Les dernières déclarations de Manuel Valls sur les 35 heures sont désolantes à plus d’un titre. Elles montrent une nouvelle fois :
- que le débat tourne autour d’idées fausses,
- que les socialistes n’ont jamais su ni voulu développer un argumentaire solide en faveur de la réduction du temps de travail,
- que le bilan de celle-ci n’a jamais vraiment été fait.
Commençons par deux idées fausses :
- on confond presque systématiquement 35 heures et réduction de la durée réelle du travail. Ce sont deux choses différentes. Les 35 heures sont une durée légale qui ne concernait pas, d’ailleurs, au début les petites entreprises. Les salariés travaillent en moyenne bien plus que 35 heures, mais la rémunération des heures travaillées au delà est majorée. Ce qui n’est évidemment pas la même chose. Du reste toutes les statistiques européennes l’indiquent, les Français ne travaillent pas moins que les autres européens (ils travaillent en moyenne 37,9 heures hebdomadaire, contre 37,4 heures en moyenne en Europe). Si les entreprises avaient vraiment souffert de cette réduction du temps de travail, elles auraient tout fait pour récupérer les heures perdues. Elles auraient, par exemple, réduit la formation permanente dont chacun sait bien qu’elle est le plus souvent inutile. Elles ne l’ont pas fait. Et elles ne l'ont pas fait parce qu'elles n'en avaient pas besoin : les marges de gain de productivité étaient dans la plupart des entreprises suffisantes pour compenser les heures éventuellement perdues ;
- on associe 35 heures et augmentation des coûts salariaux. Là encore on commet une erreur. Le passage aux 35 heures s’est accompagné d’une baisse des cotisations sociales. Comme l’écrivent les auteurs du Rapport à la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale en 2009, “A partir de 1993, les divers dispositifs d’allégements de cotisations ont en effet compensé en partie l’augmentation des salaires, neutralisé le choc des 35 heures, et ralenti la progression du coût du travail.” On pourrait même a contrario dire que la mesure a freiné les hausses de salaires à une époque où, du fait du recul du chômage, ceux-ci auraient pu augmenter.
Au vu de ces réalités, on pourrait assez justement se demander pourquoi les 35 heures continuent de susciter autant de contestation. La raison en est pour une part idéologique et politique, mais il y a, je crois, autre chose : les 35 heures se sont révélées un véritable casse-tête pour les entreprises, pour leur management et pas seulement pour leurs directions (je dirai même que les directions générales ont souvent mieux pris la mesure que le management intermédiaire). Ces difficultés ont été aggravées dans les services publics, notamment l'hôpital, qui étaient, par ailleurs, confrontés à des réductions de budget.
Les socialistes avaient avec cette loi une double ambition :
- créer de l’emploi et s’ils n’ont pas atteint leur objectif (700 000 créations d’emplois) on ne peut pas non plus dire qu’ils aient complètement échoué puisqu’il y a eu entre 300 et 400 000 créations d’emplois ;
- amener les entreprises à développer un emploi durable et ceci en internalisant la flexibilité : les différents aménagements au code du travail qui ont accompagné les lois sur les 35 heures devaient donner aux entreprises la possibilité d’introduire de la flexibilité sans pour autant augmenter la précarité (sous forme d’intérim ou de sous-traitance). Or, cet objectif s’est révélé très difficile à mettre en place. Sur le papier il est facile et astucieux de faire varier les horaires des salariés en fonction de la charge de travail. Dans la réalité, c’est, dans la plupart des métiers, très compliqué : les entreprises savent rarement anticiper leur charge de travail plusieurs mois à l’avance. Quant aux salariés, ils ne veulent certainement pas organiser leur vie en fonction de la charge de travail de leur employeur : qui a envie de partir en vacances au mois de novembre?
Quand on regarde dans le détail la loi et les possibilités qu’elle offrait aux entreprises on s’aperçoit que la plupart n’en ont pas tiré pleinement parti. Je ne prendrai qu’un exemple : la loi permettait aux entreprises de négocier une transformation profonde de la formation permanente. Il était possible de demander aux salariés de prendre des jours de formation sur leurs périodes de congé. Combien d’entreprises ont utilisé cette solution pour améliorer leur capital humain?
Mais le plus désolant est sans doute que les socialistes n’aient pas su développer un argumentaire économique convaincant. C’était pourtant possible. Il leur aurait suffi de regarder ce qui s’est effectivement produit dans les premiers mois. La loi demandait aux entreprises de réduire de 10% le temps de travail (passer de 39 à 35 heures) mais leur imposait, pour obtenir les baisses de cotisation sociale, d’augmenter de 6% leurs effectifs. Qu’ont fait celles qui ont joué le jeu? Elles ont recruté, investi dans la modernisation de leurs installations et fait évoluer leur organisation. Cette loi, dans ses premiers mois, contribué à la croissance en mettant en branle simultanément ses deux moteurs : la consommation des ménages (par la création d’emplois) et l’investissement.
Si les socialistes n'ont pas su mieux défendre cette loi c'est qu'ils n'ont, dans leurs profondeurs, probablement jamais vraiment cru aux 35 heures. Les déclarations de Valls ne font que le confirmer.
1 commentaire:
"La loi demandait aux entreprises de réduire de 10% le temps de travail (passer de 39 à 35 heures) mais leur imposait, pour obtenir les baisses de cotisation sociale, d’augmenter de 6% leurs effectifs."
Mais notez bien qu'en 2001 la deuxième loi Aubry a supprimé cette condition.
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