Offensive inédite pour défendre la justice et son verdict dans l’affaire Kerviel. Avocats, journalistes judiciaires et économistes viennent sur les ondes (Bernard Maris et Dominique Seux ce matin sur France Inter, hier d’autres sur C dans l’air, Pascale Robert Diard dans son blog) expliquer le jugement, le justifier mais aussi avouer, lorsqu’ils sont un peu versés dans la finance, leur perplexité : comment un trader de petit niveau pas spécialement intelligent a-t-il pu mettre en jeu des sommes aussi considérables (50 milliards d’euros) sans que personne ne s’en rende compte? Ils prennent d’autant plus facilement la défense de la justice que la banque a annoncé qu’elle ne réclamerait pas dans l’immédiat les dommages et intérêts et qu’elle était prête à transiger.
"Sur le calcul du montant, explique par exemple Pascale Robert Diard qui publie par ailleurs le jugement intégral, le tribunal a appliqué une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, pour les dommages et intérêts, distingue les délits intentionnels des délits non intentionnels. En cas de délit intentionnel, il ne peut y avoir de partage de responsabilité entre l’auteur et la victime de ce délit. L’obligation de réparation est intégrale et le tribunal ne dispose pas de marge d’appréciation sur le montant."
Le jugement intégral du procès Kerviel
Dont acte. Nous avons eu tort de réagir aussi vite. Et il est bien que ceux qui connaissent mieux le droit et les règles de la justice montent au créneau. On aimerait qu’ils le fassent plus souvent et qu’autant d’énergie soit dépensée à défendre la justice lorsqu’elle est attaquée par nos ministres pour avoir libéré un prévenu faute de preuves suffisantes. Mais c’est une autre affaire.
Reste une question qui revient sans cesse dans les commentaires de tous ceux qui connaissent de l’intérieur le fonctionnement des salles de marché. Comment cela a-t-il pu arriver? qu’il y ait eu une faute personnelle de Kerviel, qu’il ait produit des faux et contourné le système, tout le monde le reconnaît et il devait pour cela être sanctionné. Et sa peine de prison, toute sévère qu’elle soit, est sans doute méritée. Mais on aurait aimé que les juges aillent un peu au delà. Le tribunal n’a voulu voir que les délits commis par Kerviel. S’il s’était interrogé sur ce qui les a rendus possibles, il aurait pu évoquer l’inefficacité des contrôles et ces méthodes de management qui font de la performance financière le seul objectif. Parce qu’enfin, voilà un escroc qui ne s’est pas enrichi, n’a pas détourné d’argent qui a simplement tordu, dévié les règles de l’entreprise qui l’employait. Il y a un passage dans le jugement qui éclaire cette ambiguïté : “il a su, dit le juge, tout à la fois développer des stratégies innovantes et appréciées de ses supérieurs et recourir de façon occulte à des pratiques dont il a estimé - contre toute vraisemblance - que l’efficacité l’autorisaient à s’affranchir des règles de fonctionnement de la salle des marchés et à outrepasser le cadre de son mandat en se livrant à une activité purement spéculative pour le compte de la banque, mais à l’insu de cette dernière et dans des proportions gigantesques.” Dit autrement, c’était un bon soldat capable de développer des stratégies innovantes appréciées de ses supérieurs qui a voulu en faire un peu trop.
Les observateurs ont souvent dit qu’ils ne comprenaient pas le jeune trader, qu’il y avait un mystère Kerviel. S’il n’a pas fait cela pour l’argent, pourquoi l’a-t-il fait? On lui a reproché son cynisme. C’est plutôt sa naïveté qu’il faudrait invoquer. Il a pris tellement à coeur ce qu’on lui demandait, il a tant cru aux valeurs du management qu’il a dérapé. Il y a là une forme de comportement que l’on rencontre souvent dans les entreprises : le salarié trop motivé qui franchit la ligne jaune pour atteindre des objectifs dont on lui a dit et répété qu’ils passaient avant toute autre chose. Coupable? Sans doute, mais préparé à celà par les valeurs que le management diffuse.
Cette affaire me fait penser à ce sondage de l’Aspen Institute auprès de 1943 étudiants dans des écoles de commerce que je cite dans le livre que je viens de consacrer au management revu au travers des thèses d’Aristote (Aristote, leçons pour (re)donner du sens à l’entreprise et au travail) : 60% assurent que la première mission de l’entreprise est d’améliorer la valeur pour l’actionnaire et à peine 35% à penser que l’une des missions de l’entreprise est de respecter les lois. Si mystère Kerviel il y a, il est sans doute là.
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