vendredi, octobre 29, 2010

Retraites : une défaite en rase campagne

Le Parlement a voté, les manifestations s’épuisent. Le gouvernement a gagné et les syndicats ont perdu une bataille… Plus sans doute qu’une bataille puisqu’ils ont donné le sentiment d’avoir été complètement  roulés dans la farine.

Jamais on n’avait vu une telle unité syndicale portée par une opinion aussi massivement favorable à la remise en cause du projet gouvernemental. Les manifestations se sont multipliées, avec beaucoup de monde dans la rue, même si on pu contester les chiffres, et cependant celui-ci a été voté pratiquement inchangé, il va être promulgué. Le gouvernement a gagné la partie contre la rue, contre l’opinion, contre les syndicats… Alors même que toutes les conditions étaient réunies pour le faire reculer, il a tenu, dans des conditions les plus difficiles, avec un ministre complètement déconsidéré, une opinion hostile au Président de la République au plus bas dans les sondages (on peut d’ailleurs penser qu’il y avait dans le soutien aux manifestations plus que d

Cette défaite en rase campagne va laisser des traces. Nicolas Sarkozy a gagné parce qu'il a bien joué, parce qu'il a fait preuve d'habileté (en laissant croire que le texte pourrait être amendé au Sénat) et d’obstination mais aussi parce que le mouvement social s’est révélé très faible, très fragile comme l’ont suggéré les contestations sur les chiffres des manifestants.

Les écarts entre les chiffres de la police et ceux des organisations syndicales ont été une fois de plus considérables… mais il semble que les bons chiffres étaient ceux de la police, qu’ils étaient même peut-être supérieurs à la réalité. C’est ce qui ressort du moins de plusieurs comptages indépendants, notamment de ceux réalisés par Mediapart, journal en ligne, qu’on ne peut pas soupçonner de partialité. Dit autrement, les syndicats ont eu, malgré leurs succès apparents, beaucoup de mal à mobiliser en dehors de leurs secteurs traditionnels. Les salariés du privé, les premiers menacés, ne se sont pas mis en grève. Ils ne sont pas descendus dans la rue et n’ont pas suivi les consignes syndicales.

Cela se voyait d’ailleurs dans les manifestations. J'ai raconté ici même combien j’avais été frappé par le coté un peu mélancolique du défilé, comme si la messe était déjà dite

Rien n'a mieux révélé cette fragilité que les appels à la jeunesse. Les dirigeants syndicaux mieux informés sans doute que beaucoup de la réalité du rapport de force attendaient des étudiants qu’ils fassent reculer le gouvernement. Ségolène Royal l’a pratiquement dit lorsqu’elle les appelés à descendre dans la rue. Dominique de Villepin l’a avoué lorsqu’il a raconté que des dirigeants syndicaux syndicaux lui avaient dit, au moment du CPE, “nous allons manifester mais nous ne pourrons pas vous empêcher de faire passer votre texte, à moins que les jeune ne descendent dans la rue, et là nous ne répondons de rien.

Les commentateurs ont trop souvent confondu le pouvoir de la rue et les émeutes. Ce sont deux choses différentes. Les émeutes peuvent faire reculer le gouvernement, pas le pouvoir de la rue. Et comme il n’y a pas eu cette fois-ci d’émeutes, celles-ci n’ont pas, cette fois-ci, masqué la faiblesse de la rue, du mouvement social.

Cela aura des conséquences pour le mouvement social. Difficile de dire lesquelles, mais on peut imaginer plusieurs scénarios.

On peut, d'abord, imaginer un scénario à la britannique où la rue tétanisée, silencieuse, laisse le gouvernement prend les mesures qu’il souhaite. L’opinion se tait, se renferme sur son espace privé, traduit sa frustration d’autres manières. Le binge drinking, cette consommation effrénée d’alcool que l’on rencontre un peu partout en Grande-Bretagne me parait être une expression de cette frustration.

On peut également imaginer que les organisations syndicales revoient leurs stratégies, que battues dans la rue, elles réinvestissent les ateliers, les bureaux, qu’elles se mettent à négocier dans les entreprises des accords qui compensent les pertes de pensions liées à cette réforme. Ce n’est pas le chemin qu’elles ont pris, parce que c’est compliqué, cela demande du temps, du travail, des ressources militantes qu’elles n’ont pas forcément. Mais si elles ne le font pas, si elles ne se reconstruisent pas là où sont les salariés, elles risquent de devenir rapidement inaudibles. On leur renverra en permanence leur faiblesse… les militants se décourageront, les sympathisants s’éloigneront. On ne peut exclure que les syndicats ne perdent dans les mois qui viennent militants et adhérents.

On peut également envisager un durcissement, ce qui ne serait pas incompatible avec les scénarios précédents. La radicalisation est souvent un symptôme de faiblesse. C’est parce que les syndicats sont faibles qu’ils durcissent leur discours et se lancent dans des actions extrêmes. On pourrait assister dans les mois qui viennent à la contestation des directions syndicales aussi bien à la CGT qu’à la CFDT, une contestation qui pourrait aller avec la multiplication d’actions radicales dont on a eu une première illustration avec les fermetures de raffineries. C’est une hypothèse que l’on doit d’autant moins exclure que la situation se tend dans de nombreuses entreprises. Ces mêmes salariés qui ne se sont pas mis en grève pour lutter contre les retraites peuvent, face à des situations de fermetures d’usines, de licenciements collectifs, se lancer dans des actions dures. C’est, le sens des remarques de Bernard Thibault qui déclarait à Libération: “de nombreux employeurs ont du souci à se faire dans la période qui vient. Ils vont être confrontés aux salariés qui continueront de ne pas accepter - et nous serons avec eux - de voir leur durée du travail rallongée alors qu’ils sont usés physiquement. Cette réforme provoquera une multitude de conflits.” On pourrait donc se retrouver avec une multiplication de conflits durs avec des organisations syndicales affaiblies, incapables de les contrôler, de leur trouver une issue.

Cette séquence se traduit par un échec tellement grave des organisations syndicales qu’elles vont devoir réagir. Si elles ne le font pas, c’est leur légitimité même qui va être mise en cause, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.

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