Il y a quelques années, le dirigeant de la filiale française d'un grand cabinet de conseil américain (si je ne suis pas plus précis, c'est que j'ai oublié et son nom et celui de ce cabinet) a publié un livre dont le titre était, je crois, France S.A. dans lequel il expliquait que tout irait beaucoup mieux si l'on dirigeait la France comme une entreprise. On a entendu, à deux ou trois reprises, cette petite musique ces derniers jours dans l'entourage du Président. Mais la formation du gouvernement a ramené à un peu plus de bon sens. Un pays n'est pas une entreprise, et son gouvernement n'est ni un Conseil d'Administration ni un Comité de Direction. Il suffit pour s'en convaincre de chausser un instant les lunettes d'un DRH et de se demander si les nominations de ces derniers jours obéissent à une quelconque logique d'entreprise.
Certains ministres ont, dans leur CV, de quoi séduire un comité de recrutement. Pour ne prendre que cet exemple, Kouchner a une incontestable expérience internationale. Cela pouvait donc en faire un bon candidat aux Affaires Etrangères, mais cela aurait pu aussi être sa principale faiblesse. Comme le rappelait hier soir Roland Dumas, la diplomatie et l'action humanitaire sont deux choses différentes. On peut dire la même chose de Michelle Alliot-Marie. Venue de la Défense, elle a une certaine expérience des questions de sécurité, mais est-ce que cela l'a préparée à diriger un ministère que les organisations syndicales cogèrent au su et vu de tout le monde? Hier encore, c'est un syndicaliste que les télévisions interviewaient à l'occasion du déménagement de la DST. Comme si le Ministère n'avait pas une directeur de la communication capable d'intervenir sur des sujets aussi insignifiants (l'essentiel des sujets portant sur le déménagement de valises plombées).
Dans ces deux cas, un DRH aurait donc pu hésiter. Du moins pouvait-il avancer des arguments positifs en faveur de ces nominations. Pour d'autres ministres, il en va bien autrement. Le choix de Rachida Dati à la justice est l'exemple même du choix politique qu'aucun DRH ne recommanderait. Cette jeune femme a certainement beaucoup de talents (encore que l'on puisse en douter au vu de ses prestations lors de la campagne), mais elle n'a manifestement ni l'expérience ni la compétence que le Comité de recrutement d'une entreprise rechercherait pour tenir un poste de cette importance. Ce sont des considérations exclusivement politiques (il fallait une femme, il fallait une enfant d'immigrés) qui l'ont fait choisir pour ce poste hautement symbolique. Mais faut-il le regretter?
Il était certainement plus important pour le nouveau gouvernement d'envoyer des signaux à la société française que de diriger de manière efficace une grande administration. Quoique l'on pense, par ailleurs, de ce gouvernement, il est bon qu'une beurette occupe une place de ce type et que tant de femmes soient ministres.
Si les critères politiques comptent plus que les compétences professionnelles dans la formation d'un gouvernement c'est pour de bonnes raisons. L'expérience a montré que les spécialistes faisaient souvent de mauvais ministres. En fait, ce n'est pas tant l'expertise technique qui compte, dans ce type de poste, que la capacité à imposer ses propositions dans un champ où les premiers concurrents sont les collègues qui se battent pour les budgets, une place dans l'agenda du Parlement et un temps de parole dans les médias.
C'est clair : aucun DRH n'aurait composé le gouvernement de cette manière. Il y a cependant un point sur lequel il rappelle les conseils de direction de beaucoup d'entreprises. Il a été formé de manière à ne faire aucune ombre au Président. S'il y a des têtes connues, il y a peu de poids-lourds capables de contester ses choix, d'imposer leurs vues à leurs collègues et à leurs collaborateurs par leur seul poids électoral. Le plus solide, Alain Juppé, est doublement fragilisé par ses condamnations passées (et ses probables convocations à venir devant la justice) et par les résultats de la Présidentielle à Bordeaux. Quant aux autres, ils pèsent souvent d'un poids électoral si faible qu'il leur sera difficile de résister aux désirs du Président que l'on devine adepte de ce que l'on appelle outre-Atlantique le "hands-on management".
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