Depuis quelques semaines, le gouvernement a ajouté un nouvel argument à sa défense de sa réforme des retraites : le risque de voir, en cas de recul, les agences de notation dégrader la note de la France. Si tel était le cas, nous explique-t-on, nous aurions plus de mal à emprunter pour financer notre déficit ou, plutôt, nous devrions emprunter à un taux plus élevé, ce qui rendrait un peu plus difficile le financement de nos dépenses, le remboursement de nos dettes et aggraverait notre situation.
Il y a quelques mois les mêmes agences étaient accusées de tous les mots, on leur reprochait d’entretenir la spéculation, de pousser la Gréce à la banqueroute. Tout cela est oublié. Elles ont repris le rôle du grand méchant loup qui impose à des politiques qui nous raseraient gratis s’ils le pouvaient de jouer le rôle du père-sévère (et le jeu de mot lacanien va là très bien : c’est pour satisfaire ces agences qu’ils persévèrent dans des réformes dont personne ne veut sous cette forme). C’était hier l’Europe qui tenait ce rôle. Elle s’est évanouie. Et aujourd’hui l’opinion des quelques analystes qui suivent la France (combien? que savent-ils de notre économie? on l’ignore!) dans trois sociétés privées américaines (Standard & Poours, Moody’s qui détiennent chacune 40% du marché de la notation et Fitch Ratings) serait donc plus importante que celle des Français qui refusent à plus de 70% cette réforme? Sans doute faut-il tenir compte de leur avis. Mais de là à construire une politique pour les satisfaire, il y a un drôle de pas.
Sans doute peut-on comprendre qu’un gouvernement qui refuse toute négociation s’abrite derrière la contrainte extérieure pour faire passer des textes contestés. Mais on peut s’interroger sur la légitimité de la démarche. Au moins avec l’Europe pouvait-on se consoler en se disant que nous avions eu notre mot à dire dans les mesures qui nous étaient imposées. Ce n’est même plus le cas. Nos gouvernants n’ont aucun moyen de contrôler les procédures utilisées par ces trois agences qui ont été sélectionnées par le gouvernement américain (la SEC) pour faire partie des NSRO (Nationally Recognized Statistical Rating Organizations). Je ne suis même pas sûr qu’ils connaisse ces procédures ni qu’ils s’en préoccupent. Ces agences ont de l’influence sur les marchés, il faut donc leur faire plaisir. Si l’on voulait illustrer le gouvernement sous le contrôle des marchés, on ne pourrait mieux faire.
On pourrait à ce seul titre critiquer cette manière de se mettre à l’abri et de justifier des décisions prises par des gens qui ont été élus démocratiquement pour faire leur politique et non pas celle des marchés. Mais on peut également se demander si ces agences ont l’importance qu’on leur prête.
Comme l’expliquait dans un courrier au New-York Times en mai dernier Catherine Matis, la senior VP for marketing and communications de Standard & Poors, “From our standpoint, credit ratings are a starting point — not the ending point — of sound investment research. The market benefits from competing views on credit risk, whether from ratings firms or others.” Les investisseurs utilisent bien d’autres indicateurs. Comme l’ont appris à leur dépens les Irlandais, un article du Wall Street Journal peut faire infiniment plus mal qu'une mauvaise note.
Les notes de ces agences ne font ni l’automne ni le printemps. L’Espagne a vu sa note dégradée en septembre dernier, on ne voit pas que le ciel lui soit tombé sur la tête depuis, bien au contraire puisque, comme l’expliquait la BBC au lendemain de cette révision à la baisse de sa note, “Spain's cost of borrowing on 10-year bonds actually fell slightly to 4.1%, reflecting relief among investors that the downgrade was not more severe.” Dit autrement : bien loin d’inquiéter les investisseurs, cette nouvelle note les a rassurés. Et pour un excellent motif : ils ne se contentent pas des seuls avis des agences de notation et tiennent compte de bien d’autres éléments dans leurs jugements. Ce qu’ils savaient de l’Espagne les inquiétait, la pas trop mauvaise note des agences les a rassurés.
A trop affirmer que l’on risque la dégradation de la note des agences à ne pas appliquer leurs réformes, nos gouvernants risquent tout simplement d’affoler les marchés. Et l’on peut craindre qu’ils ne créent eux-mêmes cette défiance qu’ils redoutent. Ils feraient mieux de convaincre les investisseurs qu’avec ou sans réforme, ils n’ont rien à craindre tant notre économie est susceptible de rebondir au premier frisson de la conjoncture. Mais il est vrai que ce serait se retirer un argument massue pour faire passer une réforme dont (presque) personne ne veut.
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