jeudi, juillet 31, 2008

Où va Libé?

Une une indigne contre Ségolène Royal, la défense de la révision constitutionnelle et de l'arbitrage dans l'affaire Tapie, un éditorial en tous points excessifs à propos de Siné, quatre pages à l'occasion de la sortie du dernier disque de Carla Bruni, de multiples papiers anti-PS… depuis que Laurent Joffrin en a repris les rennes, on se demande où va Libé, quels lecteurs il compte retenir. Ceux de gauche ne se retrouvent plus dans ses pages. Ceux de droite ne doivent guère s'y retrouver non plus. Ceux du centre, s'ils existent? Mais Bayrou n'y est pas forcément bien traité. Laurent Joffrin ambitionnerait-il de faire un journal d'opinion en dehors de toute grande tendance de l'opinion? Je crains que son aventure ne finisse mal. Dans l'affaire, la gauche aura perdu son dernier quotidien.

Pourquoi les 35 heures sont-elles si peu populaires?

Interrogé à la télévision sur la disparition des 35 heures, Jean-François Coppé faisait remarquer que jamais, dans aucun dîner, aucune réunion publique, il n'avait entendu quelqu'un les défendre. Propos qui sonne juste. Pour les avoir moi-même souvent défendues en public, je peux témoigner que je me suis toujours trouvé bien seul. Ce qui invite à faire une remarque et à poser une question :

- si les Français avaient mieux défendu les 35 heures au quotidien, si J.F.Coppé et ses collègues s'étaient vu opposer des arguments lorsqu'ils les critiquaient, y compris en privé, peut-être ne les aurait-il pas attaquées comme ils l'ont fait ;

- pourquoi cette avancée sociale, la première depuis le passage de la retraite à 60 ans et probablement la dernière avant longtemps est-elle si peu populaire?

On comprend que les retraités, les propriétaires-rentiers, comme on disait autrefois, les professions libérales, les artisans… y soient hostiles : ils n'en bénéficient pas pour ceux qui continuent de travailler, et n'en ont pas bénéficié pour ceux qui ont cessé de le faire. Ils ont pu critiquer les 35 heures comme on critique les fonctionnaires, les agents de la fonction publique et tous ceux dont on a le sentiment qu'ils profitent du système. Mais les salariés?

Tous n'ont pas été concernés les 35 heures, pas ceux des plus petites entreprises, or ils représentent les gros bataillons de la classe salariale en France. Que ces exclus des 35 heures aient été critiques ne doit donc pas surprendre. Mais les autres?

On a beaucoup dit que les salariés avaient souffert des 35 heures. La réduction du temps de travail a coïncidé avec une augmentation de la productivité et, donc, des efforts pour un certain nombre de travailleurs. Est-ce à dire qu'ils ont perdu au change? qu'ils en ont le sentiment? Les sondages dont on dispose disent le contraire. Le seul secteur dans lequel les salariés disent, de manière massive, que les 35 heures ont désorganisé et compliqué leur travail est le monde hospitalier. Chacun sait que la réforme du temps de travail y a été conduite de manière particulièrement maladroite sans création d'emplois. Partout ailleurs, la réforme s'est faite sans que les salariés se plaignent de dégradation de leurs conditions de travail.

Plus surprenant est le silence de ceux qui en ont profité, des 300 à 400 000 personnes embauchées à la suite de cette mesure et des salariés des grandes entreprises. Pour les premiers, ce n'est pas très étonnant : on leur a rarement dit qu'on les recrutait pour compenser la diminution du temps de travail. Pour les autres, ce l'est un peu plus.

Les cadres des grandes entreprises, ce sont eux que l'on rencontre dans les dîners en ville dont parle Jean-François Coppé, profitent pleinement de cette réduction du temps de travail et ne perdent jamais un jour de RTT. Et pourtant, aucun ne prend jamais la parole pour les défendre. Il aurait suffi qu'ils disent leur satisfaction pour que l'opinion médiane évolue dans un sens plus favorable. Ils ne l'ont pas fait. Alors même qu'ils savaient, d'expérience, que la mesure n'a désorganisé ni affecté durablement les comptes d'aucune entreprise (à l'exception, encore une fois, du monde hospitalier). Pourquoi?

Il me semble qu'une explication peut être à trouver du coté de l'opposition entre deux système de valeurs : le culte de la performance qui règne dans le monde des entreprises et l'hédonisme qui règle nos vies privées dès qu'il s'agit de loisirs.

Il était sans doute difficile à tous ces cadres de défendre, au nom du culte de la performance, du travailler toujours plus, une mesure qui satisfait leur hédonisme, dans des conversations portant sur l'état de l'économie. Cela aurait été apparaître sous un jour déplaisant, se comporter de manière égoïste, un peu comme de dire : "mon bon plaisir prime l'intérêt général". Ils ont d'autant plus fait abstraction de leur attachement à ces mesures qu'ils avaient (et ont toujours) le sentiment qu'elles ne disparaîtraient pas, quoique puissent dire les politiques : leur renégociation dans les grandes entreprises parait si complexe, si périlleuse, que l'on imagine mal celles-ci s'y engager sans contrainte forte.

Les 35 heures se sont donc heurtées à un double obstacle : la jalousie de ceux qui n'en profitaient pas et l'hypocrisie de ceux qui, trop heureux de bénéficier d'une dizaine de jours de congé supplémentaires, ne souhaitaient cependant pas passer pour des égoïstes. Situation qui leur laissaient effectivement très peu de chance de trouver des défenseurs.

Ceci explique également, que le PS et les syndicats ne les aient pas mieux défendues. Eux aussi dînent en ville…

mercredi, juillet 23, 2008

Steve Jobs a-t-il droit à la confidentialité de ses données médicales?

Quand Georges Pompidou et François Mitterrand sont tombés malades, que les rumeurs ont commencé de courir, on s'est interrogé sur la meilleur manière de concilier la confidentialité des données médicales à laquelle ils avaient droit et la nécessité, pour les citoyens, de savoir  que la personne à la tête de l'Etat est en pleine possession de ses moyens.

Jusqu'à présent, ce type de questions était réservé aux politiques. On se les pose depuis quelques jours aux Etats-Unis à propos des dirigeants des entreprises cotées, depuis que l'on a remarqué la minceur extrême de Steve Jobs, minceur qui pourrait indiquer une reprise du cancer du pancréas dont il a été victime il y a quelques années.

Des papiers ont été publiés dans Business Week, dans le Wall Street Journal, dans le New York Post et le New-York Times et sur de nombreux blogs forçant Apple à expliquer l'origine de cette perte de poids. Mais c'est dans les milieux financiers qu'on se la pose avec le plus de "sérieux". Une chute du cours de l'action a suivi ces "révélations". Les responsables d'un fonds de placement ont même eu l'idée de demander à des médecins d'examiner dans le détail des photos récentes du patron d'Apple pour faire un diagnostic.

Chacun sait combien Steve Jobs est important pour Apple, comment il a redressé cette entreprise, mais tout de même… Il a aussi une famille, des enfants qui méritent d'être respectés au moins autant que les actionnaires.

mercredi, juillet 16, 2008

Siné et l'antiséitisme

Siné est renvoé de Charlie Hebdo pour des propos tenus sur Jean Sarkozy, son mariage avec une héritière Darty et sa prétendue conversion au judaïsme, que Philippe Val, le directeur de l'hebdomadaire a jugé antisémites. Dans le Nouvel Observateur qui raconte l'affaire, les commentaires se succèdent. Une grande majorité soutient Siné. Pourquoi ne peut-on pas se moquer du judaïsme demandent en substance ces lecteurs, traduisant sans doute le sentiment de beaucoup qui, sans être le moins du monde antisémites, s'agacent de ce traitement particulier réservé au judaïsme et de l'utilisation systématique de l'accusation d'antisémitisme pour déconsidérer des adversaires. Il faudrait trouver un nouveau mot (qui ne soit évidemment pas antisémite) pour désigner cet agacement qu'il serait également intéressant de mesurer.

Burqa, suite

France 24 m'a invité hier soir à participer à un débat (en anglais) sur ce qui est devenu "l'affaire de la burqa", ce jugement du Conseil d'Etat qui a refusé la nationalité française à une marocaine dont la pratique religieuse et la soumission à son mari rendraient difficile le respect des valeurs de la communauté française. Débat intéressant avec des participants plutôt hostiles à cette décision qui ont tous rappelé qu'il ne s'agissait que d'un phénomène tout à fait marginal, comme quoi l'unité affichée par les politiques, les médias et la plupart des bloggeurs n'est peut-être que de façade.

L'essentiel de la discussion (d'une trentaine de minutes) a porté sur ces valeurs :
- est-ce à l'Etat de les définir?
- sont-elles si stables que cela? ne font-elles pas l'objet de débats voire de conflits?  
- sont-elles vraiment mises en oeuvre dans la société?

Deux des conclusions intéressantes de ce débat : 
- tous les pays qui se sont posés la question de leur identité (comme commence de le faire la France mais comme l'ont fait depuis beaucoup plus longtemps les Pays-Bas) ont vu s'aggraver les tensions avec leurs minorités visibles. Parler d'identité n'est pas la meilleure manière de résoudre les problèmes qui se posent dans les banlieues ;
- même si cette affaire n'est que marginale, elle aura un effet négatif sur la qualité des relations entre la communauté musulmane et la communauté nationale (comme le rappelait l'une des participantes : chaque fois que sort une affaire de ce type dans les semaines qui suivent se multiplient les agressions à l'égard des femmes voilées)


mardi, juillet 15, 2008

Burqa : le Conseil d'Etat a commis une erreur

Tout le monde est semble-t-il d'accord avec la décision du Conseil d'Etat de refuser la nationalité française à une marocaine mariée à un Français au motif qu'elle porte une burqa, signe d'une soumission à son mari étrangère à nos valeurs. Je comprends et partage beaucoup des arguments et inquiétudes des partisans de cette décision. Elle me met, cependant, mal à l'aise.

Je sais bien que cette femme a eu une attitude provocatrice : il lui aurait de se présenter avec un voile plus léger pour obtenir ses papiers. Et que cette provocation est en elle-même intrigante : naïveté? volonté de tester la justice? de faire jurisprudence?

Je sais également combien la burqa est synonyme d'oppression féminine et je ne souhaite pas plus que quiconque voir nos rues emplies de femmes portant ce voile (comme à Londres, par exemple). Et pourtant tout cela me laisse un mauvais goût dans la bouche. Trois raisons me font douter du bien fondé de cette mesure :

- Si cette femme avait été française, lui retirerait-on la nationalité sous prétexte que son vêtement contrevient à nos valeurs ? Prendrait une quelconque action pour lui enseigner les valeurs de la République et la reformater? Je ne crois pas.

- Cette femme est semble-t-il complètement soumise à son époux, mais lui aurait-on refusé la nationalité française si elle avait été célibataire ou veuve, si le port de ce voile était le fruit d'un choix volontaire ? Sans doute.

- Le port de la burqua n'est qu'un signe parmi bien d'autres de la soumission d'une femme à son mari. C'est, au mieux, le plus visible, rien de plus Va-t-on dorénavant demander aux fonctionnaires chargés de ces questions d'aller vérifier que les candidates à la nationalité française sont libres et autonomes? Et sur quels critères?

Je crains que dans cette affaire le conseil d'Etat ne se soit égaré et n'ait commis une double faute :

- il n'est pas dans ses missions de définir ce que sont les valeurs de la République, en s'attribuant ce rôle il va au delà de ce que 'on attend de lui ;

- il a introduit dans la procédure d'attribution de la nationalité française un critère qui risque d'ajouter à l'arbitraire. En ces affaires mieux vaut s'en tenir à des critères indiscutables comme la durée du séjour en France, des enfants nés en France, la connaissance de la langue française

lundi, juillet 07, 2008

Provocation ou stratégie de moyen terme

Ainsi, les grèves seraient devenues invisibles en France?

La nouvelle petite phrase de Nicolas Sarkozy a fait l'effet d'un chiffon rouge agité devant les syndicats et les partis de gauche qui sont aussitôt, comme on pouvait s'y attendre, montés au créneau pour dénoncer la provocation, donnant ainsi à ce qui aurait pu ne passer que pour forfanterie de congrès UMP une audience inespérée.

Plus qu'une provocation, je vois dans cette phrase la deuxième étape d'une opération de communication qui vise à convaincre les Français, et d'abord, les électeurs de droite, que les réformes cela marche. Cela a commencé avec les déclarations de François Fillon, auxquelles on a peu prêté attention, sur le changement de climat idéologique en France. Invité de France Info début mai, le Premier ministre a affirmé avoir "une très importante satisfaction, c'est d'avoir fait changer la nature des débats dans notre pays" en un an au pouvoir. Il s'est aussi félicité d'avoir "emmené les Français sur le terrain idéologique" de la droite.

Cette petite phrase sur les grèves s'inscrit dans la suite et on peut parier qu'elle sera suivie de plein d'autres conçues pour faire passer l'idée dans l'opinion que malgré les mauvais sondages et les difficultés Nicolas Sarkozy poursuite son programme et qu'il réussit. Vrai? Faux? Peu importe. L'essentiel est que le Français le croient.

jeudi, juillet 03, 2008

Le Monde se lâche

Le Monde a, on le sait, beaucoup changé. Pas pour le mieux comme nous l'a montré la réédition des pages qu'il publiait en 1968. Mais voilà que ses journalistes se lâchent, utilisent un vocabulaire qui surprend, qu'on ne s'autoriserait pas dans un courrier, pas même dans un mail. Et pas n'importe quels journalistes, ceux des pages culturelles, musicales. C'est Renaud Machart qui écrit, à propos de la Mouche d'Howard Shore et David Cronenberg, opéra que l'on donne actuellement au Chatelet : "Si son écriture (celle de Shore) est loin d'être aussi imbitable que celle, pour le concert, d'Ennio Moriconne…" J'imagine qu'il veut dire qu'on n'y comprend rien et qu'incompréhensible lui paraissait trop faible… Mais tout de même… J'imagine le rictus d'un professeur trouvant ce même mot dans une dissertation. Mais il faudra s'y faire, camarade prof de lettres, Le Monde l'a décidé, ce mot est acceptable… A moins que la médiatrice, affolée par le nombre de courriers indignés, surpris, choqués, amusés… ne revienne dessus dans une de ses prochaines chroniques et n'obtienne des correcteurs qu'ils sévissent.