mercredi, mai 30, 2007

Pour le plaisir…

On lit parfois des phrases qui font rire de bon coeur. Et il est alors agréable de partager ce moment. En voici une trouvée sur l'excellent blog de François Mitterrand : "Pour conquérir la France, il est bon d’avoir une vision, une ambition, mais il faut aussi une volonté et une vingtaine d’hommes prêts à tout. Si l’un de ces deux éléments vient à manquer, il est inutile d’espérer. C’est ainsi que j’ai procédé, et c’est ainsi que le nouvel élu (mon meilleur élève par correspondance) m’a imité." Présenter Sarkozy en meilleur élève par correspondance de François Mitterrand, voilà qui ne manque pas de sel.

Je n'ai qu'un regret : de savoir (ou, plutôt, de craindre) que l'auteur de cet excellent blog ne sorte un jour de l'anonymat pour faire la promotion du livre qui sortira certainement de cette très jolie aventure.

vendredi, mai 25, 2007

Pourquoi Le Pen a-t-il si bien résisté dans les zones rurales?

Si le recul du Front National a été l’une des bonnes surprises des dernières élections présidentielles, il n’a pas été uniforme. Il a mieux résisté dans certaines régions que dans d’autres, il a surtout, et de façon peut-être plus imprévue, mieux résisté dans les zones rurales que dans les zones urbaines. On observe, en effet, dans de nombreux départements l’émergence d’une espèce de partition, avec des villes modérées, voire à gauche et des campagnes qui votent à droite, voire très à droite. Ce phénomène est sensible dans des départements plutôt ruraux comme l’Yonne ou les Deux-Sèvres. Le premier a donné une belle majorité à Nicolas Sarkozy, le second à Ségolène Royal, mais on retrouve dans les deux le même effet : plus on s’éloigne des villes, plus le vote Front National augmente. Le cas de Thouars, petite ville du Nord des Deux-Sèvres est caractéristiques : Le Pen y a obtenu autour de 5% des voix. Dans les communes dans un rayon de 4 à 6 kilomètres, il dépasse fréquemment les 6%. Dans celles qui sont dans un rayon de 6 à 10 km, il a obtenu de 5 à un peu plus de 9% des voix. Auxerre, dans l’Yonne n’a donné que 9,36% de ses voix au candidat de l’extrême-droite. Les communes installées dans un rayon de 6 à 10 kilomètres autour, lui ont donné de 12 à 22% de leurs voix. Même chose à Niort, à Chatelleraut et dans bien d’autres villes.

Ce phénomène invite à relativiser les explications traditionnelles du vote Front National : insécurité et immigration. Dans ces départements, les meilleurs scores de Jean-Marie Le Pen ont été faits dans des communes qui n’ont aucun problème de sécurité et qui n’accueillent que très peu voire, le plus souvent, pas du tout d’immigrés. Si l’on a pu en 2002 invoquer le traitement de l’insécurité par les médias pour expliquer le succès du candidat d’extrême-droite, cela parait cette fois-ci beaucoup plus difficile. Il convient donc de chercher d’autres explications d’un phénomène qui s’est traduit au second tour par des scores très forts en faveur de Nicolas Sarkozyy.

La désespérance sociale, le sentiment de déclin que l’on évoque parfois pour expliquer ce vote éclaire sa répartition géographique, sa concentration dans le Nord-Ouest dans le Sud-Est : les cartes du cote Front National et du RMI sont voisines. Mais cette proximité n’explique ce phénomène d’opposition entre campagnes et villes qui parait, d’ailleurs, insensible au dynamisme démographique : on observe ce même effet d’opposition entre la ville et les campagnes dans les cantons qui se dépeuplent (comme ceux de Parthenay et Thouars) et dans ceux dont la population augmente (comme celui de Chatellerault).

L’explication de ce vote par le transfert de voix ouvrières, qui votaient hier communistes, laisse également à désirer. Ces communes rurales n’ont jamais voté à l’extrême gauche. Elles ne sont pas non plus menacées par la concurrence internationale et la globalisation, deux thèmes que le Front National a fortement développés dans sa campagne et qui expliquent sans doute en partie ses succès dans les régions ouvrières les plus frappées par le chômage. Seul parti à proposer un projet ouvertement et totalement protectionniste, il a pu séduire des salariés qui ont perdu ou craignent de perdre leur emploi du fait de la globalisation, de la concurrence de la Chine, le protectionnisme peut passer pour la seule solution. Mais ce n’est évidemment pas le cas dans les zones rurales.

L’opposition des villes et des campagnes n’est pas nouvelle. Dans certains départements, comme dans les Deux-Sèvres, les villes républicaines sont depuis longtemps opposées aux campagnes catholiques et conservatrices. Mais il semble que cette fois-ci le phénomène obéisse à une autre logique qu’il faut chercher dans ce qui distingue, au delà des choix idéologiques et religieux, la vie en ville de la vie dans les petites communes de campagne dans ces départements ruraux.

Les écarts entre la ville et la campagne se sont beaucoup réduits ces dernières années - le confort des logements est à peu près identiques, les revenus sont voisins -, mais ils n’ont pas complètement disparu. La populations est plutôt plus jeune dans les zones urbaines que dans les zones rurales et l’on sait que Nicolas Sarkozy a fait ses meilleurs scores chez les plus de 65 ans. Mais, les différences subsistent. L’accès aux services publics y est infiniment plus complexe et coûteux, il faut se déplacer, pendre du temps pour des démarches administratives toujours plus simples dans les gandes villes. Le contrôle social y est, surtout, plus serré. Dans les villes, mêmes petites, on échappe pour partie au moins au regard d’autrui. On connaît ses voisins de vue, mais guère plus. C’est tout le contraire dans les petites communes où chacun vit sous le regard des autres, où chacun sait à peu près tout des comportements, de la vie, des ressources et revenus de ses concitoyens.

Ce contrôle social resserré explique les comportements différents face à l’abstention, d’autant plus faible que la commune est plus petite. Ainsi dans les Deux-Sèvres, elle a dépassé les 15% dans les villes, Niort, Parthenay, Thouars, alors qu’elle a été sur l’ensemble du département inférieure à 14% et qu’elle est descendue à moins de 5% dans les communes les plus petites, celles de moins de 200 inscrits. Cette faible abstention est probablement liée au contrôle sociale. S’abstenir d’aller voter peut se faire dans la discrétion dans une ville, même de taille moyenne, c’est à peu près impossible dans une petite commune où tout le monde se connaît et où le dépouillement des urnes réunit beaucoup de monde. Chacun sait vite qui s’est abstenu. Une opinion qui devrait restait de l’ordre privé devient publique.

Ce contrôle social peut il aider à comprendre le vote plus à droite des petites communes? Les électeurs se prononcent en fonction de nombreux critères : leurs traditions familiales, leurs valeurs (pratique religieuse…), leur intérêt (si l’on a intention d’acheter un logement on peut être intéressé par un candidat qui propose de défiscaliser l’intérêt des emprunts sur l’immobilier), ses décisions antérieures (on peut continuer de voter pour un candidat ou un parti dont non ne partage plus toutes les idées pour ne pas se déjuger), la personnalité des candidats, la qualité de leur campagne… mais on se décide aussi en fonction de ce que l’on sait de la société dans laquelle on vit, de ce que l’on observe, de la manière dont on évalue au quotidien les mesures prises par les responsables politiques lorsqu’ils sont aux affaires.
C’est sur ce dernier point qu’un contrôle social plus resserré peut jouer un rôle. En donnant des informations très détaillées sur les comportements de ses voisins, il peut contribuer à se faire une opinion sur l’action de l’Etat, notamment dans sa dimension sociale.

Prenons le RMI. Le nombre de ses allocataires a beaucoup augmenté ces dernières années. On est passé d’un peu plus d’un million de bénéficiaires en 1998 à 1 255 000 en 2006. Cette croissance est liée à l’ancienneté croissante dans le dispositif de beaucoup d’allocataires, à la modification du régime de l’allocation chômage qui a fait verser dans le RMI des chômeurs en fin de droit et, enfin, au chômage massif des jeunes qui contribue au rajeunissement de cette population : dans une région comme le Poitou-Charente, près de la moitié des allocataires ont entre 25 et 34 ans.

La plupart des RMIstes sont dans les villes, mais une minorité importante vit dans des zones rurales, le plus souvent dans des communes relativement éloignées des centre-villes, les communes les plus proches étant en général habitées par des jeunes couples qui ont investi dans un logement proche de la ville qui donne du travail. En Poitou-Charente, les allocataires sont surtout concentrés dans les grandes villes où plus de la moitié vivent, mais 17% étaient en 2000 installés dans des communes rurales isolées. Un phénomène que l’on retrouve dans plusieurs autres régions, en Auvergne, par exemple, où 27% des allocataires vivent dans des communes rurales1.

Très proches de leurs voisins, mieux informés de leurs comportements et de leurs éventuelles tricheries (travail non déclaré), de leurs hésitations à s’engager sur le marché du travail (refus de travailler au noir pour un entrepreneur local…), les électeurs des zones rurales sont plus enclins à utiliser ces “connaissances de terrain” pour juger du dispositif que des citadins . Les informations ainsi collectées, nourries de ce qu’ils savent par ailleurs de ces allocataires, de leurs antécédents, de leurs comportements quotidiens, de leur vie familiale… peut transformer leur jugement. Là où des citadins qui ne connaissent, ou que de très loin des des RMIstes peuvent avoir une appréciation politique ou économique du dispositif, les habitants des zones rurales peuvent en avoir une approche plus psychologique. Là où les premiers seront tentés de chercher la raison des difficultés des bénéficiaires de ces allocations dans l’environnement économique et social, les seconds chercheront plutôt des raisons du coté de leur personnalité, de leur manque de volonté ou d’ardeur au travail. La première interprétation tend à gommer les dérives des dispositifs, à les rejeter à la marge, la seconde les exagère, donnant ainsi raison à ceux qui les contestent et affichent avec le plus de force leur volonté de changer le système.
Lorsqu’il assure dire tout haut ce que les Français disent tout bas, Jean-Marie Le Pen ne fait rien d’autre que d’en appeler à ces jugements de terrain, au bon sens des Français contre l’irréalisme, “l’utopisme” dit-on parfois, des dirigeants.

Ce qui est vrai du RMI l’est également de tous les autres dispositifs d’aide sociale. Nombreux dans ces zones rurales, les bénéficiaires du RMI pourraient, pour partie au moins, corriger ce biais en faveur des partis qui proposent de les réviser radicalement. Les économistes ont depuis longtemps développé des modèles du vote dans lequel les électeurs se déterminent en fonction des programmes des candidats. Ils voteraient, si on les croit, pour ceux qui promettent de servir au mieux leur intérêt. Les partis politiques ont bien intégré cette logique lorsqu’ils ciblent leurs propositions pour telle ou telle catégorie de la population.
Ce raisonnement peut aider à comprendre le succès des partis de droite qui proposent des allégements fiscaux dans les quartiers bourgeois et ceux du Front National dans les régions économiquement sinistrées. Les électeurs dont l’emploi est menacé par la concurrence internationale portent naturellement leurs voix vers le parti qui affichent le plus ouvertement son protectionnisme, annonce qu’il fermera les frontières et protégera les emplois nationaux.
La même logique voudrait que les plus défavorisés votent pour ceux qui leur promettent le plus d’aide et d’assistance et qui ont prouvé par le passé leur capacité à leur apporter effectivement cette couverture sociale. On attendrait donc des bénéficiaires du RMI, ou ceux dont la situation est si délicate qu’ils peuvent qu’ils ne peuvent exclure d’y faire un jour appel, qu’ils votent massivement à gauche. Mais rien ne dit que ce soit le cas.

Si l’on conserve l’hypothèse que ces électeurs agissent de manière rationnelle, qu’ils sont attachés à leur intérêt, peut-être faut-il chercher la raison de leur comportement paradoxal dans le RMI lui-même. S’ils sont aussi rationnels que l’imaginent les économistes, ces électeurs font, avant de se décider pour l’une ou l’autre partie, un raisonnement de type coût-bénéfice. Du coté des bénéfices, il y a ce revenu qui évite de tomber dans la grande misère. Mais de l’autre, il n’y a… rien! Ce revenu est attribué sans obligation de retour. Le bénéficiaire n’est soumis à aucune contrainte. On ne lui demande pas de donner en échange un quelconque travail, de suivre une formation, de faire un quelconque effort. Parce que son volet intégration n’a jamais été développé, le RMI est devenu un don à des gens dont on n’attend rien en échange, qui, plus grave peut-être encore, n’ont aucun moyen de rendre ce qui leur est donné.

Et c’est peut-être là que se situe la difficulté. Dans un texte tout à fait passionnant Jacques Godbout montre comment un don sans retour peut devenir problématiques pour celui qui les reçoit. Comme il ne rend pas le don qu’il a reçu personne ne le remercie. À recevoir sans jamais rendre on perd toute identité. Et ceci même lorsque le donneur est plein de bonnes intentions. “Une des grandes figures de la colonisation du Canada par la France fut Marie de l’Incarnation. Elle vient sauver les sauvages (…), elle vient donner sans compter, certes, mais sans imaginer une seconde qu’elle puisse recevoir quelque chose d’eux, sauf le salut éternel dont ils peuvent être les instruments. Les jeunes Amérindiennes dont elle s’occupe sont littéralement dépouillées de leur identité pour accueillir celle du donneur.” Comme l’écrit une sociologue, on a là un exemple de “mysticisme qui tue… les autres.” Bien loin d’être reconnaissants, les bénéficiaires du RMI seraient ingrats pour mieux se défendre et de se protéger de ces donateurs qui leur volent leur identité. Ils se comporteraient comme ces colonisés qui refusent de voir des bienfaiteurs dans les missionnaires qui pensent, en toute bonne foi, venir les aider à lutter contre la misère.

Ces analyses reviennent à dire que les allocataires du RMI et leur entourage le plus immédiat peuvent, sans jamais cesser de se comporter de manière rationnelle, voter pour un candidat qui, s’il arrivait aux affaires, supprimerait leur principale source de revenus. Paradoxe? Sans doute. Mais ce ne serait pas la première fois que l’on verrait des agents rationnels prendre de leur plein gré des mesures qui vont à l’encontre de leur intérêt immédiat.

jeudi, mai 24, 2007

Sur l'encadrement militaire des jeunes

L'encadrement des jeunes qu'a proposé Ségolène Royal a fait couler beaucoup d'encre ironique mais peu de réflexion. Journalistes et élus de tous bords se sont moqués d'une proposition qui aurait mérité mieux. Ne serait-ce que parce qu'elle s'inscrivait dans la mouvance de projets préexistants, notamment :

- les EPID (Etablissement Public d'Insertion de la Défense) plus connus sous le nom d'opérations deuxième chance qu'a lancés Michèle Alliot-Marie, dont les débuts ont été difficiles (si j'en crois ce qu'en dit ce blog) ;

- les projets du général Emmanuel de Richoufftz, qu'on appelle parfois le général des banlieues et dont on trouve une description dans son blog.

Ces réalisations sont naturellement différentes de ce que proposait Ségolène Royal, mais les évaluer, analyser leurs réussites et leurs échecs, leurs forces et leurs faiblesses auraient certainement aidé à faire avancer une idée qui méritait mieux que la moquerie. Ces comparaisons auraient également forcé Ségolène Royal à préciser son projet, à l'approfondir, à entrer dans le détail de sa faisabilité. Ce qui aurait été un plus pour tout le monde.

Une campagne électorale n'est certainement pas le meilleur moment pour faire ce travail (comment la candidate socialiste aurait-elle pu dire que son projet s'inscrivait dans la lignée de ce que venait de lancer la ministre de la Défense d'alors?), mais les journalistes auraient pu s'emparer du dossier et le creuser un peu. Ce qu'ils n'ont manifestement pas fait. La dernière référence à l'opération seconde chance dans le Monde date de juillet 2006, tandis que le général Emmanuel de Richoufftz n'est pas cité une seule fois dans les 12 derniers mois. Même chose chez Libération.

A défaut des journalistes, le PS aurait pu faire de même. Mais non, ses dirigeants ont, comme les journalistes, choisi l'ironie… Résultat : une idée qui pouvait avoir un impact sur la définition des missions de l'armée, qui pouvait amener à réfléchir sur le rôle des différentes institutions dans le traitement des jeunes en difficulté est restée en jachère. Dommage…

PS. On pourrait, évidemment, dire la même chose de bien d'autres idées lancées pendant cette campagne, notamment des 35 heures de présence des enseignants dans les établissements. Idée juste mais irréalisable (les établissements, même les plus récents n'ont pas été construits pour cela et n'ont pas prévu d'espace pour les professeurs hormis la salle des profs déjà trop petite). L'approfondir, au lieu de l'utiliser comme arme contre Ségolène Royal, aurait permis de réfléchir à des alternatives… Encore une fois, dommage…

mercredi, mai 23, 2007

Composer un gouvernement

Il y a quelques années, le dirigeant de la filiale française d'un grand cabinet de conseil américain (si je ne suis pas plus précis, c'est que j'ai oublié et son nom et celui de ce cabinet) a publié un livre dont le titre était, je crois, France S.A. dans lequel il expliquait que tout irait beaucoup mieux si l'on dirigeait la France comme une entreprise. On a entendu, à deux ou trois reprises, cette petite musique ces derniers jours dans l'entourage du Président. Mais la formation du gouvernement a ramené à un peu plus de bon sens. Un pays n'est pas une entreprise, et son gouvernement n'est ni un Conseil d'Administration ni un Comité de Direction. Il suffit pour s'en convaincre de chausser un instant les lunettes d'un DRH et de se demander si les nominations de ces derniers jours obéissent à une quelconque logique d'entreprise.

Certains ministres ont, dans leur CV, de quoi séduire un comité de recrutement. Pour ne prendre que cet exemple, Kouchner a une incontestable expérience internationale. Cela pouvait donc en faire un bon candidat aux Affaires Etrangères, mais cela aurait pu aussi être sa principale faiblesse. Comme le rappelait hier soir Roland Dumas, la diplomatie et l'action humanitaire sont deux choses différentes. On peut dire la même chose de Michelle Alliot-Marie. Venue de la Défense, elle a une certaine expérience des questions de sécurité, mais est-ce que cela l'a préparée à diriger un ministère que les organisations syndicales cogèrent au su et vu de tout le monde? Hier encore, c'est un syndicaliste que les télévisions interviewaient à l'occasion du déménagement de la DST. Comme si le Ministère n'avait pas une directeur de la communication capable d'intervenir sur des sujets aussi insignifiants (l'essentiel des sujets portant sur le déménagement de valises plombées).

Dans ces deux cas, un DRH aurait donc pu hésiter. Du moins pouvait-il avancer des arguments positifs en faveur de ces nominations. Pour d'autres ministres, il en va bien autrement. Le choix de Rachida Dati à la justice est l'exemple même du choix politique qu'aucun DRH ne recommanderait. Cette jeune femme a certainement beaucoup de talents (encore que l'on puisse en douter au vu de ses prestations lors de la campagne), mais elle n'a manifestement ni l'expérience ni la compétence que le Comité de recrutement d'une entreprise rechercherait pour tenir un poste de cette importance. Ce sont des considérations exclusivement politiques (il fallait une femme, il fallait une enfant d'immigrés) qui l'ont fait choisir pour ce poste hautement symbolique. Mais faut-il le regretter?

Il était certainement plus important pour le nouveau gouvernement d'envoyer des signaux à la société française que de diriger de manière efficace une grande administration. Quoique l'on pense, par ailleurs, de ce gouvernement, il est bon qu'une beurette occupe une place de ce type et que tant de femmes soient ministres.

Si les critères politiques comptent plus que les compétences professionnelles dans la formation d'un gouvernement c'est pour de bonnes raisons. L'expérience a montré que les spécialistes faisaient souvent de mauvais ministres. En fait, ce n'est pas tant l'expertise technique qui compte, dans ce type de poste, que la capacité à imposer ses propositions dans un champ où les premiers concurrents sont les collègues qui se battent pour les budgets, une place dans l'agenda du Parlement et un temps de parole dans les médias.

C'est clair : aucun DRH n'aurait composé le gouvernement de cette manière. Il y a cependant un point sur lequel il rappelle les conseils de direction de beaucoup d'entreprises. Il a été formé de manière à ne faire aucune ombre au Président. S'il y a des têtes connues, il y a peu de poids-lourds capables de contester ses choix, d'imposer leurs vues à leurs collègues et à leurs collaborateurs par leur seul poids électoral. Le plus solide, Alain Juppé, est doublement fragilisé par ses condamnations passées (et ses probables convocations à venir devant la justice) et par les résultats de la Présidentielle à Bordeaux. Quant aux autres, ils pèsent souvent d'un poids électoral si faible qu'il leur sera difficile de résister aux désirs du Président que l'on devine adepte de ce que l'on appelle outre-Atlantique le "hands-on management".

mardi, mai 15, 2007

Les débauchages : version rose

L'attention que Nicolas Sarkozy porte à des personnalités de gauche qui ont le double mérite d'être plutôt populaires (c'est vrai pour Kouchner et Védrine, moins pour Allègre, même si il a conservé une bonne image chez beaucoup) et à l'abri des mesures de rétorsion électorales (quand on n'est pas élu on n'a pas grand chose à craindre de son parti) peut être interprétée comme un coup de communication (un de plus), mais on peut avoir une interprétation plus généreuse pour Sarkozy. Une interprétation qui le crédite d'une réelle intelligence politique.

Faire des propositions à des personnalités de gauche, c'est répondre par anticipation à ce qui sera probablement à terme sa principale faiblesse : le pouvoir absolu, le contrôle de tous les leviers : Présidence, Sénat, Parlement, CSA, Conseil Supérieur de la Magistrature, Conseil Constitutionnel, haute fonction publique par le jeu des nominations… On le sait, le pouvoir absolu ne peut conduire qu'à commettre des erreurs. Là-dessus, Ségolène Royal a dit, dans la campagne, à propos du CPE, des choses excellentes.

Nicolas Sarkozy ayant choisi de ne pas modifier les institutions peut chercher dans cette introduction de personnalités de gauche dans son gouvernement une sorte de contre-pouvoir. Pour éviter les dérives que le pouvoir absolu entraîne forcément, il faudrait aller au delà et nommer des personnalités de gauche à des postes qui exercent un contrôle sur le pouvoir. Il peut le faire au Parlement, avec les Présidences des Commissions, et plus tard au CSA, au Conseil Supérieur de la Magistrature… Le fera-t-il? On peut en douter, tant la tentation est forte chez chacun de se protéger des critiques.

Ces annonces de nomination ont un autre avantage : elles lui permettent d'affirmer son autorité sur son camp. Il prouve à tous ceux qui l'ont soutenu qu'il ne leur doit rien, c'est paradoxalement la meilleure manière de s'assurer de leur fidélité.

lundi, mai 14, 2007

Le retour des Jospin's boys

On l'aura sans doute oublié dans quelques jours, mais les tractations pour former le premier gouvernement de l'ère Sarkozy, les appels du pied à la gauche, à Allègre, Kouchner, Védrine… sont comme un hommage posthume au gouvernement Jospin. J'imagine qu'il doit donner quelques plaisirs d'amour propre du coté de la rue du Regard, et faire sourire jaune, très jaune du coté de l'UMP.

Les prestations répétées de Raffarin et autres Alliot-Marie dans les médias faisaient craindre un retour de la fine équipe du deuxième quinquennat. Voici qu'on nous promet le retour de la jospinie. Tout cela est bien sûr calcul et communication, mais est-ce bien pour revoir ces têtes (toutes très compétentes par ailleurs) que 53% des Français ont voté Sarkozy? Ce serait, pour le moins, à vérifier.

vendredi, mai 11, 2007

Une idée pour corriger les trop gros salaires

Les gros salaires, les primes de départ indécentes font depuis quelques années régulièrement scandale. Et on peut penser, sans trop de mauvais esprit, que cela va continuer. Il serait bien surprenant que le gouvernement légifère sur le sujet (et comment ferait-il alors que toute sa politique fiscale vise à empêcher les plus riches de s'installer à l'étranger?) et que les entreprises corrigent leurs pratiques, comme le voudrait le MEDEF.

Il est cependant une piste qui pourrait être explorée. Aux Etats-Unis où les stock-options fabriquent des millionnaires à la pelle, on voit se développer une philanthropie massive (que Marc Abélès a longuement analysée dans Les Nouveaux Riches - Odile Jacob, 2002). Les cadres supérieurs de Google qui ont ramassé des fortunes en redistribuent une partie significative à des institutions de toutes sortes (culturelles, sociales, éducatives…). Nos millionnaires sont plus radins et égoïstes. Pourquoi ne pas leur forcer un peu la main. On pourrait faire cela de la manière la plus simple. Lorsque une rémunération (prime de départ…) dépasse un certain seuil (que l'on pourrait définir en multiple du salaire moyen, médian, minimum de l'entreprise concernée), l'heureux bénéficiaire serait dans l'obligation d'affecter le surplus à l'oeuvre de son choix définie au préalable, éventuellement avec les salariés. Il garderait ainsi cette rémunération et le plaisir d'en choisir l'affectation, mais celle-ci serait utile à la collectivité. On aurait ainsi le meilleur des deux mondes : la liberté des entreprises de définir les rémunérations des dirigeants, celle du bénéficiaire et l'intérêt collectif.

Est-ce compliqué à mettre en oeuvre? Je n'y ai pas réfléchi, mais cela pourrait faire l'objet de discussions dans les conseils d'administration et donner lieu à l'écriture d'une règle assez simple du type : si Prime> x fois le Salaire Médian, alors le bénéficiaire doit affecter le surplus à une des institutions suivantes : y, u, z…

Des commentaires?

jeudi, mai 10, 2007

Et si la justice apprenait la mesure?

Tout au long de sa campagne Ségolène Royal a parlé d'ordre juste sans toujours donner d'exemple de ce qu'elle entendait par là. Le slogan sonnait juste mais manquait un peu de… chair. Les toutes récentes condamnations de jeunes gens qui ont manifesté contre Nicolas Sarkozy pourraient en donner un bel exemple. Voici ce qu'en dit le Monde :

"A Rennes, quatre individus, interpellés dans la nuit de dimanche à lundi, ont été jugés en comparution immédiate, mardi 8 mai, et condamnés par le tribunal correctionnel à deux mois de prison ferme pour l'un et de 105 à 140 heures de travail d'intérêt général pour les autres. L'homme condamné à la peine la plus lourde est âgé de 20 ans et originaire de Vitré (Ille-et-Vilaine). Il était notamment accusé de jets de canettes et de bouteilles, sans faire de blessés, mais le tribunal a souligné qu'il avait déjà été condamné à de nombreuses reprises.

A Lyon, quatre personnes, "essentiellement des jeunes majeurs", ont été jugées, mardi, en comparution immédiate pour des violences sur policiers et des dégradations, selon le parquet de Lyon. Deux d'entre elles ont été condamnées à des peines de six mois et trois mois de prison ferme pour des violences commises lors de la manifestation de dimanche soir. Les deux autres ont été condamnés à 120 heures de travaux d'intérêt général. Une dizaine de jeunes, arrêtés dans le cadre de la manifestation de lundi soir, doivent à leur tour être jugés en comparution immédiate mardi, a-t-on indiqué de même source."



6 mois de prison ferme pour un jet de bouteille contre les forces de l'ordre! Trois étudiants de Sciences-Po Lyon, sans aucun casier judiciaire, sans la moindre histoire de relations difficiles avec la police ou la justice condamnées à 2 et 3 mois pour des faits qu'ils contestent. Un Président du Tribunal (c'est dans un autre papier du Monde) qui leur explique que c'est pour qu'ils comprennent la gravité de leur acte et qu'ils ne recommencent pas. Mais qu'ils ne recommencent pas quoi? A manifester? à jeter des bouteilles contre les forces de l'ordre?


Ces manifestations n'ont pas grand sens et des jeunes gens qui mettent le feu à des voitures méritent d'être sanctionnés. Mais la participation à une manifestation, un jet de bouteille contre des forces de l'ordre qui n'hésitent pas à utiliser le flasball mérite-t-elle des condamnations à des peines de prison? Ces juges sont tombés sur la tête. Des peines d'intérêt général auraient largement suffi et auraient été tout aussi "pédagogiques".

Les égarements de la justice dans ce genre de situations ne sont pas une nouveauté. Ils ont émaillé à peu près toutes les manifestations étudiantes depuis une trentaine d'années. Ce n'est pas une raison pour les accepter et laisser faire. L'ordre juste cela aurait pu être cela : sanctionner lorsque nécessaire mais mesurer les peines, retrouver la mesure dans la distribution des peines.

mercredi, mai 09, 2007

Vacances à Mate : de la vulgarité au favoritisme

On peut interpréter de plusieurs manières l'escapade maltaise de Nicolas Sarkozy. Ce matin à la radio, j'en donnais une interprétation générationnelle : Nicolas Sarkozy appartiendrait à cette génération qui entretient une relation décomplexée avec l'argent et les signes de la richesse. La bourgeoisie traditionnelle est riche mais le montre peu sinon dans l'intimité, la nouvelle bourgeoisie affiche ses richesses pour le plus grand bonheur des entreprises de luxe qui lui vendent jets privés, yachts extravagants, chambres d'hôtel vendues 8000€ la nuit, bijoux, montres, voitures… J'en voulais pour preuve la Rolex que Nicolas Sarkozy portait au poignet le jour du débat avec Ségolène Royal.

Selon une autre interprétation lue sur l'excellent blog de François Mitterrand revenu parmi nous, cette équipée au royaume du grand luxe n'aurait eu pour tout objet que de convaincre Cécilia, l'épouse absente, d'être un peu plus présente. On avait déjà avancé cette explication pour sa rencontre si controversée avec Bush.

Quelle que soit l'explication, tout cela est vulgaire et sent à plein nez son Berlusconi, le mépris des pauvres et une certain manque de… tact. Mais ce n'est après tout pas très grave : la vulgarité n'a jamais tué personne et il ne sert pas à grand chose d'en parler. Par contre, le risque de favoritisme existe bel et bien. L'Etat va multiplier dans les années qui viennent des projets de partenariat public/privé (pour simplifier : le privé finance, l'Etat est propriétaire mais rembourse progressivement le coût de l'équipement) qui sont naturellement de bonnes affaires pour les grands groupes (par définition, sinon pourquoi s'embêter dans ces projets). Si demain un de ces projets est confié à l'une des entreprises que contrôle Bolloré comment éviter le soupçon?

lundi, mai 07, 2007

Sarkozy, les transfuges et les juifs

Dans un des commentaires à mon post sur les transfuges, un lecteur anonyme écrit : "Puis il y a aussi un point commun indicible ici entre Arthur, Hanin, Enrico Macias, Gluksman, Klarsfeld... Et sarko! Qu'en pensez vous?" On a reconnu "l'indicible", tous ces transfuges sont juifs. Si l'on néglige un instant les éventuels dérapages antisémites, on peut effectivement se demander si le programme politique de Nicolas Sarkozy n'est pas de nature à séduire ceux des électeurs qui ont un attachement particulier pour Israël (parce qu'ils y ont de la famille et s'inquiètent du terrorisme, parce qu'ils savent que quoi que l'on en pense par ailleurs Israël est un refuge pour toutes les victimes de l'antisémistisme, parce qu'ils sont sionistes…).

Je ne me souviens pas qu'il ait beaucoup parlé de ces questions dans la campagne publique, mais il y a un indice : il a, à plusieurs reprises, donné des signes de sympathie à l'égard des néoconservateurs américains (notamment à propos de l'Irak, il y a quelques mois) qui se sont alliés avec les plus ardents défenseurs d'Israël aux Etats-Unis. Et on pourrait concevoir que cette position ait séduit de ce coté-ci de l'Atlantique, que les amis d'Israël aient vu dans cette complicité avec les néoconservateurs la promesse d'une révision de la politique française dans la région qu'ils jugent trop pro-arabe.

Mais il y a bien d'autres explications plus simples : l'ambition pour certains, l'intérêt bien compris pour d'autres, le glissement vers la droite amorcé depuis longtemps pour d'autres encore… qui valent pour des non-juifs (Allègre, Besson…) comme pour des juifs.

Un mot, pour conclure, sur "l'indicible". La formulation de mon correspondant semble suggérer la violation d'un tabou : il dit (ou plutôt suggére en ne le disant pas, mais en soulignant qu'il ne le dit pas) ce qu'il serait interdit de dire. L'antisémitisme se nourrit de ces vrai-faux tabous. Mieux vaut dire les choses comme elles sont : cela permet d'approfondir l'analyse et éventuellement de la retoquer.

samedi, mai 05, 2007

Pourquoi tant de transfuges?

L'une des curiosités de cette élection aura été le nombre de transfuges, de soutiens traditionnels de la gauche qui se sont rapprochés de Nicolas Sarkozy. Outre Besson, on peut citer Hanin, Tapie, Allègre (qui ne s'est pas prononcé pour Sarkozy mais a annoncé si fort qu'il ne voterait pas Royal que l'on peut penser qu'il contribuera par le plus simple des moyens, le vote, à sa défaite), Séguéla, Sevran…

Difficile de dire si ces défections ont eu un impact sur les électeurs. La plupart se moquent bien de savoir pour qui votent ces personnalités, mais on ne peut exclure que ces annonces aient libéré et déculpabilisé des électeurs qui hésitaient. Reste à comprendre pourquoi tant de compagnons de route du PS ont quitté sa candidate.

Il me semble que l'on peut avancer deux ou trois raisons.

La première tient à la manière dont Ségolène Royal s'est imposée, en contournant le parti qu'elle a pris par surprise de manière non conventionnelle en s'appuyant sur les militants et sur les électeurs beaucoup plus que sur les dirigeants. Elle n'avait aucun réseau, elle n'entretenait aucun lien avec cette "bourgeoisie mitterrandienne" et n'a à aucun moment cherché à les retenir, à les flatter ou à les séduire : ils n'existaient tout simplement pas à ses yeux. Ils se sont donc trouvés libres de toute obligation de fidélité à leurs engagements antérieurs. Et comme tout, âge, statut social, revenus… concourt à en faire des électeurs de droite, ils se sont tout naturellement reportés vers leur famille politique naturelle.

On pourrait également avancer un comportement psychologique un peu particulier. Ce sont des gens attirés par les puissants. Plus que le puissant, ils aiment l'amitié que celui-ci leur porte et ce qu'elle leur dit d'eux-mêmes (le puissant qui m'aime et le montre me donne un peu de son prestige, de son pouvoir). Ils aiment aujourd'hui Sarkozy pour ces mêmes raisons qui leur ont fait aimer en son temps Mitterrand.

Ce transfert s'est fait d'autant plus facilement que Mitterrand est mort depuis assez longtemps pour qu'ils ne se sentent pas coupables de trahison à son égard et que Sarkozy affiche ce goût de la puissance et du pouvoir qu'un Chirac avait plutôt tendance à cacher derrière son coté sympa. Avec lui le pouvoir, le désir de pouvoir est quasiment nu, c'est-à-dire canaille (comme l'affichait cette Rolex qu'il portait au poignet lors du débat, geste d'une formidable insolence que la presse n'a pas relevé, alors même que ces montres valent plusieurs dizaines de Smic). Mitterrand habillait son goût du pouvoir de culture, de livres, de désinvolture… Sarkozy n'a pas de ces subtilités. Il aime le pouvoir et bien loin de le cacher l'affirme. Comment ne pas séduire ceux qui n'aiment, en politique, que le pouvoir qu'elle donne?

vendredi, mai 04, 2007

Et si c'était tout sauf Ségolène?

On a beaucoup parlé du Tout sauf Sarkozy, et il est vrai que chez beaucoup d'électeurs de gauche que Ségolène Royal ne séduisait pas forcément, il a pu jouer en sa faveur. Mais je me demande si on n'assiste pas aujourd'hui (et depuis quelques temps) chez des électeurs qui auraient pu voter Strauss-Khan, qui ont voté Bayrou, à une sorte de Tout sauf Ségolène qui va les pousser au vote blanc ou, plus sûrement, au vote Sarkozy. Ce que je retire des quelques conversations que j'ai pu avoir avec quelques uns de ces électeurs est assez paradoxal :
- ils ne sont pas convaincus par le programme de Sarkozy,
- ils sont plutôt d'accord avec plusieurs des propositions de Ségolène Royal,
- mais ils ne voteront pas pour elle tant sa personnalité les inquiète.

Quand on fouille un peu, on s'aperçoit que c'est son anti-conformisme, sa manière de faire de la politique en dehors des chemins battus qui les gênent. Ils apprécient qu'elle ait su renouveler le discours du PS, mais ils craignent l'aventurière autoritaire qui n'en ferait qu'à sa tête. Ils lui trouvent de nombreuses qualités mais ils n'aiment pas, au fond, la femme insoumise, celle qui ne respecte aucune règle, qui parle de la dette au début du débat quand on l'interroge sur les institutions alors que le choix des thèmes du débat avait été négocié par ses proches. Ce qui lui a permis de gagner l'investiture du PS, de s'imposer dans la campagne est, au fond, ce qui la desservirait aux yeux de cet électorat formidablement conformiste.

Premier bilan de la campagne

Tous les sondages (ou presque puisqu'il y a une exception mais il s'agit d'un institut peu connu) donnent Nicolas Sarkozy gagnant avec une large majorité. On verra bien.

En attendant dimanche soir, on peut faire un premier bilan de cette campagne qui aura opposé, sur fond de glissement à droite de l'opinion :
- une formidable machine électorale au service d'un programme ouvertement conservateur,
- à une équipe brouillonne au service d'une réécriture du "logiciel" de la gauche de gouvernement.

A l'inverse de Jacques Chirac, et malgré quelques détours du coté de Jaurés, Nicolas Sarkozy a mené une campagne très à droite. Il a emprunté plusieurs de ses thèmes à Jean-Marie Le Pen (sur l'immigration, notamment), proposé une politique économique de droite classique agrémentée de mesures très favorables aux possédants (droits de succession, baisse des impôts, renforcement du bouclier fiscal mais aussi protectionnisme), multiplié les rapprochements avec les néoconservateurs (ralliement de Glucksman et de quelques autres) et développé des thèmes typiques de la pensée réactionnaire (l'origine génétique de la pédophilie…). Cette campagne qui lui a permis de faire le plein des voix de droite au premier tour aurait pu le gêner au second tour. Ce n'est, semble-t-il, pas le cas, grâce à la formidable machine électorale qu'il a mise en place, grâce à ses relais dans tout ce qui a de pouvoir, mais aussi, il ne faut pas se leurrer, grâce aux Français qui semblent avoir envie d'essayer, après le socialisme et le radicalisme à la Chirac, une expérience brutale et autoritaire, à la Thatcher.

On a beaucoup dit de Ségolène Royal qu'elle avait été choisie par le Parti Socialiste sous la pression de l'opinion. Il serait plus juste de dire qu'elle a été choisie par les militants du PS parce qu'elle promettait une révision de la politique de la gauche. Si sa campagne a été brouillonne et a manqué, sur de nombreux dossiers, de précision, elle a amorcé une véritable mue du "logiciel" de la gauche sur quatre points majeurs :
- les institutions avec le rôle des régions (la gauche jacobine est devenue girondine) et l'invention de mécanismes de contrôle de l'action politique par les citoyens (les jurys citoyens tant moqués représentent sans doute une des voies de rénovation de la politique dans les régimes démocratiques à suivre de très près) ;
- l'économie avec la fin de la diabolisation du marché, la mise en avant des entrepreneurs et du dialogue social qui signe l'abandon de la lutte des classe au profit d'une recherche de compromis par la négociation ;
- l'Etat providence : en mettant systématiquement en avant la règle du donnant-donnant, la candidate socialiste a introduit une inflexion majeure dans le discours classique de gauche ;
- la "cible" électorale : Ségolène Royal s'est adressée à une société française diverse. Sa gauche est moins associée à la cIasse ouvrière, façon PC, aux fonctionnaires façon PS, qu'à la France colorée des banlieues.

Son échec (si échec il y a) pourrait pour partie venir de que ce que changement de logiciel lancé sans préparation, jamais vraiment théorisé, a désorienté beaucoup des électeurs traditionnels de la gauche qui ont voté pour elle sans enthousiasme, sont allés chez Bayrou et ont laissé développer, sans réagir, des attaques sur ses compétences.