A l’occasion des dernières grèves, on a entendu de nombreux commentateurs demander l’augmentation du Smic, demande qu’ils justifiaient de deux manières :
- d’abord, en avançant un argument de type pragmatique : on ne peut pas vivre de manière décente avec un salaire aussi faible, ce qui est vrai,
- ensuite, et surtout, en avançant un argument directement emprunté à la vulgate keynésienne (la thèse de la demande effective) : une augmentation du salaire minimum augmente le pouvoir d’achat global, relance l’activité et crée, donc, de l’emploi.
Cet argument économique est souvent repris par les syndicalistes. Il a malheureusement perdu beaucoup de sa validité.
On sait qu’au début des années 80, la relance de l’activité organisée par le gouvernement Mauroy avait buté sur le fait que ces augmentations de salaires avaient surtout servi à acheter des produits importés, notamment des produits venus d’Asie. Si créations d’emploi il y a eu, elles se sont faites à l’étranger.
Un autre mécanisme rend aujourd’hui peu probable la relance de l’activité par le salaire : l’évolution de l’environnement légal et réglementaire. Ces vingt dernières années, on a multiplié les exceptions au contrat de travail ordinaire. Les entreprises qui recrutent ne se contentent plus de choisir des salariés, elles choisissent également leurs contrats : intérim, CDD, stage, CDI, durées de travail… Or, cette liberté de choix leur permet de corriger les effets des augmentations de salaire. Une augmentation du Smic peut être rapidement compensée dans les entreprises à fort turn-over par une modification des contrats de travail : plutôt que de recruter des salariés à plein temps, elles recrutent des salariés à temps partiel. Dans celles qui utilisent de l’intérim, il suffit de la même manière d’agir sur la variable intérim pour maintenir la masse salariale à son niveau initial. Les modifications apportées par le gouvernement Raffarin aux lois Aubry sur la réduction du temps de travail ont donné aux entreprises de nouveaux outils allant dans le même sens : l’employeur étant celui qui décide du nombre d’heures supplémentaires, il peut contrôler sa masse salariale en jouant sur ce paramètre.
On objectera à cela que toutes les entreprises n’ont pas un turn-over élevé. Ce qui est exact à ceci près :
- que les entreprises qui conservent longtemps leurs salariés les rémunèrent souvent au dessus du Smic, ce qui leur permet d’effacer la hausse (il suffit de ne pas en tenir compte),
- que ces entreprises jouent souvent sur les qualifications de leurs collaborateurs pour maîtriser leur masse salariale.
Quoique moins connu ce phénomène est très répandu. Un salarié exerce toujours plusieurs tâches qui ne sont pas toutes valorisées de la même manière. Pour ne prendre que cet exemple, un ingénieur effectue des tâches qui demandent des compétences élevées et justifient d’un salaire important et d’autres, plus banales, que pourraient prendre en charge des collaborateurs moins bien rémunérés (comme la saisie de textes sur un ordinateur). Il suffit pour une entreprise de jouer sur cette répartition des tâches, de donner à un salarié des tâches correspondant à un niveau de qualification supérieur au sien pour effacer en partie les augmentations salariales. C’est ce que font en permanence les PME et de plus en plus souvent les grandes entreprises qui, sous couvert, d’enrichissement des tâches lissent vers le bas leur masse salariale (les grandes entreprises obtiennent le même résultat en réduisant le nombre de niveaux hiérarchiques : des salariés plus autonomes permettent de faire l'économie du management de proximité). Elles le font d’autant plus facilement que les salariés sont les premiers à réclamer ces évolutions : des tâches plus riches sont plus intéressantes et plus prometteuses que des tâches trop parcellisées.
Pour tous ces motifs, des augmentations du salaire minimum, si elles sont souhaitables, risquent de ne pas avoir d’effet positif sur l’activité. Disons le clairement : il n’y a pas de quoi s’en félliciter.
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