jeudi, septembre 30, 2010

Les Anglais aiment tant la France…

On tombe parfois sur des textes qui font sourire. C'est le cas de celui-ci que j'ai trouvé dans un petit article de David Hume sur le commerce (Of the jealousy of trade) : "not only as a man, but as a BRITISH subject, I pray for the flourishing commerce of GERMANY, SPAIN, ITALY, and even FRANCE itself." J'adore cet "even France." Rappelons que David Hume est mort en 1776, bien avant, donc, Napoléon…

Immigration : une loi de plus

"Le Parlement discute actuellement d’une nouvelle loi sur l’immigration. Ce sera la cinquième en sept ans! En 2003, 2006 (deux lois sont votées cette année là), 2007 et maintenant, 2010? Ce qui devrait, avant même d’entrer dans le détail du texte, amener à s’interroger : pourquoi un nouveau texte? Est-ce que les lois précédentes, toutes votées par l’actuelle majorité, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, n’ont servi à rien? Et si tel est bien le cas, comme le suggère cette avalanche de textes, pourquoi celle-ci serait-elle plus efficace?

Au mieux, cette multiplication de textes montre que cette équipe travaille mal, maîtrise mal ses dossiers. Au pire, et le pire est en la matière probablement sûr, elle montre qu’il s’agit moins d’agir sur l’immigration que sur l’opinion. En un mot comme en mille, ces lois successives, toutes plus inutiles les unes que les autres, n’ont d’autre objet que de séduire les électeurs du Front National.

La meilleure preuve de cet usage démagogique est le sort que le Conseil Constitutionnel leur réserve. Les propositions de loi correctement écrites ne font pas l’objet de recours devant le Conseil Constitutionnel et lorsque cela se produit, celui-ci les entérine. Ce n’est pas le cas de ces textes :

- en 2003, le Conseil Constitutionnel a annulé trois dispositions votées par le Parlement : celle imposant un débat annuel sur l’immigration au Parlement, celle obligeant la personne hébergeant un étranger à payer ses frais de rapatriement si celui-ci ne peut pas le faire, celle obligeant le maire à "informer immédiatement" le préfet si une personne désirant se marier ne peut pas justifier de la régularité de son séjour.

- en 2007, ce sont les tests ADN et les statistiques ethniques que le Conseil censure. La même année, le Conseil d’Etat annule la création d’Eloi, fichier informatisé des étrangers en situation irrégulière.

Conçue pour séduire les électeurs du Font National ces lois qui remettent en permanence la queston de l’immigraiton dans l’actualité ne font qu’aggraver des relations qu’il faudrait au contraire apaiser. Elles entretiennent le problème qu’elles prétendent résoudre.

Plutôt que de multiplier des textes que le Conseil Constitutionnel va censurer, on ferait mieux de se demander pourquoi ces lois ne réduisent en rien les mouvements migratoires. Il est vrai que se poser ce type de questions reviendrait à admettre :

- que les migrations ont toujours existé, qu’elles ne se résument pas aux déplacements du sud vers le nord et qu’elles n’ont pas toute la même cause : on peut émigrer pour des raisons économiques, pour échapper à un régime totalitaire, pour rejoindre sa famille, pour profiter d’un meilleur climat…

- que nous avons besoin de l’immigration pour des motifs démographiques et économiques, que ces besoins sont multiples et difficilement planifiables (essayez donc de savoir combien il faudra de nounous ou de maçons dans les deux ans qui viennent?).

A l’inverse de ce que suggère la formule “immigration choisie” nos besoins ne se résument pas à la recherche de diplômés que notre enseignement supérieur ne formerait pas en nombre suffisant. Nous avons aussi besoin de gens que l’on dit peu qualifiés dans le bâtiment, dans le nettoyage, dans les “soins à la personne”. Faut-il une nouvelle fois le rappeler? Les immigrés qui occupent ces emplois ne font pas concurrence aux Français. J’ajouterai même, au risque de me faire critiquer, que mieux vaut, dans bien des emplois des immigrés qui acceptent ces emplois parce qu’ils ont des handicaps liés à leur statut, à une mauvaise connaissance de la langue… que des Français de souche qui ne les occupent que parce incapables, malgré les investissements considérables consentis par la collectivité dans leur formation, de faire autre chose.

Cette obsession du contrôle à l’entrée des frontières nous interdit, par ailleurs, de voir que les immigrés ont changé. Ils sont plus mobiles qu’ils n’ont jamais été, ils entretiennent des liens beaucoup plus étroit que par le passé avec leur pays d’origine, leur famille (qu’ils ne quittent plus complètement dés lors qu’ils peuvent communiquer avec elle via Skype) et envisagent beaucoup plus facilement qu’hier de retourner au pays. Ce qui ne va pas d’ailleurs sans poser de questions nouvelles, notamment en matière d’éducation. Des Français installés en Angleterre qui envisagent de revenir en France chercheront plus sérieusement une école qui enseigne le français à leurs enfants que le même couple qui a choisi de s’installer définitivement.

Les migrations sont une chose sérieuse qui méritent bien mieux que ces lois de circonstance conçues pour séduire la droite extrême.

mercredi, septembre 29, 2010

Immigration, encore et toujours…

Nicolas Sarkozy a donc choisi de poursuivre son offensive en direction des électeurs du Front National en faisant voter une nouvelle loi (une énième) sur l'immigration. Loi inutile comme toutes les précédentes qui n'empêchera pas le développement des mouvements migratoires, loi imbécile qui nous interdit d'accompagner les évolutions dans les pratiques migratoires et d'en tirer parti (les migrants ne viennent plus pour s'installer définitivement, ils sont plus mobiles qu'ils n'ont jamais été), loi qui donne de ce gouvernement une image déplorable et met en avant les moins présentables de ses ministres, Hortefeux et Besson, au dépens de ceux dont l'action pourrait mieux se défendre (Lagarde, Borloo, Pécresse), ce qui devrait, in fine, aliéner à Nicolas Sarko les voix du centre-droit.

mardi, septembre 28, 2010

Et si la littérature "servait" à quelque chose…

POn a l’habitude d’attribuer à des personnalités vivantes les traits de personnages de roman. Ce matin, dans ma chronique radiophonique (Les riches et les affaires), j’ai ainsi rapproché Nicolas Sarkozy de Julien Sorel ou de Rastignac, mais on peut entreprendre la démarche inverse et se demander si les romans, leurs personnages ne nous inspirent pas.

Dans une interview à PBS réalisée après la remise de son prix Nobel  Paul Krugman a révélé que c’est la lecture de romans de science-fiction, plus pécisément ceux ’Asimov, un des auteurs phares du genre, qui l’ont incité à devenir économiste. "That's a little embarrassing. I don't know how many of your viewers read science fiction, but there's a very old series by Isaac Asimov - the Foundation novels - in which the social scientists who understand the true dynamics save civilization. That's what I wanted to be; it doesn't exist, but economics is as close as you can get, so as a teenager I really got into it."
La littérature "sert" donc, d’abord, à orienter des carrières. Elle sert également à orienter les opinions politiques. On  dit que beaucoup de libertariens (d’ultra-libéraux) on trouvé leur inspiration dans les romans de science-fiction (plutôt mauvais, parait-il) d’Ayn Rand, un auteur autour de laquelle s’est développé une sorte de culte qu’a dénoncé un autre théoricien de l’ultra-libéralisme : Murray Rothbard dans un texte d’une rare sévérité (The Sociology of the Ayn Rand Cult) puisqu’il accuse Rand et ses proches d’avoir créé quelque chose comme une secte ou, mais cela revient au même, d’avoir développé des pratiques sectaires comme dans cet exemple : “The psychological hold that the cult held on the members may be illustrated by the case of one girl, a certified top Randian, who experienced the misfortune of falling in love with an unworthy non-Randian. The leadership told the girl that if she persisted in her desire to marry the man, she would be instantly excommunicated. She did so nevertheless, and was promptly expelled. And yet, a year or so later, she told a friend that the Randians had been right, that she had indeed sinned and that they should have expelled her as unworthy of being a rational Randian.
La littérature de science-fiction, genre qui se prête bien aux exposés politiques et économiques, a également joué un rôle non négligeable dans le développement de l’écologie politique. Nombre de romans commencent par uen catastrophe écologique. Certains auteurs, comme Franck Herbert, Ballard, ont été de véritables propagandistes de la pensée écologique. Certains sont même passés de l’écriture de romans à l’action politique, comme Yves Frémion, auteur de science-fiction devenu élu vert (sur ce sujet voir Yves Frémion : Les auteurs de science-fiction et l’écologie, podcast dans lequel il raconte comment la science-fiction a développé des thématiques écologiques). 
La littérature ne décide probablement qu'assez rarement d’une carrière ou d’opinions politiques, mais elle peut créer un environnement favorable au développement de certaines idées. La science-fiction, encore elle, est remplie d’analyses qui tentent à conforter l’utopie si américaine d’une société sans impôts ni gouvernement. On trouve cela dans des romans très différents qui opposent en général ces sociétés libertaires à des sociétés hiérarchiques, totalitaires. Avec, parfois, des développements très sophistiqués comme dans Révolte dans la lune (The moon is a harsh mistress), un roman de Robert Heinlein, un des meilleurs auteurs du genre (ses romans sont bien écrits, les intrigues bien construites, intéressantes) qui est une allégorie de la révolution américaine. Les habitants de la Lune, tous d’anciens déportés ou d’enfants de déportés dans ce qui est une colonie pénitentiaire de la terre se révoltent contre le régime colonial que leur impose notre planète. Cette révolte donne lieu à de nombreux exposés de ce que pourrait être un régime idéal. Régime dans lequel on ne paierait pas d’impôts, pas de charges sociales, dans laquelle il y a peu de lois. Non que les habitants soient plus raisonnables que d’autres, mais parce que les institutions qu’ils envisagent devraient permettre d’en éviter la prolifération comme l’indique ce passage : “Plus il y a d’obstacles aux législations mieux cela vaut. Pourtant, plutôt que de suivre la tradition (bicamériste), je proposerais, personnellement, une seule Chambre législative, la deuxième ayant pour seul pouvoir d’abroger les lois. Que les législateurs ne puissent adopter une loi qu’avec une majorité des deux tiers… tandis que ceux qui abrogeraient les lois puissent annuler n’importe laquelle à la simple minorité d’un tiers. Inepte, direz-vous? Réfléchissez : une loi tellement discutée qu’elle ne peut convaincre les deux tiers d’entre-vous est probablement mauvaise. Inversement, si une loi est discutée par au moins un tiers d’entre vous ne vous semble-t-il pas que vous auriez intérêt à vous en passer?” Raisonnement qui me rappelle celui de Buchanan et Tullock dans The calculus of consent, livre publié en 1962 tandis que The moon is a harsh mistress est sorti trois ans plus tard. Je ne sais s’il y a eu influence de l’un sur l’autre, mais les auteurs du livre fondateur de l’école du Public Choice ont trouvé en Heinlein un formidable diffuseur de quelques unes de leurs idées dans des milieux qui n’ont certainement jamais eu la curiosité de les lire.
On a beaucoup dit, dans les années Reagan, que la droite américaine avait d’abord mené une bataille dans les milieux intellectuels avant de gagner des batailles politiques. Elle a certainement trouvé des alliés chez les auteurs de pulp fictions.
Tout ceci me rappelle que le FBI ou la CIA (ou son ancètre) ont financé pendant la guerre des romanciers et notamment l’excellente Kressman Taylor, l’auteur du très célèbre Adress unknown et du passionnant Until that day (day of no return), roman qui raconte la montée du nazisme dans les milieux catholiques, pour donner un peu de chair à leur propagande.


PS. Je ne croyais pas si bien dire. Je viens de trouver sur le site de l'Institut Mises (d'après l'économiste autrichien Ludwig Von Mises) ceci : "In the early 1970s, according to a survey undertaken at the time by SIL, the Society for Individual Liberty, one libertarian activist in six had been led to libertarianism by reading the novels and short stories of Robert A. Heinlein. Among the prominent libertarians of the late 20th Century who have named Heinlein as an important influence on the development of their own political thinking were Dave Nolan (the founder of the Libertarian Party) and the late Samuel Edward Konkin III."

lundi, septembre 27, 2010

Jacques Derrida, Sylviane Agacinsky et l'intimité

Arthur Goldammer nous signale un article sur un livre qui raconte que Jacques Derrida a eu une longue liaison avec Sylviane Agacinsky. Cela fera-t-il jaser dans certains milieux comme il le suppose? J'en doute un peu. Ces milieux étaient au courant. Je le suis moi-même depuis très longtemps. Il me semble que je l'ai appris dans les années 70 chez Maurice Roche, excellent écrivain un peu oublié qui mériterait d'être redécouvert. Si ma mémoire ne me fait pas défaut elle avait alors quitté un autre écrivain, lui aussi disparu, pour Derrida. Je me souviens en tout cas avoir pensé, lorsque, épouse du premier ministre, elle est venue au premier plan, qu'elle était de ces femmes qui mettent leur vie sentimentale au service de leur carrière.

Mais ce n'est pas le plus important : bien d'autres ont fait (et continuent sans doute de faire) de même. Ce même livre révèle que Sylviane Agacinsky a avorté en 1978.

Ces informations auraient été fournies par l'intéressée à l'auteur du livre. Ce n'est pas la première fois que des femmes disent avoir avorté. En 1971, "343 salopes" (ainsi se désignaient-elles) avaient déclaré avoir avorté. Mais il s'agissait d'un acte militant, ce qui n'est pas le cas ici. On est, avec cette révélation, dans le registre de la biographie. Il s'agit de construire le portrait de Derrida et, sans doute aussi, celui de Sylviane Agacnsky qui révèle ainsi ce que sa mère aurait probablement caché.

Ce qui était hier secret de famille, tabou, est aujourd'hui mis volontairement sur la place publique. Les frontières de l'intime se déplacent sous nos yeux. Cette "révélation" me fait penser à ce que l'on peut trouver aujourd'hui sur Facebook où l'on voit des jeunes gens afficher publiquement ce qu'ils auraient hier religieusement protégé de la curiosité de leurs parents.

On attribue en général ce déplacement à Internet, mais cet exemple le montre, cette technologie n'y est pour rien. Elle se met au mieux au service d'une évolution plus souterraine de nos mentalités.

Je ne connais pas d'auteur qui se soit intéressé à ce phénomène mais il me semble qu'il a longuement muri et qu'on en trouve trace dans les transformations de la biographie, dans le développement de la littérature de l'intimité et, in fine, dans la montée en puissance de la culture féminine dans nos sociétés.

Une histoire des biographies montrerait probablement comment leurs auteurs (surtout les anglo-saxons) sont allés de plus en plus dans le détail faisant de leurs héros des gens du commun qui portent leur linge au pressing et sont, au fond, comme nous, ce qui me rappelle tout à la fois une remarque de Hegel sur les grands personnages et leurs valets (pour un valet, il n'y a pas de grand personnage) et les commentaires d'un de mes professeurs de lycée sur les hémorroïdes (semble-t-il abondantes et douloureuses) de Victor Hugo (sic, mais j'appartiens à une génération dont les professeurs s'autorisaient ce genre de plaisanteries sans craindre les protestations des parents!).

Une histoire de la littérature devrait naturellement évoquer la montée en puissance de cette littérature féminine qui, d'Annie Ernaux à Judith Brouste, a fait de l'intimité son champ d'exploration.

Mais le plus important est, me semble-t-il, la montée en puissance de la "culture féminine" (si ce concept a le moindre sens) ou, plutôt, de sa généralisation. Les femmes se sont, semble-t-il, toujours raconté entre elles ce genre de choses. La nouveauté est qu'elles le disent aussi aux hommes qui croyaient, dans leur immense naïveté, dans l'innocence et la pudeur féminine.

Quiconque s'intéresse à ces questions sait combien la mixité est affaire compliquée, combien les discriminations à l'égard des femmes sont puissantes, combien elles résistent à qui tente de les combattre et, cependant…

vendredi, septembre 24, 2010

Alternative à droite : les grandes manoeuvres ont commencé

La situation personnelle de Nicolas Sarkozy s’est à ce point dégradée ces derniers mois qu’il n’est plus, aux yeux de certains (beaucoup?) le candidat naturel de la droite aux prochaines élections présidentielles. Ses comportements personnels (débraillé, grossiéreté, brutalité), la politique qu’il mène pour reconquérir l’électorat du Front National lui ont aliéné la partie la plus modérée de son électorat qui peut être tentée par une candidature alternative en 2012.
Les grandes manoeuvres ont commencé à droite pour la préparer. On voit se dessiner trois stratégies :
- l’affrontement direct. C’est celle de Dominique de Villepin dont on sent bien qu’il a l’ambition de se présenter,
- la reconstitution d’une force de centre-droit sur les décombres de l’UDF que tentent, dans le désordre, Bayrou, Morin et Borloo,
- la mise en orbite au sein de l’UMP : c’est la stratégie de Jean-François Coppé qui parle de 2017 mais serait sans doute disponible pour 2012 si par accident Nicolas Sarkozy était indisponible ou victime d’une fronde massive à l’UMP.
Aucune de ces stratégies ne va de soi. Dominique de Villepin a quelques atouts (son allure, son discours à l’ONU, sa résistance à Nicolas Sarkozy, la sympathie des néo-gaullistes et de quelques chiraquiens) mais aussi et surtout de nombreux handicaps (il n’a pas de troupes, il n’a jamais été élu, beaucoup à droite lui reprochent la dissolution qui a amené Jospin à Matignon, il traîne une sulfureuse réputation d’organisateur de cabinet noir).
Même chose pour les centristes : aucun ne s’impose vraiment. Morin est d’une fadeur qui frôle l’insignifiance, personne ne connaît vraiment Borloo même s’il bénéficie d’une bonne image, Bayrou a dilapidé son capital de sympathie acquis lors de la précédente campagne présidentielle. De plus, Nicolas Sarkozy fera tout pour éviter que des députés de l’UMP rejoignent une néo-UDF. On se souvient comment il a acheté la non-candidature de Christine Broutin. On peut être sûr qu’il saura recommencer si nécessaire.
Pour qu’une candidature de Jean-François Coppé s’impose, il faudrait qu’il prenne la tête de l’UMP, ce qui n’est pas encore fait, que Nicolas Sarkozy soit incapable de se présenter (soi qu’il ne le souhaite pas, soit que son image dans l’opinion soit si dégradée que le doute n’est plus permis), que les grands barons (Juppé, Raffarin…) abandonnent toute ambition et l’adoubent (ce qui n’est pas fait). Cela fait beaucoup de si.
Rien n’est donc joué, mais ces interrogations de la droite ne seront pas sans effet sur le paysage politique. On peut dores et déjà penser qu’il y aura trois candidatures susceptibles de mordre sévèrement dans l’électorat de Nicolas Sarkozy  (un candidat du centre, un néo-gaulliste ou ex-UMP façon Villepin, un représentant du Front National), ce qui va lui rendre la tâche plus difficile et l’amener à se concentrer dans les mois qui viennent sur cet objectif : éviter la dispersion de son électorat. Une dispersion qu’il a aggravée avec son virage droitier de cet été qui lui a probablement fait gagner quelques voix à l’extrême-droite (mais combien?) mais lui en fait perdre sans doute autant sur son centre.
S’il veut éviter une fronde de l’UMP, il doit montrer à ses troupes qu’il est le mieux à même de les faire gagner. Mitterand dont la position n’était guère plus confortable à la fin de son premier septennat avait su reconquérir l’opinion en jouant de sa position de premier opposant et de son équation personnelle (son charme, sa stature d’homme d’Etat) contre un adversaire de droite qui inquiétait (on l'a oublié mais Chirac passait alors pour le grand méchant loup). Cette reconquête de l’opinion et son habileté politique avaient éloigné la menace Rocard. La situation est aujourd’hui toute différente. 
Sarkozy a tous les pouvoirs. C’est lui, et non son adversaire, qui passe pour brutal et source d’aventure, ses concurrents à droite sont crédités des qualités qui lui manquent (homme d’Etat pour Villepin, sensibilité sociale pour Bayrou, efficacité et imagination pour Borloo, fermeté pour Le Pen…). S’il a de l’énergie, il manque certainement de charme et rares sont ceux qui lui reconnaissent une stature d’homme d’Etat. En ce sens, il est, quoique pour des motifs très différents, plutôt dans la situation de Giscard en 1979. 
Aucune situation n’est jamais désespérée, surtout en politique, mais il faut reconnaître que le défi n’est pas mince.

mardi, septembre 21, 2010

Pays réel ou pays imaginaire?

Dans sa dernière chronique de Libération (Sarkozy, l'hypothèse du qui perd gagne), Daniel Schneiderman s’interroge sur les réactions de l’Elysée aux attaques de la presse contre le pouvoir. Certains conseillers seraient, dit-il reprenant les analyses de Fabien Namias d’Europe n°1, aux anges : “Sarkozy serait fou de joie d’être malmené par la presse. Il ne sera pas le candidat de l’établissement en 2012.” Il serait donc indifférent aux critiques de la presse parce qu’elles ne concernent que quelques milieux parisiens. La presse ne serait plus “prescriptrice de vote depuis (…) le référendum sur le traité communautaire en 2005.
Le mot établissement qu’utilise Namias appartient, bien sûr, au vocabulaire de Le Pen et on peut imaginer que le journaliste qui l’utilise l’a emprunté à ses interlocuteurs de l’Elysée qui se seraient, dans cette hypothèse, mis à parler la langue de l’extrême-droite. Ce qui confirmerait cette dérive droitière que dénonçait Jean-Pierre Raffarin. 
Cette dérive touche le vocabulaire, mais aussi les analyses. Cette vision optimiste de la situation que décrit Manias emprunte en effet directement à l’opposition entre pays légal et pays réel, idée classique de l’extrême-droite qu’a théorisée Maurras et qui revient de plus en plus souvent dans les discours de la droite. L’exemple vient d’ailleurs de haut. C’est Nicolas Sarkozy lui-même qui déclarait en 2005 devant les députés UMP pour justifier l’utilisation des mots racaille et karcher : “Jamais je n'ai senti un décalage aussi profond entre le pays virtuel tel qu'il est décrit à longueur d'articles et le pays réel (...) J'ai voulu m'appuyer sur le pays réel qui a parfaitement compris que nous étions à une minute de vérité.” 
Les commentateurs sont toujours prompts à signaler et dénoncer ces emprunts à Maurras dont ils rappellent, à chaque occasion, qu’il fut un partisan déterminé du régime de Vichy. Mais ce n’est pas parce que Maurras a collaboré avec Vichy que ses concepts sont nuls et non avenus. On pourrait très bien imaginer que cette opposition entre pays légal et pays réel soit toujours pertinente et que l’opinion soit effectivement indifférente aux critiques de la presse et plus favorable au pouvoir, aux décisions prises à l’égard des Roms, des étrangers… que le suggèrent les titres et éditoriaux de la presse nationale mais aussi, de plus en plus, régionale. 
Les sondages toujours plus sévères pour le gouvernement en font douter. Mais c’est l’utilisation même de ce concept qui fait problème. Lorsque Maurras l’utilise, il oppose une France légale, c’est-à-dire administrative, centralisée, parisienne, déracinée, éduquée et formée à l’universalisme kantien, à une France des provinces, de la terre, gardienne des traditions ancestrales. Il associe d’ailleurs souvent cette thèse à sa défense d’une décentralisation extrême des pouvoirs (dans le royaume qu’il appelle de ses voeux, l’essentiel des décisions sont prises au niveau local sans intervention du prince). “Le sol, le sang, la tradition, écrit-il, demandent partout à exercer leur portion nécessaire d’influence et de prépondérance morales.” (in L'idée de la décentralisation, 1898) 
Si cette analyse était pertinente, si la distinction entre pays légal et pays réel avait un sens, l’hyperprésident qui a concentré entre ses mains tous les pouvoirs, qui n’a de cesse de réduire l’influence des corps intermédiaires aurait du souci à se faire. Ce n’est pas contre Saint-Germain des Près que la province se rebellerait, mais contre le Faubourg Saint-Honoré.
Par chance, cette analyse n’a plus grand sens. Ce pays réel est surtout imaginaire. La France terrienne, provinciale n’existait déjà plus guère à la fin du 19ème siècle. Maurras était d’ailleurs le premier à le reconnaître : “Comme Taine l’a bien montré, (Napoléon) nous coupa de nos traditions ; mais ce puissant travail d’arrachement n’eût jamais abouti si sa propre personne, ses propres énergies n’eussent plongé au fond d’un passé très vivace, pays, famille, clan.” Elle a aujourd’hui complètement disparu : si la France est divisée, ce n’est certainement pas entre un pays légal de fonctionnaires installés dans les ministères et un pays réel de paysans et d'artisans attachés à leurs traditions. 
Dit autrement : ce concept n’est plus opératoire s’il l’a jamais été. Le reprendre pour décrire la situation actuelle, ce n’est pas seulement penser comme l’extrême-droite, ce qui est en soi déjà un grave problème, c’est aussi s’équiper d’oeillères. Reprendre cette vieille scie réactionnaire est la meilleure manière de passer à coté de la réalité ou, plutôt, de prendre ses désirs pour des réalités. 
On sait que les phénomènes de cour isolent, aveuglent. L’utilisation de ce type d’argument pour justifier une politique ne peut qu’aggraver ces phénomènes. On imagine bien tout le bénéfice que peut en tirer un courtisan capable d’expliquer à un Nicolas Sarkozy inquiet : “Souvenez-vous 2005. Les mots racaille et karcher ne vous ont pas empêché d’être élu, le pays réel n’a que faire des vapeurs de quelques intellectuels parisiens.”  

samedi, septembre 18, 2010

Demain, une fronde à droite?

Les commentaires s'interrogeaient hier pour savoir si la séquence que nous venons de vivre est signe d'un affolement ou choix tactique. Il y a sans doute des deux, une tactique qui a dérapé. Mais  l'interview que Brice Hortefeux a donné au Figaro Magazine montre que, malgré tous les dégâts dores et déjà commis, Nicolas Sarkozy et son équipe (Hortefeux, Morano, Lefebvre, Bertrand) ont choisi de poursuivre leur campagne de séduction en direction des électeurs du Front National.

C'est Brice Hortefeux qui le dit, mais cela aurait pu être Marine Le Pen : "Est-il normal aujourd'hui que des assassins ou des violeurs, condamnés par une cour d'assises, puissent sortir de prison avant la fin de leur peine parce que des magistrats professionnels l'ont décidé? Quelle que soit la déontologie des magistrats, que je ne mets aucunement en cause, je ne crois pas possible qu'ils puissent toujours se substituer à l'expression directe de la volonté populaire. Puisque c'est un jury populaire qui décide aux assises de condamner quelqu'un à la réclusion criminelle, je crois que le choix de le libérer avant qu'il ait purgé l'intégralité de sa peine doit aussi être fait par le peuple lui-même." On est dans la droite ligne de la circulaire sur les Roms.

Cette politique suscite une violente réaction à gauche, en Europe, mais aussi plus qu'un malaise à droite puisque selon le dernier sondage du CSA pour Le Parisien, 36% des sympathisants de droite accordent une grande importance aux critiques de l'Union européenne. Il faut dire qu'après l'ONU, le Pape, les évêques, le Parlement européen, la presse internationale… cela fait assez de critiques pour amener l'électeur de droite le plus sarkozyste à s'interroger.

36%, cela fait beaucoup. C'est une base suffisante pour lancer, à droite, une offensive contre Nicolas Sarkozy. Les Juppé, Raffarin et compagnie que l'on n'entend pas beaucoup ces jours-ci doivent ronger leur frein. Ils savent que tant que le remaniement n'aura pas été réalisé, il leur sera difficile d'agir, mais dés que celui-ci sera acté ils auront les mains libres pour monter au sein de l'UMP une fronde contre un Président qui a décidément perdu la main. Il leur sera possible de trouver des alliés parmi tous ces élus qui doivent raser les murs dans leurs circonscriptions pour échapper aux lazzis de leurs adversaires, aux remarques désagréables d'électeurs déçus, aux interrogations de leurs amis les plus proches qui voient l'image de la France se dégrader dans le monde.

Beaucoup d'élus UMP, à ce jour silencieux, seraient sans doute prêts à les rejoindre dans une fronde qui pourrait se manifester au Sénat lors de la discussion de la loi sur les retraites avant de prendre corps lors d'autres débats à l'Assemblée Nationale. La situation s'est tellement dégradée que s'ils veulent être réélus aux prochaines législatives, il faut qu'ils commencent à faire entendre leur différence et à envoyer à leurs électeurs des signes indiquant qu'ils se désolidarisent d'une politique aussi impopulaire.

vendredi, septembre 17, 2010

France Inter pasteurisé?

J'écoute France Inter tous les matins de 6h30 à 7 heures. Audrey Pulvar qui présente cette nouvelle grille n'est pas désagréable, ses interviews sont intéressantes, les sujets choisis pertinents, mais cette tranche a perdu du mordant du temps que l'occupait Nicolas Demorand. Affaire de voix, mais aussi de conception.

La nouvelle direction de la radio, celle qui a éliminé les humoristes trublions pour cause d'anti-sarkozysme, a choisi de demander à des éditorialistes de la presse écrite de donner chaque matin, à tour de rôle, une chronique. J'ai entendu celle du Point (à peu près inaudible pour cause de voix désespérément non radiophonique) et celui de Valeurs actuelles. Qu'en dire? L'idée n'est pas a priori mauvaise : qu'une radio de service public donne à des journaux de tendances différentes l'occasion de s'exprimer n'est pas étranger à sa mission. Mais… ai-je envie d'entendre chaque jeudi, à mon réveil, Valeurs Actuelles? La réponse est : non. J'ai certainement tort, mais je n'éprouve aucun plaisir à être au petit matin agacé par une opinion si différente de la mienne qu'il ne me viendrait pas à l'esprit d'acheter un journal qui flirte régulièrement avec les thèses du Front National (pour dire vrai, le journaliste qui est intervenu sur France Inter a tenu des propos mesurés, mais peu importe).

La radio est un média intime. L'auditeur entretient un lien particulier avec ceux qui parlent dans le poste, qu'il entend tous les jours à la même heure, dans les mêmes situations. Il ne les connait que par leur voix, son timbre, sa hauteur, le rythme de ses phrases. A l'inverse de la télévision qui endort quand elle n'émeut pas (d'où notre propension à zapper en permanence), la radio rapproche. Elle exige une certaine complicité entre l'auditeur et celui qui s'adresse à lui tous les matins. Je ne crois pas avoir envie de nouer la moindre complicité avec quelqu'un qui travaille à Valeurs actuelles.

Qu'on m'entende bien : je ne souhaite pas censurer Valeurs Actuelles (ni, d'ailleurs, aucun autre titre et j'avais été choqué lorsque la direction d'Inter avait licencié un journaliste qui citait un peu trop souvent dans sa revue de presse Présent, le journal du Front National), mais que ses opinions soient présentées dans une revue de presse suffirait à mon bonheur.

Si l'on s'en tient aux principes, ce bout de grille n'a donc rien de scandaleux mais c'est sans doute une erreur de marketing qui devrait se traduire, dans les mois qui viennent, par une érosion de l'audience d'une radio qui avait su exprimer les aspirations d'une certaine catégorie d'auditeurs (celle à laquelle j'appartiens) mieux que quiconque.

Le New Stateman me cite

Pour ceux qui voudraient un regard d'outre-manche sur notre situation politique, voici un excellent papier de Jonathan Derbyshire publié dans le NewStateman : France  feeble's Napoleon.  Son auteur a le bon goût de citer une des notes que j'ai données ici sur les nominations de préfets.

Je recommande à qui s'intéresse à la taille de nos dirigeants, la lecture du courrier qui suit et notamment la lettre de Thoms Devine qui écrit : "Napoleon wasn't so short. He was in fact of average height. It's simply that, before the metric system, French inches and feet were longer than English inches and feet. Napoleon was 5ft 6ins (average in the late 18th century) in English measures. However in French measures Napoleon was 5ft 1in, translators never bothered to state Napoleon actual height as a tiny dictator was a good joke." Je l'ignorais.

PS Ainsi va internet. Faisant une recherche sur ce lecteur (il y a un historien britannique de ce nom, peut-être est-ce lui, je tombe sur des éléments biographiques d'un certain Thomas Levine, ancien de la CIA, associé de Bush père et de John Train, l'un des fondateurs de la "CIA connected Paris Review". Ce que j'ignorais également.

Not in my name

Je suis depuis quelques jours silencieux. Parce que je me suis beaucoup déplacé mais aussi et surtout parce que ce qui se passe sous nos yeux défie l'analyse. On ne sait par quel bout prendre ce méli-mélo d'insultes, de contre-vérités, de maladresses juridiques, d'abomination politique. Que penser, pour ne prendre que cet exemple du démenti de la chancellerie allemande? "Angela Merkel n'a pas parlé de camps de Roms en Allemagne avec Nicolas Sarkozy ni lors du Conseil européen ni lors d'entretiens en marge." Que Nicolas Sarkozy a tellement perdu les pieds qu'il dit n'importe quoi? Qu'il exaspère tellement la chancelière qu'elle n'hésite pas à lui dire en public son fait? Je ne crois pas qu'on ait jamais vu cela.

Qu'en dire, sinon : "Not in my name" comme, aux Etats-Unis, il y a quelques années, les opposants à la guerre d'Irak.

Il est arrivé à laFrance de se trouver seule contre tous, au moment justement de la guerre contre l'Irak, au moment de la guerre du Vietnam, mais c'était pour des causes honorables où tous ou presque pouvaient se reconnaître. Ce qui se passe depuis quelques semaines avec les Roms est tout simplement inacceptable. Tant à droite qu'à gauche, nous n'y retrouvons pas la France, ce récit qui nous faisait penser un peu différents des autres, un peu plus soucieux que d'autres du droit des peuples, de la liberté…

Et que l'on ne nous dise pas que les Français sont pour comme veut nous le faire croire Le Figaro avec insistance (avec tant d'insistance que l'on ne peut que penser que Serge Dassault, son propriétaire, est au coeur d'une négociation difficile pour vendre à l'Etat de quelques uns de ses avions). Il est des choses que les hommes politiques devraient s'interdire, même si l'opinion les applaudit (ce qui serait, en l'espèce, à vérifier). Je pense à cette phrase de Bossuet : "Je voudrais qu'il me fut permis d'employer le tere de démagogue (…) : c'était dans Athènes et dans les Etats populaires de la Grèce certains orateurs qui se rendaient tout puissants sur la populace en la flattant…" Je pense à Cléon, ce leader athénien qui "le premier, nous dit Aristote, a déversé à la tribune des débordements d'injure tout en se débraillant." N'est-ce pas cela Sarkozy? Du "casse-toi pauvre con" à ces propos grotesques sur la commissaire européenne et les photos lors du tournage du film de Woody Allen avec Carla Sarkozy, on retrouve cette grossièreté et ce débraillé. On se demande pourquoi Fillon est plus populaire que Nicolas Sarkozy, c'est peut-être tout simplement qu'il sait mieux se tenir.

Pour le reste, je l'ai dit ici mille fois, si la politique menée est détestable, l'organisation du pouvoir ne peut que mener à ces bavures à répétition. Quand les phénomènes de cour l'emportent sur tout, lorsque les ministres conservent leur poste envers et contre tout, lorsque seuls trinquent les seconds couteaux, les hauts fonctionnaires en oublient le b a ba de leurs cours de droit.