dimanche, octobre 31, 2010

Le journal du Dimanche est malsain

Il y a des journaux de caniveau, il y en a de pas très sérieux et puis il y a des journaux malsains. C'est le cas du Journal du Dimanche que l'on achète le dimanche matin faute d'autre choix. Ce que j'ai fait ce matin, au coin de la rue de Buci et de la rue de Seine sur le stand que tient le charmant pakistanais, vedette de Saint-Germain des Près, auteur d'un livre à succès. Et comme je l'avais acheté, je l'ai lu et je suis tombé sur deux articles qui pourraient servir d'exemples, dans les écoles de journalisme, de mauvais journalisme.

Le premier concerne Philippe de Villiers, personnage pour lequel je n'ai vraiment aucune sympathie (je le précise, parce que je vais le défendre!). Une page entière lui est consacrée qui le démolit dans sa vie professionnelle et sa vie privée (il se serait plaint de cancers qu'il n'a jamais eus, il a tout fait pour que son dernier fils (tout noir, d'après la photo qu'on nous montre, ce qui surprend un peu sachant que Villiers était plutôt du coté du FN, mais ainsi va la France d'aujourd'hui) abandonne ses plaintes pour viol à l'égard de son fils ainé (mais oui, chez les Villiers…). Et tout cela, qu'on savait plus ou moins, pour quoi? Pour annoncer, en conclusion, qu'il dit partout que Nicolas Sarkozy lui a promis un ministère. Dit autrement : quelqu'un à l'UMP a voulu rendre cette nomination impossible et le Journal du Dimanche a prêté a plume. Nul de chez nul!

Le second, moins grave mais tout aussi significatif, concerne une chronique de celui qui est en passe de devenir l'icone même du vieux con : Philippe Sollers. Un vieux con qui a des amis et des références, ici, en l'espèce, Philip Roth. Mais voici donc cette phrase qui a suscité ma colère (n'exagérons rien, ce n'est pas très grave, mon exaspération serait plus juste) : "Quand plus personne ne lit, Dieu a tendance à parler de plus en plus fort." Tout cela à cause d'Obama dont nul ne sait s'il croit en Dieu mais dont tout le monde prédit qu'il va perdre les prochaines élections. A cause, nous disent Sollers et Roth, d'internet! Les gens, nous explique doctement Roth que cite avec délectation Philippe Sollers "sont face à des écrans, à des pages qu'ils regardent une par une. Ils ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite." Tant de bêtises en si peu de mots… c'est à en pleurer.

vendredi, octobre 29, 2010

Retraites : une défaite en rase campagne

Le Parlement a voté, les manifestations s’épuisent. Le gouvernement a gagné et les syndicats ont perdu une bataille… Plus sans doute qu’une bataille puisqu’ils ont donné le sentiment d’avoir été complètement  roulés dans la farine.

Jamais on n’avait vu une telle unité syndicale portée par une opinion aussi massivement favorable à la remise en cause du projet gouvernemental. Les manifestations se sont multipliées, avec beaucoup de monde dans la rue, même si on pu contester les chiffres, et cependant celui-ci a été voté pratiquement inchangé, il va être promulgué. Le gouvernement a gagné la partie contre la rue, contre l’opinion, contre les syndicats… Alors même que toutes les conditions étaient réunies pour le faire reculer, il a tenu, dans des conditions les plus difficiles, avec un ministre complètement déconsidéré, une opinion hostile au Président de la République au plus bas dans les sondages (on peut d’ailleurs penser qu’il y avait dans le soutien aux manifestations plus que d

Cette défaite en rase campagne va laisser des traces. Nicolas Sarkozy a gagné parce qu'il a bien joué, parce qu'il a fait preuve d'habileté (en laissant croire que le texte pourrait être amendé au Sénat) et d’obstination mais aussi parce que le mouvement social s’est révélé très faible, très fragile comme l’ont suggéré les contestations sur les chiffres des manifestants.

Les écarts entre les chiffres de la police et ceux des organisations syndicales ont été une fois de plus considérables… mais il semble que les bons chiffres étaient ceux de la police, qu’ils étaient même peut-être supérieurs à la réalité. C’est ce qui ressort du moins de plusieurs comptages indépendants, notamment de ceux réalisés par Mediapart, journal en ligne, qu’on ne peut pas soupçonner de partialité. Dit autrement, les syndicats ont eu, malgré leurs succès apparents, beaucoup de mal à mobiliser en dehors de leurs secteurs traditionnels. Les salariés du privé, les premiers menacés, ne se sont pas mis en grève. Ils ne sont pas descendus dans la rue et n’ont pas suivi les consignes syndicales.

Cela se voyait d’ailleurs dans les manifestations. J'ai raconté ici même combien j’avais été frappé par le coté un peu mélancolique du défilé, comme si la messe était déjà dite

Rien n'a mieux révélé cette fragilité que les appels à la jeunesse. Les dirigeants syndicaux mieux informés sans doute que beaucoup de la réalité du rapport de force attendaient des étudiants qu’ils fassent reculer le gouvernement. Ségolène Royal l’a pratiquement dit lorsqu’elle les appelés à descendre dans la rue. Dominique de Villepin l’a avoué lorsqu’il a raconté que des dirigeants syndicaux syndicaux lui avaient dit, au moment du CPE, “nous allons manifester mais nous ne pourrons pas vous empêcher de faire passer votre texte, à moins que les jeune ne descendent dans la rue, et là nous ne répondons de rien.

Les commentateurs ont trop souvent confondu le pouvoir de la rue et les émeutes. Ce sont deux choses différentes. Les émeutes peuvent faire reculer le gouvernement, pas le pouvoir de la rue. Et comme il n’y a pas eu cette fois-ci d’émeutes, celles-ci n’ont pas, cette fois-ci, masqué la faiblesse de la rue, du mouvement social.

Cela aura des conséquences pour le mouvement social. Difficile de dire lesquelles, mais on peut imaginer plusieurs scénarios.

On peut, d'abord, imaginer un scénario à la britannique où la rue tétanisée, silencieuse, laisse le gouvernement prend les mesures qu’il souhaite. L’opinion se tait, se renferme sur son espace privé, traduit sa frustration d’autres manières. Le binge drinking, cette consommation effrénée d’alcool que l’on rencontre un peu partout en Grande-Bretagne me parait être une expression de cette frustration.

On peut également imaginer que les organisations syndicales revoient leurs stratégies, que battues dans la rue, elles réinvestissent les ateliers, les bureaux, qu’elles se mettent à négocier dans les entreprises des accords qui compensent les pertes de pensions liées à cette réforme. Ce n’est pas le chemin qu’elles ont pris, parce que c’est compliqué, cela demande du temps, du travail, des ressources militantes qu’elles n’ont pas forcément. Mais si elles ne le font pas, si elles ne se reconstruisent pas là où sont les salariés, elles risquent de devenir rapidement inaudibles. On leur renverra en permanence leur faiblesse… les militants se décourageront, les sympathisants s’éloigneront. On ne peut exclure que les syndicats ne perdent dans les mois qui viennent militants et adhérents.

On peut également envisager un durcissement, ce qui ne serait pas incompatible avec les scénarios précédents. La radicalisation est souvent un symptôme de faiblesse. C’est parce que les syndicats sont faibles qu’ils durcissent leur discours et se lancent dans des actions extrêmes. On pourrait assister dans les mois qui viennent à la contestation des directions syndicales aussi bien à la CGT qu’à la CFDT, une contestation qui pourrait aller avec la multiplication d’actions radicales dont on a eu une première illustration avec les fermetures de raffineries. C’est une hypothèse que l’on doit d’autant moins exclure que la situation se tend dans de nombreuses entreprises. Ces mêmes salariés qui ne se sont pas mis en grève pour lutter contre les retraites peuvent, face à des situations de fermetures d’usines, de licenciements collectifs, se lancer dans des actions dures. C’est, le sens des remarques de Bernard Thibault qui déclarait à Libération: “de nombreux employeurs ont du souci à se faire dans la période qui vient. Ils vont être confrontés aux salariés qui continueront de ne pas accepter - et nous serons avec eux - de voir leur durée du travail rallongée alors qu’ils sont usés physiquement. Cette réforme provoquera une multitude de conflits.” On pourrait donc se retrouver avec une multiplication de conflits durs avec des organisations syndicales affaiblies, incapables de les contrôler, de leur trouver une issue.

Cette séquence se traduit par un échec tellement grave des organisations syndicales qu’elles vont devoir réagir. Si elles ne le font pas, c’est leur légitimité même qui va être mise en cause, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.

mardi, octobre 26, 2010

Usque ibunt?

Les auteurs de science-fiction ont inventé la machine à remonter le temps. Les députés UMP paraissent la leur avoir empruntée. Après le recul de l'âge du départ en retraite qui nous ramène aux années 70, voilà que  Jean-François Coppé veut réintroduire un examen de passage en sixième. Je n'invente rien, c'est ce qu'il a déclaré au Journal du Dimanche : "Je veux défendre une idée forte : l’entrée au collège ne doit se faire que pour l’enfant qui maîtrise totalement les savoirs fondamentaux (…) Mon idée est de créer un examen de fin de CM2, d’évaluation des enfants. Ce serait un examen de passage en 6e. On réorganiserait complètement le programme du primaire dans cette perspective (…) Si on n’a pas acquis ces connaissances (lire, écrire, compter...), mieux vaut redoubler, pour protéger l’enfant, que le faire passer au collège et lui faire courir un vrai risque de décrochage."


Je suis sûr que cette idée en fera sourire certains mais pourrait bien trouver des défenseurs chez ces enseignants qui se plaignent du niveau de leurs élèves (récrimination classique, il me semble l'avoir entendue tout au long de ma scolarité). 


Cet examen, dans sa version obligatoire, a été supprimé à la fin des années cinquante. Pour avoir été l'un des derniers à l'avoir passé, je peux témoigner de ce qu'il avait pour conséquence :
- d'éliminer de l'enseignement long, tous ceux qui échouaient (il est vrai qu'existait alors une filière courte vers laquelle on dirigeait les plus modestes qui n'avaient pas la chance d'être particulièrement travailleurs ou doués). Je me souviens encore de l'hécatombe dans ma classe de septième d'une école parisienne qui avait cependant bonne réputation. La sélection se poursuivait toujours aussi impitoyable, les années suivantes, entre ceux qui restaient dans la filière classique (latin) et ceux que l'on envoyait dans la filière moderne (sans latin),
- d'amener les instituteurs à pratiquer un bachotage intense. Le mien imposait à tous ses élèves de rester le soir deux heures de plus pour préparer l'examen.


Je me souviens également que nous avions eu cette année là une dictée empruntée à Gide, ce qui avait fait jaser dans les gazettes.

lundi, octobre 25, 2010

Retraite, retour sur des remarques d'Arthur Goldhammer

Arthur Goldhammer revient longuement dans deux billets (Rejoinders to my previous post et La gauche est-elle morale?) sur mes remarques sur ce qu'il disait un peu plus tôt de la réforme des retraites. Il y pose des questions très intéressantes. Je reviendrai sur trois d'entre elles : sur les injustices, sur la question de l'emploi et sur la morale en politique. Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit sur la légitimité de la démarche de Nicolas Sarkozy en la matière, ce que dit Cynthia Fleury dans son interview du Monde disant l'essentiel.

Il me demande : "are the burdens that young workers, women, small-business employees, and victims of globalization are being asked to bear under the reform worse than they are already bearing under the pre-reform system? Of that I'm not so sure. I'd like to hear Bernard's reply, since he is more familiar with the details of both regimes than I am." La réponse est définitivement oui. Ce n'est évidemment pas écrit tel quel dans le texte voté par le Parlement, mais c'est bien ce qui va se produire. Tout simplement parce que tous les salariés ne seront pas égaux devant cette réforme, certains pourront la contourner, d’autres pas. Certains employeurs compenseront les pertes de revenus des retraités, parce qu'ils en ont les moyens ou parce que des organisations syndicales l'obtiendront et d’autres pas. Cette réforme va creuser des inégalités déjà importantes entre retraités selon qu'ils auront la possibilité d'imposer ses compensations à leur employeur, selon qu'ils auront travaillé dans une entreprise riche ou une entreprise pauvre, une entreprise dans un secteur porteur ou une entreprise dans un secteur en déclin. Sachant cela, on aurait du accompagner cette réforme de mesures permettant de réduire ces inégalités.

Sur l’emploi il écrit : "Bernard does say that a more effective pro-growth policy would have improved matters. No doubt. I wish I knew what such a policy looked like." Nous aimerions tous savoir. Je disais, plus modestement, qu'on ne pouvait traiter la question des retraites sans aborder celle de l'emploi. Pourquoi? Parce que la retraite est un salaire. Différé dans les systèmes de capitalisation (j’épargne pour préparer mes revenus futurs), indirect dans les systèmes par répartition (je cotise pour les autres). Ce qui justifie que les organisations syndicales aient leur mot à dire dans sa gestion. Or, cette réforme, comme les précédentes, ne voit que l’aspect comptable et néglige cette dimension.

Je sais bien que les questions d’emploi (et donc de croissance) sont difficiles et que, comme le disait un jour François Mitterrand, “dans la lutte contre le chômage on a tout essayé.” Reste que l’on ne peut pas s’en tenir à cette position. Ne serait-ce que parce que dire que l’on n'a pas d'idées sur la manière de créer de l’emploi n’est pas tout à fait exact.

La droite a une solution actuellement évoquée en Grande-Bretagne : réduire les allocations chômage qui inciteraient les salariés à rester chez eux plutôt qu’à aller travailler selon une thèse bien connue et développée par Jacques Rueff dans un article célèbre publié en 1931 (L’assurance chômage, cause du chômage permanent), reprise dans deux articles publiés en 1976 dans Le Monde (La fin de l’ère keynésienne) et que l’on retrouve dans les travaux des trois économistes que vient de distinguer le comité Nobel, Diamond, Pissarades et Mortensen (des allocations chômage généreuses n’incitent pas forcément à la paresse, mais elles allongent la période pendant laquelle les chômeurs cherchent un emploi).

La gauche en a deux autres, toutes deux mises en oeuvre par le gouvernement Jospin : la réduction du temps de travail et la création d’emplois publics (emplois jeunes…). Ni l'une ni l'autre ne sont aujourd'hui à la mode, mais peut-on oublier qu'elles ont créé quelques centaines de milliers d'emplois?

A droite comme à gauche, certains pensent également, quoique sotto voce, que le protectionisme résoudrait en partie le problème. Ils sont très discrets, presque honteux tant nous sommes convaincus des vertus du libre-échange. Mais certains économistes ne sont pas loin de penser de même comme Ha-Joon Chang de l’Université de Cambridge (voir cet éditorial dans le Financial Times ou dans cet autre papier publié dans The Independent), Lehman & O’Rourke dans ce papier d’histoire économique, Dani Rodrik dans son blog. Leurs conclusions est qu’il existe différentes sortes de protectionnisme, que certaines formes peuvent être favorables à la croissance, d’autres avoir un effet négatif.

Si droite et gauche ne sont pas d’accord sur les solutions, elles ont l’une et l’autre multiplié les mesures destinées à masquer la non-activité : création dans certains pays, comme les Pays-Bas, d’un statut d’invalidité, d’incapacité au travail qui donne droit à des aides publiques, nettoyage régulier des statistiques, RMI (aujourd’hui RSA), stages de formation des chômeurs, allongement de la durée des études (combien d'étudiants qui accumulent les diplômes sont en réalité des chômeurs déguisés?)…

Toutes ces solutions ont des limites évidentes : on ne peut pas multiplier à l’infini les emplois publics sauf à créer, comme dans l’ex Union soviétique une économie peu compétitive. On ne peut pas non plus exclure indéfiniment du marché du travail des actifs au motif qu’ils ne trouvent pas d’emploi.

Y en a-t-il d’autres? Si on les connaissait, on les proposerait. C’est l’évidence. Il me semble, tout de même, que l’on pourrait tenter :
- d’éliminer les mécanismes qui favorisent le chômage des jeunes. Je pense notamment à cette multiplication de stages étudiants qui ont pour principal effet de chasser du marché du travail des jeunes sans qualification : pourquoi recruter un jeune sorti de l’école sans diplôme pour faire des photocopies et autres tâches ancillaires si l’on peut avoir gratuitement ou presque un étudiant?
- de réduire la précarité qui est, pour partie au moins, une création de la réglementation (elle s’est développée avec les assouplissements successifs de la réglementation, légalisation de l’intérim dans les années 70, assouplissement de la législation sur le temps partiel…) ;
- de mieux comprendre pourquoi nous détruisons, dans tous nos pays des emplois de travailleurs autochtones alors que nous en créons pour les immigrés (dans le bâtiment, dans les services à la personne…), ce qui nous amènerait probablement à reprendre les thèses d’Alfred Sauvy sur ledéversement (transfert d’emplois du secteur agricole vers le secteur industriel, de celui-ci vers le secteur tertiaire…) : les immigrés n’occupent ces emplois que parce que le processus de déversement fonctionne mal,
- d’évaluer les besoins qui ne sont pas satisfaits, comme le recommandait également Alfred Sauvy lorsqu’il expliquait, dans un contexte il est vrai tout différent, que “le besoin domine l’économie française”.

Le principal défaut de cette réforme n'est pas de proposer le passage à 62 ans, même si c'est là-dessus que s'est focalisée l'opposition, c'est de ne pas avoir pris en compte ces dimensions, de ne pas avoir cherché à réduire les inégalités au moment de la retraite et de ne pas avoir proposé de pistes pour réduire un chômage qui dure depuis trop longtemps.

Pour ce qui est, enfin, de la morale. Prétendre que la gauche est ou devrait être plus morale que la droite, comme le suggère, semble-t-il , Christophe Prochasson (je n'ai pas lu son livre et ne peut donc me prononcer dessus) me parait d’une grande arrogance. Gauche et droite peuvent être (et sont à l’occasion) également morales, immorales et amorales. Opposer technocratie et morale ne me parait plus satisfaisant. Pourquoi les technocrates feraient-ils abstraction dans les décisions qu’ils prennent des considérations morales? Qu’est-ce qui permet de l’avancer? Il me semble que l'on pourrait même, à l'inverse, avancer que les technocrates (au sens de fonctionnaires) se distinguent des dirigeants du privé en ce qu'ils tiennent plus compte, dans leurs décisions, de considérations morales.

Il me paraît plus pertinent de reprendre la distinction que faisait Aristote entre justice distributive et justice rectificative ou corrective. La première revient à effectuer une distribution des biens disponibles selon le mérite (l’effort, les compétences…), la seconde à corriger ce que la première peut avoir d’injuste. Si l’on veut absolument opposer droite et gauche sur ce registre, la première serait plutôt du coté de la justice distributive, la seconde tente de corriger la première en faisant appelle à la justice rectificative. Et c'est bien, justement, ce que devrait tenter une réforme de gauche des retraites : corriger en partie au moins les inégalités que le système économique crée sans que les individus y soient forcément pour quelque chose : on ne choisit pas forcément de travailler dans un secteur en déclin, dans une petite entreprise… on prend en général ce que l'on trouve, ne serait-ce que pour raccourcir ce "search" dont parlent Diamond &  alii.

dimanche, octobre 24, 2010

Retraites, Goldhammer vs Desjardins

Arthur Goldhammer, cet Américain qui écrit chaque jour sur l'actualité française avec autant de talent que d'alacrité, s'en prend dans ce billet (Gouverner c'est choisir, manifester c'est esquiver) aux remarques de Thierry Desjardins, autre bloggeur remarquable pour sa production, sur la réforme des retraites. Sur le fond, Goldhammer ne fait que souligner quelques unes des contradictions d'un antisarkozyste de droite qui critique une réforme qu'il aurait approuvée si elle avait été menée par quelqu'un d'autre avec un peu plus de… souplesse.

Cet échange me parait cependant souligner combien la réaction des Français à cette réforme est mal comprise à l'étranger, même par ceux qui connaissent le mieux notre société et l'observent avec le regard le plus bienveillant.

Si cette réforme suscite autant d'opposition alors même, et c'est nouveau, que tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de faire évoluer le système, c'est pour, je crois, quatre motifs :
- cette réforme est profondément injuste, et tout le monde le sent. Cette injustice ne concerne pas seulement ceux qui ont commencé de travailler tôt, comme on l'a dit et répété. Elle touche également les femmes, ceux qui ont des carrières chahutées, ceux qui perdent leur travail en fin de carrière, ceux qui travaillent dans des petites entreprises ou dans des secteurs en déclin (sur ces injustices, voir cette chronique que j'ai donnée à AligreFM) ;
- la manière dont cette réforme a été menée passe outre les organisations syndicales qui gèrent les caisses de retraite et dont c'est, dans un système dans lequel ils ont peu de militants, l'un des rares points forts. La méthode est caractéristique de la façon dont Sarkozy gouverne en négligeant les corps intermédiaires, en arguant de sa légitimité de Président pour trancher dans des domaines qui ne relèvent pas de ses compétences. L'alliance sans faille d'organisations syndicales qui ont plutôt l'habitude de se chamailler vient, pour beaucoup, de là : c'est leur rôle dans le champ social et politique qui se joue ;
- cette réforme ne dit rien de la question centrale : celle de l'emploi et de la croissance sans création d'emplois que nous connaissons depuis quelques années. Si le chômage était plus faible, la question des retraites ne se poserait pas de manière aussi crue, chacun le sait. Or, cette réforme n'en dit rien. J'ajouterai que c'est une question qui ne concerne pas que la France. Il suffit de comparer les courbes de chômage et les gains de productivité aux Etats-Unis, ces derniers mois, pour voir qu'eux aussi viennent, bien après nous, de découvrir ce que voulait dire une croissance sans création d'emplois ;
- cette réforme n'est pas seulement l'abandon d'une vraie conquête sociale (il faut se souvenir que la  retraite à soixante ans était la première revendication des organisations syndicales dans les années 70), c'est aussi une menace pour tous ceux qui arrivent à la fin de leur carrière professionnelle fatigués et sans espoir d'un emploi durable. Que les Britanniques (pour combien de temps?) ou les Américains l'acceptent mieux ne veut certainement pas dire que les Français ont tort de protester.

samedi, octobre 23, 2010

De la passivité britannique au binge drinking par le plus court chemin

Interrogé sur la BBC il y a quelques jours, Martin O'Shaughnessy, spécialiste du cinéma français, auteur d'ouvrages sur Jean Renoir et Jean-Luc Godard, mais aussi l'un des deux animateurs du site La France et la crise, se demandait pourquoi les britanniques, et notamment les jeunes, sont plus passifs que les Français. Il répondait à cette question en évoquant l'offensive anti-syndicale de Margaret Thatcher et les mesures prises par son gouvernement pour rendre plus difficiles les manifestations dans la rue. Sans doute a-t-il raison. Mais cela n'explique pas la passivité des jeunes qui ne se sentent d'aucune manière solidaires des travailleurs, alors que ce sentiment de solidarité existe en France ou est, du moins, régulièrement évoqué (que l'on pense au thème de la grève par procuration ou aux discours des dirigeants des organisations étudiantes).

Pour essayer de comprendre cette différence, j'aia fait une recherche sur internet et suis tombé sur cette présentation d'un jeune homme, homonyme de Martin O'Shaugnessy qui commence ainsi : "What can I say? ... I like to get drunk alot and have a good laugh with all my friends, my friends are probably the most important thing in my life ^_^ an I love all of 'em to bits! we go out every saturday and usualy get pissed so i mostly cant remember what i do and sometimes i regret it. I love to do martial arts and am hoping to take my black belt very soon so be ware becasue if you try to fuck with me you will get hurt."

L'auteur de ces quelques lignes, qui me font penser aux thèses de Richard Hoggart sur la culture du pauvre, a 20 ans, il habite Liverpool. Est-il étudiant? travaille-t-il? je l'ignore. Reste que l'on trouve là en quelques lignes une allusion aux beuveries, au binge drinking que l'on rencontre tous les soirs, et notamment le samedi, dans toutes les villes britanniques, et aux sports de combat. Bien loin d'être exceptionnelle cette attitude est très répandue outre-manche.

Je me demande si en fouillant de ce coté là, on ne trouverait pas l'une au moins des raisons de cette passivité britannique. Binge drinking et art martial ne portent pas vraiment à la solidarité. Une société qui tolère ce type de beuveries à répétition chez les jeunes ou, pire, les encourage (et c'est le sentiment que donnent certaines scènes que l'on peut voir régulièrement dans les pubs) n'incite à exprimer ses frustrations en défilant dans les rues lorsque l'occasion s'en présente. Lorsque l'on peut, sinon chaque soir du moins chaque semaine, exprimer sa frustration en buvant jusqu'à s'en rendre malade (ou plutôt pour se rendre malade), on n'a plus tellement le courage ou l'envie de descendre dans la rue pour protester contre des mesures gouvernementales, on a épuisé ses réserves de révolte et de ressentiment.

Les deux droites

La France et la crise, site gré par des universitaires britanniques, spécialistes de la France, vient de publier une de mes notes sur l'émergence en Europe de deux droites, une droite populiste et xénophobe, à la Sarkozy et à la Berlusconi, et une droite conservatrice à la Cameron. Une révision des analyses de René Rémond sur les trois droites en France qui éclaire, je l'espère, les tensions à droite aujourd'hui en France mais aussi les conflits récurrents entre la France et l'Allemagne. On trouve sur ce site plusieurs autres notes très intéressantes tant en français qu'en anglais.

lundi, octobre 18, 2010

Les agences de notation ne font ni le printemps ni l'automne

Depuis quelques semaines, le gouvernement a ajouté un nouvel argument à sa défense de sa réforme des retraites : le risque de voir, en cas de recul, les agences de notation dégrader la note de la France. Si tel était le cas, nous explique-t-on, nous aurions plus de mal à emprunter pour financer notre déficit ou, plutôt, nous devrions emprunter à un taux plus élevé, ce qui rendrait un peu plus difficile le financement de nos dépenses, le remboursement de nos dettes  et aggraverait notre situation.

Il y a quelques mois les mêmes agences étaient accusées de tous les mots, on leur reprochait d’entretenir la spéculation, de pousser la Gréce à la banqueroute. Tout cela est oublié. Elles ont repris le rôle du grand méchant loup qui impose à des politiques qui nous raseraient gratis s’ils le pouvaient de jouer le rôle du père-sévère (et le jeu de mot lacanien va là très bien : c’est pour satisfaire ces agences qu’ils persévèrent dans des réformes dont personne ne veut sous cette forme). C’était hier l’Europe qui tenait ce rôle. Elle s’est évanouie. Et aujourd’hui l’opinion des quelques analystes qui suivent la France (combien? que savent-ils de notre économie? on l’ignore!) dans trois sociétés privées américaines (Standard & Poours, Moody’s qui détiennent chacune 40% du marché de la notation et Fitch Ratings) serait donc plus importante que celle des Français qui refusent à plus de 70% cette réforme? Sans doute faut-il tenir compte de leur avis. Mais de là à construire une politique pour les satisfaire, il y a un drôle de pas.

Sans doute peut-on comprendre qu’un gouvernement qui refuse toute négociation s’abrite derrière la contrainte extérieure pour faire passer des textes contestés. Mais on peut s’interroger sur la légitimité de la démarche. Au moins avec l’Europe pouvait-on se consoler en se disant que nous avions eu notre mot à dire dans les mesures qui nous étaient imposées. Ce n’est même plus le cas. Nos gouvernants n’ont aucun moyen de contrôler les procédures utilisées par ces trois agences qui ont été sélectionnées par le gouvernement américain (la SEC) pour faire partie des NSRO (Nationally Recognized Statistical Rating Organizations). Je ne suis même pas sûr qu’ils connaisse ces procédures ni qu’ils s’en préoccupent. Ces agences ont de l’influence sur les marchés, il faut donc leur faire plaisir. Si l’on voulait illustrer le gouvernement sous le contrôle des marchés, on ne pourrait mieux faire.

On pourrait à ce seul titre critiquer cette manière de se mettre à l’abri et de justifier des décisions prises par des gens qui ont été élus démocratiquement pour faire leur politique et non pas celle des marchés. Mais on peut également se demander si ces agences ont l’importance qu’on leur prête.

Comme l’expliquait dans un courrier au New-York Times en mai dernier Catherine Matis, la senior VP for marketing and communications de Standard & Poors, “From our standpoint, credit ratings are a starting point — not the ending point — of sound investment research. The market benefits from competing views on credit risk, whether from ratings firms or others.” Les investisseurs utilisent bien d’autres indicateurs. Comme l’ont appris à leur dépens les Irlandais, un article du Wall Street Journal peut faire infiniment plus mal qu'une mauvaise note.

Les notes de ces agences ne font ni l’automne ni le printemps. L’Espagne a vu sa note dégradée en septembre dernier, on ne voit pas que le ciel lui soit tombé sur la tête depuis, bien au contraire puisque, comme l’expliquait la BBC au lendemain de cette révision à la baisse de sa note, “Spain's cost of borrowing on 10-year bonds actually fell slightly to 4.1%, reflecting relief among investors that the downgrade was not more severe.” Dit autrement : bien loin d’inquiéter les investisseurs, cette nouvelle note les a rassurés. Et pour un excellent motif : ils ne se contentent pas des seuls avis des agences de notation et tiennent compte de bien d’autres éléments dans leurs jugements. Ce qu’ils savaient de l’Espagne les inquiétait, la pas trop mauvaise note des agences les a rassurés.

A trop affirmer que l’on risque la dégradation de la note des agences à ne pas appliquer leurs réformes, nos gouvernants risquent tout simplement d’affoler les marchés. Et l’on peut craindre qu’ils ne créent eux-mêmes cette défiance qu’ils redoutent. Ils feraient mieux de convaincre les investisseurs qu’avec ou sans réforme, ils n’ont rien à craindre tant notre économie est susceptible de rebondir au premier frisson de la conjoncture. Mais il est vrai que ce serait se retirer un argument massue pour faire passer une réforme dont (presque) personne ne veut.

mercredi, octobre 13, 2010

Slogans de gauche

Depuis quelques mois deux slogans s'imposent dans toute les manifestations, Rêve générale et Je lutte de classes, qui disent tous deux, je crois, bien l’état de l’idéologie de gauche en France et de ce que pensent, au fond d’eux-mêmes, manifestants et électeurs. D'où leur succès qui transcende les organisations, les partis politiques et les consignes syndicales.

Tous deux sont d’abord de belles formules qui savent d’un jeu de mots faire théorie. L’invention langagière, qui a tant fait pour le succès de 68 et que l’on a si souvent attribuée aux situationnistes, est toujours vivante à gauche, même si elle n’a plus la vigueur qu’elle pouvait avoir autrefois.



Rêve générale a été inventé par le CnR, une réunion de gens de gauche de tous horizons, certains militants, d’autres pas, qui veulent combattre l’inertie des grandes organisations syndicales. Leur acronyme renvoie naturellement au Conseil National de la Résistance, mais sa typographie avec un n minuscule entre deux consonnes en majuscule signale la différence.

Si ces gens n’ont pas lu Derrida, ils ont saisi l’essence de ce qu’il appelait “differance”, concept qui reprenait les deux sens des mots construits sur la racine “differ” : “être différent de” et “différer”, retarder, proroger. La résistance d’aujourd’hui est différente de celle de la guerre, mais elle y renvoie et en même temps, elle la diffère. Jamais ce programme n’a été appliqué. Et si l’on peut encore y penser, c’est en sachant bien qu’il sera pour toujours différé. Cette résistance est plus un projet, une attente, un désir qu’une réalité et la petite note en rouge, Utopie debout le souligne. A moins, et c'est toute la richesse et donc l'ambiguïté de ce slogan qu'il ne faille l'entendre comme la volonté de différer l'abandon du programme de la résistance…

Rêve générale dit tout cela : on rêve de la grande tradition anarcho-syndicaliste de la grève générale, du grand soir, prémisse de lendemains qui chantent, mais on sait en même temps qu’elle ne peut être autre chose que cela, un rêve qui, s’il se réalisait, par extraordinaire, n’amènerait que des lendemains tristes, ce qui n'interdit pas d'y rêver.

La gauche n’a pas perdu ses mythes, mais elle les regarde avec un mélange de mélancolie et de réalisme. On est bien loin du “Révons d’ore” que Frédéric Rossif tirait de “Révolution d’octobre” que Jean-François Lyotard analysait dans Le travail du rêve ne pense pas (in Esthétique, 1968, ici une traduction en anglais).


Je lutte des classes a été imaginé par un graphiste, Gérard Paris-Clavel. Son succès tient à sa subtilité et à la contradiction que vivent dans leur intimité les militants de gauche. Convaincus des vertus du combat collectif, de l’existence d’une communauté de préoccupations, de situations, d’intérêt entre tous les salariés, la preuve : ils se réunissent pas centaines de milliers pour manifester, ils savent également bien que chacun se détermine en fonction de ses intérêts immédiats. Ils ne choisissent plus entre la théorie des classes des marxistes et l’individualisme méthodologique des sociologues à la Boudon, ils tentent une impossible rencontre de l’un et de l’autre. Difficile alliance de l'individualisme et du collectif qui me rappelle un autre slogan d'il y a quelques années : Le sida ne passera pas par moi, autre affirmation de soi qui avait connu un vrai succès puisqu'il avait été repris dans des contextes très différents (le libéralisme, la privatisation… ne passera pas par moi).

mardi, octobre 12, 2010

Retraites à 60 ans? because I'm woerth it!

Une manifestation avec beaucoup de monde par un beau jour d'automne, ensoleillé. Deux cortèges, l'un massif, très long de la CGT, parti de Montparnasse, en direction de la Bastille, par le boulevard de Port-Royal, un peu triste, avec beaucoup d'employés municipaux, de salariés des DDE et de cheveux gris. Cela sent le sapin, me dit un voisin qui me parle aussitôt de Bernard Friot que son livre sur les retraites a beaucoup impressionné. L'autre allant vers la Bastille par la rue de Rennes et le boulevard Saint-Germain, plus coloré, plus chaleureux, avec les ballons et survestes oranges de la CFDT, les calicots blancs de la CGC-CGE, les nuages de drapeaux colorés de Sud et les bataillons massifs de FO et du PS.

Une manifestation calme, qui n'effraie pas les commerçants qui tout au long du parcours sont restés ouverts.
les ballons de la CFDT

les calicots blancs de la CGC


Une CGT très présente mais un peu… mélancolique

Sud, très coloré et vivant

La presse parle de la présence de jeunes. Je n'en ai guère vus, mais la manifestation était vraiment très longue. J'ai, par contre, vu des sans-papiers plus dynamiques que le reste du cortège CGT et, au coin du boulevard Raspail et du boulevard Saint-Michel, une trentaine de Rroms derrière une banderole qui ne manifestaient certainement pas pour les retraites.

Quelques slogans nouveaux. Le plus amusant est certainement ce "Retraites à 60 ans, I'm woerth it" qui associe en une même phrase le ministre chargé de la réforme des retraites et l'affaire Bettencourt. Mais il y avait aussi ce "Rêve générale" qui sentait son humour de 68 et ce "Je lutte de classe" qui faisant preuve d'un humour sans doute involontaire et d'une véritable profondeur philosophique associait l'individualisme contemporain et la lutte collective.

Ces grandes manifestations sont toujours l'occasion de scènes amusantes. J'en ai retenu quatre : une Jaguar mal stationnée et couverte d'auto-collants contestataires sur le parcours de la CGT que des centaines de manifestants ont photographiée, une malheureuse vache que la Confédération paysanne avait emmenée manifester, enfermée dans son van, le dazibao que des jeunes gens avaient ouvert sur un arrêt de bus RATP invitant les passants à le couvrir de commentaires et enfin cet ensemble de cornemuses qui jouait le long du cortège.

vendredi, octobre 08, 2010

Le mystère Kerviel

Offensive inédite pour défendre la justice et son verdict dans l’affaire Kerviel. Avocats, journalistes judiciaires et économistes viennent sur les ondes (Bernard Maris et Dominique Seux ce matin sur France Inter, hier d’autres sur C dans l’air, Pascale Robert Diard dans son blog) expliquer le jugement, le justifier mais aussi avouer, lorsqu’ils sont un peu versés dans la finance, leur perplexité : comment un trader de petit niveau pas spécialement intelligent a-t-il pu mettre en jeu des sommes aussi considérables (50 milliards d’euros) sans que personne ne s’en rende compte? Ils prennent d’autant plus facilement la défense de la justice que la banque a annoncé qu’elle ne réclamerait pas dans l’immédiat les dommages et intérêts et qu’elle était prête à transiger.

"Sur le calcul du montant, explique par exemple Pascale Robert Diard qui publie par ailleurs le jugement intégral, le tribunal a appliqué une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, pour les dommages et intérêts, distingue les délits intentionnels des délits non intentionnels. En cas de délit intentionnel, il ne peut y avoir de partage de responsabilité entre l’auteur et la victime de ce délit. L’obligation de réparation est intégrale et le tribunal ne dispose pas de marge d’appréciation sur le montant."

Le jugement intégral du procès Kerviel

Dont acte. Nous avons eu tort de réagir aussi vite. Et il est bien que ceux qui connaissent mieux le droit et les règles de la justice montent au créneau. On aimerait qu’ils le fassent plus souvent et qu’autant d’énergie soit dépensée à défendre la justice lorsqu’elle est attaquée par nos ministres pour avoir libéré un prévenu faute de preuves suffisantes. Mais c’est une autre affaire.

Reste une question qui revient sans cesse dans les commentaires de tous ceux qui connaissent de l’intérieur le fonctionnement des salles de marché. Comment cela a-t-il pu arriver? qu’il y ait eu une faute personnelle de Kerviel, qu’il ait produit des faux et contourné le système, tout le monde le reconnaît et il devait pour cela être sanctionné. Et sa peine de prison, toute sévère qu’elle soit, est sans doute méritée. Mais on aurait aimé que les juges aillent un peu au delà. Le tribunal n’a voulu voir que les délits commis par Kerviel. S’il s’était interrogé sur ce qui les a rendus possibles, il aurait pu évoquer l’inefficacité des contrôles et ces méthodes de management qui font de la performance financière le seul objectif. Parce qu’enfin, voilà un escroc qui ne s’est pas enrichi, n’a pas détourné d’argent qui a simplement tordu, dévié les règles de l’entreprise qui l’employait. Il y a un passage dans le jugement qui éclaire cette ambiguïté : “il a su, dit le juge, tout à la fois développer des stratégies innovantes et appréciées de ses supérieurs et recourir de façon occulte à des pratiques dont il a estimé - contre toute vraisemblance - que l’efficacité l’autorisaient à s’affranchir des règles de fonctionnement de la salle des marchés et à outrepasser le cadre de son mandat en se livrant à une activité purement spéculative pour le compte de la banque, mais à l’insu de cette dernière et dans des proportions gigantesques.” Dit autrement, c’était un bon soldat capable de développer des stratégies innovantes appréciées de ses supérieurs qui a voulu en faire un peu trop.

Les observateurs ont souvent dit qu’ils ne comprenaient pas le jeune trader, qu’il y avait un mystère Kerviel. S’il n’a pas fait cela pour l’argent, pourquoi l’a-t-il fait? On lui a reproché son cynisme. C’est plutôt sa naïveté qu’il faudrait invoquer. Il a pris tellement à coeur ce qu’on lui demandait, il a tant cru aux valeurs du management qu’il a dérapé.  Il y a là une forme de comportement que l’on rencontre souvent dans les entreprises : le salarié trop motivé qui franchit la ligne jaune pour atteindre des objectifs dont on lui a dit et répété qu’ils passaient avant toute autre chose. Coupable? Sans doute, mais préparé à celà par les valeurs que le management diffuse.

Cette affaire me fait penser à ce sondage de l’Aspen Institute auprès de 1943 étudiants dans des écoles de commerce que je cite dans le livre que je viens de consacrer au management revu au travers des thèses d’Aristote (Aristote, leçons pour (re)donner du sens à l’entreprise et au travail) : 60% assurent que la première mission de l’entreprise est d’améliorer la valeur pour l’actionnaire et à peine 35% à penser que l’une des missions de l’entreprise est de respecter les lois. Si mystère Kerviel il y a, il est sans doute là.

mercredi, octobre 06, 2010

Aurions nous perdu tout bon sens?

La lecture de la presse amène à se demander si nous n'avons pas collectivement perdu tout bon sens.

On condamne le jeune Kerviel, banquier tout en bas de l'échelle, à une lourde de peine de prison et à une amende extravagante dont chacun sait bien qu'il ne pourra jamais la payer et on laisse courir tous ceux qui, par leurs comportements irresponsables, ont créé cette crise. Je n'ai aucune opinion sur la responsabilité de Kerviel, si c'est voyou ou un innocent (probablement un peu des deux), mais on aurait voulu créer un bouc émissaire qu'on ne s'y serait pas pris autrement.

Et voilà que nos députés votent un texte qui interdit les mariages gris (ces mariages où un français ou une française épouse naïvement un étranger sans voir que celui-ci ne s'intéresse qu'à ses papiers) et va donner, dés qu'il sera appliqué, aux Français qui ont épousé des étrangers une nouvelle arme redoutable à en cas de conflit familial. Les divorces sont en général suffisamment douloureux. Etait-il nécessaire de donner un nouveau moyen de rétorsion à ceux qui veulent faire souffrir un ex-conjoint?

Dans les deux cas, la justice est (ou sera) impliquée. C'est à elle qu'in fine nous nous remettons. Et le mons qu'on puisse dire est que les magistrats ne font pas toujours preuve de plus de bons sens que nos députés.

mardi, octobre 05, 2010

La droite se réinvente en deux versions

La débâcle de la présidence Bush a sonné le glas du néo-conservatisme américain, mais il n’aura pas fallu longtemps pour voir la droite se réinventer. Elle le fait actuellement sous nos yeux dans deux versions assez différentes qui visent à répondre à la crise économique :
- une version populiste qui se traduit aux Pays-Bas, mais aussi en France par le rapprochement des partis de droite classique et de l’extrême-droite xénophobe, sécuritaire, protectonnistes et anti-européenne ;
- une version libérale et conservatrice en Grande-Bretagne qui remet en cause profondément le modèle social inventé au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Cette seconde version a été exposée hier au Congrès du parti conservateur dans un long discours de George Osborne, le chancelier de l’Echiquier. Pour lutter contre les déficits qui annonceraient, à l’entendre, une décennie de déclin, il propose de réunir toutes les aides diverses en une seule, une sorte de crédit, d’allocation universelle réservé aux plus modestes.

Sont visés les allocations familiales, des aides apportées aux plus âgés (notamment une aide au chauffage), les allocations chômage qui seraient réduites, les retraites des fonctionnaires, les effectifs de la fonction publique…

Sur la question de l’immigration, ces deux versions de la pensée de droite diffèrent :
- pour les xénophobes enragés (à la Wilders) ou “raisonnables” (à la Sarkozy), la lutte contre l’immigration est un aspect de la solution,
- pour les conservateurs, l’immigration est un symptôme du déclin de la société et de ses valeurs traditionnelles (goût du travail). Ce n’est pas tant sur l’immigration qu’il faut agir que sur les citoyens qui profitent des aides sociales. Ils insistent particulièrement sur une statistique : l’’économie britannique a détruit pendant cette crise 650 000 emplois tenus par des britanniques alors que les entreprises britanniques ont recruté 139 000 étrangers, immigrés. Il est vrai que les gens ne sont pas échangeables et que les emplois créés n’ont probablement que peu à voir avec ceux qui ont été détruits.

Ces deux versions diffèrent également sur le rôle de l’Etat. Les conservateurs ne sont pas  partisans d’un Etat minimal à la manière des néo-conservateurs. Ils savent que l’Etat peut  par son action remodeler une société (les conservateurs britanniques vont recentrer ses budgets sur quelques domaines : les transports, la recherche médicale, les réseaux). Mais ils veulent en réduire fortement la voilure (les conservateurs britanniques envsagent de supprimer un tiers des hauts fonctionnaires). Les néo-xénophobes (ou populistes) sont plus attachés à un Etat central, autoritaire et à la concentration des pouvoirs en quelques mains, voire en une seule, comme dans sa version sarkozyste.

Le thème de la sécurité, central dans le discours des néo-xénophobes, est présent dans le discours conservateurs mais il passe au second plan.

PS J’ai hésité sur la manière de nommer ces deux courants :
- j’ai appelé le premier populiste xénophobe “raisonnable” (une formule empruntée à Robert Brasillach qui parlait “d’antisémitisme raisonnable”) ou néo-xénophobe
- j’ai appelé l’autre conservateur, mais c’est négliger sa dimension libérale sur le plan des moeurs (dimension apportée en Grande-Bretagne par les libéraux démocrates). Il serait tentant de les appeler lib-dem pour rappeler leur origine britannique.

vendredi, octobre 01, 2010

De quoi parlait-on il y a un an?

Si l'on veut mesurer combien l'atmosphère politique a changé en quelques mois, il suffit de se reporter à ce dont nous parlions il y a un an. On l'a oublié, mais on s'interrogeait sur le PIB, sur la mesure de la qualité de la vie, sur le rapport Stiglitz-Fitoussi-Sen.

La commission a toujours son site internet sur lequel on peut lire rapport et documents de travail, on trouve toujours les commentaires mi figue-mi raisin de Dominique Méda sur ce document, mais on a l'impression de fouiller des archives et que tout ce travail est resté lettre morte. Là où l'on aurait pu attendre que ces travaux enclenchent une réflexion politique sur le bien-être, le niveau de vie, la richesse et la pauvreté… rien : Nicolas Sarkozy qui avait initié cette démarche dans un discours de 2008 a préféré lancer un débat sur l'identité nationale avec les conséquences que l'on sait. Il serait intéressant de savoir à qui on doit ce changement d'orientation. A une évolution dans les rapports de force au sein de la petite équipe qui entoure le Président? à la montée en puissance dans son entourage de conseillers proches de l'extrême-droite (Buisson, Tandonnet) aux dépens des seguinistes (Guaino)?

Nicolas Sarkozy va-t-il longtemps tenir sa majorité?

Nicolas Sarkozy va-t-il pouvoir tenir longtemps sa majorité? Les derniers sondages qui indiquent une nouvelle chute de sa popularité (26%) devraient ajouter au malaise d’un nombre croissant d’élus que le virage à droite ne satisfait pas.


Certains comme Etienne Pinte ont d’ores et déjà indiqué qu’ils ne voteraient pas le texte d’Eric Besson sur l’immigration, d’autres ont affiché leurs réserves et réticences. Beaucoup commencent à s’interroger : n’ont-ils pas intérêt, s’ils veulent être réélus à marquer leur différence?

Les députés de droite ont, en France, une longue tradition de docilité. Ne parlait-on pas autrefois de godillots? Du temps de De Gaulle, cette docilité reposait sur un mélange de révérence pour une personnalité exceptionnelle et de sens bien compris de son intérêt (De Gaulle garantissait des victoires électorales et mettait du fait de son histoire et de sa stature à l’abri de toute critique ceux qui ne s’étaient pas comportés impeccablement pendant la guerre). Les choses ont été plus compliquées pour Jacques Chirac puisqu’il a du faire face à plusieurs tentatives de le bousculer (Balladur, Pasqua), mais les liens d’amitié et de sympathie qu’il avait tissés avec beaucoup de députés (mais aussi avec l’opinion) l’ont aidé dans les moments les plus délicats.

La situation est pour Nicolas Sarkozy plus délicate :
- on ne sent pas chez les élus de droite la révérence ou l’amitié à son égard qui ont si longtemps protégé De Gaulle et Chirac. Il a des réseaux puissants et riches au sein de la droite mais ils sont, pour l’essentiel, cantonnés à l’Ile de France,
- le quinquennat amène les députés qui souhaitent poursuivre leur carrière à s’interroger sur leurs fidélités. Qui sera demain, ou après-demain le mieux à même de les aider à être élus? Lui ou un autre?
- en neutralisant les ministres sa pratique du pouvoir  a modifié la perception que beaucoup peuvent avoir d’une carrière : que vaut-il mieux? devenir ministre? ou conquérir des places dans son département ou sa région? Après tout les socialistes s’accommodent parfaitement de défaires nationales qui ne leur interdisent pas d’exercer le pouvoir localement,
- l’idéologie pourrait être un ciment. Ce n’est pas le cas. La dérive droitière de ces derniers mois, la préférence pour le bouclier fiscal et les plus riches ont fait réapparaître des clivages au sein de la droite qui s’étaient plutôt réduits,
- malgré son activisme, sa gestion des hommes, son refus de se séparer de ministres qui ont failli (Woerth) ou ont ouvertement contesté ses décisions (Rama Yade…) ont pu donner à certains le sentiment que l’on pouvait prendre son autonomie sans grands risques.

Si l’on ajoute à celà qu’il a laissé Jean-François Coppé saper systématiquement l’autorité de Xavier Bertrand qu’il a mis à la tête de l’UMP, on voit qu’il n’est pas à l’abri de surprises venues du sein même de sa majorité. Cela ne se fera sans doute pas d'un coup, mais cela devrait aider à la multiplication de fissures… qui seront autant d'incitations à le contester un peu plus surtout si les sondages confirment que son virage à droite aura été une erreur politique majeure.

La seule chose qui le protège est l'absence (pour l'instant) d'adversaire de taille à le contester dans son propre camp. Juppé et Villepin évoquent à droite trop de mauvais souvenirs. Une personnalité centriste? ils sont trop nombreux pour ne pas se faire mutuellement du tort. Fillon peut-être, s'il s'en sépare? Mais s'en séparera-t-il?