vendredi, juillet 08, 2005

Les marchés, les économistes et le terrorisme

Les économistes sont des gens merveilleux. Quelques dizaines de minutes seulement après que ma fille qui vit à Londres m’ait annoncé les attentats, je recevais un mail d’une organisation, le (Roubini Global Economics services) me proposant des articles sur l’impact du terrorisme sur l’économie. On y trouve plusieurs papier dont il faut retenir que les marchés ont appris à tenir le choc et que la bourse ne devrait pas trop souffrir des bombes dans le métro londonien, ce qui est, somme toute, plutôt une bonne nouvelle pour beaucoup de gens même si cela laisse rêveur. On nous a toujours expliqué que les investisseurs se méfiaient comme de la peste de l’incertitude or quoi de plus imprévisible que des attentats ? Peut-être l’envisagent-ils tout simplement comme une catastrophe naturelle, typhon, tsunami ou tremblement de terre que l’on ne craint pas parce qu’on ne peut pas les prévoir. Peut-être faudrait-il ressortir la distinction de Knight entre le risque et l’incertitude ou celle de Keynes entre le risque que l’on peut calculer et celui qui échappe à tout calcul (que Daavidson appelle non-ergodique) : les financiers ne s’inquiétant, comme chacun de nous, que des risques que l’on peut anticiper et négligeant ceux que l’on ne peut calculer, ils continueraient de vaquer à leurs petites affaires au milieu des attentats suicides et des massacres dans les transports en commun…

Vers la « fin » de la retraite pour tous?

Dans une précédente note, je parlais du modèle japonais de la retraite (on continue de travailler après sa retraite, tout en touchant sa pension mais pour un salaire plus faible). S’il était à l’origine japonais, il se développe un peu partout dans le monde anglo-saxon, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Etats-Unis où l’on trouve des auteurs pour expliquer que la retraite est une catastrophe et que l’on est beaucoup plus heureux lorsque l’on continue de travailler (Jerry Sedlar, Rick Miners, Don’t Retire, rewire, publié en 2003 ou Too young to retire : 101 ways to start the rest of your life de Marika et Howaard Stone également publié en 2003).
Et il est vrai que l’on voit aux Etats-Unis beaucoup de personnes âgées travailler dans la grande distribution ou la restauration. Certaines entreprises se sont fait même une spécialité du recrutement de ces travailleurs âgés qui auraient, paraît-il, l’avantage d’être plus sérieux et compétents. J’imagine qu’il faut plutôt entendre : moins cher. Moins cher parce qu’ils ne travaillent que pour compléter une pension qui n’est pas suffisamment importante. Le mouvement paraît appelé à se développer. Le Bureau of Labor Statistics américain prévoit qu’en 2012 65% des personnes âgés de 55 à 65 ans travailleront contre 61% en 2004. Plus significatif, il prévoit qu’à cette date 16% des gens de plus de 65 ans travailleront contre 14% en 2004.
Pour autant que l’on puisse en juger d’après les quelques indications que j’ai pu glaner ici ou là, les emplois de ces retraités présentent deux caractéristiques :
- ils sont mal rémunérés, moins bien en tout cas que les emplois qu’ils occupaient précédemment,
- ils ne se situent pas dans les domaines de compétences que les retraités ont exploré dans leur vie professionnelle.
Ce qui confirme bien qu’il s’agit, pour l’essentiel, d’emplois pris pour compenser des pensions trop faible et n’a donc rien à voir avec la lutte contre les discriminations contre les travailleurs les plus âgés ni même à un allongement de la durée de la vie professionnelle et l’abandon de la retraite à 60 ans. Aucun homme politique n’a en France, à ma connaissance, proposé de faire travailler les plus âgés, mais c’est une idée que pourrait développer Nicolas Sarkozy dont on imagine bien l’argumentaire :
- on est en pleine forme à 57 ans, bien trop jeune pour s’arrêter (« regardez Chirac, pourrait-il ajouter, il est bien Président à 72 ans », mais son animosité à l’égard du Président pourrait nous éviter cet argument) ;
- le monde du travail a beaucoup changé : les retraites « précoces » se justifiaient lorsque les travailleurs avaient des tâches manuelles, elles ne se justifient plus dans des économies dominées par des activités de service ;
- il y a plein d’activités bénévoles qui ont besoin des compétences acquises dans le monde professionnel ;
- il faudrait être bien bête pour cracher sur un supplément, même minime, de rémunération, surtout si l’on y attache une pointe de déduction fiscale (ce n’est pas le cas dans la plupart des pays qui ont organisé le travail des retraités, mais on pourrait l’envisager en France où l’on aime bien compliquer les règles fiscales ;
- enfin, les autres le font et nous ne sommes pas plus intelligents qu’eux. Du reste, cette interdiction de travailler après la retraite n’est qu’une nouvelle forme de notre exception sociale qui nous fait tant de tort.
Politique fiction ? Je n’en suis pas si sûr…J’en suis d’autant moins sûr que la question des retraites est loin d’être réglée alors même que l’on ne mesure pas encore tous les effets sur les pensions versées des dispositions prises par Balladur il y a quelques années et plus récemment par Fillon.

jeudi, juillet 07, 2005

Une phrase de Christian Dotremont

Passant à la Hune ce matin, je m'achète un livre de Christian Dotremont, le poète belge qui a été le théoricien du mouvement Cobra. J'ai déjà chez moi ses poèmes. Ce qui m'incite à acheter ce roman ce n'est pas tant ce que je sais de l'auteur qu'une phrase lue alors que je feuilletais ce livre : "Avant de jouer du Wagner, je dois m'allumer comme un poste de radio." Je ne suis pas sûr de savoir ce que cela veut dire, mais un livre où l'on trouve ce genre de phrases ne peut pas être mauvais.

Je ne sais pas s'il existe des études sur ce qui incite à acheter les livres. Pour ma part, je me fie au désir de lire la suite qui me saisit dans les librairies, désir qui m'amène très soouvent à acheter les romains que publient les éditions de Minuit (Gailly, Echenoz…). Je les lis mais je les oublie souvent presque aussitôt, ce qui ne m'empêche pas de recommencer l'expérience.

JO : et si l’on reparlait du dopage ?

Plusieurs membres de Paris 2012 se sont demandés dans les minutes qui ont suivi l’annonce de la sélection de Londres si le CIO n’avait pas voulu sanctionner Paris. Ils ne sont pas allés beaucoup plus loin dans l’analyse, mais on peut le faire à leur place et avancer une hypothèse : en rejetant la candidature de Paris, le CIO a voulu sanctionner la seule capitale qui ait, il y a quelques années, tenté de lutter sérieusement contre le dopage, la seule qui se soit attachée à protéger les sportifs contre eux-mêmes, contre leurs entraîneurs et leurs sponsors.
Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, et je suis peut-être victime d’un effet de perspective, mais j’ai bien l’impression que si on parle aujourd’hui de lutte contre le dopage, si des athlètes sont interdits de compétition pour ce motif, c’est à l’action de Marie-Georges Buffet que nous le devons. En s’en prenant à ces pratiques, elle a attaqué les institutions sportives (le CIO, les fédérations sportives, la presse spécialisée…) au cœur : depuis que l’on parle de dopage, depuis que l’on tente de lutter contre, on ne peut plus tout à fait croire leur discours. Depuis les mesures prises par Marie-Georges Buffet et les arrestations de cyclistes et de soigneurs, on sait que les sportifs sont aussi (sont d’abord ?) des tricheurs, que leurs mentors (entraîneurs, fédérations, journalistes…) acceptent de risquer la santé des athlètes contre des médailles rémunératrices. Vu du coté du CIO, cela mérite sans doute une condamnation à vie…
L’insistance de Delanoë et de son équipe sur leur volonté de respecter les règles, de se faire modeste avait quelque chose de pathétique, je dirai presque de puéril, de naïf, dans un monde dont chacun sait bien qu’il ne respecte aucune règle et surtout pas celles qu’il se donne. Il y a dans la défaite de Delanoë quelque chose qui rappelle celle de Jospin : dans un monde de canailles, on peut parler d’honnêteté à longueur de discours, mais mieux vaut ne pas trop y croire.

lundi, juillet 04, 2005

Le retour d'une consommation aristocratique?

Nous sommes entrés dans la période des vacances, beaucoup de gens vont prendre l’avion, vont faire des queues interminables dans les aéroports et vont peut-être être sensibles à un phénomène que j’ai observé ces derniers jours à l’occasion, justement, d’un voyage : le développement d’une offre de services qui, sous couvert d’offrir des services aux V.I.P. s’apparente à la vente de privilèges.
La notion de VIP n’est pas nouvelle. Il y a depuis longtemps dans les aéroports des salles d’attente réservées à ces personnes importantes, mais la nouveauté est, je crois, que cette notion est aujourd’hui en passe d’entrer dans les moeurs du marketing des services, elle est déjà entrée dans les pratiques courantes des grandes entreprises de service américaines.
Les services en contact avec le public, transports, distribution, sont confrontés à une difficulté majeure : les effets de volume. Tout le monde veut partir en voyage en même temps, tout le monde veut faire ses courses aux mêmes heures, d’où des embouteillages et des encombrements. Pour y échapper, les entreprises spécialisées ont développé ces dernières années des techniques de tarification flexible dont l’exemple le plus connu en France est, sans doute, celui de la SNCF. Le même voyage coûte du simple au double selon le jour, l’heure, l’âge… Si vous avez moins de 25 ans, si vous avez une carte 12-25 et si vous voyagez en semaine au mois d’octobre, cela vous coûtera beaucoup moins cher que si vous voyagez une veille de week-end chargé et que vous n’avez droit à aucune réduction.
C’est agaçant, compliqué et un peu injuste, mais cela incite ceux qui peuvent partir aux heures creuses à le faire, cela évite les queues trop longues et les trains surchargés et cela permet à la SNCF d’optimiser ses ressources,… Les prix varient, mais les services offerts sont identiques sur tous les trains ; ils vont à la même vitesse et les agents se comportent de la même manière avec tous les voyageurs. Or, ce qui se passe avec les VIP est tout différent. Les voyageurs ont bien le même produit, ils empruntent le même avion, mais on leur évite de faire la queue, on s’occupe d’eux de manière plus attentive, plus attentionnée. Pour ne prendre que cet exemple sur les quatre guichets affectés à un vol, deux sont réservés aux 150 ou 200 voyageurs en classe touriste et les deux autres pour les 25 ou 30 voyageurs en première classe ou à ce qui en tient lieu (executive, business…). Alors que les uns font la queue plusieurs dizaines de minutes, les autres ne la font pas. Ils ont acheté avec leur billet ce privilège et quelques autres dont celui d’être pris complètement en charge par le personnel. L’objectif des compagnies aériennes est, comme dans le cas de la SNCF, de maximiser les revenus du transporteur, mais la manière de s’y prendre est radicalement différente.
Il y a quelque chose d’aristocratique dans ce mode de consommation qu’on ne trouve pas dans la méthode de la SNCF. Les clients qui voyagent en executive class achètent le fait de ne pas être traité comme les autres, d’être reconnus comme une personne qui sort de l’ordinaire et non plus seulement comme un client. Ils achètent une distinction, un statut, une qualité de relation humaine. Les employés qui les traitent les font passer devant les autres, leur donnent des marques d’intérêt, d’importance un peu comparables à celles que donne le restaurateur qui salue ses clients de leur nom et soulignent ainsi aux yeux de tous que ce sont des habitués.
Ce mode de consommation s’oppose à un autre mode de consommation qui s’est développé dans les sociétés d’abondance et que l’on appelle aux Etats-Unis où il est le plus développé le “binge”. On y parle de binge eating, de binge drinking. Il s’agit de consommation excessive. Le binge eating consiste à manger sans fin et sans faim. Le binge drinking à boire plusieurs, en général au moins quatre ou cinq verres d’alcool à la suite. Il s’agit de consommation sans frein, assez voisine de l’orgie de l’antiquité romaine : on s’empiffre, on s’enivre, on devient boulimique, obèse jusqu’à en tomber malade (que de chaises roulantes, de béquilles, de corps blessés, usés, abîmés par les excès dans les rues américaines!).
Si être aristocrate dans cette société, c’est être reconnu pour ce que l’on est, c’est être une personne, être pauvre dans une société d’abondance ce n’est pas manquer de biens matériels (on en a à n’en savoir que faire! on mange jusqu’à plus faim), c’est manquer de reconnaissance sociale, c’est n’être personne, qu’un consommateur parmi tant d’autres.