dimanche, novembre 06, 2005

Emeutes : victimes, voyous ou carnaval?

Les émeutes dans les banlieues ont suscité deux types de discours de justification. Pour Nicolas Sarkozy, la droite et l’extrême-droite, il s’agit de délinquants (le mot a été employé par Sarkozy) et de voyous qui doivent être traités comme tels (d’où ces menaces de condamnations à de lourdes peines de prison). Pour les élus de proximité, de gauche comme de droite, pour les représentants des institutions musulmanes, pour les travailleurs sociaux et pour la plupart des éditorialistes étrangers, il s’agirait plutôt d’une réaction contre le racisme de la société française. Ces deux thèses sont commodes : elles permettent d’opposer front contre front la gauche et la droite et de proposer des solutions simples (plus de policiers et de contrôles dans un cas ; plus de traitement social et de lutte contre les discriminations dans l’autre), mais tiennent-elles la route?
Prétendre que ces émeutes sont le fait de délinquants, de professionnels de l’économie souterraine, de petits caïds attachés à la défense de leur territoire, comme l’a fait à plusieurs reprises le ministre de l’intérieur n’est guère plausible : qui peut un instant imaginer que les caïds et autres spécialistes de l’économie parallèle chercheraient à faire entrer plus de policiers et plus de contrôles dans les cités? Ils risquent d’être les premières victimes de ces affrontements et l’on peut même penser qu’ils sont plus que quiconque attachés au retour au calme. Faut-il le rappeler : jamais les voyous n’ont aimé les révolutions.
Dire que ces émeutes sont le fruit du racisme et des discriminations n’est guère plus convaincant. C’est vrai que le racisme et les discriminations existent. Je serai le dernier à le nier comme en témoigne tout ce que j’ai pu écrire sur le sujet. Reste que la jeunesse des émeutiers (entre 13 et 22 ans selon tous les témoignages) fait douter de cette explication : ils sont tout simplement trop jeunes pour avoir souffert des discriminations, sinon (et ce n’est pas rien) du harcèlement policier. Si les lycées qu’ils fréquentent ne sont pas les meilleurs (et c’est un euphémisme!), ils n’ont pas encore mesuré ce que cela veut dire. Si les employeurs leur préfèrent systématiquement des candidats d’autres origines (et c’est là encore une vérité), ils ne le savent, au mieux, que par ouï-dire. Ce sont leurs parents, leurs frères plus âgés, qui sont eux victimes de ces discriminations qui avancent cela comme explication.
Il me semble que très loin de la guerre civile dont parle CNN, il y a dans ces émeutes quelque chose d’un jeu. Les jeunes jouent à la guerre, mais une guerre dérisoire. Ils ne s’en prennent ni aux symboles de l’Etat ni, à quelques exceptions près, aux acteurs de la discrimination (écoles, commissariats de police, entreprises…), ils ne déboulent pas dans les quartiers plus riches, ils brûlent les voitures de leurs voisins et détruisent ce qui est souvent leur seul richesse sans la moindre haine (qui dit que la voiture qu’ils attaquent n’est pas celle de leurs parents?). Ces feux sont spectaculaires, ils se voient de loin, ils font beaucoup de flammes et de fumée, ils sont impressionnants et faciles à allumer.
Il y a dans ces “actions” réalisées par de petits groupes très mobiles, montés à deux ou trois sur des mobylettes ou des scooters quelque chose des actions de commando que l’on voit à longueur de soirée sur les chaînes de télévision. Les images de ces villes qui flambent rappellent celles de Bagdad ou d’ailleurs que les télévisions nous montrent dans leurs journaux. Les jeunes émeutiers ne font ni la révolution ni la guerre au système, ils s’amusent, ils jouent à la guerre avec Sarkozy dans le rôle de Bush (aussi maladroit et irresponsable) et les policiers dans celui des marines. Ils font des compétitions (c’est à la bande, au quartier qui fait le plus de feu et de fumée…) On est plus dans le registre du carnaval et du charivari plus que dans celui de la révolution. Ce qui ne veut pas dire que ce soit sans danger ni sans conséquences : les propriétaires des voitures brûlées doivent l’avoir amer. Le carnaval était, on l’a trop oublié, à l’origine subversif. Il précédait le carême, celui-ci le conclut (c’est au lendemain de la rupture du jeune que les événements ont débuté) et mettait le monde à l’envers : ce sont aujourd’hui les jeunes des banlieues, ces quartiers de la périphérie que l’on néglige en permanence, qui sont, inversion des valeurs, au centre de l’attention. Le carnaval pouvait finir par des révoltes sociales. On ne peut exclure qu’il en aille de même cette fois-ci.
C’est en regardant dans cette direction plus que dans celle de mai 68 que l’on a de chances de comprendre le phénomènes et de le traiter. Car, il faut, bien évidemment, le traiter. Et rapidement. Car, après tout, laisser ces incendies de voitures se multiplier, n’est-ce pas un signe de plus de l’indifférence de la société française à l’égard de ce que l’on a appris à appeler ses banlieues, de leurs souffrances (à commencer par les discriminations dont sont victimes leurs habitants). Si les voitures avaient brûlé dans le septième arrondissement, il y a bien longtemps que l’on aurait trouvé des solutions.

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