vendredi, mars 18, 2005

Le recul de l'espérance de vie aux Etats-Unis

Il y a quelques années, un jeune sociologue (son nom m'échappe (je l'ai retrouvé : Todd), mais c'est le fils d'un écrivain et journaliste qui a beaucoup écrit pour le Nouvel Observateur) avait annoncé la chute de l'Empire soviétique en s'appuyant sur les seules données démographiques. Un pays dont la mortalité infantile augmente est un pays qui fonctionne très mal et qui est donc appelé à imploser, expliquait-il en substance. Faut-il conclure la même chose des études qui annoncent un recul de l'espérance de vie aux Etats-Unis?
En tout cas, c'est inquiétant si l'on ne juge par cet article de Jessica Ebert publié dans Nature : Americans face drop in life expectancy

For the first time in recent history, researchers are predicting that the life expectancy of Americans may begin a sustained decline.

The forecast is based on the sharp rise in obesity in today's youth. By the middle of this century, the increased risk of diabetes, heart disease and cancer that they will face could lessen the average life expectancy by two to five years, some say.

In general, longevity predictions are determined by studying historical trends in death rates. Various agencies, such as the US Social Security Administration (SSA), have used this method to predict that the life expectancy of Americans will continue to rise over the next century.

But Jay Olshansky, a biodemographer at the University of Illinois at Chicago, argues that they ignore the effect of obesity on future generations.

Future imperfect

Instead of making predictions by studying what has happened in the past, Olshansky and a team of statisticians and demographers, "looked into the future by looking at today's younger generations," he explains.

Olshansky's team compared the death rates of obese people with those of healthy weight. Extrapolating to the whole population, they found that, at the moment, obesity reduces average life expectancy by about four to nine months.

And because the prevalence of obesity among children and teenagers has risen sharply over the past 30 years, the researchers predict that the shortening effect could become as much as two to five years by mid-century.

"When I first looked at the calculation it seemed relatively small," says Olshansky, "but in reality it's not small at all." It's equivalent to the negative effect of cancer on population longevity, which is 3.5 years, he points out.

Striking a balance

Steve Goss, chief actuary with the SSA, agrees that obesity should be a significant factor in life expectancy projections. But he points out that forecasts by agencies such as his try to balance negative factors with positives, such as medical breakthroughs.

"We will have continued improvements in mortality as long as we have a strong economy and medical innovation," says Goss.

Rather than factor in the promise of new technologies that do not yet exist, Olshansky says he prefers to base his predictions on "something we can observe and measure today".

The team's conclusions may seem pessimistic, says Olshansky, but they show that the health of young people in the United States is in jeopardy. "If nothing changes for the better," he says, "today's younger generations will live shorter and less healthy lives than their parents."

Olshansky's team is now working on a detailed description of how the trend can be reversed. "We'd like nothing more than to be proven wrong," says Olshanky's colleague David Allison, a biostatistician at the University of Alabama at Birmingham. "I hope we continue to figure out what causes obesity, and how to prevent it and more successfully treat it."

Le chômage fourrier du libéralisme?

Dans un message récent, je parlais du Couperet, le film de Costa Gravas actuellement sur les écrans parisiens. J'ai, depuis lu le livre dont il s'inspire de très près au point que l'on retrouve dans son film des bouts entiers de dialogues du livre (il s'agit d'un roman de Donald Westlake publié sous le même titre aux éditions Rivages/noir)
Il y a dans ce livre un passage (repris, je crois, dans le film) qui éclaire la montée parallèle des thèses libérales et du chômage dans nos sociétés contemporaines. Le personnage s'en prend vivement au conseiller conjugal qu'il va voir avec sa femme. Il explique combien l'annonce des licenciements a changé le comportement au travail : "les centaines que nous étions là-bas, qui avions été les meilleurs amis du monde, comptant les uns sur les autres, sans même y penser, nous avions toujours su que nous pouvions nous faire confiance sur toute la ligne. Mais c'était le bout de la ligne, et nous étions ennemis maintenant, parce que nous étions concurrents maintenant, et nous le savions tous. Ca, c'est la chose que nous ne disions pas entre nous, et que les conseillers ne disaient pas, et que personne ne disait. Que la tribu était foutue, que ce n'était plus une tribu. Il ne serait plus question de se serrer les coudes."
Dans un précédent message sur le film de Costa-Gravas, je faisais allusion à Hobbes. C'est exactement cela : le chômage de longue durée renvoie ceux qui en sont victimes à l'état de nature de Hobbes, il réintroduit la concurrence dans le champ social alors même que l'entreprise avait tendance à la mettre de coté. Pas étonnant, dans ces conditions, que ceux qui militent pour l'extension du marché trouvent des oreilles attentives auprès des plus démunis : c'est dans ce monde qu'ils vivent et que d'autres partagent leur galère n'est pas fait pour les choquer.

jeudi, mars 17, 2005

Images pornographiques au musée

Si l’on veut voir des images pornographiques, c’est au musée qu’il faut aller. Au musée d’Orsay où l’on peut voir une très intéressant exposition sur les photos d’atelier qui nous donne l’occasion de voir une série d’images de femmes attachées de Jean-François Jeandel que l’on voit d’habitude plutôt dans des revues spécialisées ou au Jeu de Paume qui expose actuellement les œuvres de Jean-Luc Moulène dont une salle pleine d’images directement inspirées de la pornographie.
Ces images ne sont pas tout à fait de même nature. Celles de Jeandel, des petits formats, sont destinées à une consommation privée, elles relèvent de l’art pour amateur éclairé et s’inscrivent dans toute une tradition d’œuvres destinées à être diffusées sous le manteau auprès d’un public averti dont le plus bel exemple est certainement l’Origine du monde, le chef-d’oeuvre de Courbet qui fut caché par son premier propriétaire, le diplomate turco-égyptien Khalil-Bey, dans sa collection privée puis, plus tard, par un panneau-masque peint par André Masson, mais que l’on peut voir aujourd’hui à Orsay sans le moindre cache.
Les œuvres de Jeandel sortent aujourd’hui de l’anonymat, mais lentement, un peu par la bande. Elles sont montrées dans des expositions consacrées à Sade, à Masoch ou à l’érotisme qui attirent un public d’amateurs et de curieux. Celles de Moulène sont explicitement destinées au musée, on peut même penser que la série montrée au Jeu de Paume a été spécialement conçue et réalisée pour cette exposition. Quoique destinées à être montrées à un large public, pas spécialement éclairé, ces œuvres sont plus violentes, plus choquantes que celles de Jeandel. Du reste, alors que les conservateurs d’Orsay ne prennent aucune précaution, ceux du Jeu de Paume indiquent à plusieurs reprises que les œuvres présentées peuvent heurter la « sensibilité des jeunes spectateurs. »
Plus que d’une évolution de nos sensibilités aux images pornographiques (qui n’est probablement pas tellement différente de ce qu’elle pouvait être dans les années 20) cette réserve me paraît signaler une évolution dans le jeu subtil qu’entretiennent depuis longtemps jugements esthétique et moral. Il y a souvent eu des tensions entre l’un et l’autre, le premier tendant à faciliter, à justifier, à rendre acceptable des violations des règles que le second invite à condamner. Or, dans la situation actuelle, on a l’impression que les rôles ont changé: Le jugement moral ne tente plus de gommer le jugement esthétique, il semble, au contraire, le susciter, voire le réhabiliter. Le jugement moral (on devrait plutôt dire la précaution morale) assigne une valeur esthétique au tableau, il nous dit : cette image, qui devrait être cachée, que l’on cache d’habitude au fond d’une bibliothèque, est montrée, affichée parce qu’elle est de l’art. Le panneau qui nous met en garde et nous demande d’éloigner les enfants (ou, plutôt, de prendre nos responsabilités de parents) nous invite à suspendre notre jugement moral : nous ne sommes pas ici, dit-il en substance, dans un lieu dans lequel la morale ordinaire a cours. Mais en même temps qu’il invite à suspendre ce jugement, il le rappelle : si elles n’étaient pas dans un musée, ces images seraient sans doute jugées pornographiques. Il nous invite à nous poser des questions que les amateurs ne se posent plus beaucoup dans les musées : est-ce de l’art ? en quoi est-ce de l’art ? en quoi ces images de Moulène sont-elles plus de l’art que celles que publient les sites pornographiques. Les réponses que l’on peut y apporter sont, d’ailleurs, assez troublantes. Ces images relèvent de l'art parce qu'elles ne sont pas "soignées", parce qu'elles révèlent ce que les images pornographiques cachent en général : le poids du réel, la présence des corps. La pornographie fabrique des fantasmes, Moulène fabrique du réel. C’est en ce sens que ses images sont plus fortes que celles de Jeandel dont les images léchées n'étaient pas destinées au musée.

samedi, mars 12, 2005

Le Couperet

C'est un film. Un bon film? Je n'en suis pas absolument certain (c'est pourtant bien filmé, bien écrit et bien joué, juste un peu long peut-être). Mais c'est un film passionnant, qui restera dans nos mémoires. Parce qu'il parle du chômage, un sujet que les cinéastes ont délaissé et qu'il le fait de manière intelligente avec des acteurs remarquables (excellentes interprétations de José Garcia et Karin Viard) et un scénario qui réussit à faire passer l'idée centrale (et originale) du film : le chômage, c'est la société de nature de Hobbes, un univers de la concurrence généralisée dans lequel chacun est un loup pour les autres. Un loup qui tue pour retrouver cette atmosphère douce et délicieuse de l'entreprise que José Garcia nous raconte dans un passage aussi bref que vrai. Ces salariés qui se plaignent lorsqu'ils ont un emploi regrettent, dès qu'ils le perdent, cette atmosphère d'équipe et de camaraderie que l'on ne trouve qu'au bureau. Comme quoi le travail, c'est beaucoup plus qu'un salaire.
Le personnage central, ingénieur spécialiste des papiers spéciaux, a décidé d'éliminer ceux qui pourraient lui faire concurrence dans la recherche d'un emploi. Solution de désespoir qui l'aide à tenir et qui nous permet de rencontrer ses victimes, autres chômeurs, qui sont eux aussi au fond d'un trou dont ils n'arrivent pas à sortir. Je disais que c'est un film passionnant, c'est aussi un film lugubre (comme l'est dans un genre différent le Promeneur du champ de Mars). Est-ce la saison qui veut cela? La situation économique? On a l'impression que les cinéastes français sont en pleine déprime et qu'ils nous entraînent avec eux dans leur mélancolie…