vendredi, avril 22, 2005

Des petits états valent-ils mieux qu'une grande Europe?

Le débat sur la constitution traverserait-il l’Atlantique ? Dans le blog qu’ils partagent, Richard Posner et Richard Becker, le premier théoricien réputé de l’approche économique du droit, le second Prix Nobel d’économie connu pour sa théorie du capital humain et l’utilisation du raisonnement économique pour analyser les comportements sociaux, s’interrogent sur la taille des nations. Why small has become beautiful s’interroge Becker. Son papier commence par une référence à un des pères de la constitution américaine, Alexander Hamilton, qui dans ses Federalist papers justifie la création des Etats-Unis pour des raisons économiques qui ne sont pas sans rappeler les arguments utilisés depuis une cinquantaine d’années par les avocats de l’Europe : croissance assurée grâce à un marché intérieur plus vaste, pouvoir central plus riche et donc plus puissant qui peut mieux protéger des agressions extérieures et mieux collecter l’impôt. Et, cependant, dit-il, depuis 1946 le nombre de pays a explosé passant de 76 à près de 200 ans. La fin des empires coloniaux a joué un rôle important, mais ces dernières années, on a vu plusieurs pays se scinder (Yougoslavie, Tchécoslovaquie, empire soviétique) et des mouvements autonomistes un peu partout dans le monde (il cite le pays basque et Québec) font penser que ce n’est pas terminé. Or, dit-il, ce rétrécissement des pays n’a pas empêché, à l’inverse de ce que disait Hamilton, leur croissance. Les dragons asiatiques sont de petits pays. A cela dit-il deux motifs :
- le Gatt, puis l’OMC ont fait tomber les barrières douanières et donné aux pays dont le marché intérieur est trop étroit la possibilité de vendre leur production à l’étranger. Leur taille les empêchant de développer des politiques d’autosuffisance les a amenés à se spécialiser dans quelques niches où ils sont rapidement devenus compétitifs (il donne bizarrement en exemple de cette stratégie de niche Monaco et ses activités financières) ;
- ils n’ont pas eu besoin d’investir massivement dans les dépenses militaires puisqu’ils ont pu vivre protégés par le gendarme américain et l’ONU qui règle les conflits internationaux.
A contrario, ajoute-t-il, on a vu l’impact sur l’économie allemande de la réunification. : explosion du chômage, ralentissement de la croissance. Si ces deux pays étaient restés indépendants, explique-t-il, les salaires est-allemands seraient restés faibles (à hauteur de la productivité des salariés), les entreprises allemandes et européennes auraient délocalisé pour profiter de ces salaires plus faibles et l’Allemagne de l’Ouest n’aurait pas autant souffert.
Ce à quoi Posner répond que d’un point de vue historique l’éclatement des Empires et la création de nouvelles nations est le fait de mouvements nationalistes. Ce qui est évidemment le bon sens. Il déplace la discussion en mettant l’accent sur les problèmes de gouvernance, de gouvernement. S’il est, dit-il en substance, plus difficile de gouverner un grand Etat, il est toujours possible de résoudre cette difficulté en jouant de la décentralisation comme le montre le fédéralisme américain.
A première vue, cette discussion qui met en avant les mérites des petits pays pourrait apporter des armes aux partisans du non à la constitution. Mais ce serait à condition d’accepter ce que justement ils refusent : la libre circulation des biens et des services, l’ouverture des frontières, le libre jeu des marchés et les délocalisations. Les partisans du oui disent souvent que les libéraux et les anglo-saxons (qu'ils mélangent pour l’occasion de manière un peu injuste, mais c’est une autre histoire) n’ont qu’un désir : que les Français votent non et que l’Europe reste ce qu’elle est : un vaste marché intérieur sans trop de lois. Cet échange entre deux intellectuels américains ultralibéraux le confirme.

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