vendredi, février 25, 2005

Maggi, Maggi, Maggi…

La semaine dernière, je racontais, dans l'émission que je fais sur AligreFM (chronique )comment une jeune finnoise s'est retrouvée poursuivie en justice par une multinationale pour avoir créé un site internet portant son prénom. Libération de ce matin raconte comment une famille suisse, la famille Maggi, va devoir changer le nom de son site internet (un de ces sites où les membres de la famille mettent leurs photos) parce que Maggi est aussi une marque qui appartient à Nestlé et que le groupe a porté plainte. Cette famille se croyait propriétaire de son nom. Et bien, non, elle en a été exproprié par un fabricant de soupes…
Pendant longtamps, on s'est battu contre la censure politique, il devient urgent de se battre contre celle des industriels.

Ce pauvre Mr Gaymard…

Les mésaventures d’Hervé Gaymard, ce ministre qui loue un appartement de 600 m2 pour un loyer de 14000€ par mois sans se rendre compte qu’il s’agit d’un appartement exceptionnel, qui s’affiche fils d’un cordonnier marchand de chaussure mais cache qu’il possède plusieurs appartement et est assujetti à l’impôt sur la fortune invite à s’interroger sur les mécanismes intellectuels de nos dirigeants. Comment peut-on se comporter aussi sottement lorsque l'on sait que les journalistes sont à l'affut, que les amis (plus que les adversaires, semble-t-il) sont prêts à tout pour vous faire déraper?
Une première hypothèse pourrait être la malhonnêteté. Il ferait de la politique pour s’enrichir (ou, plutôt, profiterait de ce qu’il fait de la politique pour s’enrichir). Ce n’est pas impossible, rien, sinon sa bonne mine, ne permettant de l’exclure, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus intéressante : les voyous existent et l’on sait, en général, comment les traiter, même s’il faut parfois un certain temps avant de les prendre la main dans le sac.
Une seconde hypothèse serait celle de la « faiblesse de la volonté ». Gaymard savait bien que ce qu’il faisait n’était ni raisonnable ni correct, mais il a manqué de la volonté nécessaire pour ne pas le faire. C’est la thèse que défendent ses amis lorsqu’ils mettent sur le dos de son épouse ses « fantaisies ». Ce serait elle, disent-ils en substance, qui l’aurait poussé au crime. On imagine la scène : « Cet appartement est trop cher ? Mais tu l’as bien mérité mon chéri. Regarde comme tu travailles, tu n’es pas aux 35 heures, toi. Et, en plus, pense à nos 8 enfants qui ne te voient pas beaucoup. En plus, personne ne le saura. » Et lui, penaud, de se taire, préférant sans doute un risque aussi incertain que lointain à une scène de ménage imminente.
Cette seconde hypothèse ne serait pas sans panache. Après tout, la faiblesse de la volonté a fait l’objet de longs développements philosophiques chez Aristote, dans l’Antiquité, chez Davidson, plus près de nous.
Il me semble, cependant, raisonnable de retenir une troisième hypothèse : comme beaucoup d’hommes qui accèdent au pouvoir,Hervé Gaymard aurait tout simplement perdu le sens commun ou, si l’on préfère, le bon sens.
L’homme politique arrivé au faite de sa carrière, et ministre de l’économie et des finances est un sommet pour un homme qui si j’en juge par ses photos, est plutôt falot (je sais, je sais, il faut se méfier de ces jugements à l’emporte pièce, je dis peut-être une bêtise, mais il a un physique à la Barnier ou à la Baudis qui, c’est le moins qu’on puisse dire ne suscite pas l’enthousiasme immédiat), l’homme politique arrivé au sommet de sa carrière ne se voit plus tout à fait comme un homme ordinaire. Surtout s’il a eu une carrière rapide et facile. Même (surtout ?) s’il n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, il a tendance à surévaluer ses compétences, la justesse de son jugement et… ce que la collectivité lui doit. Il le fait d’autant plus volontiers que tout autour de lui, on s’empresse de le conforter dans cette auto-admiration : « Vous êtes, Monsieur le Ministre, si formidable ! », « Vos idées sont si brillantes ! », « Vous avez bien évidemment raison… ». De son chauffeur qui klaxonne à tout va pour ouvrir le chemin même lorsqu’on ne lui demande rien à son directeur de cabinet, en passant par les gens qu’il rencontre dans les dîners en ville ou, plus simplement, dans la rue, tous ceux qu’il croise sont béats d’admiration, prêts à tout pour lui faciliter la vie, anticiper ses envies et ses désirs.
Pour peu qu’il soit un peu fat, un peu trop conscient de sa valeur (qui n’est pas nulle puisqu’il est devenu ministre), il cédera à ces sirènes, se laissera aller à la suffisance, développera une sorte de comportement aristocratique : ce qui est bon pour les autres ne l’est pas pour lui. Que les Français se serrent la ceinture, qu’ils se désintoxiquent de la dépense publique, est souhaitable, il nous l'a dit et répété, mais cela ne vaut bien évidemment pas pour ceux qui, comme lui, font tant pour la collectivité. On imagine d'ailleurs ce qu'il se dit in immo pectore, ce que lui glisse le soir, sur l'oreiller, la belle Clara : « si tu étais entré dans le privé tu gagnerais beaucoup plus et personne ne te reprocherait ton loyer… » Mais ce n'est pas un argument que l'on peut vraiment utiliser à la télévision (à moins que… On verra bien, puisqu'il paraît qu'il doit parler ce soir sur TF1).
Les antidotes à cette suffisance existent : ils s’appellent ambition et menace. L’ambition de celui qui ne se pense pas au sommet et qui continue de se méfier, de prendre des précautions, de préparer le coup d’après, et la menace pour celui qui sait qu’il peut à tout moment perdre son poste, être battu aux élections ou, plus simplement, dénoncé par la presse.
Si l’on voulait éviter ce genre de mésaventure, le plus simple serait sans doute de publier intégralement les dépenses des ministres et de leurs cabinets. Que l’on sache lorsqu’ils prennent un avion privé avec l'argent public, lorsqu’ils louent un appartement ou une table dans un restaurant de luxe. S’ils ont de bons motifs de le faire, nul ne le leur reprochera, si c’est pour leur bon plaisir… des journalistes sauront les dénoncer.

dimanche, février 13, 2005

Le racisme et le welfare state

C'est sur le blog de Bryan Caplan, un libertarien déclaré, hostile à toute forme d'aide sociale, que j'ai trouvé ce rapide résumé d'un livre de Martin Gilens (Why Americans hate welfare) dont la thèse a le mérite de la simplicité : si le Etats-Unis n'ont pas un système de protection sociale comparable à celui que nous connaissons en Europe, c'est tout simplement parce que les pauvres y sont le plus souvent noirs :

"Gilens takes a stab at the question: Why doesn't the United States have a European-style welfare state? His answer, to put it crudely, is racism. But unlike most people who feel this way, he has some data to back up his allegation. A few highlights:

1. Agreement with the view that "blacks are lazy" is a strong predictor of support for cutting welfare. About 35% of people who strongly believe that blacks are very hard-working want to cut welfare; about 65% who strongly believe the opposite want to cut welfare.

2. People who over-estimate the percentage of welfare recipients who are black are substantially more opposed to welfare. 64% of people who (wrongly) believe that most welfare recipients are black think that most people on welfare do not "really need it"; 50% of people who (correctly) believe that most welfare recipients are not black think the same.

3. States where a higher percentage of the poor are black spend less on welfare, controlling for income and education. One study estimated that if all the poor were white, AFDC benefits would be $2000 more per year than if all the poor were black.

I find these results fairly plausible. But as a firm believer in the view that no one deserves welfare, I am unperturbed. (Unlike Arnold Kling, I am no Bleeding-Heart Libertarian). Poor Americans of all races ought to emulate immigrants - take low-skilled jobs and try to work their way up. Instead of comparing themselves to native-born Americans who earn more than they do, the American poor should compare themselves to unskilled workers who weren't born here. At least the American poor don't have to learn a new language and leave their homes in order to move up in the world.

Incidentally, I strongly suspect that Gilens' results would generalize to immigrants. If Americans think immigrants get a lot of the benefits of welfare, they won't want to spend as much. As a defender of immigration and an opponent of welfare, I call that a happy coincidence."

Gilenx est sociologue, il enseigne à Berkeley. Caplan est économiste.

mercredi, février 09, 2005

The Corporation

The Corporation est un film qui ne se donne à Paris que dans une salle (mais que l'on peut voir dans quelques salles en province). Un film rare conçu comme un essai sur le monde de l'entreprise, d'où son titre, réalisé "à l'américaine", avec ce que cela suppose de sérieux dans la recherche, de vigueur dans le ton, mais aussi d'ouverture d'esprit (on y rencontre aussi bien des adversaires déclarés des multinationales que quelques grands patrons qui s'expriment sans être caricaturés). On en sort éclairé sur les méfaits des multinationales (notamment de Monsanto), inquiet (les produits industriels seraient à l'origine de ce que l'une des personnes interrogées appelle une épidémie de cancers), épuisé (le film est trop long), mais changé : c'est un film rare, qui pense sur des sujets difficiles, qui pense et donne à penser. Pour ma part, j'en ai retiré une hésitation sur ce qu'est une entreprise. On y apprend, ce que j'ignorais, que le 14ème amendement de la constitution américaine, conçu pour lutter contre l'esclavage, a surtout servi à donner une personne morale aux entreprises. Mais comment mettre en prison ce genre de personne morale? Et peut-on dire que leurs dirigeants sont les seuls coupables quand on voit que ce sont aussi, à l'occasion, de braves gens (tous les intervenants, même les plus hostiles aux grandes entreprises, assurent qu'ils peuvent l'être, qu'ils le sont parfois) : il y a une scène surréaliste où l'on voit le patron de la Royal Dutch Shell et son épouse, surpris dans leur maison de campagne, par des contetstaires, leur offrir le thé et engager sur la pelouse une longue conversation d'où il ressort qu'ils sont eux aussi, à titre individuel très inquiets pour l'avenir de la planète. Ce qui n'empêche naturellement pas Shell de se comporter d'une manière abominable au Niger. Qu'en conclure? Que ces braves gens mentent? qu'ils se mentent? ou, comme le suggère Michael Moore, parlant de ses parents, travailleurs de l'industrie automobile, qu'ils sont aveugles? La puissance du capitalisme moderne viendrait-il de cette capacité à créer chez chacun de nous cet aveuglement qui nous amène à faire au quotidien le contraire de ce que nous souhaitons, pensons et voulons?

jeudi, février 03, 2005

Une politique économique contradictoire

Le gouvernement Raffarin a choisi, comme son prédécesseur socialiste, une politique économique basée sur une relance de la consommation sans augmentation des salaires. mais là où l’équipe Jospin avait choisi de lutter contre le chômage (et donc, d’augmenter le pouvoir d’achat global), il a choisi de jouer sur :
- la baisse de l’impôt sur le revenu,
- la réduction de l’épargne des Français dont on sait qu’elle est très importante,
- les baisses de prix des produits de première consommation,
- l’allongement de la durée de travail (révision des 35 heures).
Ce choix dont la dimension politique est évidente puisqu’il a été conçu pour satisfaire tout à la fois le Medef (pas d’augmentations des salaires), Bruxelles (lutte contre le déficit), les clientèles électorales (riches qui paient des impôts et salariés faiblement rémunérés qui peuvent espérer une augmentation de leurs revenus) est beaucoup plus contestable sur le plan économique. Il est, en effet, plein de contradictions :
- la baisse de l’impôt sur le revenu (qui ne concerne que ceux qui en paient beaucoup) est largement compensée par les hausses des impôts locaux que favorise la politique de décentralisation de ce même gouvernement ;
- l’essentiel de l’épargne est détenue par les seniors. Or, les plus jeunes de ces seniors sont en train de découvrir les effets des différentes réformes des retraites, ce qui les affole et ne les incite certainement pas à se défaire de leur épargne ;
- les baisses de prix favorisent les délocalisations : elles incitent les entreprises que la grande distribution bouscule à fabriquer dans des pays à main d'oeuvre bon marché et poussent les distributeurs à se tourner vers des produits fabriqués en Chine, à l’instar de ce qui s’est passé ces dix dernières années aux Etats-Unis. Or qui dit délocalisation dit destruction d'emplois et donc réduction du pouvoir d'achat global ;
- les mesures prises contre les 35 heures se heurtent à trois obstacles majeurs : les réticences des entreprises à revenir sur des accords difficiles à négocier et souvent avantageux, les résistances des salariés qui se sont adaptés à un emploi du temps allégé et la faiblesse de l’activité (les entreprises n’ont pas besoin d’heures supplémentaires).
Autant dire que cela ne peut pas marcher…

Mélancolie du lecteur que je suis

J’ai trouvé ceci dans le blog d’Arnold Kling, un économiste de la famille des Autichiens (disciple de Hayek et Mises, en général, plutôt réactionnaires) :

« On Friday I went to my alma mater, Swarthmore College, to attend a memorial service for Bernard Saffran. I allowed time for traffic, so I arrived on campus almost an hour early. I was struck by the large number of new buildings. It made me think that Swarthmore is the most over-capitalized entity in the country.

« It was a bitter January day, so I went into the library to escape the cold. The few students who were there were working on computers, either the library's or their own laptops.

« I then wandered to the "honors reserve" section of the library, where books for junior and senior seminars are kept. They seemed rather old and threadbare. I pulled a few off the shelf, and I did not find any with a copyright date after 1992. The economics books were not classics, just books from the 1960's through the 1980's, almost all of them forgettable.

« I felt a pang of pity for the college, and this pathetic book collection. Then I turned around, once again seeing the fancy computers, and remembered the new buildings. It struck me that in 20 minutes of walking around the campus and 20 minutes in the library, I had seen more buildings that had been built than books that had been purchased in the past 15 years. Poverty amid plenty. »

Cela m’a rappelé deux expériences d’il y a une dizaine d’années. La première à la bibliothèque d’HEC. J’emprunte The function of the executives de Chester Barnard, l’un des rares chefs-d’œuvre de la théorie du management : il n’avait pas été emprunté depuis 1972. La seconde à la bibliothèque du CNAM à Paris. Je demande un livre de Franck Gilbreth, le seul qui ait été, si je me souviens bien, traduit en français. L’exemplaire que l’on me donne, publié dans les années 30, n’avait jamais été découpé !

Je ne sais qu’en conclure, mais ce texte et ces réminiscences m’ont rendu mélancolique.