d'ordinaire.
mardi, novembre 30, 2010
La candidature de Ségolène Royal est-elle vraiment une mauvaise chose?
On voit bien toutes les bonnes raisons que l'on peut avoir de critiquer la candidature aux primaires socialistes de Ségolène Royal. Un dessin de Willem dans Libération de ce matin l'illustrait à merveille : un ring avec des boxeurs qui se battent à terre. Je ne suis cependant pas certain que cette candidature soit le problème que disent les observateurs. Les socialistes vont se battre? Bien sûr, c'est à cela que servent des primaires.
La multiplication des candidatures devrait forcer les candidats à travailler, à faire des propositions, à les affiner pour répondre aux critiques de leurs adversaires à gauche. On devrait voir se dessiner de grands écarts entre ceux qui, tel Hollande, s'inquiètent de la crise à venir et ceux qui mettent plutôt l'accent sur une réforme constitutionnelle, comme Montebourg, entre Dominique Strauss Khan et ceux qui voudront porter une parole de gauche à la Mélenchon. Ces débats qui resteront par force courtois (mieux vaut éviter d'insulter l'avenir) pourraient aider à construire un programme de gouvernement de qualité. On devrait voir s'étioler les programmes inconsistants qui multiplient les promesses allant dans tous les sens comme le projet sur l'égalité réelle nous en a donné un bel exemple.
Les observateurs pensent que c'est une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Je n'en suis pas si certain. La présence de Ségolène Royal devrait donner plus de poids à un processus qui menaçait de tomber dans des débats entre candidats qui n'avaient aucune chance de l'emporter. Les échanges entre socialistes vont prende de l'épaisseur, ils vont déporter le débat public vers la gauche, les idées développées au sein du PS vont occuper l'espace médiatique, avec un peu de chance elles se complèteront plus qu'elles ne se détruiront. Tous prendront en tout cas plaisir à taper sur l'adversaire principal : le candidat de droite.
Dans ce débat, Ségolène Royal a toute a place. Parce qu'elle a été candidate mais aussi et surtout parce qu'elle travaille. On peut, à juste titre, se moquer d'elle, mais elle a de l'imagination et du talent au même titre que d'autres. A-t-elle une chance de l'emporter? J'en doute. Trop de socialistes pensent que son équation personnelle a contribué à faire perdre la dernière élection personnelle, trop la jugent incontrolable pour la choisir. Mais peut-être le sait-elle…
La multiplication des candidatures devrait forcer les candidats à travailler, à faire des propositions, à les affiner pour répondre aux critiques de leurs adversaires à gauche. On devrait voir se dessiner de grands écarts entre ceux qui, tel Hollande, s'inquiètent de la crise à venir et ceux qui mettent plutôt l'accent sur une réforme constitutionnelle, comme Montebourg, entre Dominique Strauss Khan et ceux qui voudront porter une parole de gauche à la Mélenchon. Ces débats qui resteront par force courtois (mieux vaut éviter d'insulter l'avenir) pourraient aider à construire un programme de gouvernement de qualité. On devrait voir s'étioler les programmes inconsistants qui multiplient les promesses allant dans tous les sens comme le projet sur l'égalité réelle nous en a donné un bel exemple.
Les observateurs pensent que c'est une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Je n'en suis pas si certain. La présence de Ségolène Royal devrait donner plus de poids à un processus qui menaçait de tomber dans des débats entre candidats qui n'avaient aucune chance de l'emporter. Les échanges entre socialistes vont prende de l'épaisseur, ils vont déporter le débat public vers la gauche, les idées développées au sein du PS vont occuper l'espace médiatique, avec un peu de chance elles se complèteront plus qu'elles ne se détruiront. Tous prendront en tout cas plaisir à taper sur l'adversaire principal : le candidat de droite.
Dans ce débat, Ségolène Royal a toute a place. Parce qu'elle a été candidate mais aussi et surtout parce qu'elle travaille. On peut, à juste titre, se moquer d'elle, mais elle a de l'imagination et du talent au même titre que d'autres. A-t-elle une chance de l'emporter? J'en doute. Trop de socialistes pensent que son équation personnelle a contribué à faire perdre la dernière élection personnelle, trop la jugent incontrolable pour la choisir. Mais peut-être le sait-elle…
dimanche, novembre 28, 2010
Littérature gastronomique
Je n'avais pas mais alors pas du tout aimé les précédents livres de Houellebecq (voir ici). Je lis le dernier, La carte et le territoire, qui vient de recevoir le Goncourt. Agaçant, écrit à la façon d'un article de Paris-Match, mais intéressant. On y retrouve ce goût de l'auteur pour les écritures industrielles (catalogues, guides touristiques, manuels de management, mais aussi encyclopédie façon Wikipedia…) avec quelques perles comme ce passage où parler pour ne rien dire atteint des sommets qui m'enchantent : "Il n'y avait pas grand monde ce soir-là dans le restaurant, juste un couple coréen qui partit assez vite. Olga opta pour un gaspacho à l'aragula et un homard mi-cuit avec sa purée d'ignames, Jed pour une poêlée de Saint-Jacques simplement saisies et un soufflé de turbotin au carvi avec sa neige de passe-crassane. Au dessert Anthony vint les rejoindre, ceint de son tablier de cuisine, brandissant une bouteille de bas armagnac Castarède 1905. « Cadeau de la maison... » dit-il, essoufflé avant de remplir leurs verres. Selon le Rothenstein et Bowles, ce millésime envoûtait par son amplitude, sa noblesse et son panache. Le finale de pruneau et de rancio était l'exemple type d'une eau-de-vie rassise, longue en bouche, avec une dernière sensation de vieux cuir."
Comme souvent les restaurateurs qui écrivent leurs cartes, Houellebecq multiplie les mots sans référent ou qui, plutôt, font référence à des composants dont on n'a pas la moindre idée : qui sait que l'aragula (on dit aussi arugula) est de la roquette? que le carvi est un cousin du fenouil et de l'anis et que la passe-crassane est cette poire jaune que l'on trouve décorée d'un pointe de cire rouge. Quant à rancio c'est, semble-t-il, un mot du vocabulaire des oenologues qui évoque un goût doux et moelleux, vaguement madérisé utilisé pour décrire les liqueurs.
Rothenstein et Bowles fait penser à un guide des vins, genre Parker en plus raffiné mais je n'en ai pas trouvé trace (après une recherche sur Google, naturellement, ce livre est de ceux qu'on lit avec internet, c'est en cela qu'il est, malgré tout, moderne). Inventé par Houellebecq dans un de ces jeux où la multitplication des mots que l'on ne connait pas mais qui existent, des références à des personnages (Beidberger, Hirst…) ou des produits qui existent (Armagnac Castarède) l'autorisait à nous faire prendre pour vraies des fantaisies qu'il a imaginées.
Un peu plus loin dans le même chapitre, il nous apprend que Jean-Pierre Pernaut, dont il fait un cuisinier, a fait son coming out et déclaré à la télévision : "oui, j'aime David". Tout est un peu de cette eau qui n'est pas sans rappeler les jeux de l'oulipo ou, dans un regitre différent, ces peintures en trompe l'oeil qui révèlent, par un détail saugrenu, ce qu'elles sont.
On retrouve ce même jeu avec la vérité dans ses personnages, dont Houellebcq, cet écrivain antipathique (l'auteur, non pas celui qui signe le livre mais celui que décrivent les journalistes) auquel son personnage principal, Martin, va rendre visite (on apprend de la bouche de Beidbeger,autre personnage de fiction traité comme un sujet d'article de journal, qu'il est radin et qu'il acceptera d'écrire la préface de son catalogue s'il est assez bien payé, on découvre qu'il boit qu'il est dépressif, vaguement raciste, enfin déplaisant).
Comme souvent les restaurateurs qui écrivent leurs cartes, Houellebecq multiplie les mots sans référent ou qui, plutôt, font référence à des composants dont on n'a pas la moindre idée : qui sait que l'aragula (on dit aussi arugula) est de la roquette? que le carvi est un cousin du fenouil et de l'anis et que la passe-crassane est cette poire jaune que l'on trouve décorée d'un pointe de cire rouge. Quant à rancio c'est, semble-t-il, un mot du vocabulaire des oenologues qui évoque un goût doux et moelleux, vaguement madérisé utilisé pour décrire les liqueurs.
Rothenstein et Bowles fait penser à un guide des vins, genre Parker en plus raffiné mais je n'en ai pas trouvé trace (après une recherche sur Google, naturellement, ce livre est de ceux qu'on lit avec internet, c'est en cela qu'il est, malgré tout, moderne). Inventé par Houellebecq dans un de ces jeux où la multitplication des mots que l'on ne connait pas mais qui existent, des références à des personnages (Beidberger, Hirst…) ou des produits qui existent (Armagnac Castarède) l'autorisait à nous faire prendre pour vraies des fantaisies qu'il a imaginées.
Un peu plus loin dans le même chapitre, il nous apprend que Jean-Pierre Pernaut, dont il fait un cuisinier, a fait son coming out et déclaré à la télévision : "oui, j'aime David". Tout est un peu de cette eau qui n'est pas sans rappeler les jeux de l'oulipo ou, dans un regitre différent, ces peintures en trompe l'oeil qui révèlent, par un détail saugrenu, ce qu'elles sont.
On retrouve ce même jeu avec la vérité dans ses personnages, dont Houellebcq, cet écrivain antipathique (l'auteur, non pas celui qui signe le livre mais celui que décrivent les journalistes) auquel son personnage principal, Martin, va rendre visite (on apprend de la bouche de Beidbeger,autre personnage de fiction traité comme un sujet d'article de journal, qu'il est radin et qu'il acceptera d'écrire la préface de son catalogue s'il est assez bien payé, on découvre qu'il boit qu'il est dépressif, vaguement raciste, enfin déplaisant).
samedi, novembre 27, 2010
La déconstruction du modèle social européen
Tout occupés par les affaires françaises et la personnalité extravagante de Nicolas Sarkozy, nous en oublions presque de voir ce qui se trame autour de nous. Dans les réunions que les grandes banques organisent pour leur personnel dans les ambassades qu'elles louent (tout récemment celle d'Italie pour la BNP-Paribas, ce qui dit mieux que bien d'autre chose où est aujourd'hui le pouvoir) des économistes réputés expliquent que l'Euro est en très mauvaise forme, qu'on ne peut exclure le départ de l'Allemagne ou (version plus soft) celle des pays en grande difficulté. Ce qui affole, comme de juste, les banquiers. On pourrait, on devrait également, s'inquiéter de la manière dont les mesures d'austérité prises un peu partout en Europe, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Grèce, au Portugal, détricotent brutalement notre modèle social.
Pour la plupart de ces pays, tout cela peut être imputé à la crise, pour d'autres, comme la Grande-Bretagne, la lutte contre les déficits liés à la crise ne saurait cacher le projet profondément conservateur du pouvoir en place. Il y a dans toutes ces mesures d'austérité une forte dimension idéologique que souligne le rôle que joue la presse financière dans le déclenchement des bourrasques (voir ici le papier de Jean Quatremer, le correspondant de Libé à Bruxelles)
La France, pour l'instant, résiste. Parce que ses banques sont plus solides que d'autres, parce que la productivité de ses industries est bonne, parce qu'elle n'a pas connu de bulle immobilière même si les prix de l 'immobilier parisien sont devenus fous (les prix dans le reste de la France, dans les villes moyennes, n'ont pas progressé de manière extravagante) parce qu'enfin les organisations syndicales savent lorsque nécessaire montrer leurs muscles (même si l'on peut craindre que leur défaite en rase campagne lors de la réforme des retraites ne réduise ce pouvoir).
La réforme des retraites n'était que roupie de sansonnet à coté de ce que vivent nos voisins. Mais pourra-t-on longtemps conserver ce modèle s'il est démantelé chez nos voisins? Surtout si les marchés financiers commencent à douter de la France et pensent comme Nouriel Roubini que nos finances publiques ne sont pas "en bien meilleur état" que celles de pays surendettés comme la Grèce ou l'Irlande. Ce n'est pas certain. Ce l'est d'autant moins qu'il n'est pas nécessaire d'envisager le pire des scénarios pour voir ce modèle se déliter. Il suffirait que les Français perdent confiance dans la capacité de l'Etat à les protéger (de la maladie, de la vieillesse…) pour qu'ils adoptent des comportements qui aggravent les difficultés des institutions sociales (fuite devant l'impôt…). Rendre confiance en la capacité de l'Etat à assurer ses missions traditionnelles de protection sociale est dans ce contexte important. Le projet sur la prise en charge de la dépendance, s'il est bien mené, peut y contribuer.
Pour la plupart de ces pays, tout cela peut être imputé à la crise, pour d'autres, comme la Grande-Bretagne, la lutte contre les déficits liés à la crise ne saurait cacher le projet profondément conservateur du pouvoir en place. Il y a dans toutes ces mesures d'austérité une forte dimension idéologique que souligne le rôle que joue la presse financière dans le déclenchement des bourrasques (voir ici le papier de Jean Quatremer, le correspondant de Libé à Bruxelles)
La France, pour l'instant, résiste. Parce que ses banques sont plus solides que d'autres, parce que la productivité de ses industries est bonne, parce qu'elle n'a pas connu de bulle immobilière même si les prix de l 'immobilier parisien sont devenus fous (les prix dans le reste de la France, dans les villes moyennes, n'ont pas progressé de manière extravagante) parce qu'enfin les organisations syndicales savent lorsque nécessaire montrer leurs muscles (même si l'on peut craindre que leur défaite en rase campagne lors de la réforme des retraites ne réduise ce pouvoir).
La réforme des retraites n'était que roupie de sansonnet à coté de ce que vivent nos voisins. Mais pourra-t-on longtemps conserver ce modèle s'il est démantelé chez nos voisins? Surtout si les marchés financiers commencent à douter de la France et pensent comme Nouriel Roubini que nos finances publiques ne sont pas "en bien meilleur état" que celles de pays surendettés comme la Grèce ou l'Irlande. Ce n'est pas certain. Ce l'est d'autant moins qu'il n'est pas nécessaire d'envisager le pire des scénarios pour voir ce modèle se déliter. Il suffirait que les Français perdent confiance dans la capacité de l'Etat à les protéger (de la maladie, de la vieillesse…) pour qu'ils adoptent des comportements qui aggravent les difficultés des institutions sociales (fuite devant l'impôt…). Rendre confiance en la capacité de l'Etat à assurer ses missions traditionnelles de protection sociale est dans ce contexte important. Le projet sur la prise en charge de la dépendance, s'il est bien mené, peut y contribuer.
jeudi, novembre 25, 2010
NIcolas Sarkozy n'a ni fils (spirituel) ni maréchaux…
Je ne sais pas s'il existe un mot pour désigner un père qui n'a pas de fils mais c'est, d'après Thierry Desjardins, le cas de Nicolas Sakozy : "Tous ses prédécesseurs avaient des amis (plus ou moins sûrs, parfois), des fidèles (souvent inconditionnels), des lieutenants ou des maréchaux qui leur servaient de gardes du corps dans toutes les batailles et qu’ils pouvaient toujours envoyer au feu. Chirac avait ou avait eu Juppé, Balladur, Villepin, Toubon, Pasqua, Debré, Allio-Marie, par exemple. Mitterrand avait eu Mauroy, Fabius, Bérégovoy, Dumas, Jospin, Charasse, etc. Des « pointures », de différentes tailles mais auxquelles ils pouvaient confier des ministères, voire même des missions importantes sans être totalement ridicules et sans avoir besoin d’aller piocher, au hasard, chez les gens d’en face. Quels sont les maréchaux de Sarkozy ? On cherche et on trouve : Hortefeux, Frédéric Lefebvre, Nadine Morano !" C'est bien vu.
La haine à droite…
Alain Duhamel s'interroge, ce matin, dans Libération sur la haine à droite (La haine, maladie génétique de la droite). Il rappelle qu'elle a touché tous les dirigeants de droite de la cinquième République, de De Gaulle à Nicolas Sarkozy en passant par Pompidou, Giscard, Balladur et Chirac. Il l'oppose aux conflits d'ambition qui restent mesurés à gauche et il attribue cette différence aux conceptions du pouvoir : "Le pouvoir représente (à gauche) à la fois un but et un remords perpétuel. A droite, il est vécu comme un apanage naturel, comme l'héritage que l'on s'arrache. A gauche, le pouvoir attire et intimide. A droite, il se consomme goulûment."
Il me semble que 'on peut donner une autre explication.
Les quelques exemples de haine à droite semblent tenir à deux facteurs : à la colère durable que suscite le sentiment d'avoir été trahi (cas de Gaulle et des partisans de l'Algérie française, cas de Chirac et Balladur) et au ressentiment que ressent celui qui se se sent méprisé (cas de Chirac et Sarkozy face à Giscard et Villepin). Quand les deux se mêlent, comme dans le cas de Chirac et Giscard, la haine peut durer des décennies.
S'il y a à gauche moins de haine, c'est que le mépris d'autrui y est plus rare (il y a en tout cas moins de mépris de classe ne serait-ce que pour des raisons idéologiques) et les trahisons (qui ne sont pas moins fréquentes) y prennent une autre forme. L'homme de gauche qui trahit se range à droite et devient un adversaire politique et la concurrence se règle dans les urnes. Celui qui trahit à droite ne change, en général, pas de camp : le conflit ne se règle donc plus à la loyale devant les électeurs mais en sous-mains, derrières les rideaux, à coups de poignards, de dénonciations anonymes et autres vilenies.
Il me semble que 'on peut donner une autre explication.
Les quelques exemples de haine à droite semblent tenir à deux facteurs : à la colère durable que suscite le sentiment d'avoir été trahi (cas de Gaulle et des partisans de l'Algérie française, cas de Chirac et Balladur) et au ressentiment que ressent celui qui se se sent méprisé (cas de Chirac et Sarkozy face à Giscard et Villepin). Quand les deux se mêlent, comme dans le cas de Chirac et Giscard, la haine peut durer des décennies.
S'il y a à gauche moins de haine, c'est que le mépris d'autrui y est plus rare (il y a en tout cas moins de mépris de classe ne serait-ce que pour des raisons idéologiques) et les trahisons (qui ne sont pas moins fréquentes) y prennent une autre forme. L'homme de gauche qui trahit se range à droite et devient un adversaire politique et la concurrence se règle dans les urnes. Celui qui trahit à droite ne change, en général, pas de camp : le conflit ne se règle donc plus à la loyale devant les électeurs mais en sous-mains, derrières les rideaux, à coups de poignards, de dénonciations anonymes et autres vilenies.
mardi, novembre 23, 2010
Colère ou désarroi?
Les premiers commentaires journalistiques sur les propos de Nicolas Sarkozy à Lisbonne (journaliste pédophile) insistaient sur la colère du Président. Libération a mis sur internet l'enregistrement de son monologue devant les journalistes. On y entend le désarroi de quelqu'un qui donne le sentiment de ne savoir comment réagir à des attaques qu'il juge injustes. Pris dans un piège dont il n'arrive à sortir, il ne se contente pas de démentir, il tente de mettre en difficulté les journalistes qu'il traite en adversaires, il cherche à les forcer au silence en usant d'un mélange inédit de violence et de plainte. Il se présente comme la victime d'un acharnement injuste. Sans doute espère-t-il que les Français, lassés de ces attaques, se retourneront contre la presse?
Est-ce la meilleure stratégie? Il serait certainement plus simple de donner au juge (et aux parlementaires) la possibilité de consulter tous les documents qu'il souhaite, de répondre à ses questions, à toutes ses questions. Encore faudrait-il que Nicolas Sarkozy ait une stratégie. Ce dont je doute. Il donne, dans ce soliloque pitoyable, l'impression l'impression d'improviser. On ne croit pas un instant qu'il puisse réagir ainsi par calcul. Dans son ressassement qui n'en finit pas, cette espèce de geignardise violente sonne bizarrement juste. On a l'impression qu'il s'est toute sa vie comporté comme cela face à l'adversité, que c'est sa nature profonde qui parle.
Est-ce la meilleure stratégie? Il serait certainement plus simple de donner au juge (et aux parlementaires) la possibilité de consulter tous les documents qu'il souhaite, de répondre à ses questions, à toutes ses questions. Encore faudrait-il que Nicolas Sarkozy ait une stratégie. Ce dont je doute. Il donne, dans ce soliloque pitoyable, l'impression l'impression d'improviser. On ne croit pas un instant qu'il puisse réagir ainsi par calcul. Dans son ressassement qui n'en finit pas, cette espèce de geignardise violente sonne bizarrement juste. On a l'impression qu'il s'est toute sa vie comporté comme cela face à l'adversité, que c'est sa nature profonde qui parle.
"Amis pédophiles, à demain" (Nicolas Sarkozy)
Si l'on en croit Mediapart, qui cite quatre journalistes présents, Nicolas Sarkozy a "pèté les plombs" à Lisbonne, s'en prenant violemment à un journaliste qui l'interrogeait sur l'affaire Karachi et, plus précisément, sur la présence de nom dans plusieurs documents : "Qui vous a dit ça? Vous avez eu accès au dossier? Charles Millon a une intime conviction. Et si moi j'ai l'intime conviction que vous êtes pédophile? Et que je le dis en m'appuyant sur des documents que je n'ai pas vus…" Il serait sorti de la réunion en disant :"Amis pédophiles, à demain!"
Que cette scène se soit passée à Lisbonne, en plein milieu d'une réunion internationale (le sommet de l'OTAN) devant une trentaine de journalistes, en dit sans doute beaucoup sur l'inquiétude du pouvoir devant cette affaire, sur la tension qu'elle a créé au sommet de l'Etat. Il est vrai qu'il s'agit d'une affaire différente de toutes les autres parce qu'il y a eu mort d'hommes et qu'il parait plus difficile de réduire au silence des familles que l'on mène en bateau depuis des années que des fonctionnaires ou des politiques dont on peut toujours acheter le silence avec une promotion.
Je ne sais pas si cette information sera reprise dans la presse nationale. Peut-être la rangera-t-on au rayon des colères présidentielles, reste qu'elle inquiète : un Président capable de perdre son sang-froid en public, devant des journalistes dont il peut deviner qu'ils reprendront ses propos, même s'ils sont en off, est capable d'à peu près n'importe quoi, d'envoyer, par exemple, comme on l'en a accusé à mi-mot, des gros bras inquiéter des témoins gênants (toujours dans l'affaireKarachi). Et même s'il n'a rien à voir dans les cambriolages de journalistes et autres "bizarreries" de ces dernières semaines, son comportement rend plausibles ces dérives. Or, en politique, le plausible suffit souvent à faire une opinion.
Que cette scène se soit passée à Lisbonne, en plein milieu d'une réunion internationale (le sommet de l'OTAN) devant une trentaine de journalistes, en dit sans doute beaucoup sur l'inquiétude du pouvoir devant cette affaire, sur la tension qu'elle a créé au sommet de l'Etat. Il est vrai qu'il s'agit d'une affaire différente de toutes les autres parce qu'il y a eu mort d'hommes et qu'il parait plus difficile de réduire au silence des familles que l'on mène en bateau depuis des années que des fonctionnaires ou des politiques dont on peut toujours acheter le silence avec une promotion.
Je ne sais pas si cette information sera reprise dans la presse nationale. Peut-être la rangera-t-on au rayon des colères présidentielles, reste qu'elle inquiète : un Président capable de perdre son sang-froid en public, devant des journalistes dont il peut deviner qu'ils reprendront ses propos, même s'ils sont en off, est capable d'à peu près n'importe quoi, d'envoyer, par exemple, comme on l'en a accusé à mi-mot, des gros bras inquiéter des témoins gênants (toujours dans l'affaireKarachi). Et même s'il n'a rien à voir dans les cambriolages de journalistes et autres "bizarreries" de ces dernières semaines, son comportement rend plausibles ces dérives. Or, en politique, le plausible suffit souvent à faire une opinion.
vendredi, novembre 19, 2010
Crise du management à la Journée Mondiale de Philosophie
Le texte de mon intervention à la Journée mondiale de philosophie, hier, 18 novembre, à l'UNESCO.
lundi, novembre 15, 2010
La "baffe" aux centristes, un coup de pouce pour DSK?
Hasard du calendrier, Dominique Strauss-Khan était ce matin à Paris, il parlait sur France Inter, alors que les éditorialistes racontaient l'amertume des centristes. Hasard heureux. Dominique Strauss-Khan a pu en profiter pour peaufiner, par petites touches et l'air de rien, son image d'un présidentiable de gauche centro-compatible. Ce remaniement qui libère Nicolas Sarkozy du souci de gérer au quotidien les questions nationales donne de l'air à Dominique Strauss-Khan. Plus la gauche du parti le critiquera et plus les centristes lui trouveront de charme. Comme la gauche de la gauche, les Hamon, Mélenchon et compagnie n'auront in fine pas d'autre choix que de voter pour lui s'il est choisi par le PS, Nicolas Sarkozy vient de faire un beau cadeau à un adversaire qu'il va rencontrer sur la scène internationale où il lui sera difficile de le contrer tant DSK y parait à l'aise.
Tout ça pour ça? Oui, mais…
Les commentateurs politiques sont ce matin très sévères avec ce remaniement politique : très à droite, un air de 4ème République, la revanche de Fillon, le retour de l'Etat RPR reviennent en boucle. Je serais bien moins sévère. Si l'on y regarde de près, Nicolas Sarkozy a éliminé tous les boulets de son gouvernement : Eric Woerth pris dans l'affaire Bettencourt, les représentantes de la diversité qui n'hésitaient pas à afficher leurs états d'âme, les indécis (à la Morin) et les incompétents (à la Kouchner), les traitres (Besson n'a pas disparu mais il n'aura plus à jouer le rôle de Iago (ou si l'on préfère de Laval) à chacune de ses interventions télévisées) et les insignifiants (comme Boeckel). Ce nouveau gouvernement réunit des gens de droite sans complexes, des professionnels qui tiennent leur langue et savent diriger un ministère. Les électeurs de droite n'attendaient pas autre chose comme nous le répète régulièrement Thierry Desjardins. Ce gouvernement solide quoique un peu terne, conservateur mais pas réactionnaire, ne fait certainement pas rêver, mais il n'a besoin d'aucun rodage et il devrait laisser Nicolas Sarkozy libre d'arpenter la scène internationale sans être rappelé à tout moment sur la scène nationale. A deux ans de la présidentielle, il ne lui en demande sans doute pas plus.
mercredi, novembre 10, 2010
Egalité réelle, pauvreté conceptuelle…
Le parti socialiste vient donc de publier le texte de sa convention sur l'égalité réelle. On sait que ce texte réputé "de gauche", puisque proposé par Benoit Hamon, a été critiqué sur "sa droite", puisque par Valls, Hollande et Moscovici. Catégories qui ne veulent évidemment pas dire grand chose. Ce texte est surtout médiocre.
Véritable fourre-tout qui mélange les questions d'éducation et celles de distribution d'eau (en quoi cette question a-t-elle un rapport avec l'égalité?), ce texte nous éclaire plus sur les jeux d'influence au sein du PS, sur le poids des enseignants et des élus locaux (d'où ces longs développements sur l'école - presque 20% du texte -, les transports et la distribution d'eau), sur la montée en puissance des thèmes écologiques (développements sur les inégalités environnementales) que sur ce que pourrait être cette "égalité réelle".
Ce document fait de bric et broc, addition des propositions des uns et des autres, semble en fait combiner plusieurs conceptions de l'égalité :
- l'égalité des chances et des capacités surtout recherchée par l'éducation (d'où cette définition : "être égaux, c’est disposer de la même liberté de choix"),
- l'égalité des revenus approchée par l'augmentation du salaire minimun et une fiscalité plus redistributive,
- l'égalité du bien-être recherchée avec une politique du loisir (temps de travail), de la santé, du logement,
- égalité des droits avec la lutte contre les discriminations mais aussi la création de nouveaux droits (droit à la qualification professionnelle, à la mobilité).
Désordre conceptuel qui donne une bonne image du flou des idées dans lequel vit le PS. D'où le sentiment que certaines de ces propositions pourraient rapidement devenir contradictoires. La seule chose rassurante est que rien de tout cela n'étant financé (le texte fait allusion à la création de marges de manoeuvre, manière on ne peut plus dilatoire de renvoyer à plus tard ce qui peut poser problème), il faudra bien un jour faire des choix.
Ce texte dénonce et condamne naturellement la montée des inégalités avec un bizarre détour par les Etats-Unis (l'espérance de vie des plus pauvres y aurait, d'après une étude citée sans référence reculé de 16 mois), mais ne nous propose aucune analyse de cette montée (est-elle aussi grave en France qu'aux Etats-Unis? a-t-elle les mêmes origines? si nous y avons mieux résisté que d'autres, pourquoi?) et ne nous dit rien de son impact sur la croissance, thème qui serait certainement bien plus convaincant que le rappel de l'attachement des Français à la valeur égalité, cliché qu'il serait utile de vérifier.
Véritable fourre-tout qui mélange les questions d'éducation et celles de distribution d'eau (en quoi cette question a-t-elle un rapport avec l'égalité?), ce texte nous éclaire plus sur les jeux d'influence au sein du PS, sur le poids des enseignants et des élus locaux (d'où ces longs développements sur l'école - presque 20% du texte -, les transports et la distribution d'eau), sur la montée en puissance des thèmes écologiques (développements sur les inégalités environnementales) que sur ce que pourrait être cette "égalité réelle".
Ce document fait de bric et broc, addition des propositions des uns et des autres, semble en fait combiner plusieurs conceptions de l'égalité :
- l'égalité des chances et des capacités surtout recherchée par l'éducation (d'où cette définition : "être égaux, c’est disposer de la même liberté de choix"),
- l'égalité des revenus approchée par l'augmentation du salaire minimun et une fiscalité plus redistributive,
- l'égalité du bien-être recherchée avec une politique du loisir (temps de travail), de la santé, du logement,
- égalité des droits avec la lutte contre les discriminations mais aussi la création de nouveaux droits (droit à la qualification professionnelle, à la mobilité).
Désordre conceptuel qui donne une bonne image du flou des idées dans lequel vit le PS. D'où le sentiment que certaines de ces propositions pourraient rapidement devenir contradictoires. La seule chose rassurante est que rien de tout cela n'étant financé (le texte fait allusion à la création de marges de manoeuvre, manière on ne peut plus dilatoire de renvoyer à plus tard ce qui peut poser problème), il faudra bien un jour faire des choix.
Ce texte dénonce et condamne naturellement la montée des inégalités avec un bizarre détour par les Etats-Unis (l'espérance de vie des plus pauvres y aurait, d'après une étude citée sans référence reculé de 16 mois), mais ne nous propose aucune analyse de cette montée (est-elle aussi grave en France qu'aux Etats-Unis? a-t-elle les mêmes origines? si nous y avons mieux résisté que d'autres, pourquoi?) et ne nous dit rien de son impact sur la croissance, thème qui serait certainement bien plus convaincant que le rappel de l'attachement des Français à la valeur égalité, cliché qu'il serait utile de vérifier.
mardi, novembre 09, 2010
Remaniement : une décision qui comptera bien au delà des années Sarkozy
Ce remaniement ministériel qui n’en finit pas de se faire attendre nous renvoie aux difficultés qu’a Nicolas Sarkoy, toujours si rapide à prendre des décisions, à trancher lorsqu’il s’agit de relations humaines, mais aussi à un phénomène assez fréquent : l’indécision en politique. On se souvient de la manière dont François Mitterrand avait balancé en 1983, entre Pierre Mauroy, la rigueur et l’Europe et ceux qui lui recommandaient la sortie du serpent européen. L’attente avait duré plusieurs jours.
Difficile de dire ce qui dans cette indécision relève d’une faiblesse de caractère que l’on a déjà observée chez un homme qui se vante de toujours agir vite (voir, par exemple, ici même L’étrange faiblesse de Nicolas Sarkozy) ou d’une véritable hésitation sur le choix d’une stratégie.
A première vue, il s’agit pour Nicolas Sarkozy de choisir entre deux manières de faire de la politique pendant le reste de son mandat : accentuer le tournant de la rigueur avec François Fillon ou tenter une séquence plus sociale (quoique cela puisse vouloir dire) avec Borloo ou un autre. Sachant qu’il lui serait difficile de changer de politique sans se déjuger tant il s’est déporté sur sa droite, alors même qu’il lui faudrait probablement en changer pour aborder la prochaine élection présidentielle avec une image réparée dans l’opinion.
Mais c’est aussi pour Nicolas Sarkozy qui n’est certainement pas aussi sourd qu’on veut bien le dire au rejet de l’opinion, décider du rôle du premier minitre. Garder Fillon, qui a accepté d’avaler toutes les couleuvres qu’on lui proposait, lui permettrait de continuer de jouer au Président omnipotent. Le remplacer serait prendre le risque de se voir relégué au rôle de roi fainéant que Jacques Chirac, le contre-modèle absolu, a, à l’entendre, si longtemps occupé. Ce serait donc une nouvelle fois se déjuger.
Il pourrait tenter d'échapper à ce dilemme en nommant un homme “neuf” (ce qu’avaient fait en leur temps De Gaulle avec Pompidou, Giscard avec Barre et Mitterrand avec Fabius) qui lui permettrait d’infléchir sa politique tout en gardant la main au moins pendant quelques mois, mais à qui confier ce rôle? On parle beaucoup de Baroin. Il a le défaut de ne pas être un Sarkoziste historique. Mais Sarkozy n’a jamais détesté les transfuges qui lui doivent leur position (Baroin a longtemps été considéré comme chiraquien).
Cette séquence ne sera pas sans conséquence sur la suite : la désorganisation du gouvernement, les batailles souterraines, les déceptions de ceux qui ne seront pas retenus alors qu’on leur avait promis ou laissé entendre quelque chose risquent de pousser certains vers la recherche plus ou moins avouée d’une alternative à droite qui pourrait prendre plusieurs formes (candidature personnelle, soutien en sous-main de candidatures fratricides, rapprochement avec Dominique de Villepin). Mais l'important est sans doute ailleurs.
Nicolas Sarkozy est le premier président à vraiment tester le quinquennat et son rythme très particulier. Sa décision pourrait avoir des conséquences bien au delà de son sort personnel. S’il maintient Fillon, il affaiblit un peu plus pour l’avenir, et indépendamment des personnalités des acteurs aujourd’hui en place, le Premier Ministre cantonné à un rôle d’intendant. S’il le remplace, il lui rend un peu de son lustre. La manière dont les institutions fonctionneront dans les années qui viennent dépendent donc du choix qu’il va faire.
Difficile de dire ce qui dans cette indécision relève d’une faiblesse de caractère que l’on a déjà observée chez un homme qui se vante de toujours agir vite (voir, par exemple, ici même L’étrange faiblesse de Nicolas Sarkozy) ou d’une véritable hésitation sur le choix d’une stratégie.
A première vue, il s’agit pour Nicolas Sarkozy de choisir entre deux manières de faire de la politique pendant le reste de son mandat : accentuer le tournant de la rigueur avec François Fillon ou tenter une séquence plus sociale (quoique cela puisse vouloir dire) avec Borloo ou un autre. Sachant qu’il lui serait difficile de changer de politique sans se déjuger tant il s’est déporté sur sa droite, alors même qu’il lui faudrait probablement en changer pour aborder la prochaine élection présidentielle avec une image réparée dans l’opinion.
Mais c’est aussi pour Nicolas Sarkozy qui n’est certainement pas aussi sourd qu’on veut bien le dire au rejet de l’opinion, décider du rôle du premier minitre. Garder Fillon, qui a accepté d’avaler toutes les couleuvres qu’on lui proposait, lui permettrait de continuer de jouer au Président omnipotent. Le remplacer serait prendre le risque de se voir relégué au rôle de roi fainéant que Jacques Chirac, le contre-modèle absolu, a, à l’entendre, si longtemps occupé. Ce serait donc une nouvelle fois se déjuger.
Il pourrait tenter d'échapper à ce dilemme en nommant un homme “neuf” (ce qu’avaient fait en leur temps De Gaulle avec Pompidou, Giscard avec Barre et Mitterrand avec Fabius) qui lui permettrait d’infléchir sa politique tout en gardant la main au moins pendant quelques mois, mais à qui confier ce rôle? On parle beaucoup de Baroin. Il a le défaut de ne pas être un Sarkoziste historique. Mais Sarkozy n’a jamais détesté les transfuges qui lui doivent leur position (Baroin a longtemps été considéré comme chiraquien).
Cette séquence ne sera pas sans conséquence sur la suite : la désorganisation du gouvernement, les batailles souterraines, les déceptions de ceux qui ne seront pas retenus alors qu’on leur avait promis ou laissé entendre quelque chose risquent de pousser certains vers la recherche plus ou moins avouée d’une alternative à droite qui pourrait prendre plusieurs formes (candidature personnelle, soutien en sous-main de candidatures fratricides, rapprochement avec Dominique de Villepin). Mais l'important est sans doute ailleurs.
Nicolas Sarkozy est le premier président à vraiment tester le quinquennat et son rythme très particulier. Sa décision pourrait avoir des conséquences bien au delà de son sort personnel. S’il maintient Fillon, il affaiblit un peu plus pour l’avenir, et indépendamment des personnalités des acteurs aujourd’hui en place, le Premier Ministre cantonné à un rôle d’intendant. S’il le remplace, il lui rend un peu de son lustre. La manière dont les institutions fonctionneront dans les années qui viennent dépendent donc du choix qu’il va faire.
dimanche, novembre 07, 2010
La défaite d'Obama et la philosophie morale
Tout comme la contestation des retraites en France a suscité l'incompréhension à l'étranger, l'échec d'Obama lors de ces élections de mi-mandat a surpris de ce coté-ci de l'Atlantique. Et plus que cet échec, les motifs avancés par de nombreux observateurs pour l'expliquer.
Nous comprenons très bien que les difficultés économiques, la montée du chômage, la déception des éleveurs démocrates, la volonté de revanche des républicains battus lors des dernières élections présidentielles, les financements massifs de la droite aient contribué à l’échec des démocrates. Chez nous aussi les élections à mi-mandat sont une occasion de corriger un vote, Mitterrand, Chirac et Sarkozy en ont tous trois fait l'expérience, mais nous ne comprenons plus lorsqu’on nous dit que la réforme de la santé a poussé beaucoup d’électeurs dans les bras de la droite. Cela nous parait absurde alors même que cette réforme doit apporter une protection à des millions d'Américains qui n'en ont pas.
On nous dit que cette loi a été mal conçue. Ses adversaires ont beaucoup insisté sur sa complexité, sur ses centaines de pages… mais c’est le lot de tous les textes qui ne passent qu'après de longues négociations. Ce qui nous surprend, c'est que le principe même d’une assurance santé universelle ait été critiquée et ceci, apparemment, dans toutes les couches de la société. Que des riches s'opposent à une réforme qui risque de leur coûter un peu d'argent, nous le concevons même si cela nous choque, mais que des gens modestes susceptibles de profiter de cette réforme s'y opposent également nous parait complètement incompréhensible.
Qu'en conclure sinon que nous n'avons pas les mêmes normes morales, que nous n'envisageons pas de la même manière nos responsabilités, tant ce qui relève de notre propre responsabilité personnelle que de ce qui relève de notre responsabilité à l'égard d'autrui.
Nous avons tendance en Europe à attribuer les critiques les plus virulentes de cette réforme à une droite populiste un peu débile comme ces candidates du tea party qui ont tenu des propos absurdes et idiots, mais, et c'est plus troublant, on trouvait les mêmes idées développées de manière tout à fait rationnelle dans les pages opinion du Wall Street Journal rédigées par des gens qui n'ont rien d'imbéciles. Ce qui me fait penser, qu'au delà des insultes et excès de la campagne électorale (on a parlé de socialisme, de nazisme, de totalitarisme, d'eugénisme), ces critiques n’ont fait que prolonger le débat sur les rôles respectifs de l'individu et de la société qui occupe depuis le début des années 70 les départements de philosophie politique et de philosophie morale des universités américaines, depuis, en fait la publication, en 1971, du très célèbre Une théorie de la justice de John Rawls, et, en 1974, d'Anarchie, Etat et Utopie de Richard Nozick.
Ces deux auteurs sont aujourd'hui morts mais ils ont suscité toute une littérature toujours vivante qui tente de définir la place de la responsabilité individuelle dans la société et qui oppose ceux pour lesquels nous avons une certaine responsabilité à l'égard d'autrui et ceux pour lesquels nous sommes complètement responsables de notre sort et de cela seulement. Si nous sommes pauvres, c'est, à leurs yeux, de notre faute… Ce qui veut dire que nous n’avons aucun motif, aucune raison d’attendre quoi que ce soit de la société. Dès lors que nous sommes pleinement responsables, elle n’a aucune obligation à notre égard.
On peut naturellement décliner ce raisonnement de mille manières, si nous attrapons un cancer des poumons parce que nous fumons, nous n'avons qu'à nous en prendre à nous même, et s’il faut nous soigner, c’est à nous payer les frais médicaux pas à la collectivité. On peut même le pousser très loin : pour les libertariens, c'est-à-dire pour les auteurs proches de Nozick (mais pas pour Nozick qui fait la différence), notre responsabilité individuelle s'étend même aux cas où nous sommes dans l'impossibilité de contrôler ce qui nous arrive. Si une catastrophe naturelle s'abat sur nous, les autres n'ont aucune obligation de venir à notre secours. Rien ne justifie que l'on collecte des impôts pour corriger les effets d'une catastrophe naturelle. C'est à chacun de se prendre en charge. On pense à ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans…
Ces idées imprègnent, semble-t-il, très profondément la société américaine. Les gens ne veulent pas payer des impôts qui financent les services sociaux parce qu’ils veulent garder pour eux leur argent mais aussi parce qu’ils pensent que les autres ne le méritent pas, n’y ont pas droit. L'actualité est remplie d'informations qui montrent l’impact de ces thèses sur les comportements. Il y a quelques semaines un habitant d’une commune rurale du Tennessee, un certain Cranick, s’est vu refuser l’intervention des pompiers parce qu’il n’avait pas payé la contribution incendie de 75$ par an que demande la municipalités. Les pompiers sont restés pendant des heures les bras croisés devant sa maison qui brûlait, ils ne sont intervenus que lorsque la maison du voisin, qui avait, lui, payé les 75$, a pris feu. Ils n’ont rien fait pour protéger celle des Cranick.
Cet incident a fait tout le tour de la presse américaine et a beaucoup choqué, mais le plus étonnant est que les autorités locales, bien loin de condamner le comportement des pompiers l’ont justifié. Et leurs arguments ont été repris par Glenn Beck, l’un des journalistes de droite les plus en vue aux Etats-Unis.
Tout cela est bien sûr absurde… Ce l’est d’autant plus que le feu s’est, comme on pouvait le prévoir, étendu aux maisons voisines dont les propriétaires avaient, eux, payé leur cotisation. Mais cela entre bien dans cette logique des libertariens pour lesquels nous sommes absolument responsables de ce qui nous arrive. C’est une conclusion naturelle de leur raisonnement.
Ce n’est pas la seule : si on ne peut nous tenir responsables que de ce qui nous arrive et pas de ce qui arrive aux autres, la notion d’irresponsabilité n’a plus beaucoup de sens. On peut donc considérer comme responsables de leurs actes des gens dont nous jugeons, de ce coté-ci de l’Atlantique, qu’ils ne le sont pas : fous, gens qui souffrent de déficience mentale mais aussi enfants. Il y a quelques jours, c’était à la fin octobre, un juge de New-York, et non pas d'une lointaine commune rurale, a accepté que des poursuites soient engagées contre une petite fille de quatre ans qui avait provoqué, avec sa bicyclette, la chute mortelle d’une dame de 87 ans. Ce qui veut dire qu'il l'a jugée d'âge à être tenue pour responsable de ses actes.
C’est délirant. Mais ce qui l’est plus encore, ce sont quelques uns des commentaires des lecteurs de ces articles. Le New-York Times en a publié cinq, deux critiquent le juge, deux l’approuvent expliquant que les enfants sur les trottoirs sont un danger pour les personnes âgées, ce qui est vrai, et le cinquième raconte qu’il est arrivé la même histoire à sa mère, renversée par une petite fille de cinq ans. Les médecins qui sont intervenus ont voulu qualifier l’incident d’homicide, c’est la famille de la victime qui a insisté pour qu’il soit considéré comme un accident. Ce juge dont la décision nous parait absurde n’est donc pas totalement isolé.
J’ajouterai qu’il a du justifier sa décision. Il l’a fait en citant des décisions prises dans les années 20. Ce qui suppose une longue recherche pour aboutir à ce résultat grotesque. Mais on peut supposer qu’il n’a entrepris ces recherches que pour découvrir de quoi faire poursuivre cette enfant.
Cette affaire d’incendie, ce juge qui accepte de poursuivre une enfant ne sont bien sûr que des exceptions… mais des histoires de ce type reviennent constamment dans la presse américaine. Ces condamnés à mort dont on nous dit qu’ils le QI d’un enfant de 8 ans et qu’on exécute qui reviennent si régulièrement dans l'actualité en sont d'autres exemples.
Tous les philosophes ne sont évidemment pas sur ces positions extrêmes, mais les libertariens ont influencé beaucoup d’auteurs et, notamment, tous les théoriciens de ce que l’on appelle le luck egalitarianism (Dworkin, Cohen, Arneson, Roemer…), l’égalitarisme de la chance, qui tentent de concilier cette responsabilité étendue et le souci d’égalité et qu’on aurait plutôt tendance à ranger du coté des progressistes, des libéraux (pour une analyse allant dans ce sens, voir Barry). Ils expliquent que la collectivité a pour mission de corriger les inégalités produites par le manque de chance mais celles-là seulement… A les entendre donc la collectivité n’aurait donc pas vocation à financer les soins d’un homme atteint d’une cirrhose du foie attrapée à force de boire…
On se souvien qu’il y a eu en Grande-Bretagne des débats du même type sur certains cancers produits par le tabac et l’alcool… On trouve dans la littérature médicale anglo-saxonne des articles qui s’interrogent sur la responsabilité des patients atteints de certains cancers dans leur maladie. De là à refuser les soins à des patients qui ne cessent pas, par exemple, de fumer, il n’y a qu’un pas que personne n’a à ma connaissance encore franchi, mais on est bien dans cette logique qu’ont développée ces théoriciens. J'ajouterai que ce qui nous choque lorsque l’on parle de santé nous étonne moins dans d’autres domaines. Or, c’est bien le même raisonnement qui sous-tend toutes les réformes qui tendent à réserver les aides sociales à ceux qui le méritent, c’est-à-dire à ceux qui ont vraiment manqué de chance dans leur vie. Ce sont des raisonnements de ce type qui ont conduit à durcir les conditions d’attribution des allocations chômage : il faut prouver que l’on a cherché effectivement un emploi et qu’on n’en a pas trouvé.
On retrouve, d’ailleurs, dans les textes qui traitent de ces questions des références aux auteurs que je citais à l'instant. Ce qui me fait dire qu’il y a continuité entre ces débats académiques et l’opposition à la réforme de la santé telle que le mouvement du Tea Party l’a justifiée. Ce lien se manifeste dans la personnalité de ceux qui sont à l’origine de ce mouvement, je pense notamment Ron Paul, l’un des avocats les plus connus du mouvement libertarien, qui a été à plusieurs reprises candidat aux élections présidentielles
En fait, ces idées sont très vite sorties du champ universitaire. Elles ont imprégné la culture populaire. On les retrouve régulièrement exposées dans des romans de science-fiction, dans des articles de presse, des éditoriaux. La littérature managériale en est complètement nourrie. Quand on lit les récits de réussite d’industriels, de capitalistes on retrouve des idées qui se sont d’autant plus facilement imposée qu’elles entrent en résonance avec des discours religieux, issus du protestantisme et, notamment, du calvinisme qui renvoient à l’individu la responsabilité de ce qui lui arrive…
Dire que les Américains sont aveugles aux différences d'opportunités serait absurdes. Ils les connaissent bien mais beaucoup pensent que l’égalité des chances est une réalité dans leur société grâce, notamment, à toutes les mesures de discrimination positive qui visent à corriger les inégalités.
Obama aurait perdu ses élections du fait des difficultés économiques, mais la droite la plus extrême n’a pu donner le ton à cette campagne, que parce que cette idéologie de la responsabilité personnelle étendue a profondément pénétré la société américaine. On peut simplement espérer que ses excès convaincront les électeurs de revenir à des positions plus raisonnables.
PS Arthur Goldhammer me signale un très intéressant papier de trois de ses collègues d'Harvard sur les adversaires de l'assurance santé qui éclaire leurs comportements et corrige utilement mes analyses.
Nous comprenons très bien que les difficultés économiques, la montée du chômage, la déception des éleveurs démocrates, la volonté de revanche des républicains battus lors des dernières élections présidentielles, les financements massifs de la droite aient contribué à l’échec des démocrates. Chez nous aussi les élections à mi-mandat sont une occasion de corriger un vote, Mitterrand, Chirac et Sarkozy en ont tous trois fait l'expérience, mais nous ne comprenons plus lorsqu’on nous dit que la réforme de la santé a poussé beaucoup d’électeurs dans les bras de la droite. Cela nous parait absurde alors même que cette réforme doit apporter une protection à des millions d'Américains qui n'en ont pas.
On nous dit que cette loi a été mal conçue. Ses adversaires ont beaucoup insisté sur sa complexité, sur ses centaines de pages… mais c’est le lot de tous les textes qui ne passent qu'après de longues négociations. Ce qui nous surprend, c'est que le principe même d’une assurance santé universelle ait été critiquée et ceci, apparemment, dans toutes les couches de la société. Que des riches s'opposent à une réforme qui risque de leur coûter un peu d'argent, nous le concevons même si cela nous choque, mais que des gens modestes susceptibles de profiter de cette réforme s'y opposent également nous parait complètement incompréhensible.
Qu'en conclure sinon que nous n'avons pas les mêmes normes morales, que nous n'envisageons pas de la même manière nos responsabilités, tant ce qui relève de notre propre responsabilité personnelle que de ce qui relève de notre responsabilité à l'égard d'autrui.
Nous avons tendance en Europe à attribuer les critiques les plus virulentes de cette réforme à une droite populiste un peu débile comme ces candidates du tea party qui ont tenu des propos absurdes et idiots, mais, et c'est plus troublant, on trouvait les mêmes idées développées de manière tout à fait rationnelle dans les pages opinion du Wall Street Journal rédigées par des gens qui n'ont rien d'imbéciles. Ce qui me fait penser, qu'au delà des insultes et excès de la campagne électorale (on a parlé de socialisme, de nazisme, de totalitarisme, d'eugénisme), ces critiques n’ont fait que prolonger le débat sur les rôles respectifs de l'individu et de la société qui occupe depuis le début des années 70 les départements de philosophie politique et de philosophie morale des universités américaines, depuis, en fait la publication, en 1971, du très célèbre Une théorie de la justice de John Rawls, et, en 1974, d'Anarchie, Etat et Utopie de Richard Nozick.
Ces deux auteurs sont aujourd'hui morts mais ils ont suscité toute une littérature toujours vivante qui tente de définir la place de la responsabilité individuelle dans la société et qui oppose ceux pour lesquels nous avons une certaine responsabilité à l'égard d'autrui et ceux pour lesquels nous sommes complètement responsables de notre sort et de cela seulement. Si nous sommes pauvres, c'est, à leurs yeux, de notre faute… Ce qui veut dire que nous n’avons aucun motif, aucune raison d’attendre quoi que ce soit de la société. Dès lors que nous sommes pleinement responsables, elle n’a aucune obligation à notre égard.
On peut naturellement décliner ce raisonnement de mille manières, si nous attrapons un cancer des poumons parce que nous fumons, nous n'avons qu'à nous en prendre à nous même, et s’il faut nous soigner, c’est à nous payer les frais médicaux pas à la collectivité. On peut même le pousser très loin : pour les libertariens, c'est-à-dire pour les auteurs proches de Nozick (mais pas pour Nozick qui fait la différence), notre responsabilité individuelle s'étend même aux cas où nous sommes dans l'impossibilité de contrôler ce qui nous arrive. Si une catastrophe naturelle s'abat sur nous, les autres n'ont aucune obligation de venir à notre secours. Rien ne justifie que l'on collecte des impôts pour corriger les effets d'une catastrophe naturelle. C'est à chacun de se prendre en charge. On pense à ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans…
Ces idées imprègnent, semble-t-il, très profondément la société américaine. Les gens ne veulent pas payer des impôts qui financent les services sociaux parce qu’ils veulent garder pour eux leur argent mais aussi parce qu’ils pensent que les autres ne le méritent pas, n’y ont pas droit. L'actualité est remplie d'informations qui montrent l’impact de ces thèses sur les comportements. Il y a quelques semaines un habitant d’une commune rurale du Tennessee, un certain Cranick, s’est vu refuser l’intervention des pompiers parce qu’il n’avait pas payé la contribution incendie de 75$ par an que demande la municipalités. Les pompiers sont restés pendant des heures les bras croisés devant sa maison qui brûlait, ils ne sont intervenus que lorsque la maison du voisin, qui avait, lui, payé les 75$, a pris feu. Ils n’ont rien fait pour protéger celle des Cranick.
Cet incident a fait tout le tour de la presse américaine et a beaucoup choqué, mais le plus étonnant est que les autorités locales, bien loin de condamner le comportement des pompiers l’ont justifié. Et leurs arguments ont été repris par Glenn Beck, l’un des journalistes de droite les plus en vue aux Etats-Unis.
Tout cela est bien sûr absurde… Ce l’est d’autant plus que le feu s’est, comme on pouvait le prévoir, étendu aux maisons voisines dont les propriétaires avaient, eux, payé leur cotisation. Mais cela entre bien dans cette logique des libertariens pour lesquels nous sommes absolument responsables de ce qui nous arrive. C’est une conclusion naturelle de leur raisonnement.
Ce n’est pas la seule : si on ne peut nous tenir responsables que de ce qui nous arrive et pas de ce qui arrive aux autres, la notion d’irresponsabilité n’a plus beaucoup de sens. On peut donc considérer comme responsables de leurs actes des gens dont nous jugeons, de ce coté-ci de l’Atlantique, qu’ils ne le sont pas : fous, gens qui souffrent de déficience mentale mais aussi enfants. Il y a quelques jours, c’était à la fin octobre, un juge de New-York, et non pas d'une lointaine commune rurale, a accepté que des poursuites soient engagées contre une petite fille de quatre ans qui avait provoqué, avec sa bicyclette, la chute mortelle d’une dame de 87 ans. Ce qui veut dire qu'il l'a jugée d'âge à être tenue pour responsable de ses actes.
C’est délirant. Mais ce qui l’est plus encore, ce sont quelques uns des commentaires des lecteurs de ces articles. Le New-York Times en a publié cinq, deux critiquent le juge, deux l’approuvent expliquant que les enfants sur les trottoirs sont un danger pour les personnes âgées, ce qui est vrai, et le cinquième raconte qu’il est arrivé la même histoire à sa mère, renversée par une petite fille de cinq ans. Les médecins qui sont intervenus ont voulu qualifier l’incident d’homicide, c’est la famille de la victime qui a insisté pour qu’il soit considéré comme un accident. Ce juge dont la décision nous parait absurde n’est donc pas totalement isolé.
J’ajouterai qu’il a du justifier sa décision. Il l’a fait en citant des décisions prises dans les années 20. Ce qui suppose une longue recherche pour aboutir à ce résultat grotesque. Mais on peut supposer qu’il n’a entrepris ces recherches que pour découvrir de quoi faire poursuivre cette enfant.
Cette affaire d’incendie, ce juge qui accepte de poursuivre une enfant ne sont bien sûr que des exceptions… mais des histoires de ce type reviennent constamment dans la presse américaine. Ces condamnés à mort dont on nous dit qu’ils le QI d’un enfant de 8 ans et qu’on exécute qui reviennent si régulièrement dans l'actualité en sont d'autres exemples.
Tous les philosophes ne sont évidemment pas sur ces positions extrêmes, mais les libertariens ont influencé beaucoup d’auteurs et, notamment, tous les théoriciens de ce que l’on appelle le luck egalitarianism (Dworkin, Cohen, Arneson, Roemer…), l’égalitarisme de la chance, qui tentent de concilier cette responsabilité étendue et le souci d’égalité et qu’on aurait plutôt tendance à ranger du coté des progressistes, des libéraux (pour une analyse allant dans ce sens, voir Barry). Ils expliquent que la collectivité a pour mission de corriger les inégalités produites par le manque de chance mais celles-là seulement… A les entendre donc la collectivité n’aurait donc pas vocation à financer les soins d’un homme atteint d’une cirrhose du foie attrapée à force de boire…
On se souvien qu’il y a eu en Grande-Bretagne des débats du même type sur certains cancers produits par le tabac et l’alcool… On trouve dans la littérature médicale anglo-saxonne des articles qui s’interrogent sur la responsabilité des patients atteints de certains cancers dans leur maladie. De là à refuser les soins à des patients qui ne cessent pas, par exemple, de fumer, il n’y a qu’un pas que personne n’a à ma connaissance encore franchi, mais on est bien dans cette logique qu’ont développée ces théoriciens. J'ajouterai que ce qui nous choque lorsque l’on parle de santé nous étonne moins dans d’autres domaines. Or, c’est bien le même raisonnement qui sous-tend toutes les réformes qui tendent à réserver les aides sociales à ceux qui le méritent, c’est-à-dire à ceux qui ont vraiment manqué de chance dans leur vie. Ce sont des raisonnements de ce type qui ont conduit à durcir les conditions d’attribution des allocations chômage : il faut prouver que l’on a cherché effectivement un emploi et qu’on n’en a pas trouvé.
On retrouve, d’ailleurs, dans les textes qui traitent de ces questions des références aux auteurs que je citais à l'instant. Ce qui me fait dire qu’il y a continuité entre ces débats académiques et l’opposition à la réforme de la santé telle que le mouvement du Tea Party l’a justifiée. Ce lien se manifeste dans la personnalité de ceux qui sont à l’origine de ce mouvement, je pense notamment Ron Paul, l’un des avocats les plus connus du mouvement libertarien, qui a été à plusieurs reprises candidat aux élections présidentielles
En fait, ces idées sont très vite sorties du champ universitaire. Elles ont imprégné la culture populaire. On les retrouve régulièrement exposées dans des romans de science-fiction, dans des articles de presse, des éditoriaux. La littérature managériale en est complètement nourrie. Quand on lit les récits de réussite d’industriels, de capitalistes on retrouve des idées qui se sont d’autant plus facilement imposée qu’elles entrent en résonance avec des discours religieux, issus du protestantisme et, notamment, du calvinisme qui renvoient à l’individu la responsabilité de ce qui lui arrive…
Dire que les Américains sont aveugles aux différences d'opportunités serait absurdes. Ils les connaissent bien mais beaucoup pensent que l’égalité des chances est une réalité dans leur société grâce, notamment, à toutes les mesures de discrimination positive qui visent à corriger les inégalités.
Obama aurait perdu ses élections du fait des difficultés économiques, mais la droite la plus extrême n’a pu donner le ton à cette campagne, que parce que cette idéologie de la responsabilité personnelle étendue a profondément pénétré la société américaine. On peut simplement espérer que ses excès convaincront les électeurs de revenir à des positions plus raisonnables.
PS Arthur Goldhammer me signale un très intéressant papier de trois de ses collègues d'Harvard sur les adversaires de l'assurance santé qui éclaire leurs comportements et corrige utilement mes analyses.
dimanche, octobre 31, 2010
Le journal du Dimanche est malsain
Il y a des journaux de caniveau, il y en a de pas très sérieux et puis il y a des journaux malsains. C'est le cas du Journal du Dimanche que l'on achète le dimanche matin faute d'autre choix. Ce que j'ai fait ce matin, au coin de la rue de Buci et de la rue de Seine sur le stand que tient le charmant pakistanais, vedette de Saint-Germain des Près, auteur d'un livre à succès. Et comme je l'avais acheté, je l'ai lu et je suis tombé sur deux articles qui pourraient servir d'exemples, dans les écoles de journalisme, de mauvais journalisme.
Le premier concerne Philippe de Villiers, personnage pour lequel je n'ai vraiment aucune sympathie (je le précise, parce que je vais le défendre!). Une page entière lui est consacrée qui le démolit dans sa vie professionnelle et sa vie privée (il se serait plaint de cancers qu'il n'a jamais eus, il a tout fait pour que son dernier fils (tout noir, d'après la photo qu'on nous montre, ce qui surprend un peu sachant que Villiers était plutôt du coté du FN, mais ainsi va la France d'aujourd'hui) abandonne ses plaintes pour viol à l'égard de son fils ainé (mais oui, chez les Villiers…). Et tout cela, qu'on savait plus ou moins, pour quoi? Pour annoncer, en conclusion, qu'il dit partout que Nicolas Sarkozy lui a promis un ministère. Dit autrement : quelqu'un à l'UMP a voulu rendre cette nomination impossible et le Journal du Dimanche a prêté a plume. Nul de chez nul!
Le second, moins grave mais tout aussi significatif, concerne une chronique de celui qui est en passe de devenir l'icone même du vieux con : Philippe Sollers. Un vieux con qui a des amis et des références, ici, en l'espèce, Philip Roth. Mais voici donc cette phrase qui a suscité ma colère (n'exagérons rien, ce n'est pas très grave, mon exaspération serait plus juste) : "Quand plus personne ne lit, Dieu a tendance à parler de plus en plus fort." Tout cela à cause d'Obama dont nul ne sait s'il croit en Dieu mais dont tout le monde prédit qu'il va perdre les prochaines élections. A cause, nous disent Sollers et Roth, d'internet! Les gens, nous explique doctement Roth que cite avec délectation Philippe Sollers "sont face à des écrans, à des pages qu'ils regardent une par une. Ils ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite." Tant de bêtises en si peu de mots… c'est à en pleurer.
Le premier concerne Philippe de Villiers, personnage pour lequel je n'ai vraiment aucune sympathie (je le précise, parce que je vais le défendre!). Une page entière lui est consacrée qui le démolit dans sa vie professionnelle et sa vie privée (il se serait plaint de cancers qu'il n'a jamais eus, il a tout fait pour que son dernier fils (tout noir, d'après la photo qu'on nous montre, ce qui surprend un peu sachant que Villiers était plutôt du coté du FN, mais ainsi va la France d'aujourd'hui) abandonne ses plaintes pour viol à l'égard de son fils ainé (mais oui, chez les Villiers…). Et tout cela, qu'on savait plus ou moins, pour quoi? Pour annoncer, en conclusion, qu'il dit partout que Nicolas Sarkozy lui a promis un ministère. Dit autrement : quelqu'un à l'UMP a voulu rendre cette nomination impossible et le Journal du Dimanche a prêté a plume. Nul de chez nul!
Le second, moins grave mais tout aussi significatif, concerne une chronique de celui qui est en passe de devenir l'icone même du vieux con : Philippe Sollers. Un vieux con qui a des amis et des références, ici, en l'espèce, Philip Roth. Mais voici donc cette phrase qui a suscité ma colère (n'exagérons rien, ce n'est pas très grave, mon exaspération serait plus juste) : "Quand plus personne ne lit, Dieu a tendance à parler de plus en plus fort." Tout cela à cause d'Obama dont nul ne sait s'il croit en Dieu mais dont tout le monde prédit qu'il va perdre les prochaines élections. A cause, nous disent Sollers et Roth, d'internet! Les gens, nous explique doctement Roth que cite avec délectation Philippe Sollers "sont face à des écrans, à des pages qu'ils regardent une par une. Ils ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite." Tant de bêtises en si peu de mots… c'est à en pleurer.
vendredi, octobre 29, 2010
Retraites : une défaite en rase campagne
Le Parlement a voté, les manifestations s’épuisent. Le gouvernement a gagné et les syndicats ont perdu une bataille… Plus sans doute qu’une bataille puisqu’ils ont donné le sentiment d’avoir été complètement roulés dans la farine.
Jamais on n’avait vu une telle unité syndicale portée par une opinion aussi massivement favorable à la remise en cause du projet gouvernemental. Les manifestations se sont multipliées, avec beaucoup de monde dans la rue, même si on pu contester les chiffres, et cependant celui-ci a été voté pratiquement inchangé, il va être promulgué. Le gouvernement a gagné la partie contre la rue, contre l’opinion, contre les syndicats… Alors même que toutes les conditions étaient réunies pour le faire reculer, il a tenu, dans des conditions les plus difficiles, avec un ministre complètement déconsidéré, une opinion hostile au Président de la République au plus bas dans les sondages (on peut d’ailleurs penser qu’il y avait dans le soutien aux manifestations plus que d
Cette défaite en rase campagne va laisser des traces. Nicolas Sarkozy a gagné parce qu'il a bien joué, parce qu'il a fait preuve d'habileté (en laissant croire que le texte pourrait être amendé au Sénat) et d’obstination mais aussi parce que le mouvement social s’est révélé très faible, très fragile comme l’ont suggéré les contestations sur les chiffres des manifestants.
Les écarts entre les chiffres de la police et ceux des organisations syndicales ont été une fois de plus considérables… mais il semble que les bons chiffres étaient ceux de la police, qu’ils étaient même peut-être supérieurs à la réalité. C’est ce qui ressort du moins de plusieurs comptages indépendants, notamment de ceux réalisés par Mediapart, journal en ligne, qu’on ne peut pas soupçonner de partialité. Dit autrement, les syndicats ont eu, malgré leurs succès apparents, beaucoup de mal à mobiliser en dehors de leurs secteurs traditionnels. Les salariés du privé, les premiers menacés, ne se sont pas mis en grève. Ils ne sont pas descendus dans la rue et n’ont pas suivi les consignes syndicales.
Cela se voyait d’ailleurs dans les manifestations. J'ai raconté ici même combien j’avais été frappé par le coté un peu mélancolique du défilé, comme si la messe était déjà dite
Rien n'a mieux révélé cette fragilité que les appels à la jeunesse. Les dirigeants syndicaux mieux informés sans doute que beaucoup de la réalité du rapport de force attendaient des étudiants qu’ils fassent reculer le gouvernement. Ségolène Royal l’a pratiquement dit lorsqu’elle les appelés à descendre dans la rue. Dominique de Villepin l’a avoué lorsqu’il a raconté que des dirigeants syndicaux syndicaux lui avaient dit, au moment du CPE, “nous allons manifester mais nous ne pourrons pas vous empêcher de faire passer votre texte, à moins que les jeune ne descendent dans la rue, et là nous ne répondons de rien.
Les commentateurs ont trop souvent confondu le pouvoir de la rue et les émeutes. Ce sont deux choses différentes. Les émeutes peuvent faire reculer le gouvernement, pas le pouvoir de la rue. Et comme il n’y a pas eu cette fois-ci d’émeutes, celles-ci n’ont pas, cette fois-ci, masqué la faiblesse de la rue, du mouvement social.
Cela aura des conséquences pour le mouvement social. Difficile de dire lesquelles, mais on peut imaginer plusieurs scénarios.
On peut, d'abord, imaginer un scénario à la britannique où la rue tétanisée, silencieuse, laisse le gouvernement prend les mesures qu’il souhaite. L’opinion se tait, se renferme sur son espace privé, traduit sa frustration d’autres manières. Le binge drinking, cette consommation effrénée d’alcool que l’on rencontre un peu partout en Grande-Bretagne me parait être une expression de cette frustration.
On peut également imaginer que les organisations syndicales revoient leurs stratégies, que battues dans la rue, elles réinvestissent les ateliers, les bureaux, qu’elles se mettent à négocier dans les entreprises des accords qui compensent les pertes de pensions liées à cette réforme. Ce n’est pas le chemin qu’elles ont pris, parce que c’est compliqué, cela demande du temps, du travail, des ressources militantes qu’elles n’ont pas forcément. Mais si elles ne le font pas, si elles ne se reconstruisent pas là où sont les salariés, elles risquent de devenir rapidement inaudibles. On leur renverra en permanence leur faiblesse… les militants se décourageront, les sympathisants s’éloigneront. On ne peut exclure que les syndicats ne perdent dans les mois qui viennent militants et adhérents.
On peut également envisager un durcissement, ce qui ne serait pas incompatible avec les scénarios précédents. La radicalisation est souvent un symptôme de faiblesse. C’est parce que les syndicats sont faibles qu’ils durcissent leur discours et se lancent dans des actions extrêmes. On pourrait assister dans les mois qui viennent à la contestation des directions syndicales aussi bien à la CGT qu’à la CFDT, une contestation qui pourrait aller avec la multiplication d’actions radicales dont on a eu une première illustration avec les fermetures de raffineries. C’est une hypothèse que l’on doit d’autant moins exclure que la situation se tend dans de nombreuses entreprises. Ces mêmes salariés qui ne se sont pas mis en grève pour lutter contre les retraites peuvent, face à des situations de fermetures d’usines, de licenciements collectifs, se lancer dans des actions dures. C’est, le sens des remarques de Bernard Thibault qui déclarait à Libération: “de nombreux employeurs ont du souci à se faire dans la période qui vient. Ils vont être confrontés aux salariés qui continueront de ne pas accepter - et nous serons avec eux - de voir leur durée du travail rallongée alors qu’ils sont usés physiquement. Cette réforme provoquera une multitude de conflits.” On pourrait donc se retrouver avec une multiplication de conflits durs avec des organisations syndicales affaiblies, incapables de les contrôler, de leur trouver une issue.
Cette séquence se traduit par un échec tellement grave des organisations syndicales qu’elles vont devoir réagir. Si elles ne le font pas, c’est leur légitimité même qui va être mise en cause, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.
Jamais on n’avait vu une telle unité syndicale portée par une opinion aussi massivement favorable à la remise en cause du projet gouvernemental. Les manifestations se sont multipliées, avec beaucoup de monde dans la rue, même si on pu contester les chiffres, et cependant celui-ci a été voté pratiquement inchangé, il va être promulgué. Le gouvernement a gagné la partie contre la rue, contre l’opinion, contre les syndicats… Alors même que toutes les conditions étaient réunies pour le faire reculer, il a tenu, dans des conditions les plus difficiles, avec un ministre complètement déconsidéré, une opinion hostile au Président de la République au plus bas dans les sondages (on peut d’ailleurs penser qu’il y avait dans le soutien aux manifestations plus que d
Cette défaite en rase campagne va laisser des traces. Nicolas Sarkozy a gagné parce qu'il a bien joué, parce qu'il a fait preuve d'habileté (en laissant croire que le texte pourrait être amendé au Sénat) et d’obstination mais aussi parce que le mouvement social s’est révélé très faible, très fragile comme l’ont suggéré les contestations sur les chiffres des manifestants.
Les écarts entre les chiffres de la police et ceux des organisations syndicales ont été une fois de plus considérables… mais il semble que les bons chiffres étaient ceux de la police, qu’ils étaient même peut-être supérieurs à la réalité. C’est ce qui ressort du moins de plusieurs comptages indépendants, notamment de ceux réalisés par Mediapart, journal en ligne, qu’on ne peut pas soupçonner de partialité. Dit autrement, les syndicats ont eu, malgré leurs succès apparents, beaucoup de mal à mobiliser en dehors de leurs secteurs traditionnels. Les salariés du privé, les premiers menacés, ne se sont pas mis en grève. Ils ne sont pas descendus dans la rue et n’ont pas suivi les consignes syndicales.
Cela se voyait d’ailleurs dans les manifestations. J'ai raconté ici même combien j’avais été frappé par le coté un peu mélancolique du défilé, comme si la messe était déjà dite
Rien n'a mieux révélé cette fragilité que les appels à la jeunesse. Les dirigeants syndicaux mieux informés sans doute que beaucoup de la réalité du rapport de force attendaient des étudiants qu’ils fassent reculer le gouvernement. Ségolène Royal l’a pratiquement dit lorsqu’elle les appelés à descendre dans la rue. Dominique de Villepin l’a avoué lorsqu’il a raconté que des dirigeants syndicaux syndicaux lui avaient dit, au moment du CPE, “nous allons manifester mais nous ne pourrons pas vous empêcher de faire passer votre texte, à moins que les jeune ne descendent dans la rue, et là nous ne répondons de rien.
Les commentateurs ont trop souvent confondu le pouvoir de la rue et les émeutes. Ce sont deux choses différentes. Les émeutes peuvent faire reculer le gouvernement, pas le pouvoir de la rue. Et comme il n’y a pas eu cette fois-ci d’émeutes, celles-ci n’ont pas, cette fois-ci, masqué la faiblesse de la rue, du mouvement social.
Cela aura des conséquences pour le mouvement social. Difficile de dire lesquelles, mais on peut imaginer plusieurs scénarios.
On peut, d'abord, imaginer un scénario à la britannique où la rue tétanisée, silencieuse, laisse le gouvernement prend les mesures qu’il souhaite. L’opinion se tait, se renferme sur son espace privé, traduit sa frustration d’autres manières. Le binge drinking, cette consommation effrénée d’alcool que l’on rencontre un peu partout en Grande-Bretagne me parait être une expression de cette frustration.
On peut également imaginer que les organisations syndicales revoient leurs stratégies, que battues dans la rue, elles réinvestissent les ateliers, les bureaux, qu’elles se mettent à négocier dans les entreprises des accords qui compensent les pertes de pensions liées à cette réforme. Ce n’est pas le chemin qu’elles ont pris, parce que c’est compliqué, cela demande du temps, du travail, des ressources militantes qu’elles n’ont pas forcément. Mais si elles ne le font pas, si elles ne se reconstruisent pas là où sont les salariés, elles risquent de devenir rapidement inaudibles. On leur renverra en permanence leur faiblesse… les militants se décourageront, les sympathisants s’éloigneront. On ne peut exclure que les syndicats ne perdent dans les mois qui viennent militants et adhérents.
On peut également envisager un durcissement, ce qui ne serait pas incompatible avec les scénarios précédents. La radicalisation est souvent un symptôme de faiblesse. C’est parce que les syndicats sont faibles qu’ils durcissent leur discours et se lancent dans des actions extrêmes. On pourrait assister dans les mois qui viennent à la contestation des directions syndicales aussi bien à la CGT qu’à la CFDT, une contestation qui pourrait aller avec la multiplication d’actions radicales dont on a eu une première illustration avec les fermetures de raffineries. C’est une hypothèse que l’on doit d’autant moins exclure que la situation se tend dans de nombreuses entreprises. Ces mêmes salariés qui ne se sont pas mis en grève pour lutter contre les retraites peuvent, face à des situations de fermetures d’usines, de licenciements collectifs, se lancer dans des actions dures. C’est, le sens des remarques de Bernard Thibault qui déclarait à Libération: “de nombreux employeurs ont du souci à se faire dans la période qui vient. Ils vont être confrontés aux salariés qui continueront de ne pas accepter - et nous serons avec eux - de voir leur durée du travail rallongée alors qu’ils sont usés physiquement. Cette réforme provoquera une multitude de conflits.” On pourrait donc se retrouver avec une multiplication de conflits durs avec des organisations syndicales affaiblies, incapables de les contrôler, de leur trouver une issue.
Cette séquence se traduit par un échec tellement grave des organisations syndicales qu’elles vont devoir réagir. Si elles ne le font pas, c’est leur légitimité même qui va être mise en cause, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.
mardi, octobre 26, 2010
Usque ibunt?
Les auteurs de science-fiction ont inventé la machine à remonter le temps. Les députés UMP paraissent la leur avoir empruntée. Après le recul de l'âge du départ en retraite qui nous ramène aux années 70, voilà que Jean-François Coppé veut réintroduire un examen de passage en sixième. Je n'invente rien, c'est ce qu'il a déclaré au Journal du Dimanche : "Je veux défendre une idée forte : l’entrée au collège ne doit se faire que pour l’enfant qui maîtrise totalement les savoirs fondamentaux (…) Mon idée est de créer un examen de fin de CM2, d’évaluation des enfants. Ce serait un examen de passage en 6e. On réorganiserait complètement le programme du primaire dans cette perspective (…) Si on n’a pas acquis ces connaissances (lire, écrire, compter...), mieux vaut redoubler, pour protéger l’enfant, que le faire passer au collège et lui faire courir un vrai risque de décrochage."
Je suis sûr que cette idée en fera sourire certains mais pourrait bien trouver des défenseurs chez ces enseignants qui se plaignent du niveau de leurs élèves (récrimination classique, il me semble l'avoir entendue tout au long de ma scolarité).
Cet examen, dans sa version obligatoire, a été supprimé à la fin des années cinquante. Pour avoir été l'un des derniers à l'avoir passé, je peux témoigner de ce qu'il avait pour conséquence :
- d'éliminer de l'enseignement long, tous ceux qui échouaient (il est vrai qu'existait alors une filière courte vers laquelle on dirigeait les plus modestes qui n'avaient pas la chance d'être particulièrement travailleurs ou doués). Je me souviens encore de l'hécatombe dans ma classe de septième d'une école parisienne qui avait cependant bonne réputation. La sélection se poursuivait toujours aussi impitoyable, les années suivantes, entre ceux qui restaient dans la filière classique (latin) et ceux que l'on envoyait dans la filière moderne (sans latin),
- d'amener les instituteurs à pratiquer un bachotage intense. Le mien imposait à tous ses élèves de rester le soir deux heures de plus pour préparer l'examen.
Je me souviens également que nous avions eu cette année là une dictée empruntée à Gide, ce qui avait fait jaser dans les gazettes.
Je suis sûr que cette idée en fera sourire certains mais pourrait bien trouver des défenseurs chez ces enseignants qui se plaignent du niveau de leurs élèves (récrimination classique, il me semble l'avoir entendue tout au long de ma scolarité).
Cet examen, dans sa version obligatoire, a été supprimé à la fin des années cinquante. Pour avoir été l'un des derniers à l'avoir passé, je peux témoigner de ce qu'il avait pour conséquence :
- d'éliminer de l'enseignement long, tous ceux qui échouaient (il est vrai qu'existait alors une filière courte vers laquelle on dirigeait les plus modestes qui n'avaient pas la chance d'être particulièrement travailleurs ou doués). Je me souviens encore de l'hécatombe dans ma classe de septième d'une école parisienne qui avait cependant bonne réputation. La sélection se poursuivait toujours aussi impitoyable, les années suivantes, entre ceux qui restaient dans la filière classique (latin) et ceux que l'on envoyait dans la filière moderne (sans latin),
- d'amener les instituteurs à pratiquer un bachotage intense. Le mien imposait à tous ses élèves de rester le soir deux heures de plus pour préparer l'examen.
Je me souviens également que nous avions eu cette année là une dictée empruntée à Gide, ce qui avait fait jaser dans les gazettes.
lundi, octobre 25, 2010
Retraite, retour sur des remarques d'Arthur Goldhammer
Arthur Goldhammer revient longuement dans deux billets (Rejoinders to my previous post et La gauche est-elle morale?) sur mes remarques sur ce qu'il disait un peu plus tôt de la réforme des retraites. Il y pose des questions très intéressantes. Je reviendrai sur trois d'entre elles : sur les injustices, sur la question de l'emploi et sur la morale en politique. Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit sur la légitimité de la démarche de Nicolas Sarkozy en la matière, ce que dit Cynthia Fleury dans son interview du Monde disant l'essentiel.
Il me demande : "are the burdens that young workers, women, small-business employees, and victims of globalization are being asked to bear under the reform worse than they are already bearing under the pre-reform system? Of that I'm not so sure. I'd like to hear Bernard's reply, since he is more familiar with the details of both regimes than I am." La réponse est définitivement oui. Ce n'est évidemment pas écrit tel quel dans le texte voté par le Parlement, mais c'est bien ce qui va se produire. Tout simplement parce que tous les salariés ne seront pas égaux devant cette réforme, certains pourront la contourner, d’autres pas. Certains employeurs compenseront les pertes de revenus des retraités, parce qu'ils en ont les moyens ou parce que des organisations syndicales l'obtiendront et d’autres pas. Cette réforme va creuser des inégalités déjà importantes entre retraités selon qu'ils auront la possibilité d'imposer ses compensations à leur employeur, selon qu'ils auront travaillé dans une entreprise riche ou une entreprise pauvre, une entreprise dans un secteur porteur ou une entreprise dans un secteur en déclin. Sachant cela, on aurait du accompagner cette réforme de mesures permettant de réduire ces inégalités.
Sur l’emploi il écrit : "Bernard does say that a more effective pro-growth policy would have improved matters. No doubt. I wish I knew what such a policy looked like." Nous aimerions tous savoir. Je disais, plus modestement, qu'on ne pouvait traiter la question des retraites sans aborder celle de l'emploi. Pourquoi? Parce que la retraite est un salaire. Différé dans les systèmes de capitalisation (j’épargne pour préparer mes revenus futurs), indirect dans les systèmes par répartition (je cotise pour les autres). Ce qui justifie que les organisations syndicales aient leur mot à dire dans sa gestion. Or, cette réforme, comme les précédentes, ne voit que l’aspect comptable et néglige cette dimension.
Je sais bien que les questions d’emploi (et donc de croissance) sont difficiles et que, comme le disait un jour François Mitterrand, “dans la lutte contre le chômage on a tout essayé.” Reste que l’on ne peut pas s’en tenir à cette position. Ne serait-ce que parce que dire que l’on n'a pas d'idées sur la manière de créer de l’emploi n’est pas tout à fait exact.
La droite a une solution actuellement évoquée en Grande-Bretagne : réduire les allocations chômage qui inciteraient les salariés à rester chez eux plutôt qu’à aller travailler selon une thèse bien connue et développée par Jacques Rueff dans un article célèbre publié en 1931 (L’assurance chômage, cause du chômage permanent), reprise dans deux articles publiés en 1976 dans Le Monde (La fin de l’ère keynésienne) et que l’on retrouve dans les travaux des trois économistes que vient de distinguer le comité Nobel, Diamond, Pissarades et Mortensen (des allocations chômage généreuses n’incitent pas forcément à la paresse, mais elles allongent la période pendant laquelle les chômeurs cherchent un emploi).
La gauche en a deux autres, toutes deux mises en oeuvre par le gouvernement Jospin : la réduction du temps de travail et la création d’emplois publics (emplois jeunes…). Ni l'une ni l'autre ne sont aujourd'hui à la mode, mais peut-on oublier qu'elles ont créé quelques centaines de milliers d'emplois?
A droite comme à gauche, certains pensent également, quoique sotto voce, que le protectionisme résoudrait en partie le problème. Ils sont très discrets, presque honteux tant nous sommes convaincus des vertus du libre-échange. Mais certains économistes ne sont pas loin de penser de même comme Ha-Joon Chang de l’Université de Cambridge (voir cet éditorial dans le Financial Times ou dans cet autre papier publié dans The Independent), Lehman & O’Rourke dans ce papier d’histoire économique, Dani Rodrik dans son blog. Leurs conclusions est qu’il existe différentes sortes de protectionnisme, que certaines formes peuvent être favorables à la croissance, d’autres avoir un effet négatif.
Si droite et gauche ne sont pas d’accord sur les solutions, elles ont l’une et l’autre multiplié les mesures destinées à masquer la non-activité : création dans certains pays, comme les Pays-Bas, d’un statut d’invalidité, d’incapacité au travail qui donne droit à des aides publiques, nettoyage régulier des statistiques, RMI (aujourd’hui RSA), stages de formation des chômeurs, allongement de la durée des études (combien d'étudiants qui accumulent les diplômes sont en réalité des chômeurs déguisés?)…
Toutes ces solutions ont des limites évidentes : on ne peut pas multiplier à l’infini les emplois publics sauf à créer, comme dans l’ex Union soviétique une économie peu compétitive. On ne peut pas non plus exclure indéfiniment du marché du travail des actifs au motif qu’ils ne trouvent pas d’emploi.
Y en a-t-il d’autres? Si on les connaissait, on les proposerait. C’est l’évidence. Il me semble, tout de même, que l’on pourrait tenter :
- d’éliminer les mécanismes qui favorisent le chômage des jeunes. Je pense notamment à cette multiplication de stages étudiants qui ont pour principal effet de chasser du marché du travail des jeunes sans qualification : pourquoi recruter un jeune sorti de l’école sans diplôme pour faire des photocopies et autres tâches ancillaires si l’on peut avoir gratuitement ou presque un étudiant?
- de réduire la précarité qui est, pour partie au moins, une création de la réglementation (elle s’est développée avec les assouplissements successifs de la réglementation, légalisation de l’intérim dans les années 70, assouplissement de la législation sur le temps partiel…) ;
- de mieux comprendre pourquoi nous détruisons, dans tous nos pays des emplois de travailleurs autochtones alors que nous en créons pour les immigrés (dans le bâtiment, dans les services à la personne…), ce qui nous amènerait probablement à reprendre les thèses d’Alfred Sauvy sur ledéversement (transfert d’emplois du secteur agricole vers le secteur industriel, de celui-ci vers le secteur tertiaire…) : les immigrés n’occupent ces emplois que parce que le processus de déversement fonctionne mal,
- d’évaluer les besoins qui ne sont pas satisfaits, comme le recommandait également Alfred Sauvy lorsqu’il expliquait, dans un contexte il est vrai tout différent, que “le besoin domine l’économie française”.
Le principal défaut de cette réforme n'est pas de proposer le passage à 62 ans, même si c'est là-dessus que s'est focalisée l'opposition, c'est de ne pas avoir pris en compte ces dimensions, de ne pas avoir cherché à réduire les inégalités au moment de la retraite et de ne pas avoir proposé de pistes pour réduire un chômage qui dure depuis trop longtemps.
Pour ce qui est, enfin, de la morale. Prétendre que la gauche est ou devrait être plus morale que la droite, comme le suggère, semble-t-il , Christophe Prochasson (je n'ai pas lu son livre et ne peut donc me prononcer dessus) me parait d’une grande arrogance. Gauche et droite peuvent être (et sont à l’occasion) également morales, immorales et amorales. Opposer technocratie et morale ne me parait plus satisfaisant. Pourquoi les technocrates feraient-ils abstraction dans les décisions qu’ils prennent des considérations morales? Qu’est-ce qui permet de l’avancer? Il me semble que l'on pourrait même, à l'inverse, avancer que les technocrates (au sens de fonctionnaires) se distinguent des dirigeants du privé en ce qu'ils tiennent plus compte, dans leurs décisions, de considérations morales.
Il me paraît plus pertinent de reprendre la distinction que faisait Aristote entre justice distributive et justice rectificative ou corrective. La première revient à effectuer une distribution des biens disponibles selon le mérite (l’effort, les compétences…), la seconde à corriger ce que la première peut avoir d’injuste. Si l’on veut absolument opposer droite et gauche sur ce registre, la première serait plutôt du coté de la justice distributive, la seconde tente de corriger la première en faisant appelle à la justice rectificative. Et c'est bien, justement, ce que devrait tenter une réforme de gauche des retraites : corriger en partie au moins les inégalités que le système économique crée sans que les individus y soient forcément pour quelque chose : on ne choisit pas forcément de travailler dans un secteur en déclin, dans une petite entreprise… on prend en général ce que l'on trouve, ne serait-ce que pour raccourcir ce "search" dont parlent Diamond & alii.
Il me demande : "are the burdens that young workers, women, small-business employees, and victims of globalization are being asked to bear under the reform worse than they are already bearing under the pre-reform system? Of that I'm not so sure. I'd like to hear Bernard's reply, since he is more familiar with the details of both regimes than I am." La réponse est définitivement oui. Ce n'est évidemment pas écrit tel quel dans le texte voté par le Parlement, mais c'est bien ce qui va se produire. Tout simplement parce que tous les salariés ne seront pas égaux devant cette réforme, certains pourront la contourner, d’autres pas. Certains employeurs compenseront les pertes de revenus des retraités, parce qu'ils en ont les moyens ou parce que des organisations syndicales l'obtiendront et d’autres pas. Cette réforme va creuser des inégalités déjà importantes entre retraités selon qu'ils auront la possibilité d'imposer ses compensations à leur employeur, selon qu'ils auront travaillé dans une entreprise riche ou une entreprise pauvre, une entreprise dans un secteur porteur ou une entreprise dans un secteur en déclin. Sachant cela, on aurait du accompagner cette réforme de mesures permettant de réduire ces inégalités.
Sur l’emploi il écrit : "Bernard does say that a more effective pro-growth policy would have improved matters. No doubt. I wish I knew what such a policy looked like." Nous aimerions tous savoir. Je disais, plus modestement, qu'on ne pouvait traiter la question des retraites sans aborder celle de l'emploi. Pourquoi? Parce que la retraite est un salaire. Différé dans les systèmes de capitalisation (j’épargne pour préparer mes revenus futurs), indirect dans les systèmes par répartition (je cotise pour les autres). Ce qui justifie que les organisations syndicales aient leur mot à dire dans sa gestion. Or, cette réforme, comme les précédentes, ne voit que l’aspect comptable et néglige cette dimension.
Je sais bien que les questions d’emploi (et donc de croissance) sont difficiles et que, comme le disait un jour François Mitterrand, “dans la lutte contre le chômage on a tout essayé.” Reste que l’on ne peut pas s’en tenir à cette position. Ne serait-ce que parce que dire que l’on n'a pas d'idées sur la manière de créer de l’emploi n’est pas tout à fait exact.
La droite a une solution actuellement évoquée en Grande-Bretagne : réduire les allocations chômage qui inciteraient les salariés à rester chez eux plutôt qu’à aller travailler selon une thèse bien connue et développée par Jacques Rueff dans un article célèbre publié en 1931 (L’assurance chômage, cause du chômage permanent), reprise dans deux articles publiés en 1976 dans Le Monde (La fin de l’ère keynésienne) et que l’on retrouve dans les travaux des trois économistes que vient de distinguer le comité Nobel, Diamond, Pissarades et Mortensen (des allocations chômage généreuses n’incitent pas forcément à la paresse, mais elles allongent la période pendant laquelle les chômeurs cherchent un emploi).
La gauche en a deux autres, toutes deux mises en oeuvre par le gouvernement Jospin : la réduction du temps de travail et la création d’emplois publics (emplois jeunes…). Ni l'une ni l'autre ne sont aujourd'hui à la mode, mais peut-on oublier qu'elles ont créé quelques centaines de milliers d'emplois?
A droite comme à gauche, certains pensent également, quoique sotto voce, que le protectionisme résoudrait en partie le problème. Ils sont très discrets, presque honteux tant nous sommes convaincus des vertus du libre-échange. Mais certains économistes ne sont pas loin de penser de même comme Ha-Joon Chang de l’Université de Cambridge (voir cet éditorial dans le Financial Times ou dans cet autre papier publié dans The Independent), Lehman & O’Rourke dans ce papier d’histoire économique, Dani Rodrik dans son blog. Leurs conclusions est qu’il existe différentes sortes de protectionnisme, que certaines formes peuvent être favorables à la croissance, d’autres avoir un effet négatif.
Si droite et gauche ne sont pas d’accord sur les solutions, elles ont l’une et l’autre multiplié les mesures destinées à masquer la non-activité : création dans certains pays, comme les Pays-Bas, d’un statut d’invalidité, d’incapacité au travail qui donne droit à des aides publiques, nettoyage régulier des statistiques, RMI (aujourd’hui RSA), stages de formation des chômeurs, allongement de la durée des études (combien d'étudiants qui accumulent les diplômes sont en réalité des chômeurs déguisés?)…
Toutes ces solutions ont des limites évidentes : on ne peut pas multiplier à l’infini les emplois publics sauf à créer, comme dans l’ex Union soviétique une économie peu compétitive. On ne peut pas non plus exclure indéfiniment du marché du travail des actifs au motif qu’ils ne trouvent pas d’emploi.
Y en a-t-il d’autres? Si on les connaissait, on les proposerait. C’est l’évidence. Il me semble, tout de même, que l’on pourrait tenter :
- d’éliminer les mécanismes qui favorisent le chômage des jeunes. Je pense notamment à cette multiplication de stages étudiants qui ont pour principal effet de chasser du marché du travail des jeunes sans qualification : pourquoi recruter un jeune sorti de l’école sans diplôme pour faire des photocopies et autres tâches ancillaires si l’on peut avoir gratuitement ou presque un étudiant?
- de réduire la précarité qui est, pour partie au moins, une création de la réglementation (elle s’est développée avec les assouplissements successifs de la réglementation, légalisation de l’intérim dans les années 70, assouplissement de la législation sur le temps partiel…) ;
- de mieux comprendre pourquoi nous détruisons, dans tous nos pays des emplois de travailleurs autochtones alors que nous en créons pour les immigrés (dans le bâtiment, dans les services à la personne…), ce qui nous amènerait probablement à reprendre les thèses d’Alfred Sauvy sur ledéversement (transfert d’emplois du secteur agricole vers le secteur industriel, de celui-ci vers le secteur tertiaire…) : les immigrés n’occupent ces emplois que parce que le processus de déversement fonctionne mal,
- d’évaluer les besoins qui ne sont pas satisfaits, comme le recommandait également Alfred Sauvy lorsqu’il expliquait, dans un contexte il est vrai tout différent, que “le besoin domine l’économie française”.
Le principal défaut de cette réforme n'est pas de proposer le passage à 62 ans, même si c'est là-dessus que s'est focalisée l'opposition, c'est de ne pas avoir pris en compte ces dimensions, de ne pas avoir cherché à réduire les inégalités au moment de la retraite et de ne pas avoir proposé de pistes pour réduire un chômage qui dure depuis trop longtemps.
Pour ce qui est, enfin, de la morale. Prétendre que la gauche est ou devrait être plus morale que la droite, comme le suggère, semble-t-il , Christophe Prochasson (je n'ai pas lu son livre et ne peut donc me prononcer dessus) me parait d’une grande arrogance. Gauche et droite peuvent être (et sont à l’occasion) également morales, immorales et amorales. Opposer technocratie et morale ne me parait plus satisfaisant. Pourquoi les technocrates feraient-ils abstraction dans les décisions qu’ils prennent des considérations morales? Qu’est-ce qui permet de l’avancer? Il me semble que l'on pourrait même, à l'inverse, avancer que les technocrates (au sens de fonctionnaires) se distinguent des dirigeants du privé en ce qu'ils tiennent plus compte, dans leurs décisions, de considérations morales.
Il me paraît plus pertinent de reprendre la distinction que faisait Aristote entre justice distributive et justice rectificative ou corrective. La première revient à effectuer une distribution des biens disponibles selon le mérite (l’effort, les compétences…), la seconde à corriger ce que la première peut avoir d’injuste. Si l’on veut absolument opposer droite et gauche sur ce registre, la première serait plutôt du coté de la justice distributive, la seconde tente de corriger la première en faisant appelle à la justice rectificative. Et c'est bien, justement, ce que devrait tenter une réforme de gauche des retraites : corriger en partie au moins les inégalités que le système économique crée sans que les individus y soient forcément pour quelque chose : on ne choisit pas forcément de travailler dans un secteur en déclin, dans une petite entreprise… on prend en général ce que l'on trouve, ne serait-ce que pour raccourcir ce "search" dont parlent Diamond & alii.
dimanche, octobre 24, 2010
Retraites, Goldhammer vs Desjardins
Arthur Goldhammer, cet Américain qui écrit chaque jour sur l'actualité française avec autant de talent que d'alacrité, s'en prend dans ce billet (Gouverner c'est choisir, manifester c'est esquiver) aux remarques de Thierry Desjardins, autre bloggeur remarquable pour sa production, sur la réforme des retraites. Sur le fond, Goldhammer ne fait que souligner quelques unes des contradictions d'un antisarkozyste de droite qui critique une réforme qu'il aurait approuvée si elle avait été menée par quelqu'un d'autre avec un peu plus de… souplesse.
Cet échange me parait cependant souligner combien la réaction des Français à cette réforme est mal comprise à l'étranger, même par ceux qui connaissent le mieux notre société et l'observent avec le regard le plus bienveillant.
Si cette réforme suscite autant d'opposition alors même, et c'est nouveau, que tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de faire évoluer le système, c'est pour, je crois, quatre motifs :
- cette réforme est profondément injuste, et tout le monde le sent. Cette injustice ne concerne pas seulement ceux qui ont commencé de travailler tôt, comme on l'a dit et répété. Elle touche également les femmes, ceux qui ont des carrières chahutées, ceux qui perdent leur travail en fin de carrière, ceux qui travaillent dans des petites entreprises ou dans des secteurs en déclin (sur ces injustices, voir cette chronique que j'ai donnée à AligreFM) ;
- la manière dont cette réforme a été menée passe outre les organisations syndicales qui gèrent les caisses de retraite et dont c'est, dans un système dans lequel ils ont peu de militants, l'un des rares points forts. La méthode est caractéristique de la façon dont Sarkozy gouverne en négligeant les corps intermédiaires, en arguant de sa légitimité de Président pour trancher dans des domaines qui ne relèvent pas de ses compétences. L'alliance sans faille d'organisations syndicales qui ont plutôt l'habitude de se chamailler vient, pour beaucoup, de là : c'est leur rôle dans le champ social et politique qui se joue ;
- cette réforme ne dit rien de la question centrale : celle de l'emploi et de la croissance sans création d'emplois que nous connaissons depuis quelques années. Si le chômage était plus faible, la question des retraites ne se poserait pas de manière aussi crue, chacun le sait. Or, cette réforme n'en dit rien. J'ajouterai que c'est une question qui ne concerne pas que la France. Il suffit de comparer les courbes de chômage et les gains de productivité aux Etats-Unis, ces derniers mois, pour voir qu'eux aussi viennent, bien après nous, de découvrir ce que voulait dire une croissance sans création d'emplois ;
- cette réforme n'est pas seulement l'abandon d'une vraie conquête sociale (il faut se souvenir que la retraite à soixante ans était la première revendication des organisations syndicales dans les années 70), c'est aussi une menace pour tous ceux qui arrivent à la fin de leur carrière professionnelle fatigués et sans espoir d'un emploi durable. Que les Britanniques (pour combien de temps?) ou les Américains l'acceptent mieux ne veut certainement pas dire que les Français ont tort de protester.
Cet échange me parait cependant souligner combien la réaction des Français à cette réforme est mal comprise à l'étranger, même par ceux qui connaissent le mieux notre société et l'observent avec le regard le plus bienveillant.
Si cette réforme suscite autant d'opposition alors même, et c'est nouveau, que tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de faire évoluer le système, c'est pour, je crois, quatre motifs :
- cette réforme est profondément injuste, et tout le monde le sent. Cette injustice ne concerne pas seulement ceux qui ont commencé de travailler tôt, comme on l'a dit et répété. Elle touche également les femmes, ceux qui ont des carrières chahutées, ceux qui perdent leur travail en fin de carrière, ceux qui travaillent dans des petites entreprises ou dans des secteurs en déclin (sur ces injustices, voir cette chronique que j'ai donnée à AligreFM) ;
- la manière dont cette réforme a été menée passe outre les organisations syndicales qui gèrent les caisses de retraite et dont c'est, dans un système dans lequel ils ont peu de militants, l'un des rares points forts. La méthode est caractéristique de la façon dont Sarkozy gouverne en négligeant les corps intermédiaires, en arguant de sa légitimité de Président pour trancher dans des domaines qui ne relèvent pas de ses compétences. L'alliance sans faille d'organisations syndicales qui ont plutôt l'habitude de se chamailler vient, pour beaucoup, de là : c'est leur rôle dans le champ social et politique qui se joue ;
- cette réforme ne dit rien de la question centrale : celle de l'emploi et de la croissance sans création d'emplois que nous connaissons depuis quelques années. Si le chômage était plus faible, la question des retraites ne se poserait pas de manière aussi crue, chacun le sait. Or, cette réforme n'en dit rien. J'ajouterai que c'est une question qui ne concerne pas que la France. Il suffit de comparer les courbes de chômage et les gains de productivité aux Etats-Unis, ces derniers mois, pour voir qu'eux aussi viennent, bien après nous, de découvrir ce que voulait dire une croissance sans création d'emplois ;
- cette réforme n'est pas seulement l'abandon d'une vraie conquête sociale (il faut se souvenir que la retraite à soixante ans était la première revendication des organisations syndicales dans les années 70), c'est aussi une menace pour tous ceux qui arrivent à la fin de leur carrière professionnelle fatigués et sans espoir d'un emploi durable. Que les Britanniques (pour combien de temps?) ou les Américains l'acceptent mieux ne veut certainement pas dire que les Français ont tort de protester.
samedi, octobre 23, 2010
De la passivité britannique au binge drinking par le plus court chemin
Interrogé sur la BBC il y a quelques jours, Martin O'Shaughnessy, spécialiste du cinéma français, auteur d'ouvrages sur Jean Renoir et Jean-Luc Godard, mais aussi l'un des deux animateurs du site La France et la crise, se demandait pourquoi les britanniques, et notamment les jeunes, sont plus passifs que les Français. Il répondait à cette question en évoquant l'offensive anti-syndicale de Margaret Thatcher et les mesures prises par son gouvernement pour rendre plus difficiles les manifestations dans la rue. Sans doute a-t-il raison. Mais cela n'explique pas la passivité des jeunes qui ne se sentent d'aucune manière solidaires des travailleurs, alors que ce sentiment de solidarité existe en France ou est, du moins, régulièrement évoqué (que l'on pense au thème de la grève par procuration ou aux discours des dirigeants des organisations étudiantes).
Pour essayer de comprendre cette différence, j'aia fait une recherche sur internet et suis tombé sur cette présentation d'un jeune homme, homonyme de Martin O'Shaugnessy qui commence ainsi : "What can I say? ... I like to get drunk alot and have a good laugh with all my friends, my friends are probably the most important thing in my life ^_^ an I love all of 'em to bits! we go out every saturday and usualy get pissed so i mostly cant remember what i do and sometimes i regret it. I love to do martial arts and am hoping to take my black belt very soon so be ware becasue if you try to fuck with me you will get hurt."
L'auteur de ces quelques lignes, qui me font penser aux thèses de Richard Hoggart sur la culture du pauvre, a 20 ans, il habite Liverpool. Est-il étudiant? travaille-t-il? je l'ignore. Reste que l'on trouve là en quelques lignes une allusion aux beuveries, au binge drinking que l'on rencontre tous les soirs, et notamment le samedi, dans toutes les villes britanniques, et aux sports de combat. Bien loin d'être exceptionnelle cette attitude est très répandue outre-manche.
Je me demande si en fouillant de ce coté là, on ne trouverait pas l'une au moins des raisons de cette passivité britannique. Binge drinking et art martial ne portent pas vraiment à la solidarité. Une société qui tolère ce type de beuveries à répétition chez les jeunes ou, pire, les encourage (et c'est le sentiment que donnent certaines scènes que l'on peut voir régulièrement dans les pubs) n'incite à exprimer ses frustrations en défilant dans les rues lorsque l'occasion s'en présente. Lorsque l'on peut, sinon chaque soir du moins chaque semaine, exprimer sa frustration en buvant jusqu'à s'en rendre malade (ou plutôt pour se rendre malade), on n'a plus tellement le courage ou l'envie de descendre dans la rue pour protester contre des mesures gouvernementales, on a épuisé ses réserves de révolte et de ressentiment.
Pour essayer de comprendre cette différence, j'aia fait une recherche sur internet et suis tombé sur cette présentation d'un jeune homme, homonyme de Martin O'Shaugnessy qui commence ainsi : "What can I say? ... I like to get drunk alot and have a good laugh with all my friends, my friends are probably the most important thing in my life ^_^ an I love all of 'em to bits! we go out every saturday and usualy get pissed so i mostly cant remember what i do and sometimes i regret it. I love to do martial arts and am hoping to take my black belt very soon so be ware becasue if you try to fuck with me you will get hurt."
L'auteur de ces quelques lignes, qui me font penser aux thèses de Richard Hoggart sur la culture du pauvre, a 20 ans, il habite Liverpool. Est-il étudiant? travaille-t-il? je l'ignore. Reste que l'on trouve là en quelques lignes une allusion aux beuveries, au binge drinking que l'on rencontre tous les soirs, et notamment le samedi, dans toutes les villes britanniques, et aux sports de combat. Bien loin d'être exceptionnelle cette attitude est très répandue outre-manche.
Je me demande si en fouillant de ce coté là, on ne trouverait pas l'une au moins des raisons de cette passivité britannique. Binge drinking et art martial ne portent pas vraiment à la solidarité. Une société qui tolère ce type de beuveries à répétition chez les jeunes ou, pire, les encourage (et c'est le sentiment que donnent certaines scènes que l'on peut voir régulièrement dans les pubs) n'incite à exprimer ses frustrations en défilant dans les rues lorsque l'occasion s'en présente. Lorsque l'on peut, sinon chaque soir du moins chaque semaine, exprimer sa frustration en buvant jusqu'à s'en rendre malade (ou plutôt pour se rendre malade), on n'a plus tellement le courage ou l'envie de descendre dans la rue pour protester contre des mesures gouvernementales, on a épuisé ses réserves de révolte et de ressentiment.
Les deux droites
La France et la crise, site gré par des universitaires britanniques, spécialistes de la France, vient de publier une de mes notes sur l'émergence en Europe de deux droites, une droite populiste et xénophobe, à la Sarkozy et à la Berlusconi, et une droite conservatrice à la Cameron. Une révision des analyses de René Rémond sur les trois droites en France qui éclaire, je l'espère, les tensions à droite aujourd'hui en France mais aussi les conflits récurrents entre la France et l'Allemagne. On trouve sur ce site plusieurs autres notes très intéressantes tant en français qu'en anglais.
lundi, octobre 18, 2010
Les agences de notation ne font ni le printemps ni l'automne
Depuis quelques semaines, le gouvernement a ajouté un nouvel argument à sa défense de sa réforme des retraites : le risque de voir, en cas de recul, les agences de notation dégrader la note de la France. Si tel était le cas, nous explique-t-on, nous aurions plus de mal à emprunter pour financer notre déficit ou, plutôt, nous devrions emprunter à un taux plus élevé, ce qui rendrait un peu plus difficile le financement de nos dépenses, le remboursement de nos dettes et aggraverait notre situation.
Il y a quelques mois les mêmes agences étaient accusées de tous les mots, on leur reprochait d’entretenir la spéculation, de pousser la Gréce à la banqueroute. Tout cela est oublié. Elles ont repris le rôle du grand méchant loup qui impose à des politiques qui nous raseraient gratis s’ils le pouvaient de jouer le rôle du père-sévère (et le jeu de mot lacanien va là très bien : c’est pour satisfaire ces agences qu’ils persévèrent dans des réformes dont personne ne veut sous cette forme). C’était hier l’Europe qui tenait ce rôle. Elle s’est évanouie. Et aujourd’hui l’opinion des quelques analystes qui suivent la France (combien? que savent-ils de notre économie? on l’ignore!) dans trois sociétés privées américaines (Standard & Poours, Moody’s qui détiennent chacune 40% du marché de la notation et Fitch Ratings) serait donc plus importante que celle des Français qui refusent à plus de 70% cette réforme? Sans doute faut-il tenir compte de leur avis. Mais de là à construire une politique pour les satisfaire, il y a un drôle de pas.
Sans doute peut-on comprendre qu’un gouvernement qui refuse toute négociation s’abrite derrière la contrainte extérieure pour faire passer des textes contestés. Mais on peut s’interroger sur la légitimité de la démarche. Au moins avec l’Europe pouvait-on se consoler en se disant que nous avions eu notre mot à dire dans les mesures qui nous étaient imposées. Ce n’est même plus le cas. Nos gouvernants n’ont aucun moyen de contrôler les procédures utilisées par ces trois agences qui ont été sélectionnées par le gouvernement américain (la SEC) pour faire partie des NSRO (Nationally Recognized Statistical Rating Organizations). Je ne suis même pas sûr qu’ils connaisse ces procédures ni qu’ils s’en préoccupent. Ces agences ont de l’influence sur les marchés, il faut donc leur faire plaisir. Si l’on voulait illustrer le gouvernement sous le contrôle des marchés, on ne pourrait mieux faire.
On pourrait à ce seul titre critiquer cette manière de se mettre à l’abri et de justifier des décisions prises par des gens qui ont été élus démocratiquement pour faire leur politique et non pas celle des marchés. Mais on peut également se demander si ces agences ont l’importance qu’on leur prête.
Comme l’expliquait dans un courrier au New-York Times en mai dernier Catherine Matis, la senior VP for marketing and communications de Standard & Poors, “From our standpoint, credit ratings are a starting point — not the ending point — of sound investment research. The market benefits from competing views on credit risk, whether from ratings firms or others.” Les investisseurs utilisent bien d’autres indicateurs. Comme l’ont appris à leur dépens les Irlandais, un article du Wall Street Journal peut faire infiniment plus mal qu'une mauvaise note.
Les notes de ces agences ne font ni l’automne ni le printemps. L’Espagne a vu sa note dégradée en septembre dernier, on ne voit pas que le ciel lui soit tombé sur la tête depuis, bien au contraire puisque, comme l’expliquait la BBC au lendemain de cette révision à la baisse de sa note, “Spain's cost of borrowing on 10-year bonds actually fell slightly to 4.1%, reflecting relief among investors that the downgrade was not more severe.” Dit autrement : bien loin d’inquiéter les investisseurs, cette nouvelle note les a rassurés. Et pour un excellent motif : ils ne se contentent pas des seuls avis des agences de notation et tiennent compte de bien d’autres éléments dans leurs jugements. Ce qu’ils savaient de l’Espagne les inquiétait, la pas trop mauvaise note des agences les a rassurés.
A trop affirmer que l’on risque la dégradation de la note des agences à ne pas appliquer leurs réformes, nos gouvernants risquent tout simplement d’affoler les marchés. Et l’on peut craindre qu’ils ne créent eux-mêmes cette défiance qu’ils redoutent. Ils feraient mieux de convaincre les investisseurs qu’avec ou sans réforme, ils n’ont rien à craindre tant notre économie est susceptible de rebondir au premier frisson de la conjoncture. Mais il est vrai que ce serait se retirer un argument massue pour faire passer une réforme dont (presque) personne ne veut.
Il y a quelques mois les mêmes agences étaient accusées de tous les mots, on leur reprochait d’entretenir la spéculation, de pousser la Gréce à la banqueroute. Tout cela est oublié. Elles ont repris le rôle du grand méchant loup qui impose à des politiques qui nous raseraient gratis s’ils le pouvaient de jouer le rôle du père-sévère (et le jeu de mot lacanien va là très bien : c’est pour satisfaire ces agences qu’ils persévèrent dans des réformes dont personne ne veut sous cette forme). C’était hier l’Europe qui tenait ce rôle. Elle s’est évanouie. Et aujourd’hui l’opinion des quelques analystes qui suivent la France (combien? que savent-ils de notre économie? on l’ignore!) dans trois sociétés privées américaines (Standard & Poours, Moody’s qui détiennent chacune 40% du marché de la notation et Fitch Ratings) serait donc plus importante que celle des Français qui refusent à plus de 70% cette réforme? Sans doute faut-il tenir compte de leur avis. Mais de là à construire une politique pour les satisfaire, il y a un drôle de pas.
Sans doute peut-on comprendre qu’un gouvernement qui refuse toute négociation s’abrite derrière la contrainte extérieure pour faire passer des textes contestés. Mais on peut s’interroger sur la légitimité de la démarche. Au moins avec l’Europe pouvait-on se consoler en se disant que nous avions eu notre mot à dire dans les mesures qui nous étaient imposées. Ce n’est même plus le cas. Nos gouvernants n’ont aucun moyen de contrôler les procédures utilisées par ces trois agences qui ont été sélectionnées par le gouvernement américain (la SEC) pour faire partie des NSRO (Nationally Recognized Statistical Rating Organizations). Je ne suis même pas sûr qu’ils connaisse ces procédures ni qu’ils s’en préoccupent. Ces agences ont de l’influence sur les marchés, il faut donc leur faire plaisir. Si l’on voulait illustrer le gouvernement sous le contrôle des marchés, on ne pourrait mieux faire.
On pourrait à ce seul titre critiquer cette manière de se mettre à l’abri et de justifier des décisions prises par des gens qui ont été élus démocratiquement pour faire leur politique et non pas celle des marchés. Mais on peut également se demander si ces agences ont l’importance qu’on leur prête.
Comme l’expliquait dans un courrier au New-York Times en mai dernier Catherine Matis, la senior VP for marketing and communications de Standard & Poors, “From our standpoint, credit ratings are a starting point — not the ending point — of sound investment research. The market benefits from competing views on credit risk, whether from ratings firms or others.” Les investisseurs utilisent bien d’autres indicateurs. Comme l’ont appris à leur dépens les Irlandais, un article du Wall Street Journal peut faire infiniment plus mal qu'une mauvaise note.
Les notes de ces agences ne font ni l’automne ni le printemps. L’Espagne a vu sa note dégradée en septembre dernier, on ne voit pas que le ciel lui soit tombé sur la tête depuis, bien au contraire puisque, comme l’expliquait la BBC au lendemain de cette révision à la baisse de sa note, “Spain's cost of borrowing on 10-year bonds actually fell slightly to 4.1%, reflecting relief among investors that the downgrade was not more severe.” Dit autrement : bien loin d’inquiéter les investisseurs, cette nouvelle note les a rassurés. Et pour un excellent motif : ils ne se contentent pas des seuls avis des agences de notation et tiennent compte de bien d’autres éléments dans leurs jugements. Ce qu’ils savaient de l’Espagne les inquiétait, la pas trop mauvaise note des agences les a rassurés.
A trop affirmer que l’on risque la dégradation de la note des agences à ne pas appliquer leurs réformes, nos gouvernants risquent tout simplement d’affoler les marchés. Et l’on peut craindre qu’ils ne créent eux-mêmes cette défiance qu’ils redoutent. Ils feraient mieux de convaincre les investisseurs qu’avec ou sans réforme, ils n’ont rien à craindre tant notre économie est susceptible de rebondir au premier frisson de la conjoncture. Mais il est vrai que ce serait se retirer un argument massue pour faire passer une réforme dont (presque) personne ne veut.
Inscription à :
Articles (Atom)