dimanche, décembre 25, 2005

Combien de temps dure Noël?

Je passe, ce 25 décembre, vers 16h50 rue Saint-Guillaume. La nuit n'est pas encore tombée, Paris est vide, mais je croise un habitant de cette petite rue qui vient jeter à la poubelle, dans le sac plastique doré de rigueur, son sapin de Noël. Il en est pour qui la fête ne dure pas très longtemps. Il est vrai que ce brave homme n'est plus, depuis longtemps, d'âge à croire au Père Noël.

Le piratage et le juste prix

Alors qu'au Parlement, on se préoccupe beaucoup de téléchargement, on parle moins des motifs pour lesquels on pirate. Or, là est peut-être la réponse aux questions que l'on se pose. J'avancerai deux motifs :
- la disponibilité : on trouve sur internet des choses qu'on ne trouve pas dans le commerce, et on les télécharge parce qu'on n'a pas d'autre manière de se les procurer. L'exemple le plus courant est celui des séries télévisées qui passent aux Etats-Unis et qu'on n'a pas en France ou (autre cas de figure) qu'on ne peut avoir qu'en s'abonnant à Canal Plus, ce qui fait un peu cher pour voir une émission, mais il y a d'autres exemples : Amazon, itunes et tous les distributeurs sur internet font pus de la moitié de leur chiffre d'affaires avec des disques, des livres… qu'on ne trouve pas dans le commerce (Amazon réalise un plus gros chiffre d'affaires avec les livres qui ne sont pas en vente chez Barnes Nobles qu'avec les 130 références que possède le grand libraire américain ;
- le coût trop élevé. Les éditeurs de disques, de films, de livres… vendent aux distributeurs sur internet à des coûts correspondant à leurs prix de vente en gros de leurs produits dans les circuits traditionnels. Apple achèrait les chansons qu'il vend 0,99$, 0,65$. L'objectif est, bien évidemment, déviter une révolte de leurs distributeurs, mais c'est évidemment bien trop cher et n'a aucun rapport avec ce que devrait être le prix d'une chanson prise sur internet.
On sait que les téléchargements pirates sont lents, très lents, prennent beaucoup plus de temps que les téléchargements payants.
Si l'on s'en tient à l'analyse économique, les pirates acceptent de travailler dans de mauvaises conditions (avec un ordinateur dont les performances sont ralenties) pour deux motifs :
- ils ne trouvent pas ailleurs le produit qu'ils recherchent,
- le prix à payer dans le circuit officiel ne compense les coûts qu'il y a à se fournir sur lecircuit parallèle : temps de connexion, ordinateur ralenti, attente du produit.
Le piratage cessera le jour où les producteurs se comporteront autrement qu'en défenseurs du passé.

samedi, décembre 24, 2005

Une exposition à ne pas manquer : Photo de ma photo

Il s'agit d'une exposition de photographie de quelqu'un qui n'a jamais été photographe au sens où tant d'autres ont pu l'être. Maurice Lemaitre dont on pourra début janvier voir un peu plus de 50 ans de photos à la galerie Christian Siret, dans les jardins du Palais-Royal, est plutôt un peintre qui s'est amusé avec la photographie, qui y a gllissé des signes, des lettres, des mots inventés, qui a joué en laboratoire. Le résultat est souvent étonnant et mérite d'être vu. J'ajouterai que ceux qui connaissent un peu l'oeuvre de Maurice Lemaitre, qu'il s'agisse de ses peintures, de ses films ou de ses poèmes phonétiques, letttristes, seront probablement surpris de découvrir que c'est dans cet art "mineur' (mineur pour lui en tout cas) qu'il a donné le meilleur de lui-même. Je ne suis pas certain que Maurice Lemaitre ait, demain, une grande place dans les histoires de l'art (s'il me lit, il va me jeter un sort!), sinon pour ces photos.

mercredi, décembre 21, 2005

Un nouveau navigateur

Je viens de découvrir un nouveau navigateur, encore à l'état de développement, tout à fait remarquable qui permet de stocker les signets sur la toile (et donc de les partager, mais aussi de les exploiter de manière infiniment plus commode que lorsqu'on les stocke sur son propre ordinateur), de rédiger des notes sur son blog et plein d'autres choses…

son nom : Flock. Je n'en ai pas encore fait le tour, je dois vérifier qu'il est plus rapide et aussi fiable que Safari, Camino ou Firefox que j'utilise régulièrement, mais il est sur plusieurs points déjà plus avancés que chacun de ces produits dont je pensais encore hier qu'ils étaient ce que l'on peut faire de mieux.

mardi, décembre 20, 2005

2 semaines de silence et… un livre

Je suis resté deux semaines sans intervenir sur ce blog. C'est long, trop long, mais j'ai une excuse : j'étais occupé à écrire et corriger le manuscrit d'un livre qui doit sortir en janvier aux éditions les Points sur les i sur les émeutes de novembre. Ma thèse en deux mots : nous avons assisté à deux mouvements simultanés : une insurrection des jeunes qui n’en peuvent plus du harcèlement policier, de l’échec scolaire et de tout ce qu’ils vivent comme des injustices, le ras le bol de leurs parents et de leurs « grands frères » qui ne supportent plus les discriminations et le soupçon qui les accompagnent en permanence. Tout le livre consiste à analyser en parallèle ces deux mouvements. A très bientôt en librairie…

La technologie aura-t-elle la peau des auteurs?

Je me souviens d'avoir lu, il y a une quinzaine d'années, peut-être plus, dans une revue américaine d'intelligence artificielle (elle s'appelait, je crois, tout simplement IA) un bel article racontant comment l'épouse d'un chercheur en informatique devenu amnésique avait demandé à ses collègues, amis, cousins… de raconter les aventures qu'ils avaient vécues ensemble sur un programme informatique. Elle pensait qu'en relisant son histoire vue par d'autres son mari retrouverait la mémoire. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de cette expérience, mais je retrouve ce principe sur un site consacré à l'histoire du Macintosh, Folklore.org, qui demande aux acteurs de raconter l'histoire de leur point de vue, de se compléter et se corriger éventuellement. On n'est pas très loin de Wipikedia, l'encyclopédie qui se construit de manière collective et anonyme (les articles ne sont pas signés). Sans doute voit-on d'ailleurs, au travers de ces différentes expériences s'évanouir la notion d'auteur dont Roger Chartier avait raconté l'émergence dans un beau livre trop méconnu : L'ordre des livres, publié aux éditions Alinéa en 1992, dans lequel il fait l'histoire du concept d'auteur et montre comment il est apparu au XVIIIème siècle avec la professionnalisation de l'écriture.

jeudi, décembre 01, 2005

La renationaliation de la musique contemporaine

Le compositeur Philippe Hurel que je rencontrais hier pour préparer un hommage à Ivo Malec, me disait les difficultés que ses collègues et lui-même avaient à se faire jouer à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne. Pierre Boulez s'en est, me dit-il, récemment ému, comparant l'ouverture internationale de sa génération à la fermeture actuelle.
Phiippe Hurel explique cela par la réduction des budgets. Lorsqu'ils sont trop faibles, on tente de les garder pour soi et on évite de les laisser partir à l'étranger.
Comme quoi, la mondialisation n'est pas ce long fleuve tranquille qu'on nous décrit parfois.

Internet va-t-il améliorer la presse écrite?

Si la nouvelle formule du Monde a été conçue pour résister à la déferlante Internet, c'est une réussite : articles plus riches, plus longs, qu'on lit moins bien sur un écran, papiers plus approfondis qui marquent la différence avec les à peu près des blogs et autres journalistes de forutune que l'on trouve sur le net, information plus variée (dans le numéro daté d'aujourd'hui une double page sur le procés d'Outreau et une autre sur les collectionneurs d'art contemporain), toutes ces innovations qui vont à l'encontre de ce que l'on a souvent entendu (les lecteurs aimeraient des papiers plus courts, comme si l'on pouvait, en faisant plus court, faire concurrence à la radio ou à la télé?) améliorent incontestablement la qualité du journal.

Elles procédent de deux mécanismes :
- mimétisme du journalisme internet : multiplication des informations, des points de vue qui permet au lecteur qu'un sujet intéresse de l'approfondir,
- exploitation des atouts du papier : il est plus facile et agréable de lire sur papier que sur écran, meilleur contrôle et donc fiabilité de l'information.

On verra si la nouvelle formule de Libération s'oriente dans la même direction. Reste à la presse à résoudre deux problèmes :
- inventer une articulation entre sa version imprimée et sa version électronique : les blogs des journalistes que proposent Le Monde et Libération sont une première piste intéressante, mais il y a encore beaucoup à faire (comme, par exemple, une meilleure exploitation des archives) ;
- résoudre le problème de sa distribution. Même lorsque l'on vit au centre de Paris, on n'est pas assuré de trouver facilement un quotidien (pour ne citer que cet exemple, il m'arrive d'aller à pied de Saint-Germain des Près à Boulogne. Je traverse la moitié de Paris sans passer devant un kiosque).

mercredi, novembre 30, 2005

Jeux de mots

En 1971, Ivo Malec, compositeur auquel je vais prochainement consacrer une série de trois émissions dans Dissonances, compose une oeuvre dont le titre est bien dans la manière de l'époque : Ga(m)mes. Je dis bien dans la manière parce qu'on y retrouve ces jeux de mots (ici entre la gamme musicale, synonyme d'ordre, et le game britannique, synonyme de jeu, de désordre) que l'on pratiquait alors sans retenue dans les milieux intellectuels. C'est la psychanalyse, dans sa version lacanienne, qui nous avait enseigné cette figure de style dont je me demande si elle n'est pas aujourd'hui un peu démodée.
Il serait amusant (juste amusant, rien de plus) de faire un petit dictionnaire de ces jeux de mots…

jeudi, novembre 24, 2005

Casser le thermomètre

Un malade qui a de la fièvre peut prendre de l'aspirine ou casser le thermomètre. C'est cette dernière solution qu'ont intelligemment retenue un certain nombre de députés UMP (pas quelques uns, 153 d'après Le Monde auxquels il convient d'ajouter 40 sénateurs) qui ont ont demandé au ministre de la justice d'envisager des poursuites contre sept groupes de rap. S'ils voulaient mettre de l'huile sur les braises mal éteintes des banlieues, ils ne pouvaient guère faire mieux. Mais peut-être s'en moquent-ils : plus les banlieues brûlent, plus la France, dit-on, vire à droite.
Plus grave : ils s'interdisent de comprendre ce qui s'y passe. car, à défaut de porte-parle, de leader ou de revendications, le seul moyen que l'on ait d'entendre les jeunes des quartiers difficiles, le seul outil qui permette d'analyser et de comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, ce sont justement les textes de ces rappeurs, souvent violents, excessifs et maladroits, mais passionnants pour qui se donne la peine de les lire, ce qui n'est pas très difficile puisque la plupart sont accessibles sur internet. On y découvre la rage de ces jeunes (une rage qui leur interdit justement de formuler des revendications), leur colère contre la police qui les harcèle en permanence, contre la police qui condamne à des mois de prison un gamin qui incendie des voitures mais exonère de toute responsabilité un flic qui a tue un gosse, mais aussi contre leurs pères. Et s'il est vrai qu'ils parlent de violences et d'émeutes, ils éclairent ce qui s'est passé ces dernières semaines bien plus qu'ils n'appellent au meurtre.

dimanche, novembre 20, 2005

Tour de Babel

Je feuillette le beau livre d'Eugene Green, La Parole baroque, pour la préparation d'une émission sur l'opéra de Salvatore Sciarrino (Luci mei traditrici) basé sur une pièce italienne du 17ème siècle. J'y trouve ce passage : "les pronociations anciennes avaient comme caractéristiques générales de s'ouvrir plus facilement à la voix et de permettre aux langues de s'ouvrir les unes aux autres. Aux oreilles des peuples latins, l'anglais devait moins sembler une bouillie, et il formait avec l'écossais un dialecte jumeau ; le portugais et le catsillan étaient largement compréhensibles à ceux qui parlaient l'autre langue, et le catalan s'ouvrait sur l'occitan et sur le français, dont les éléments sonores étaient plus facilement saisissables qu'aujourd'hui aux autres peuples." Y aurait-il là une piste pour comprendre le multilinguisme africain et, mais c'est plus contestable, une voie pour éviter cette absurde domination de l'anglais dont j'ai dit par ailleurs sur ce blog quelques uns des inconvénients?

samedi, novembre 19, 2005

L'UMP a-t-il organisé l'arrivée de Le Pen au second tour?

On a beaucoup dit en 1981 que les chiraquiens avaient favorisé l'élection de Mitterrand en incitant plusieurs de leurs amis à voter Mitterrand pour mieux faire battre Giscard (les communistes auraient dit-on fait la même chose dans l'autre sens). Une conversation entendue hier me fait penser qu'ils ont peut être recommencé lors des dernières élections présidentielles. Je passe sur les détails, mais j'ai entendu deux chiraquiens notoires de ma connaissance se vanter d'avoir voté et fait voter Le Pen au premier tour pour qu'il passe devant Jospin. Je ne sais pas s'il s'est agi d'une initiative personnelle ou d'une consigne donnée à quelques fidèles parmi les fidèles, mais on ne peut l'exclure : la manoeuvre était habile et elle a réussi. Pas très élégant, pas vraiment ragoûtant, mais efficace!

Quand un économiste vole du fumier…

On reproche souvent aux économistes d'être coupés des réalités à force de ne voir le monde qu'au travers de leurs équations. Ce n'est pas le cas de tous. Martin Weitzman, un économiste réputé qui enseigne à Harvard où il s'est fait une réputation dans le domaine de l'économie de l'environnement, est également un fervent pratiquant des méthodes naturelles de culture des fleurs, comme vient de le révéler l'étrange aventure qui lui a fait quitter les bancs de l'Université pour ceux du tribunal. Il est, en effet, accusé par un fermier de ses voisins, de vol de fumier. L'économiste ne nie pas s'être servi sur les terres de son voisin (difficile de le nier puisqu'il a été supris la pelle dans le tas), mais il assure qu'on lui en avait donné, il y a quelques années, l'autorisation. Qui? Il ne sait plus très bien, ce qui affaiblit son cas, mais il est à ce point convaincu de sa bonne foi qu'il a refusé toute transaction et qu'il veut aller devant un jury, ce qui inciterait plutôt à croire en sa bonne foi. Dans tous les cas de figure il nous aura fait sourire et peut-être même trouvera-t-il là l'occasion d'un nouvel article qui fera date. Un article sur les transactions ambiguës, par exemple.
Pour en savoir plus sur cette passionnante affaire, vous pouvez vous rendre sur le site du Boston Globe

mardi, novembre 15, 2005

Retour à l'emploi : l'exemple coréen

Les performances françaises en matière de politique de l'emploi sont si médiocres que l'on a tout intérêt à regarder ce qui se fait ailleurs. Parmi les idées que l'on pourrait reprendre, il y a ce bonus que le système d'allocation chômage coréen a mis en place poour inciter les chômeurs à reprendre rapidement un emploi. Le principe est le suivant : le salarié au chômage a droit à des allocations chômage versés pendant une période définie. S'il retrouve un emploi avant la moitié de cette période, l'organisme d'assurance chômage lui verse ce qu'il aurait perçu s'il avait épuisé ses droits sous forme de prime. C'est certainement une incitation à reprendre rapidement un emploi. C'est en tout cas plus astucieux que nos dispositifs qui 1/ enferment les chômeurs dans l'inactivité (tous les dispositifs de formation qui ne servent qu'à allonger les périodes de versement des allocations) et 2/ sanctionnent ceux qui ne reprennent pas assez rapidement un emploi.

Brûler les écoles

Le geste le plus fort, le plus fou, le plus incompréhensible des jeunes émeutiers a certainement été la mise à feu (pas à sac, mais à feu) d'écoles, crèches et gymnases. Incompréhensible, véritablement scandaleux et à ce titre, très significatif. On pourrait expliquer ce geste en remarquant, tout simplement que l'école, la crèche ou le gymnase sont les seules institutions publiques présentes dans les quartiers (les jeunes ne se sont pas atttaqués aux commissariats parce qu'il n'y en a pas dans leurs quartiers). Ce ne serait pas faux. Mais si ces institutions, et celles-là seulement, sont présentes dans les quartiers, c'est que ce sont les plus bienveillantes, les seules qui emploient des fonctionnaires capables de consacrer temps et énergie à aider, éduquer, former les enfants qui habitent ces quartiers, comme le montrent une nouvelle fois les reportages de Libération ce matin. C'est donc injuste, doublement injuste. Injuste pour l'institution qui se maintient envers et contre tout là où plus personne ne veut s'installer, injuste pour ses membres qui travaillent et s'investisent. On comprend donc la colère de ceux qui tiennent à l'école (je pense à Alain Finkelkraut) et qui ne comprennent pas qu'on puisse la détruire alors même que sa mission est, justement, de permettre aux enfants qui n'ont pas des parents fortunés (ce qui a sans doute été le cas de Finkelkraut, fils d'immigrés polonais) de s'en sortir et de réussir de brillantes carrières.
Mais cette même école, et c'est ce que nous disent à leur manière, violente, brutale, les émeutiers est aussi un lieu de souffrance et d'humiliation. Humiliation du mauvais élève que l'on montre du doigt, que l'on évalue et que l'on juge. Souffrance du petit gamin qui ne rève que de courir et que l'on force à se tenir assis, le dos raide sans s'endormir pendant de longues heures. Il y a dans l'enseignement de la discipline et du dressage que l'on supporte plus ou moins bien, que l'on supporte mal lorsque l'on est un petit graçon turbulent en quête d'un modèle masculin et que l'on ne trouve que des institutrices qui ont toutes les vertus du monde mais qui ne comprennent pas le plaisir que l'on peut éprouver à se battre, à voir les autres se battre ("du sang! du sang!" crions nous adolescents lorsque deux de nos camarades se battaient), à faire le malin.
Ceux que leur famille aide, soutient en lui répètant à l'envie que cette souffrance sera récompensée un jour supportent assez bien cette souffrance et ces humiliations. On la supporte moins bien lorsque votre famille ne vous dit pas cela, ne peut pas vous dire cela parce qu'elle sait bien que c'est faux.
Si l'on ajoute à cela que l'école est dans les quartiers, l'école est la seule institution qui rappelle les règles, on comprend mieux qu'elle soit visée lorsque ces règles sont contestées.

lundi, novembre 14, 2005

Marseille : des grèves mais pas d'émeutes

Il y a à Marseille des grèves dures depuis plus d'un mois, mais il n'y a pas eu d'émeutes ou en tout cas rien à voir avec ce que l'on a connu ailleurs. Alors même que c'est l'une des villes qui a le plus fort taux de population d'origine immigrée. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de Montpellier ou de Nice. Pourquoi? Peut-être est-ce tout simplement qu'il n'y a pas dans cette ville pauvre de ségrégation spatiale ou bien moins qu'ailleurs : il n'y a pas de banlieue difficile, rien en tout cas à voir avec ce que connaissent tant d'autres villes. Y a-t-il un rapport de cause à effet? Et si c'est le cas, comment l'expliquer?
Est-ce que cela tient à un contrôle social plus fort du fait d'une plus grande mixité? d'une strtucture urbaine plus serrée? des comportements quotidiens de la police plus "civils" du fait même de cette mixité? des effets positifs d'une pauvreté largement partagée (quand tout le monde est pauvre, on a moins le sentiment d'être victime de discriminations)? Il y a là en tout cas quelquechose à regarder de plus près.

dimanche, novembre 13, 2005

Sarkozy a-t-il choisi l'affrontement?

On a souvent accusé Sarkozy d'avoir une importante part de responsabilité dans ce qui s'est produit, tant il a contribué par ses insultes (en parlant de racaille) à exaspérer les jeunes gens et tant il a jeté de l'huile sur le feu en proposant d'expulser les étrangers. Bernard Salanié dans le blog qu'il écrit depuis qu'il est aux Etats-Unis en rajoute une couche. Il fait état d'une conversation avec Sudhir Venkatesh, un sociologue qui a beaucoup travaillé dans les quartiers difficiles et, notamment, en France. Je le cite :

"Au chapitre des similarités (entre la France et les Etats-Unis), Sudhir relève le rôle des "local brokers" : des intermédiaires entre la police et la communauté, parfois semi-institutionnels comme les animateurs de quartier ou les "grands frères", parfois beaucoup plus informels. Dans cette dernière catégorie, on peut trouver aussi bien des chefs de clans, des anciens, des mères de famille (c'est souvent le cas chez les Noirs américains pauvres), ou même des délinquants pas trop dangereux. Faveur contre faveur : ces intermédiaires maintiennent un semblant d'ordre, et la police ferme les yeux sur certaines de leurs activités et/ou leur accorde des traitements favorables pour, par exemple en France, l'obtention de papiers---ce qui renforce naturellement leur pouvoir.

Comme beaucoup de francais dans le public, je n'avais jamais entendu parler du rôle de ces brokers en France ; mais je doute que Sudhir les ait inventés. Il paraît effectivement logique que devant le semi-échec de la police de proximité (largement rejetée par les policiers comme on le sait), il ait fallu trouver un substitut. Il y a là un danger évident : voir les dérives corses, ou la Mafia en Sicile, quand les brokers commencent à s'organiser en réseau et deviennent incontrôlables. D'après les contacts de Sudhir, la police francaise aurait rompu ses liens avec ces intermédiaires dès le début des émeutes ; si c'était vrai, il faudrait en conclure que le gouvernement, ou au moins le Ministre de l'Intérieur, a délibérément choisi la carte de l'affrontement. Ce serait évidemment extrêmement grave."

A vérifier et… à comprendre. Quel pouvait bien être l'intérêt de N.Sarkozy dans cette affaire? De se montrer capable d'assurer la sécurité? C'est le contraire qui semble se produire puisque 1/ ces émeutes n'en finissent pas, 2/ elles remettent en cause une politique (sa politique) qui a consisté à en finir avec la police de proximité dont chacun dit aujourd'hui qu'elle seule peut faire régner l'ordre dans les quartiers les plus difficiles.

samedi, novembre 12, 2005

Le printemps des séries américaines

Desperate wives, West wing, Ally Mc Beal, Urgences, Soprano, Sex in the city… Les séries américaines de qualité se suivent à un tel rythme que l'on est bien obligé de s'en remettre à l'évidence : il se passe quelque chose, outre-atlantique, d'assez original : la télévision, cette télévision commerciale que nous critiquons si volontiers et pour de si bons motifs a réussi à créer un genre de qualité. Est-ce que cela durera? Bien malin qui peut le dire. Reste que depuis quelques années, on voit se multiplier les séries intelligentes, bien écrites, bien construites qui sont à l'Amérique d'aujourd'hui ce que les comédies avec Gary Grant, Katherine Hepburn & alii était à celle des années 50.
Quand on les regarde de près, ces séries partagent quelques traits communs qui expliquent sans doute leur succès :
- un regard critique, et pas du tout complaisant, sur l'Amérique (Desperate Housewives étant, sans doute, de ce point de vue, la plus incisive de ces séries même si ce que Urgences dit du système médical ou West Wing des rapports de force dans le monde politique ne manque pas non plus de sel),
- une forme dictée par les contingences matérielles qui incite à la construction solide de personnages, au tissage d'intrigues, à la densité du récit. On retrouve à peu près partout le même modèle : quatre personnages (chez Friend, dans Desperate Wives, Sex in the city…), des séquences courtes (quelques minutes entre deux coupures publicitaires), une unité de lieu (les urgences, un quartier petit-bourgeois…),
- de la variété dans la réalisation : ce sont rarement les mêmes réalisateurs qui filment plusieurs épisodes de la même série.
On aimerait que les séries télévisées françaises attteignent la même qualité. A part cettte série de Krivine qui se passe dans un commissariat du quai Saint-Martin et (peut-être, mais je l'ai trop peu vue pour en juger autrement que par ouïe dire) cette série d'Arte sur des esthéticiennes, on en est vraiment loin.

Construire des ghettos

L'une des conséquences sans doute voulues des émeutes aura été de rendre visibles les ghettos qui se sont constitués dans nos banlieues et que l'on ne voit pas lorsque l'on habite dans le centre-ville ou dans les banlieues "chic". Mais une autre conséquence inattendue et paradoxale sera probablement que ces quartiers sortiront de ces événements plus isolés, plus ghettoisés encore. On peut, en effet, anticiper trois effets :
- la fuite et l'éloignement de tous ceux qui en auront la possibilité : difficile de vivre dans des quartiers dans lesquels on risque à tout moment de voir brûler sa voiture,
- en brûlant voitures et autobus, les jeunes gens se sont attaqués à ce qui permet justement de sortir de ces quartiers, d'aller travailler ou vivre ailleurs,
- en s'en prenant aux écoles, aux gymnases, à leurs lieux de vie, ils ont dégradé les seuls services publics qui fonctionnaient à peu près dans ces quartiers, ils auront contribué à rendre plus difficile la vie dans ces quartiers.

Les émeutes, dernier épisode de notre histoire coloniale

A l'occasion de ces émeutes qui embrasent les cités de banlieue, plusieurs politiques ont réintroduit la question de l'immigration. Il faut, nous disent-ils, revoir les politiques d'immigration. Mais est-ce bien de cela qu'il s'agit? Les jeunes gens qui lancent des cocktails molotovs ne sont pas des immigrés, ce sont des Français, qui vivent et si problème il y a, ce n'est pas celui de l'immigration mais celui d'une société française qui n'accepte ni sa diversité ni son histoire, qui ne reconnaît pas que sa diversité tient à son histoire.
Si la plupart des émeutiers sont d'origine étrangère, si l'on insiste beaucoup sur cette dimension étrangère, il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle origine. Ces enfants, ces familles viennent, dans l'immense majorité des cas de pays qui appartenaient, avant la décolonisation, à l'Empire français qui s'est effondré il y a une quarantaine d'années. La France métropoitaine est devenue, à elle seule, une sorte d'image en réduction de la mosaïque de peuples qu'il constituait et que l'on mettait en avant comme une de ses forces dans les livres de géographie jusqu'au milieu des années 50. Les événements de ces jours-ci sont un bout de l'histoire que nous n'avons jamais faite de la colonisation, des relations complexes, cruelles et douloureuses qui se sont nouées entre ces peuples dominés et leur envahisseur. Relations paradoxales puisque ce sont ceux qui militaient le plus vigoureusement pour le maintien de l'Empire français, ce sont les plus ardents défenseurs de l'Algérie française qui sont aujourd'hui les plus farouches opposants de l'immigration.
Un député faisait récemment voter un amendement pour introduire dans les livres d'histoire une vision positive de la colonisation. Voilà une piste pour les historiens que j'imagine ennuyés (prétendre que la colonisation fut positive pour les colonisés relève de l'exploit) : montrer comment la colonisation a orienté les flux de population du Sud vers le Nord et contribué à la diversité de la société française.