mardi, novembre 30, 2010

La candidature de Ségolène Royal est-elle vraiment une mauvaise chose?

On voit bien toutes les bonnes raisons que l'on peut avoir de critiquer la candidature aux primaires socialistes de Ségolène Royal. Un dessin de Willem dans Libération de ce matin l'illustrait à merveille : un ring avec des boxeurs qui se battent à terre. Je ne suis cependant pas certain que cette candidature soit le problème que disent les observateurs. Les socialistes vont se battre? Bien sûr, c'est à cela que servent des primaires.

La multiplication des candidatures devrait forcer les candidats à travailler, à faire des propositions, à les affiner pour répondre aux critiques de leurs adversaires à gauche. On devrait voir se dessiner de grands écarts entre ceux qui, tel Hollande, s'inquiètent de la crise à venir et ceux qui mettent plutôt l'accent sur une réforme constitutionnelle, comme Montebourg, entre Dominique Strauss Khan et ceux qui voudront porter une parole de gauche à la Mélenchon. Ces débats qui resteront par force courtois (mieux vaut éviter d'insulter l'avenir) pourraient aider à construire un programme de gouvernement de qualité. On devrait voir s'étioler les programmes inconsistants qui multiplient les promesses allant dans tous les sens comme le projet sur l'égalité réelle nous en a donné un bel exemple.

Les observateurs pensent que c'est une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Je n'en suis pas si certain. La présence de Ségolène Royal devrait donner plus de poids à un processus qui menaçait de tomber dans des débats entre candidats qui n'avaient aucune chance de l'emporter. Les échanges entre socialistes vont prende de l'épaisseur, ils vont déporter le débat public vers la gauche, les idées développées au sein du PS vont occuper l'espace médiatique, avec un peu de chance elles se complèteront plus qu'elles ne se détruiront. Tous prendront en tout cas plaisir à taper sur l'adversaire principal : le candidat de droite.

Dans ce débat, Ségolène Royal a toute a place. Parce qu'elle a été candidate mais aussi et surtout parce qu'elle travaille. On peut, à juste titre, se moquer d'elle, mais elle a de l'imagination et du talent au même titre que d'autres. A-t-elle une chance de l'emporter? J'en doute. Trop de socialistes pensent que son équation personnelle a contribué à faire perdre la dernière élection personnelle, trop la jugent incontrolable pour la choisir. Mais peut-être le sait-elle…

dimanche, novembre 28, 2010

Littérature gastronomique

Je n'avais pas mais alors pas du tout aimé les précédents livres de Houellebecq (voir ici). Je lis le dernier, La carte et le territoire, qui vient de recevoir le Goncourt. Agaçant, écrit à la façon d'un article de Paris-Match, mais intéressant. On y retrouve ce goût de l'auteur pour les écritures industrielles (catalogues, guides touristiques, manuels de management, mais aussi encyclopédie façon Wikipedia…) avec quelques perles comme ce passage où parler pour ne rien dire atteint des sommets qui m'enchantent : "Il n'y avait pas grand monde ce soir-là dans le restaurant, juste un couple coréen qui partit assez vite. Olga opta pour un gaspacho à l'aragula et un homard mi-cuit avec sa purée d'ignames, Jed pour une poêlée de Saint-Jacques simplement saisies et un soufflé de turbotin au carvi avec sa neige de passe-crassane. Au dessert Anthony vint les rejoindre, ceint de son tablier de cuisine, brandissant une bouteille de bas armagnac Castarède 1905. « Cadeau de la maison... » dit-il, essoufflé avant de remplir leurs verres. Selon le Rothenstein et Bowles, ce millésime envoûtait par son amplitude, sa noblesse et son panache. Le finale de pruneau et de rancio était l'exemple type d'une eau-de-vie rassise, longue en bouche, avec une dernière sensation de vieux cuir."

Comme souvent les restaurateurs qui écrivent leurs cartes, Houellebecq multiplie les mots sans référent ou qui, plutôt, font référence à des composants dont on n'a pas la moindre idée : qui sait que l'aragula (on dit aussi arugula) est de la roquette? que le carvi est un cousin du fenouil et de l'anis et que la passe-crassane est cette poire jaune que l'on trouve décorée d'un pointe de cire rouge. Quant à rancio c'est, semble-t-il, un mot du vocabulaire des oenologues qui évoque un goût doux et moelleux, vaguement madérisé utilisé pour décrire les liqueurs.


Rothenstein et Bowles fait penser à un guide des vins, genre Parker en plus raffiné mais je n'en ai pas trouvé trace (après une recherche sur Google, naturellement, ce livre est de ceux qu'on lit avec internet, c'est en cela qu'il est, malgré tout, moderne). Inventé par Houellebecq dans un de ces jeux où la multitplication des mots que l'on ne connait pas mais qui existent, des références à des personnages (Beidberger, Hirst…) ou des produits qui existent (Armagnac Castarède) l'autorisait à nous faire prendre pour vraies des fantaisies qu'il a imaginées. 


Un peu plus loin dans le même chapitre, il nous apprend que Jean-Pierre Pernaut, dont il fait un cuisinier, a fait son coming out et déclaré à la télévision : "oui, j'aime David". Tout est un peu de cette eau qui n'est pas sans rappeler les jeux de l'oulipo ou, dans un regitre différent, ces peintures en trompe l'oeil qui révèlent, par un détail saugrenu, ce qu'elles sont.


On retrouve ce même jeu avec la vérité dans ses personnages, dont Houellebcq, cet écrivain antipathique (l'auteur, non pas celui qui signe le livre mais celui que décrivent les journalistes) auquel son personnage principal, Martin, va rendre visite (on apprend de la bouche de Beidbeger,autre personnage de fiction traité comme un sujet d'article de journal, qu'il est radin et qu'il acceptera d'écrire la préface de son catalogue s'il est assez bien payé, on découvre qu'il boit qu'il est dépressif, vaguement raciste, enfin déplaisant).

samedi, novembre 27, 2010

La déconstruction du modèle social européen

Tout occupés par les affaires françaises et la personnalité extravagante de Nicolas Sarkozy, nous en oublions presque de voir ce qui se trame autour de nous. Dans les réunions que les grandes banques organisent pour leur personnel dans les ambassades qu'elles louent (tout récemment celle d'Italie pour la BNP-Paribas, ce qui dit mieux que bien d'autre chose où est aujourd'hui le pouvoir) des économistes réputés expliquent que l'Euro est en très mauvaise forme, qu'on ne peut exclure le départ de l'Allemagne ou (version plus soft) celle des pays en grande difficulté. Ce qui affole, comme de juste, les banquiers. On pourrait, on devrait également, s'inquiéter de la manière dont les mesures d'austérité prises un peu partout en Europe, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Grèce, au Portugal, détricotent brutalement notre modèle social.

Pour la plupart de ces pays, tout cela peut être imputé à la crise, pour d'autres, comme la Grande-Bretagne, la lutte contre les déficits liés à la crise ne saurait cacher le projet profondément conservateur du pouvoir en place. Il y a dans toutes ces mesures d'austérité une forte dimension idéologique que souligne le rôle que joue la presse financière dans le déclenchement des bourrasques (voir ici le papier de Jean Quatremer, le correspondant de Libé à Bruxelles)

La France, pour l'instant, résiste. Parce que ses banques sont plus solides que d'autres, parce que la productivité de ses industries est bonne, parce qu'elle n'a pas connu de bulle immobilière même si les prix de l 'immobilier parisien sont devenus fous (les prix dans le reste de la France, dans les villes moyennes, n'ont pas progressé de manière extravagante) parce qu'enfin les organisations syndicales savent lorsque nécessaire montrer leurs muscles (même si l'on peut craindre que leur défaite en rase campagne lors de la réforme des retraites ne réduise ce pouvoir).

La réforme des retraites n'était que roupie de sansonnet à coté de ce que vivent nos voisins. Mais pourra-t-on longtemps conserver ce modèle s'il est démantelé chez nos voisins? Surtout si les marchés financiers commencent à douter de la France et pensent comme Nouriel Roubini que nos finances publiques ne sont pas "en bien meilleur état" que celles de pays surendettés comme la Grèce ou l'Irlande. Ce n'est pas certain. Ce l'est d'autant moins qu'il n'est pas nécessaire d'envisager le pire des scénarios pour voir ce modèle se déliter. Il suffirait que les Français perdent confiance dans la capacité de l'Etat à les protéger (de la maladie, de la vieillesse…) pour qu'ils adoptent des comportements qui aggravent les difficultés des institutions sociales (fuite devant l'impôt…). Rendre confiance en la capacité de l'Etat à assurer ses missions traditionnelles de protection sociale est dans ce contexte important. Le projet sur la prise en charge de la dépendance, s'il est bien mené, peut y contribuer.

jeudi, novembre 25, 2010

NIcolas Sarkozy n'a ni fils (spirituel) ni maréchaux…

Je ne sais pas s'il existe un mot pour désigner un père qui n'a pas de fils mais c'est, d'après Thierry Desjardins, le cas de Nicolas Sakozy : "Tous ses prédécesseurs avaient des amis (plus ou moins sûrs, parfois), des fidèles (souvent inconditionnels), des lieutenants ou des maréchaux qui leur servaient de gardes du corps dans toutes les batailles et qu’ils pouvaient toujours envoyer au feu. Chirac avait ou avait eu Juppé, Balladur, Villepin, Toubon, Pasqua, Debré, Allio-Marie, par exemple. Mitterrand avait eu Mauroy, Fabius, Bérégovoy, Dumas, Jospin, Charasse, etc. Des « pointures », de différentes tailles mais auxquelles ils pouvaient confier des ministères, voire même des missions importantes sans être totalement ridicules et sans avoir besoin d’aller piocher, au hasard, chez les gens d’en face. Quels sont les maréchaux de Sarkozy ? On cherche et on trouve : Hortefeux, Frédéric Lefebvre, Nadine Morano !" C'est bien vu.

La haine à droite…

Alain Duhamel s'interroge, ce matin, dans Libération sur la haine à droite (La haine, maladie génétique de la droite). Il rappelle qu'elle a touché tous les dirigeants de droite de la cinquième République, de De Gaulle à Nicolas Sarkozy en passant par Pompidou, Giscard, Balladur et Chirac. Il l'oppose aux conflits d'ambition qui restent mesurés à gauche et il attribue cette différence aux conceptions du pouvoir : "Le pouvoir représente (à gauche) à la fois un but et un remords perpétuel. A droite, il est vécu comme un apanage naturel, comme l'héritage que l'on s'arrache. A gauche, le pouvoir attire et intimide. A droite, il se consomme goulûment."

Il me semble que 'on peut donner une autre explication.

Les quelques exemples de haine à droite semblent tenir à deux facteurs : à la colère durable que suscite le sentiment d'avoir été trahi (cas de Gaulle et des partisans de l'Algérie française, cas de Chirac et Balladur) et au ressentiment que ressent celui qui se se sent méprisé (cas de Chirac et Sarkozy face à Giscard et Villepin). Quand les deux se mêlent, comme dans le cas de Chirac et Giscard, la haine peut durer des décennies.

S'il y a à gauche moins de haine, c'est que le mépris d'autrui y est plus rare (il y a en tout cas moins de mépris de classe ne serait-ce que pour des raisons idéologiques) et les trahisons (qui ne sont pas moins fréquentes) y prennent une autre forme. L'homme de gauche qui trahit se range à droite et devient un adversaire politique et la concurrence se règle dans les urnes. Celui qui trahit à droite ne change, en général, pas de camp : le conflit ne se règle donc plus à la loyale devant les électeurs mais en sous-mains, derrières les rideaux, à coups de poignards, de dénonciations anonymes et autres vilenies.

mardi, novembre 23, 2010

Colère ou désarroi?

Les premiers commentaires journalistiques sur les propos de Nicolas Sarkozy à Lisbonne (journaliste pédophile) insistaient sur la colère du Président. Libération a mis sur internet l'enregistrement de son monologue devant les journalistes. On y entend le désarroi de quelqu'un qui donne le sentiment de ne savoir comment réagir à des attaques qu'il juge injustes. Pris dans un piège dont il n'arrive à sortir, il ne se contente pas de démentir, il tente de mettre en difficulté les journalistes qu'il traite en adversaires, il cherche à les forcer au silence en usant d'un mélange inédit de violence et de plainte. Il se présente comme la victime d'un acharnement injuste. Sans doute espère-t-il que les Français, lassés de ces attaques, se retourneront contre la presse?

Est-ce la meilleure stratégie? Il serait certainement plus simple de donner au juge (et aux parlementaires) la possibilité de consulter tous les documents qu'il souhaite, de répondre à ses questions, à toutes ses questions. Encore faudrait-il que Nicolas Sarkozy ait une stratégie. Ce dont je doute. Il donne, dans ce soliloque pitoyable, l'impression l'impression d'improviser. On ne croit pas un instant qu'il puisse réagir ainsi par calcul. Dans son ressassement qui n'en finit pas, cette espèce de geignardise violente sonne bizarrement juste. On a l'impression qu'il s'est toute sa vie comporté comme cela face à l'adversité, que c'est sa nature profonde qui parle.

"Amis pédophiles, à demain" (Nicolas Sarkozy)

Si l'on en croit Mediapart, qui cite quatre journalistes présents, Nicolas Sarkozy a "pèté les plombs" à Lisbonne, s'en prenant violemment à un journaliste qui l'interrogeait sur l'affaire Karachi et, plus précisément, sur la présence de nom dans plusieurs documents : "Qui vous a dit ça? Vous avez eu accès au dossier? Charles Millon a une intime conviction. Et si moi j'ai l'intime conviction que vous êtes pédophile? Et que je le dis en m'appuyant sur des documents que je n'ai pas vus…" Il serait sorti de la réunion en disant :"Amis pédophiles, à demain!"

Que cette scène se soit passée à Lisbonne, en plein milieu d'une réunion internationale (le sommet de l'OTAN) devant une trentaine de journalistes, en dit sans doute beaucoup sur l'inquiétude du pouvoir devant cette affaire, sur la tension qu'elle a créé au sommet de l'Etat. Il est vrai qu'il s'agit d'une affaire différente de toutes les autres parce qu'il y a eu mort d'hommes et qu'il parait plus difficile de réduire au silence des familles que l'on mène en bateau depuis des années que des fonctionnaires ou des politiques dont on peut toujours acheter le silence avec une promotion.

Je ne sais pas si cette information sera reprise dans la presse nationale. Peut-être la rangera-t-on au rayon des colères présidentielles, reste qu'elle inquiète : un Président capable de perdre son sang-froid en public, devant des journalistes dont il peut deviner qu'ils reprendront ses propos, même s'ils sont en off, est capable d'à peu près n'importe quoi, d'envoyer, par exemple, comme on l'en a accusé à mi-mot, des gros bras inquiéter des témoins gênants (toujours dans l'affaireKarachi). Et même s'il n'a rien à voir dans les cambriolages de journalistes et autres "bizarreries" de ces dernières semaines, son comportement rend plausibles ces dérives. Or, en politique, le plausible suffit souvent à faire une opinion.

vendredi, novembre 19, 2010

lundi, novembre 15, 2010

La "baffe" aux centristes, un coup de pouce pour DSK?

Hasard du calendrier, Dominique Strauss-Khan était ce matin à Paris, il parlait sur France Inter, alors que les éditorialistes racontaient l'amertume des centristes. Hasard heureux. Dominique Strauss-Khan a pu en profiter pour peaufiner, par petites touches et l'air de rien, son image d'un présidentiable de gauche centro-compatible. Ce remaniement qui libère Nicolas Sarkozy du souci de gérer au quotidien les questions nationales donne de l'air à Dominique Strauss-Khan. Plus la gauche du parti le critiquera et plus les centristes lui trouveront de charme. Comme la gauche de la gauche, les Hamon, Mélenchon et compagnie n'auront in fine pas d'autre choix que de voter pour lui s'il est choisi par le PS, Nicolas Sarkozy vient de faire un beau cadeau à un adversaire qu'il va rencontrer sur la scène internationale où il lui sera difficile de le contrer tant DSK y parait à l'aise.

Tout ça pour ça? Oui, mais…

Les commentateurs politiques sont ce matin très sévères avec ce remaniement politique : très à droite, un air de 4ème République, la revanche de Fillon, le retour de l'Etat RPR reviennent en boucle. Je serais bien moins sévère. Si l'on y regarde de près, Nicolas Sarkozy a éliminé tous les boulets de son gouvernement : Eric Woerth pris dans l'affaire Bettencourt, les représentantes de la diversité qui n'hésitaient pas à afficher leurs états d'âme, les indécis (à la Morin) et les incompétents (à la Kouchner), les traitres (Besson n'a pas disparu mais il n'aura plus à jouer le rôle de Iago (ou si l'on préfère de Laval) à chacune de ses interventions télévisées) et les insignifiants (comme Boeckel). Ce nouveau gouvernement réunit des gens de droite sans complexes, des professionnels qui tiennent leur langue et savent diriger un ministère. Les électeurs de droite n'attendaient pas autre chose comme nous le répète régulièrement Thierry Desjardins. Ce gouvernement solide quoique un peu terne, conservateur mais pas réactionnaire, ne fait certainement pas rêver, mais il n'a besoin d'aucun rodage et il devrait laisser Nicolas Sarkozy libre d'arpenter la scène internationale sans être rappelé à tout moment sur la scène nationale. A deux ans de la présidentielle, il ne lui en demande sans doute pas plus.

mercredi, novembre 10, 2010

Egalité réelle, pauvreté conceptuelle…

Le parti socialiste vient donc de publier le texte de sa convention sur l'égalité réelle. On sait que ce texte réputé "de gauche", puisque proposé par Benoit Hamon, a été critiqué sur "sa droite", puisque par Valls, Hollande et Moscovici. Catégories qui ne veulent évidemment pas dire grand chose. Ce texte est surtout médiocre.

Véritable fourre-tout qui mélange les questions d'éducation et celles de distribution d'eau (en quoi cette question a-t-elle un rapport avec l'égalité?), ce texte nous éclaire plus sur les jeux d'influence au sein du PS, sur le poids des enseignants et des élus locaux (d'où ces longs développements sur l'école - presque 20% du texte -, les transports et la distribution d'eau), sur la montée en puissance des thèmes écologiques (développements sur les inégalités environnementales) que sur ce que pourrait être cette "égalité réelle".

Ce document fait de bric et broc, addition des propositions des uns et des autres, semble en fait combiner plusieurs conceptions de l'égalité :
- l'égalité des chances et des capacités surtout recherchée par l'éducation (d'où cette définition : "être égaux, c’est disposer de la même liberté de choix"),
- l'égalité des revenus approchée par l'augmentation du salaire minimun et une fiscalité plus redistributive,
- l'égalité du bien-être recherchée avec une politique du loisir (temps de travail), de la santé, du logement,
- égalité des droits avec la lutte contre les discriminations mais aussi la création de nouveaux droits (droit à la qualification professionnelle, à la mobilité).

 Désordre conceptuel qui donne une bonne image du flou des idées dans lequel vit le PS. D'où le sentiment que certaines de ces propositions pourraient rapidement devenir contradictoires. La seule chose rassurante est que rien de tout cela n'étant financé (le texte fait allusion à la création de marges de manoeuvre, manière on ne peut plus dilatoire de renvoyer à plus tard ce qui peut poser problème), il faudra bien un jour faire des choix.

Ce texte dénonce et condamne naturellement la montée des inégalités avec un bizarre détour par les Etats-Unis (l'espérance de vie des plus pauvres y aurait, d'après une étude citée sans référence reculé de 16 mois), mais ne nous propose aucune analyse de cette montée (est-elle aussi grave en France qu'aux Etats-Unis? a-t-elle les mêmes origines? si nous y avons mieux résisté que d'autres, pourquoi?) et ne nous dit rien de son impact sur la croissance, thème qui serait certainement bien plus convaincant que le rappel de l'attachement des Français à la valeur égalité, cliché qu'il serait utile de vérifier.

mardi, novembre 09, 2010

Remaniement : une décision qui comptera bien au delà des années Sarkozy

Ce remaniement ministériel qui n’en finit pas de se faire attendre nous renvoie aux difficultés qu’a Nicolas Sarkoy, toujours si rapide à prendre des décisions, à trancher lorsqu’il s’agit de relations humaines, mais aussi à un phénomène assez fréquent : l’indécision en politique. On se souvient de la manière dont François Mitterrand avait balancé en 1983, entre Pierre Mauroy, la rigueur et l’Europe et ceux qui lui recommandaient la sortie du serpent européen. L’attente avait duré plusieurs jours.

Difficile de dire ce qui dans cette indécision relève d’une faiblesse de caractère que l’on a déjà observée chez un homme qui se vante de toujours agir vite (voir, par exemple, ici même L’étrange faiblesse de Nicolas Sarkozy) ou d’une véritable hésitation sur le choix d’une stratégie.

A première vue, il s’agit pour Nicolas Sarkozy de choisir entre deux manières de faire de la politique pendant le reste de son mandat : accentuer le tournant de la rigueur avec François Fillon ou tenter une séquence plus sociale (quoique cela puisse vouloir dire) avec Borloo ou un autre. Sachant qu’il lui serait difficile de changer de politique sans se déjuger tant il s’est déporté sur sa droite, alors même qu’il lui faudrait probablement en changer pour aborder la prochaine élection présidentielle avec une image réparée dans l’opinion.

Mais c’est aussi pour Nicolas Sarkozy qui n’est certainement pas aussi sourd qu’on veut bien le dire au rejet de l’opinion, décider du rôle du premier minitre. Garder Fillon, qui a accepté d’avaler toutes les couleuvres qu’on lui proposait, lui permettrait de continuer de jouer au Président omnipotent. Le remplacer serait prendre le risque de se voir relégué au rôle de roi fainéant que Jacques Chirac, le contre-modèle absolu, a, à l’entendre, si longtemps occupé. Ce serait donc une nouvelle fois se déjuger.

Il pourrait tenter d'échapper à ce dilemme en nommant un homme “neuf” (ce qu’avaient fait en leur temps De Gaulle avec Pompidou, Giscard avec Barre et Mitterrand avec Fabius) qui lui permettrait  d’infléchir sa politique tout en gardant la main au moins pendant quelques mois, mais à qui confier ce rôle? On parle beaucoup de Baroin. Il a le défaut de ne pas être un Sarkoziste historique. Mais Sarkozy n’a jamais détesté les transfuges qui lui doivent leur position (Baroin a longtemps été considéré comme chiraquien).

Cette séquence ne sera pas sans conséquence sur la suite : la désorganisation du gouvernement, les batailles souterraines, les déceptions de ceux qui ne seront pas retenus alors qu’on leur avait promis ou laissé entendre quelque chose risquent de pousser certains vers la recherche plus ou moins avouée d’une alternative à droite qui pourrait prendre plusieurs formes (candidature personnelle, soutien en sous-main de candidatures fratricides, rapprochement avec Dominique de Villepin). Mais l'important est sans doute ailleurs.

Nicolas Sarkozy est le premier président à vraiment tester le quinquennat et son rythme très particulier. Sa décision pourrait avoir des conséquences bien au delà de son sort personnel. S’il maintient Fillon, il affaiblit un peu plus pour l’avenir, et indépendamment des personnalités des acteurs aujourd’hui en place, le Premier Ministre cantonné à un rôle d’intendant. S’il le remplace, il lui rend un peu de son lustre. La manière dont les institutions fonctionneront dans les années qui viennent dépendent donc du choix qu’il va faire.

dimanche, novembre 07, 2010

La défaite d'Obama et la philosophie morale

Tout comme la contestation des retraites en France a suscité l'incompréhension à l'étranger, l'échec d'Obama lors de ces élections de mi-mandat a surpris de ce coté-ci de l'Atlantique. Et plus que cet échec, les motifs avancés par de nombreux observateurs pour l'expliquer.

Nous comprenons très bien que les difficultés économiques, la montée du chômage, la déception des éleveurs démocrates, la volonté de revanche des républicains battus lors des dernières élections présidentielles, les financements massifs de la droite aient contribué à l’échec des démocrates. Chez nous aussi les élections à mi-mandat sont une occasion de corriger un vote, Mitterrand, Chirac et Sarkozy en ont tous trois fait l'expérience, mais nous ne comprenons plus lorsqu’on nous dit que la réforme de la santé a poussé beaucoup d’électeurs dans les bras de la droite. Cela nous parait absurde alors même que cette réforme doit apporter une protection à des millions d'Américains qui n'en ont pas.

On nous dit que cette loi a été mal conçue. Ses adversaires ont beaucoup insisté sur sa complexité, sur ses centaines de pages… mais c’est le lot de tous les textes qui ne passent qu'après de longues négociations. Ce qui nous surprend, c'est que  le principe même d’une assurance santé universelle ait été critiquée et ceci, apparemment, dans toutes les couches de la société. Que des riches s'opposent à une réforme qui risque de leur coûter un peu d'argent, nous le concevons même si cela nous choque, mais que des gens modestes susceptibles de profiter de cette réforme s'y opposent également nous parait complètement incompréhensible.

Qu'en conclure sinon que nous n'avons pas les mêmes normes morales, que nous n'envisageons pas de la même manière nos responsabilités, tant ce qui relève de notre propre responsabilité personnelle que de ce qui relève de notre responsabilité à l'égard d'autrui.

Nous avons tendance en Europe à attribuer les critiques les plus virulentes de cette réforme à une droite populiste un peu débile comme ces candidates du tea party qui ont tenu des propos absurdes et idiots, mais, et c'est plus troublant, on trouvait les mêmes idées développées de manière tout à fait rationnelle dans les pages opinion du Wall Street Journal rédigées par des gens qui n'ont rien d'imbéciles. Ce qui me fait penser, qu'au delà des insultes et excès de la campagne électorale (on a parlé de socialisme, de nazisme, de totalitarisme, d'eugénisme), ces critiques n’ont fait que prolonger le débat sur les rôles respectifs de l'individu et de la société qui occupe depuis le début des années 70 les départements de philosophie politique et de philosophie morale des universités américaines, depuis, en fait la publication, en 1971, du très célèbre Une théorie de la justice de John Rawls, et, en 1974, d'Anarchie, Etat et Utopie de Richard Nozick.

Ces deux auteurs sont aujourd'hui morts mais ils ont suscité toute une littérature toujours vivante qui tente de définir la place de la responsabilité individuelle dans la société et qui oppose ceux pour lesquels nous avons une certaine responsabilité à l'égard d'autrui et ceux pour lesquels nous sommes complètement responsables de notre sort et de cela seulement. Si nous sommes pauvres, c'est, à leurs yeux, de notre faute… Ce qui veut dire que nous n’avons aucun motif, aucune raison d’attendre quoi que ce soit de la société. Dès lors que nous sommes pleinement responsables, elle n’a aucune obligation à notre égard.

On peut naturellement décliner ce raisonnement de mille manières, si nous attrapons un cancer des poumons parce que nous fumons, nous n'avons qu'à nous en prendre à nous même, et s’il faut nous soigner, c’est à nous payer les frais médicaux pas à la collectivité. On peut même le pousser très loin : pour les libertariens, c'est-à-dire pour les auteurs proches de Nozick (mais pas pour Nozick qui fait la différence), notre responsabilité individuelle s'étend même aux cas où nous sommes dans l'impossibilité de contrôler ce qui nous arrive. Si une catastrophe naturelle s'abat sur nous, les autres n'ont aucune obligation de venir à notre secours. Rien ne justifie que l'on collecte des impôts pour corriger les effets d'une catastrophe naturelle. C'est à chacun de se prendre en charge. On pense à ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans…

Ces idées imprègnent, semble-t-il, très profondément la société américaine. Les gens ne veulent pas payer des impôts qui financent les services sociaux parce qu’ils veulent garder pour eux leur argent mais aussi parce qu’ils pensent que les autres ne le méritent pas, n’y ont pas droit. L'actualité est remplie d'informations qui montrent l’impact de ces thèses sur les comportements. Il y a quelques semaines un habitant d’une commune rurale du Tennessee, un certain Cranick, s’est vu refuser l’intervention des pompiers parce qu’il n’avait pas payé la contribution  incendie de 75$ par an que demande la municipalités. Les pompiers sont restés pendant des heures les bras croisés devant sa maison qui brûlait, ils ne sont intervenus que lorsque la maison du voisin, qui avait, lui, payé les 75$, a pris feu. Ils n’ont rien fait pour protéger celle des Cranick.

Cet incident a fait tout le tour de la presse américaine et a beaucoup choqué, mais le plus étonnant est que les autorités locales, bien loin de condamner le comportement des pompiers l’ont justifié. Et leurs arguments ont été repris par Glenn Beck, l’un des journalistes de droite les plus en vue aux Etats-Unis.

Tout cela est bien sûr absurde… Ce l’est d’autant plus que le feu s’est, comme on pouvait le prévoir, étendu aux maisons voisines dont les propriétaires avaient, eux, payé leur cotisation. Mais cela entre bien dans cette logique des libertariens pour lesquels nous sommes absolument responsables de ce qui nous arrive. C’est une conclusion naturelle de leur raisonnement.

Ce n’est pas la seule : si on ne peut nous tenir responsables que de ce qui nous arrive et pas de ce qui arrive aux autres, la notion d’irresponsabilité n’a plus beaucoup de sens. On peut donc considérer comme responsables de leurs actes des gens dont nous jugeons, de ce coté-ci de l’Atlantique, qu’ils ne le sont pas : fous, gens qui souffrent de déficience mentale mais aussi enfants. Il y a quelques jours, c’était à la fin octobre, un juge de New-York, et non pas d'une lointaine commune rurale, a accepté que des poursuites soient engagées contre une petite fille de quatre ans qui avait provoqué, avec sa bicyclette, la chute mortelle d’une dame de 87 ans. Ce qui veut dire qu'il l'a jugée d'âge à être tenue pour responsable de ses actes.

C’est délirant. Mais ce qui l’est plus encore, ce sont quelques uns des commentaires des lecteurs de ces articles. Le New-York Times en a publié cinq, deux critiquent le juge, deux l’approuvent expliquant que les enfants sur les trottoirs sont un danger pour les personnes âgées, ce qui est vrai, et le cinquième raconte qu’il est arrivé la même histoire à sa mère, renversée par une petite fille de cinq ans. Les médecins qui sont intervenus ont voulu qualifier l’incident d’homicide, c’est la famille de la victime qui a insisté pour qu’il soit considéré comme un accident. Ce juge dont la décision nous parait absurde n’est donc pas totalement isolé.

J’ajouterai qu’il a du justifier sa décision. Il l’a fait en citant des décisions prises dans les années 20. Ce qui suppose une longue recherche pour aboutir à ce résultat grotesque. Mais on peut supposer qu’il n’a entrepris ces recherches que pour découvrir de quoi faire poursuivre cette enfant.

Cette affaire d’incendie, ce juge qui accepte de poursuivre une enfant ne sont bien sûr que des exceptions… mais des histoires de ce type reviennent constamment dans la presse américaine. Ces condamnés à mort dont on nous dit qu’ils le QI d’un enfant de 8 ans et qu’on exécute qui reviennent si régulièrement dans l'actualité en sont d'autres exemples.

Tous les philosophes ne sont évidemment pas sur ces positions extrêmes, mais les libertariens ont influencé beaucoup d’auteurs et, notamment, tous les théoriciens de ce que l’on appelle le luck egalitarianism (Dworkin, Cohen, Arneson, Roemer…), l’égalitarisme de la chance, qui tentent de concilier cette responsabilité étendue et le souci d’égalité et qu’on aurait plutôt tendance à ranger du coté des progressistes, des libéraux (pour une analyse allant dans ce sens, voir Barry). Ils expliquent que la collectivité a pour mission de corriger les inégalités produites par le manque de chance mais celles-là seulement… A les entendre donc la collectivité n’aurait donc pas vocation à financer les soins d’un homme atteint d’une cirrhose du foie attrapée à force de boire…

On se souvien qu’il y a eu en Grande-Bretagne des débats du même type sur certains cancers produits par le tabac et l’alcool… On trouve dans la littérature médicale anglo-saxonne des articles qui s’interrogent sur la responsabilité des patients atteints de certains cancers dans leur maladie. De là à refuser les soins à des patients qui ne cessent pas, par exemple, de fumer, il n’y a qu’un pas que personne n’a à ma connaissance encore franchi, mais on est bien dans cette logique qu’ont développée ces théoriciens. J'ajouterai que ce qui nous choque lorsque l’on parle de santé nous étonne moins dans d’autres domaines. Or, c’est bien le même raisonnement qui sous-tend toutes les réformes qui tendent à réserver les aides sociales à ceux qui le méritent, c’est-à-dire à ceux qui ont vraiment manqué de chance dans leur vie. Ce sont des raisonnements de ce type qui ont conduit à durcir les conditions d’attribution des allocations chômage : il faut prouver que l’on a cherché effectivement un emploi et qu’on n’en a pas trouvé.

On retrouve, d’ailleurs, dans les textes qui traitent de ces questions des références aux auteurs que je citais à l'instant. Ce qui me fait dire qu’il y a continuité entre ces débats académiques et l’opposition à la réforme de la santé telle que le mouvement du Tea Party l’a justifiée. Ce lien se manifeste dans la personnalité de ceux qui sont à l’origine de ce mouvement, je pense notamment Ron Paul, l’un des avocats les plus connus du mouvement libertarien, qui a été à plusieurs reprises candidat aux élections présidentielles

En fait, ces idées sont très vite sorties du champ universitaire. Elles ont imprégné la culture populaire. On les retrouve régulièrement exposées dans des romans de science-fiction, dans des articles de presse, des éditoriaux. La littérature managériale en est complètement nourrie. Quand on lit les récits de réussite d’industriels, de capitalistes on retrouve des idées qui se sont d’autant plus facilement imposée qu’elles entrent en résonance avec des discours religieux, issus du protestantisme et, notamment, du calvinisme qui renvoient à l’individu la responsabilité de ce qui lui arrive…

Dire que les Américains sont aveugles aux différences d'opportunités serait absurdes. Ils les connaissent bien mais beaucoup pensent que l’égalité des chances est une réalité dans leur société grâce, notamment, à toutes les mesures de discrimination positive qui visent à corriger les inégalités.

Obama aurait perdu ses élections du fait des difficultés économiques, mais la droite la plus extrême n’a pu donner le ton à cette campagne, que parce que cette idéologie de la responsabilité personnelle étendue a profondément pénétré la société américaine. On peut simplement espérer que ses excès convaincront les électeurs de revenir à des positions plus raisonnables.

PS Arthur Goldhammer me signale un très intéressant papier de trois de ses collègues d'Harvard sur les adversaires de l'assurance santé qui éclaire leurs comportements et corrige utilement mes analyses.