mercredi, novembre 30, 2005

Jeux de mots

En 1971, Ivo Malec, compositeur auquel je vais prochainement consacrer une série de trois émissions dans Dissonances, compose une oeuvre dont le titre est bien dans la manière de l'époque : Ga(m)mes. Je dis bien dans la manière parce qu'on y retrouve ces jeux de mots (ici entre la gamme musicale, synonyme d'ordre, et le game britannique, synonyme de jeu, de désordre) que l'on pratiquait alors sans retenue dans les milieux intellectuels. C'est la psychanalyse, dans sa version lacanienne, qui nous avait enseigné cette figure de style dont je me demande si elle n'est pas aujourd'hui un peu démodée.
Il serait amusant (juste amusant, rien de plus) de faire un petit dictionnaire de ces jeux de mots…

jeudi, novembre 24, 2005

Casser le thermomètre

Un malade qui a de la fièvre peut prendre de l'aspirine ou casser le thermomètre. C'est cette dernière solution qu'ont intelligemment retenue un certain nombre de députés UMP (pas quelques uns, 153 d'après Le Monde auxquels il convient d'ajouter 40 sénateurs) qui ont ont demandé au ministre de la justice d'envisager des poursuites contre sept groupes de rap. S'ils voulaient mettre de l'huile sur les braises mal éteintes des banlieues, ils ne pouvaient guère faire mieux. Mais peut-être s'en moquent-ils : plus les banlieues brûlent, plus la France, dit-on, vire à droite.
Plus grave : ils s'interdisent de comprendre ce qui s'y passe. car, à défaut de porte-parle, de leader ou de revendications, le seul moyen que l'on ait d'entendre les jeunes des quartiers difficiles, le seul outil qui permette d'analyser et de comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, ce sont justement les textes de ces rappeurs, souvent violents, excessifs et maladroits, mais passionnants pour qui se donne la peine de les lire, ce qui n'est pas très difficile puisque la plupart sont accessibles sur internet. On y découvre la rage de ces jeunes (une rage qui leur interdit justement de formuler des revendications), leur colère contre la police qui les harcèle en permanence, contre la police qui condamne à des mois de prison un gamin qui incendie des voitures mais exonère de toute responsabilité un flic qui a tue un gosse, mais aussi contre leurs pères. Et s'il est vrai qu'ils parlent de violences et d'émeutes, ils éclairent ce qui s'est passé ces dernières semaines bien plus qu'ils n'appellent au meurtre.

dimanche, novembre 20, 2005

Tour de Babel

Je feuillette le beau livre d'Eugene Green, La Parole baroque, pour la préparation d'une émission sur l'opéra de Salvatore Sciarrino (Luci mei traditrici) basé sur une pièce italienne du 17ème siècle. J'y trouve ce passage : "les pronociations anciennes avaient comme caractéristiques générales de s'ouvrir plus facilement à la voix et de permettre aux langues de s'ouvrir les unes aux autres. Aux oreilles des peuples latins, l'anglais devait moins sembler une bouillie, et il formait avec l'écossais un dialecte jumeau ; le portugais et le catsillan étaient largement compréhensibles à ceux qui parlaient l'autre langue, et le catalan s'ouvrait sur l'occitan et sur le français, dont les éléments sonores étaient plus facilement saisissables qu'aujourd'hui aux autres peuples." Y aurait-il là une piste pour comprendre le multilinguisme africain et, mais c'est plus contestable, une voie pour éviter cette absurde domination de l'anglais dont j'ai dit par ailleurs sur ce blog quelques uns des inconvénients?

samedi, novembre 19, 2005

L'UMP a-t-il organisé l'arrivée de Le Pen au second tour?

On a beaucoup dit en 1981 que les chiraquiens avaient favorisé l'élection de Mitterrand en incitant plusieurs de leurs amis à voter Mitterrand pour mieux faire battre Giscard (les communistes auraient dit-on fait la même chose dans l'autre sens). Une conversation entendue hier me fait penser qu'ils ont peut être recommencé lors des dernières élections présidentielles. Je passe sur les détails, mais j'ai entendu deux chiraquiens notoires de ma connaissance se vanter d'avoir voté et fait voter Le Pen au premier tour pour qu'il passe devant Jospin. Je ne sais pas s'il s'est agi d'une initiative personnelle ou d'une consigne donnée à quelques fidèles parmi les fidèles, mais on ne peut l'exclure : la manoeuvre était habile et elle a réussi. Pas très élégant, pas vraiment ragoûtant, mais efficace!

Quand un économiste vole du fumier…

On reproche souvent aux économistes d'être coupés des réalités à force de ne voir le monde qu'au travers de leurs équations. Ce n'est pas le cas de tous. Martin Weitzman, un économiste réputé qui enseigne à Harvard où il s'est fait une réputation dans le domaine de l'économie de l'environnement, est également un fervent pratiquant des méthodes naturelles de culture des fleurs, comme vient de le révéler l'étrange aventure qui lui a fait quitter les bancs de l'Université pour ceux du tribunal. Il est, en effet, accusé par un fermier de ses voisins, de vol de fumier. L'économiste ne nie pas s'être servi sur les terres de son voisin (difficile de le nier puisqu'il a été supris la pelle dans le tas), mais il assure qu'on lui en avait donné, il y a quelques années, l'autorisation. Qui? Il ne sait plus très bien, ce qui affaiblit son cas, mais il est à ce point convaincu de sa bonne foi qu'il a refusé toute transaction et qu'il veut aller devant un jury, ce qui inciterait plutôt à croire en sa bonne foi. Dans tous les cas de figure il nous aura fait sourire et peut-être même trouvera-t-il là l'occasion d'un nouvel article qui fera date. Un article sur les transactions ambiguës, par exemple.
Pour en savoir plus sur cette passionnante affaire, vous pouvez vous rendre sur le site du Boston Globe

mardi, novembre 15, 2005

Retour à l'emploi : l'exemple coréen

Les performances françaises en matière de politique de l'emploi sont si médiocres que l'on a tout intérêt à regarder ce qui se fait ailleurs. Parmi les idées que l'on pourrait reprendre, il y a ce bonus que le système d'allocation chômage coréen a mis en place poour inciter les chômeurs à reprendre rapidement un emploi. Le principe est le suivant : le salarié au chômage a droit à des allocations chômage versés pendant une période définie. S'il retrouve un emploi avant la moitié de cette période, l'organisme d'assurance chômage lui verse ce qu'il aurait perçu s'il avait épuisé ses droits sous forme de prime. C'est certainement une incitation à reprendre rapidement un emploi. C'est en tout cas plus astucieux que nos dispositifs qui 1/ enferment les chômeurs dans l'inactivité (tous les dispositifs de formation qui ne servent qu'à allonger les périodes de versement des allocations) et 2/ sanctionnent ceux qui ne reprennent pas assez rapidement un emploi.

Brûler les écoles

Le geste le plus fort, le plus fou, le plus incompréhensible des jeunes émeutiers a certainement été la mise à feu (pas à sac, mais à feu) d'écoles, crèches et gymnases. Incompréhensible, véritablement scandaleux et à ce titre, très significatif. On pourrait expliquer ce geste en remarquant, tout simplement que l'école, la crèche ou le gymnase sont les seules institutions publiques présentes dans les quartiers (les jeunes ne se sont pas atttaqués aux commissariats parce qu'il n'y en a pas dans leurs quartiers). Ce ne serait pas faux. Mais si ces institutions, et celles-là seulement, sont présentes dans les quartiers, c'est que ce sont les plus bienveillantes, les seules qui emploient des fonctionnaires capables de consacrer temps et énergie à aider, éduquer, former les enfants qui habitent ces quartiers, comme le montrent une nouvelle fois les reportages de Libération ce matin. C'est donc injuste, doublement injuste. Injuste pour l'institution qui se maintient envers et contre tout là où plus personne ne veut s'installer, injuste pour ses membres qui travaillent et s'investisent. On comprend donc la colère de ceux qui tiennent à l'école (je pense à Alain Finkelkraut) et qui ne comprennent pas qu'on puisse la détruire alors même que sa mission est, justement, de permettre aux enfants qui n'ont pas des parents fortunés (ce qui a sans doute été le cas de Finkelkraut, fils d'immigrés polonais) de s'en sortir et de réussir de brillantes carrières.
Mais cette même école, et c'est ce que nous disent à leur manière, violente, brutale, les émeutiers est aussi un lieu de souffrance et d'humiliation. Humiliation du mauvais élève que l'on montre du doigt, que l'on évalue et que l'on juge. Souffrance du petit gamin qui ne rève que de courir et que l'on force à se tenir assis, le dos raide sans s'endormir pendant de longues heures. Il y a dans l'enseignement de la discipline et du dressage que l'on supporte plus ou moins bien, que l'on supporte mal lorsque l'on est un petit graçon turbulent en quête d'un modèle masculin et que l'on ne trouve que des institutrices qui ont toutes les vertus du monde mais qui ne comprennent pas le plaisir que l'on peut éprouver à se battre, à voir les autres se battre ("du sang! du sang!" crions nous adolescents lorsque deux de nos camarades se battaient), à faire le malin.
Ceux que leur famille aide, soutient en lui répètant à l'envie que cette souffrance sera récompensée un jour supportent assez bien cette souffrance et ces humiliations. On la supporte moins bien lorsque votre famille ne vous dit pas cela, ne peut pas vous dire cela parce qu'elle sait bien que c'est faux.
Si l'on ajoute à cela que l'école est dans les quartiers, l'école est la seule institution qui rappelle les règles, on comprend mieux qu'elle soit visée lorsque ces règles sont contestées.

lundi, novembre 14, 2005

Marseille : des grèves mais pas d'émeutes

Il y a à Marseille des grèves dures depuis plus d'un mois, mais il n'y a pas eu d'émeutes ou en tout cas rien à voir avec ce que l'on a connu ailleurs. Alors même que c'est l'une des villes qui a le plus fort taux de population d'origine immigrée. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de Montpellier ou de Nice. Pourquoi? Peut-être est-ce tout simplement qu'il n'y a pas dans cette ville pauvre de ségrégation spatiale ou bien moins qu'ailleurs : il n'y a pas de banlieue difficile, rien en tout cas à voir avec ce que connaissent tant d'autres villes. Y a-t-il un rapport de cause à effet? Et si c'est le cas, comment l'expliquer?
Est-ce que cela tient à un contrôle social plus fort du fait d'une plus grande mixité? d'une strtucture urbaine plus serrée? des comportements quotidiens de la police plus "civils" du fait même de cette mixité? des effets positifs d'une pauvreté largement partagée (quand tout le monde est pauvre, on a moins le sentiment d'être victime de discriminations)? Il y a là en tout cas quelquechose à regarder de plus près.

dimanche, novembre 13, 2005

Sarkozy a-t-il choisi l'affrontement?

On a souvent accusé Sarkozy d'avoir une importante part de responsabilité dans ce qui s'est produit, tant il a contribué par ses insultes (en parlant de racaille) à exaspérer les jeunes gens et tant il a jeté de l'huile sur le feu en proposant d'expulser les étrangers. Bernard Salanié dans le blog qu'il écrit depuis qu'il est aux Etats-Unis en rajoute une couche. Il fait état d'une conversation avec Sudhir Venkatesh, un sociologue qui a beaucoup travaillé dans les quartiers difficiles et, notamment, en France. Je le cite :

"Au chapitre des similarités (entre la France et les Etats-Unis), Sudhir relève le rôle des "local brokers" : des intermédiaires entre la police et la communauté, parfois semi-institutionnels comme les animateurs de quartier ou les "grands frères", parfois beaucoup plus informels. Dans cette dernière catégorie, on peut trouver aussi bien des chefs de clans, des anciens, des mères de famille (c'est souvent le cas chez les Noirs américains pauvres), ou même des délinquants pas trop dangereux. Faveur contre faveur : ces intermédiaires maintiennent un semblant d'ordre, et la police ferme les yeux sur certaines de leurs activités et/ou leur accorde des traitements favorables pour, par exemple en France, l'obtention de papiers---ce qui renforce naturellement leur pouvoir.

Comme beaucoup de francais dans le public, je n'avais jamais entendu parler du rôle de ces brokers en France ; mais je doute que Sudhir les ait inventés. Il paraît effectivement logique que devant le semi-échec de la police de proximité (largement rejetée par les policiers comme on le sait), il ait fallu trouver un substitut. Il y a là un danger évident : voir les dérives corses, ou la Mafia en Sicile, quand les brokers commencent à s'organiser en réseau et deviennent incontrôlables. D'après les contacts de Sudhir, la police francaise aurait rompu ses liens avec ces intermédiaires dès le début des émeutes ; si c'était vrai, il faudrait en conclure que le gouvernement, ou au moins le Ministre de l'Intérieur, a délibérément choisi la carte de l'affrontement. Ce serait évidemment extrêmement grave."

A vérifier et… à comprendre. Quel pouvait bien être l'intérêt de N.Sarkozy dans cette affaire? De se montrer capable d'assurer la sécurité? C'est le contraire qui semble se produire puisque 1/ ces émeutes n'en finissent pas, 2/ elles remettent en cause une politique (sa politique) qui a consisté à en finir avec la police de proximité dont chacun dit aujourd'hui qu'elle seule peut faire régner l'ordre dans les quartiers les plus difficiles.

samedi, novembre 12, 2005

Le printemps des séries américaines

Desperate wives, West wing, Ally Mc Beal, Urgences, Soprano, Sex in the city… Les séries américaines de qualité se suivent à un tel rythme que l'on est bien obligé de s'en remettre à l'évidence : il se passe quelque chose, outre-atlantique, d'assez original : la télévision, cette télévision commerciale que nous critiquons si volontiers et pour de si bons motifs a réussi à créer un genre de qualité. Est-ce que cela durera? Bien malin qui peut le dire. Reste que depuis quelques années, on voit se multiplier les séries intelligentes, bien écrites, bien construites qui sont à l'Amérique d'aujourd'hui ce que les comédies avec Gary Grant, Katherine Hepburn & alii était à celle des années 50.
Quand on les regarde de près, ces séries partagent quelques traits communs qui expliquent sans doute leur succès :
- un regard critique, et pas du tout complaisant, sur l'Amérique (Desperate Housewives étant, sans doute, de ce point de vue, la plus incisive de ces séries même si ce que Urgences dit du système médical ou West Wing des rapports de force dans le monde politique ne manque pas non plus de sel),
- une forme dictée par les contingences matérielles qui incite à la construction solide de personnages, au tissage d'intrigues, à la densité du récit. On retrouve à peu près partout le même modèle : quatre personnages (chez Friend, dans Desperate Wives, Sex in the city…), des séquences courtes (quelques minutes entre deux coupures publicitaires), une unité de lieu (les urgences, un quartier petit-bourgeois…),
- de la variété dans la réalisation : ce sont rarement les mêmes réalisateurs qui filment plusieurs épisodes de la même série.
On aimerait que les séries télévisées françaises attteignent la même qualité. A part cettte série de Krivine qui se passe dans un commissariat du quai Saint-Martin et (peut-être, mais je l'ai trop peu vue pour en juger autrement que par ouïe dire) cette série d'Arte sur des esthéticiennes, on en est vraiment loin.

Construire des ghettos

L'une des conséquences sans doute voulues des émeutes aura été de rendre visibles les ghettos qui se sont constitués dans nos banlieues et que l'on ne voit pas lorsque l'on habite dans le centre-ville ou dans les banlieues "chic". Mais une autre conséquence inattendue et paradoxale sera probablement que ces quartiers sortiront de ces événements plus isolés, plus ghettoisés encore. On peut, en effet, anticiper trois effets :
- la fuite et l'éloignement de tous ceux qui en auront la possibilité : difficile de vivre dans des quartiers dans lesquels on risque à tout moment de voir brûler sa voiture,
- en brûlant voitures et autobus, les jeunes gens se sont attaqués à ce qui permet justement de sortir de ces quartiers, d'aller travailler ou vivre ailleurs,
- en s'en prenant aux écoles, aux gymnases, à leurs lieux de vie, ils ont dégradé les seuls services publics qui fonctionnaient à peu près dans ces quartiers, ils auront contribué à rendre plus difficile la vie dans ces quartiers.

Les émeutes, dernier épisode de notre histoire coloniale

A l'occasion de ces émeutes qui embrasent les cités de banlieue, plusieurs politiques ont réintroduit la question de l'immigration. Il faut, nous disent-ils, revoir les politiques d'immigration. Mais est-ce bien de cela qu'il s'agit? Les jeunes gens qui lancent des cocktails molotovs ne sont pas des immigrés, ce sont des Français, qui vivent et si problème il y a, ce n'est pas celui de l'immigration mais celui d'une société française qui n'accepte ni sa diversité ni son histoire, qui ne reconnaît pas que sa diversité tient à son histoire.
Si la plupart des émeutiers sont d'origine étrangère, si l'on insiste beaucoup sur cette dimension étrangère, il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle origine. Ces enfants, ces familles viennent, dans l'immense majorité des cas de pays qui appartenaient, avant la décolonisation, à l'Empire français qui s'est effondré il y a une quarantaine d'années. La France métropoitaine est devenue, à elle seule, une sorte d'image en réduction de la mosaïque de peuples qu'il constituait et que l'on mettait en avant comme une de ses forces dans les livres de géographie jusqu'au milieu des années 50. Les événements de ces jours-ci sont un bout de l'histoire que nous n'avons jamais faite de la colonisation, des relations complexes, cruelles et douloureuses qui se sont nouées entre ces peuples dominés et leur envahisseur. Relations paradoxales puisque ce sont ceux qui militaient le plus vigoureusement pour le maintien de l'Empire français, ce sont les plus ardents défenseurs de l'Algérie française qui sont aujourd'hui les plus farouches opposants de l'immigration.
Un député faisait récemment voter un amendement pour introduire dans les livres d'histoire une vision positive de la colonisation. Voilà une piste pour les historiens que j'imagine ennuyés (prétendre que la colonisation fut positive pour les colonisés relève de l'exploit) : montrer comment la colonisation a orienté les flux de population du Sud vers le Nord et contribué à la diversité de la société française.

mercredi, novembre 09, 2005

Statistiques et sites internet

Comme tous les utilisateurs de sites internet, je suis avec attention les statistiques de mes sites, notamment celui que j'ai consacré à l'émission de musique contemporaine que j'anime sur une radio parisienne, Aligre FM. J'ai à cette occasion découvert que j'avais plus de visiteurs sur les émissions consacrées à des compositeurs peu connus. Non que leur nom apparaisse plus souvent dans les recherches de Google et alii, mais comme peu de pages leur sont consacrées, il y a peu de concurrence et donc plus de chances que les rares curieux tombent sur mes pages. Si je voulais accroître la circulation sur mon site, j'aurais donc intérêt à me spécialiser dans ces compositeurs les plus rares.

dimanche, novembre 06, 2005

Emeutes : victimes, voyous ou carnaval?

Les émeutes dans les banlieues ont suscité deux types de discours de justification. Pour Nicolas Sarkozy, la droite et l’extrême-droite, il s’agit de délinquants (le mot a été employé par Sarkozy) et de voyous qui doivent être traités comme tels (d’où ces menaces de condamnations à de lourdes peines de prison). Pour les élus de proximité, de gauche comme de droite, pour les représentants des institutions musulmanes, pour les travailleurs sociaux et pour la plupart des éditorialistes étrangers, il s’agirait plutôt d’une réaction contre le racisme de la société française. Ces deux thèses sont commodes : elles permettent d’opposer front contre front la gauche et la droite et de proposer des solutions simples (plus de policiers et de contrôles dans un cas ; plus de traitement social et de lutte contre les discriminations dans l’autre), mais tiennent-elles la route?
Prétendre que ces émeutes sont le fait de délinquants, de professionnels de l’économie souterraine, de petits caïds attachés à la défense de leur territoire, comme l’a fait à plusieurs reprises le ministre de l’intérieur n’est guère plausible : qui peut un instant imaginer que les caïds et autres spécialistes de l’économie parallèle chercheraient à faire entrer plus de policiers et plus de contrôles dans les cités? Ils risquent d’être les premières victimes de ces affrontements et l’on peut même penser qu’ils sont plus que quiconque attachés au retour au calme. Faut-il le rappeler : jamais les voyous n’ont aimé les révolutions.
Dire que ces émeutes sont le fruit du racisme et des discriminations n’est guère plus convaincant. C’est vrai que le racisme et les discriminations existent. Je serai le dernier à le nier comme en témoigne tout ce que j’ai pu écrire sur le sujet. Reste que la jeunesse des émeutiers (entre 13 et 22 ans selon tous les témoignages) fait douter de cette explication : ils sont tout simplement trop jeunes pour avoir souffert des discriminations, sinon (et ce n’est pas rien) du harcèlement policier. Si les lycées qu’ils fréquentent ne sont pas les meilleurs (et c’est un euphémisme!), ils n’ont pas encore mesuré ce que cela veut dire. Si les employeurs leur préfèrent systématiquement des candidats d’autres origines (et c’est là encore une vérité), ils ne le savent, au mieux, que par ouï-dire. Ce sont leurs parents, leurs frères plus âgés, qui sont eux victimes de ces discriminations qui avancent cela comme explication.
Il me semble que très loin de la guerre civile dont parle CNN, il y a dans ces émeutes quelque chose d’un jeu. Les jeunes jouent à la guerre, mais une guerre dérisoire. Ils ne s’en prennent ni aux symboles de l’Etat ni, à quelques exceptions près, aux acteurs de la discrimination (écoles, commissariats de police, entreprises…), ils ne déboulent pas dans les quartiers plus riches, ils brûlent les voitures de leurs voisins et détruisent ce qui est souvent leur seul richesse sans la moindre haine (qui dit que la voiture qu’ils attaquent n’est pas celle de leurs parents?). Ces feux sont spectaculaires, ils se voient de loin, ils font beaucoup de flammes et de fumée, ils sont impressionnants et faciles à allumer.
Il y a dans ces “actions” réalisées par de petits groupes très mobiles, montés à deux ou trois sur des mobylettes ou des scooters quelque chose des actions de commando que l’on voit à longueur de soirée sur les chaînes de télévision. Les images de ces villes qui flambent rappellent celles de Bagdad ou d’ailleurs que les télévisions nous montrent dans leurs journaux. Les jeunes émeutiers ne font ni la révolution ni la guerre au système, ils s’amusent, ils jouent à la guerre avec Sarkozy dans le rôle de Bush (aussi maladroit et irresponsable) et les policiers dans celui des marines. Ils font des compétitions (c’est à la bande, au quartier qui fait le plus de feu et de fumée…) On est plus dans le registre du carnaval et du charivari plus que dans celui de la révolution. Ce qui ne veut pas dire que ce soit sans danger ni sans conséquences : les propriétaires des voitures brûlées doivent l’avoir amer. Le carnaval était, on l’a trop oublié, à l’origine subversif. Il précédait le carême, celui-ci le conclut (c’est au lendemain de la rupture du jeune que les événements ont débuté) et mettait le monde à l’envers : ce sont aujourd’hui les jeunes des banlieues, ces quartiers de la périphérie que l’on néglige en permanence, qui sont, inversion des valeurs, au centre de l’attention. Le carnaval pouvait finir par des révoltes sociales. On ne peut exclure qu’il en aille de même cette fois-ci.
C’est en regardant dans cette direction plus que dans celle de mai 68 que l’on a de chances de comprendre le phénomènes et de le traiter. Car, il faut, bien évidemment, le traiter. Et rapidement. Car, après tout, laisser ces incendies de voitures se multiplier, n’est-ce pas un signe de plus de l’indifférence de la société française à l’égard de ce que l’on a appris à appeler ses banlieues, de leurs souffrances (à commencer par les discriminations dont sont victimes leurs habitants). Si les voitures avaient brûlé dans le septième arrondissement, il y a bien longtemps que l’on aurait trouvé des solutions.

Amartya Sen : Pourquoi ses livres sont-ils si mal traduits?

Les éditions Odile Jacob viennent de publier un recueil d’articles important de l’économiste et philosophe (la frontière entre les deux disciplines est dans son cas parfois difficile à tracer, ce qui le rend si passionnant) d’origine indienne Amartya Sen (Rationalité et liberté en économie, Odile Jacob, 2005, traduit par Marie-Pascale d’Iribane-Jaawane). Ce qui devrait être une excellente nouvelle frôle la catastrophe.
Comme souvent chez Odile Jacob, ce livre est à peine édité. C’est à croire que personne n’a relu le manuscrit avant de l’envoyer chez l’éditeur. Deux exemples, entre mille :
- les notes que l’on a oublié de traduire (comme celle de la page 74),
- les bibliographies qui nous sont données en couper coller des versions anglaises des textes, sans traduction ni renvoi aux éditions françaises qui existent (notamment aux PUF).
Mais le pire, c’est, comme si souvent pour ce genre de livre, la traduction. Je ne suis pas certain que la traductrice ait compris tout ce qu’elle traduisait. Elle n’a en tout cas fait aucun effort pour aider à la compréhension de textes difficiles mais abordables dans leur version originale. Ce qui est particulièrement gênant pour des articles qui valent pour leur rigueur dans la définition des concepts.
Ce n’est pas la première fois que ce genre de mésaventure arrive à ce type de livre. Je me souviens encore de la traduction carrément illisible d’un livre de Nozick aux PUF (Anarchie, Etat et Utopie). On souhaiterait maintenir ces textes à l’écart du public français ou on voudrait le convaincre de se tourner vers l’original qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

vendredi, novembre 04, 2005

Sur les téléchargements sauvages

Les éditeurs et sociétés de collecte des droits d’auteur qui protestent contre le téléchargement insistent systématiquement sur les pertes de revenus qu’il entraîne et sur leurs conséquences à long terme. En copiant de manière sauvage des fichiers (films, chansons), on fait, disent-ils, du tort à l’ensemble de la profession et, in fine, à la culture. Si les chanteurs, les cinéastes ne sont plus rémunérés de leur travail, ils n’auront plus les moyens de le financer ou, version plus individualiste, ils choisiront une activité qui leur permet de mieux profiter de leurs efforts.
Mais est-ce vrai? Lorsque l’on a la curiosité de regarder un peu plus près ce qui se passe sur le réseau, les fichiers disponibles, ceux qui sont effectivement téléchargés, on découvre vite que ce sont les films, les séries télévisées, les chansons les plus populaires, ceux qui ont le plus de succès qui sont le plus demandés. Ce qui n’est, somme toute, pas très surprenant : ce sont ces films, ces séries, ces chansons que l’on a envie de voir et que l’on a le plus de chance de pouvoir télécharger rapidement (la vitesse du téléchargement est, sur les nouveaux systèmes type bittorrent, fonction du nombre d’ordinateurs sur lesquels on peut aller chercher le fichier).

Ces téléchargements réduisent, à première vue, les revenus des producteurs de ces oeuvres, mais cette réduction parait compensée (en partie? en totalité? je serai, bien sûr, incapable de le dire) par ce phénomène de concentration sur quelques oeuvres :

- le téléchargement contribue probablement à la popularité des oeuvres : celles que l’on télécharge sont celles que l’on attend, dont on parle, que l’on a envie de voir et de revoir ;

- le téléchargement se substitue aux modes traditionnels de diffusion là où celle-ci fait défaut. Il peut, alors contribuer à créer une attente, un marché potentiel. C’est ce qui se passe avec le téléchargement des séries télévisées américaines : ceux qui ont aimé les premières saisons d’une série vont télécharger les dernières saisons. Et comme ils en parleront à leurs proches, ils contribueront à créer une attente du produit.

Si l’on suit les sociétés d’auteurs et les adversaires du piratage dans leur lutte contre le téléchargement, on court donc deux risques :

- les producteurs des oeuvres les plus populaires risquent de se priver d’un moyen “naturel” et spontané de faire le marketing de leur travail,

- les producteurs d’oeuvres plus confidentielles risquent de ne pouvoir utiliser des moyens de diffusion moderne qui leur permettent d’échapper aux filtres des systèmes actuels qui privilégient les oeuvres qui ont le plus de succès (ou dont on pense qu’elles ont le plus de chance d’en avoir).