mardi, avril 12, 2005

Augmenter le salaire minimum ne sert malheureusement à rien

A l’occasion des dernières grèves, on a entendu de nombreux commentateurs demander l’augmentation du Smic, demande qu’ils justifiaient de deux manières :
- d’abord, en avançant un argument de type pragmatique : on ne peut pas vivre de manière décente avec un salaire aussi faible, ce qui est vrai,
- ensuite, et surtout, en avançant un argument directement emprunté à la vulgate keynésienne (la thèse de la demande effective) : une augmentation du salaire minimum augmente le pouvoir d’achat global, relance l’activité et crée, donc, de l’emploi.
Cet argument économique est souvent repris par les syndicalistes. Il a malheureusement perdu beaucoup de sa validité.
On sait qu’au début des années 80, la relance de l’activité organisée par le gouvernement Mauroy avait buté sur le fait que ces augmentations de salaires avaient surtout servi à acheter des produits importés, notamment des produits venus d’Asie. Si créations d’emploi il y a eu, elles se sont faites à l’étranger.
Un autre mécanisme rend aujourd’hui peu probable la relance de l’activité par le salaire : l’évolution de l’environnement légal et réglementaire. Ces vingt dernières années, on a multiplié les exceptions au contrat de travail ordinaire. Les entreprises qui recrutent ne se contentent plus de choisir des salariés, elles choisissent également leurs contrats : intérim, CDD, stage, CDI, durées de travail… Or, cette liberté de choix leur permet de corriger les effets des augmentations de salaire. Une augmentation du Smic peut être rapidement compensée dans les entreprises à fort turn-over par une modification des contrats de travail : plutôt que de recruter des salariés à plein temps, elles recrutent des salariés à temps partiel. Dans celles qui utilisent de l’intérim, il suffit de la même manière d’agir sur la variable intérim pour maintenir la masse salariale à son niveau initial. Les modifications apportées par le gouvernement Raffarin aux lois Aubry sur la réduction du temps de travail ont donné aux entreprises de nouveaux outils allant dans le même sens : l’employeur étant celui qui décide du nombre d’heures supplémentaires, il peut contrôler sa masse salariale en jouant sur ce paramètre.
On objectera à cela que toutes les entreprises n’ont pas un turn-over élevé. Ce qui est exact à ceci près :
- que les entreprises qui conservent longtemps leurs salariés les rémunèrent souvent au dessus du Smic, ce qui leur permet d’effacer la hausse (il suffit de ne pas en tenir compte),
- que ces entreprises jouent souvent sur les qualifications de leurs collaborateurs pour maîtriser leur masse salariale.
Quoique moins connu ce phénomène est très répandu. Un salarié exerce toujours plusieurs tâches qui ne sont pas toutes valorisées de la même manière. Pour ne prendre que cet exemple, un ingénieur effectue des tâches qui demandent des compétences élevées et justifient d’un salaire important et d’autres, plus banales, que pourraient prendre en charge des collaborateurs moins bien rémunérés (comme la saisie de textes sur un ordinateur). Il suffit pour une entreprise de jouer sur cette répartition des tâches, de donner à un salarié des tâches correspondant à un niveau de qualification supérieur au sien pour effacer en partie les augmentations salariales. C’est ce que font en permanence les PME et de plus en plus souvent les grandes entreprises qui, sous couvert, d’enrichissement des tâches lissent vers le bas leur masse salariale (les grandes entreprises obtiennent le même résultat en réduisant le nombre de niveaux hiérarchiques : des salariés plus autonomes permettent de faire l'économie du management de proximité). Elles le font d’autant plus facilement que les salariés sont les premiers à réclamer ces évolutions : des tâches plus riches sont plus intéressantes et plus prometteuses que des tâches trop parcellisées.
Pour tous ces motifs, des augmentations du salaire minimum, si elles sont souhaitables, risquent de ne pas avoir d’effet positif sur l’activité. Disons le clairement : il n’y a pas de quoi s’en félliciter.

lundi, avril 11, 2005

Sur le châtiment et ses limites

Trouvé dans La généalogie de la morale de Nietzsche, ce passage sur le châtiment que nos juges, nos policiers et tous ceux qui acceptent les bavures judiciaires et policières devraient méditer : on cherche dans le châtiment
« le véritable instrument de la réaction psychique qu’on appelle « mauvaise conscience », « remords ». Mais par là on se méprend sur la réalité et sur la psychologie (…) Le véritable remords est quelque chose d’extrêmement rare chez les criminels et les condamnés, les prisons, les pénitenciers ne sont pas du tout les lieux où prospère cette espèce de ver rongeur (…) Globalement, le châtiment durcit et refroidit ; il concentre ; il aiguise le sentiment d’exclusion ; il accroît la force de résistance. (…) il ne faut pas sous-estimer à quel point le criminel est justement empêché, par la vue des procédures du jugement et de son exécution, d’éprouver son forfait et la nature de son acte comme méprisables en soi : car il voit justement la même sorte d’action s’accomplir au service de la justice et ensuite être approuvée et accomplie en toute bonne conscience. »
Et dans le chapitre suivant, « pendant des siècles, les fauteurs de trouble frappés d’une peine ont réagi à l’égard de leur « délit » : « quelque chose, inopinément, a mal tourné », et non pas : « je n’aurais pas dû faire cela »- ils se soumettaient au châtiment comme on se soumet à une maladie… »
Que dire de plus? de mieux?

Le débat sur la constitution européenne

Les débats sur la constitution européenne me rappellent que la Commission m’avait, il y a quelques années, demandé d’écrire un texte sur la démocratie en Europe. Il s’agissait de montrer que la construction européenne fonctionnait de manière démocratique. J’y avais passé deux mois sans beaucoup de succès. Sur ce point, au moins, le projet de constitution qu’on soumet à notre suffrage apporte des progrès indéniables, à commencer par cette possibilité de pétitionner qui permet de porter au Parlement des questions qui intéressent deux millions d’Européens.
Mais j’avais alors été frappé par l’épais brouillard que nos politiques laissaient planer sur cette construction européenne. Toutes les mesures qui faisaient problème avaient été discutées et acceptées dans des instances représentant les différents Etats, les différents gouvernements. Et l’on voyait bien comment tous, et d’abord le gouvernement français, utilisaient l’Europe pour faire passer des idées, des projets qu’ils craignaient de mettre en avant. On se défaussait sur Bruxelles de ce que l’on pensait souhaitable mais qu’on ne voulait pas mettre soi-même en place de crainte des réactions. Le « cela vient de Bruxelles » permettait de faire passer ce que l’on avait voulu sans avoir le courage de le dire. C’était d’autant plus facile que les procédures européennes prenant pas mal de temps, il y avait de fortes chances que la mesure arrive à maturité après qu’on ait quitté les affaires. L’ouverture du marché intérieur des services (la fameuse circulaire Bolkenstein) a donné un exemple récent de ce mécanisme qui met aujourd’hui les politiques en porte-à-faux, obligés qu’ils sont de défendre une Europe qu’ils ont prise comme bouc émissaire pendant des années. Ce n’est évidemment pas facile, d’où leurs maladresses et leurs hésitations.
Par chance, les arguments des partisans du « Non » sont particulièrement médiocres et bien peu démocratiques.
Je passerai sous silence tout ce que l’on nous a dit sur l’avortement, le divorce et la laïcité que cette Constitution permettrait de remettre en cause (les politiques qui l’affirment nous prennent probablement pour des crétins !), pour m’interroger sur l’idée que le non permettrait de remettre à plat la constitution. Soit, mais avec qui ?
Le texte actuel est le fruit d’une négociation, croit-on pouvoir obtenir mieux de ceux qui trouvent ce texte déjà trop audacieux, alors même que nous serons seuls à réclamer un gauchissement, comme nous l’affirment les partisans de gauche du non ? Il faut une bonne dose d’arrogance nationaliste pour croire que toute l’Europe se pliera à nos désirs.
Et pour quoi faire ? Sur quelles bases renégocier ? Sur celles de Philippe de Villiers ou sur celles d’Attac ? Sur celles du PC (ce ne sont pas tout à fait celles d’Attac) ou sur celles du Front National ? sur celles d’Emmanuelli ou sur celles de Jean-Pierre Chevênement ?
Le Non serait plus crédible si ses partisans avaient un programme commun ou, à défaut, des valeurs communes or, l’on voit bien que tout les oppose sauf, peut-être, le populisme (de droite et de gauche qui se retrouve pour dire « merde » au système) et une sorte de repli frileux sur le protectionnisme que l’on devine dans tant de propos.

vendredi, mars 18, 2005

Le recul de l'espérance de vie aux Etats-Unis

Il y a quelques années, un jeune sociologue (son nom m'échappe (je l'ai retrouvé : Todd), mais c'est le fils d'un écrivain et journaliste qui a beaucoup écrit pour le Nouvel Observateur) avait annoncé la chute de l'Empire soviétique en s'appuyant sur les seules données démographiques. Un pays dont la mortalité infantile augmente est un pays qui fonctionne très mal et qui est donc appelé à imploser, expliquait-il en substance. Faut-il conclure la même chose des études qui annoncent un recul de l'espérance de vie aux Etats-Unis?
En tout cas, c'est inquiétant si l'on ne juge par cet article de Jessica Ebert publié dans Nature : Americans face drop in life expectancy

For the first time in recent history, researchers are predicting that the life expectancy of Americans may begin a sustained decline.

The forecast is based on the sharp rise in obesity in today's youth. By the middle of this century, the increased risk of diabetes, heart disease and cancer that they will face could lessen the average life expectancy by two to five years, some say.

In general, longevity predictions are determined by studying historical trends in death rates. Various agencies, such as the US Social Security Administration (SSA), have used this method to predict that the life expectancy of Americans will continue to rise over the next century.

But Jay Olshansky, a biodemographer at the University of Illinois at Chicago, argues that they ignore the effect of obesity on future generations.

Future imperfect

Instead of making predictions by studying what has happened in the past, Olshansky and a team of statisticians and demographers, "looked into the future by looking at today's younger generations," he explains.

Olshansky's team compared the death rates of obese people with those of healthy weight. Extrapolating to the whole population, they found that, at the moment, obesity reduces average life expectancy by about four to nine months.

And because the prevalence of obesity among children and teenagers has risen sharply over the past 30 years, the researchers predict that the shortening effect could become as much as two to five years by mid-century.

"When I first looked at the calculation it seemed relatively small," says Olshansky, "but in reality it's not small at all." It's equivalent to the negative effect of cancer on population longevity, which is 3.5 years, he points out.

Striking a balance

Steve Goss, chief actuary with the SSA, agrees that obesity should be a significant factor in life expectancy projections. But he points out that forecasts by agencies such as his try to balance negative factors with positives, such as medical breakthroughs.

"We will have continued improvements in mortality as long as we have a strong economy and medical innovation," says Goss.

Rather than factor in the promise of new technologies that do not yet exist, Olshansky says he prefers to base his predictions on "something we can observe and measure today".

The team's conclusions may seem pessimistic, says Olshansky, but they show that the health of young people in the United States is in jeopardy. "If nothing changes for the better," he says, "today's younger generations will live shorter and less healthy lives than their parents."

Olshansky's team is now working on a detailed description of how the trend can be reversed. "We'd like nothing more than to be proven wrong," says Olshanky's colleague David Allison, a biostatistician at the University of Alabama at Birmingham. "I hope we continue to figure out what causes obesity, and how to prevent it and more successfully treat it."

Le chômage fourrier du libéralisme?

Dans un message récent, je parlais du Couperet, le film de Costa Gravas actuellement sur les écrans parisiens. J'ai, depuis lu le livre dont il s'inspire de très près au point que l'on retrouve dans son film des bouts entiers de dialogues du livre (il s'agit d'un roman de Donald Westlake publié sous le même titre aux éditions Rivages/noir)
Il y a dans ce livre un passage (repris, je crois, dans le film) qui éclaire la montée parallèle des thèses libérales et du chômage dans nos sociétés contemporaines. Le personnage s'en prend vivement au conseiller conjugal qu'il va voir avec sa femme. Il explique combien l'annonce des licenciements a changé le comportement au travail : "les centaines que nous étions là-bas, qui avions été les meilleurs amis du monde, comptant les uns sur les autres, sans même y penser, nous avions toujours su que nous pouvions nous faire confiance sur toute la ligne. Mais c'était le bout de la ligne, et nous étions ennemis maintenant, parce que nous étions concurrents maintenant, et nous le savions tous. Ca, c'est la chose que nous ne disions pas entre nous, et que les conseillers ne disaient pas, et que personne ne disait. Que la tribu était foutue, que ce n'était plus une tribu. Il ne serait plus question de se serrer les coudes."
Dans un précédent message sur le film de Costa-Gravas, je faisais allusion à Hobbes. C'est exactement cela : le chômage de longue durée renvoie ceux qui en sont victimes à l'état de nature de Hobbes, il réintroduit la concurrence dans le champ social alors même que l'entreprise avait tendance à la mettre de coté. Pas étonnant, dans ces conditions, que ceux qui militent pour l'extension du marché trouvent des oreilles attentives auprès des plus démunis : c'est dans ce monde qu'ils vivent et que d'autres partagent leur galère n'est pas fait pour les choquer.

jeudi, mars 17, 2005

Images pornographiques au musée

Si l’on veut voir des images pornographiques, c’est au musée qu’il faut aller. Au musée d’Orsay où l’on peut voir une très intéressant exposition sur les photos d’atelier qui nous donne l’occasion de voir une série d’images de femmes attachées de Jean-François Jeandel que l’on voit d’habitude plutôt dans des revues spécialisées ou au Jeu de Paume qui expose actuellement les œuvres de Jean-Luc Moulène dont une salle pleine d’images directement inspirées de la pornographie.
Ces images ne sont pas tout à fait de même nature. Celles de Jeandel, des petits formats, sont destinées à une consommation privée, elles relèvent de l’art pour amateur éclairé et s’inscrivent dans toute une tradition d’œuvres destinées à être diffusées sous le manteau auprès d’un public averti dont le plus bel exemple est certainement l’Origine du monde, le chef-d’oeuvre de Courbet qui fut caché par son premier propriétaire, le diplomate turco-égyptien Khalil-Bey, dans sa collection privée puis, plus tard, par un panneau-masque peint par André Masson, mais que l’on peut voir aujourd’hui à Orsay sans le moindre cache.
Les œuvres de Jeandel sortent aujourd’hui de l’anonymat, mais lentement, un peu par la bande. Elles sont montrées dans des expositions consacrées à Sade, à Masoch ou à l’érotisme qui attirent un public d’amateurs et de curieux. Celles de Moulène sont explicitement destinées au musée, on peut même penser que la série montrée au Jeu de Paume a été spécialement conçue et réalisée pour cette exposition. Quoique destinées à être montrées à un large public, pas spécialement éclairé, ces œuvres sont plus violentes, plus choquantes que celles de Jeandel. Du reste, alors que les conservateurs d’Orsay ne prennent aucune précaution, ceux du Jeu de Paume indiquent à plusieurs reprises que les œuvres présentées peuvent heurter la « sensibilité des jeunes spectateurs. »
Plus que d’une évolution de nos sensibilités aux images pornographiques (qui n’est probablement pas tellement différente de ce qu’elle pouvait être dans les années 20) cette réserve me paraît signaler une évolution dans le jeu subtil qu’entretiennent depuis longtemps jugements esthétique et moral. Il y a souvent eu des tensions entre l’un et l’autre, le premier tendant à faciliter, à justifier, à rendre acceptable des violations des règles que le second invite à condamner. Or, dans la situation actuelle, on a l’impression que les rôles ont changé: Le jugement moral ne tente plus de gommer le jugement esthétique, il semble, au contraire, le susciter, voire le réhabiliter. Le jugement moral (on devrait plutôt dire la précaution morale) assigne une valeur esthétique au tableau, il nous dit : cette image, qui devrait être cachée, que l’on cache d’habitude au fond d’une bibliothèque, est montrée, affichée parce qu’elle est de l’art. Le panneau qui nous met en garde et nous demande d’éloigner les enfants (ou, plutôt, de prendre nos responsabilités de parents) nous invite à suspendre notre jugement moral : nous ne sommes pas ici, dit-il en substance, dans un lieu dans lequel la morale ordinaire a cours. Mais en même temps qu’il invite à suspendre ce jugement, il le rappelle : si elles n’étaient pas dans un musée, ces images seraient sans doute jugées pornographiques. Il nous invite à nous poser des questions que les amateurs ne se posent plus beaucoup dans les musées : est-ce de l’art ? en quoi est-ce de l’art ? en quoi ces images de Moulène sont-elles plus de l’art que celles que publient les sites pornographiques. Les réponses que l’on peut y apporter sont, d’ailleurs, assez troublantes. Ces images relèvent de l'art parce qu'elles ne sont pas "soignées", parce qu'elles révèlent ce que les images pornographiques cachent en général : le poids du réel, la présence des corps. La pornographie fabrique des fantasmes, Moulène fabrique du réel. C’est en ce sens que ses images sont plus fortes que celles de Jeandel dont les images léchées n'étaient pas destinées au musée.

samedi, mars 12, 2005

Le Couperet

C'est un film. Un bon film? Je n'en suis pas absolument certain (c'est pourtant bien filmé, bien écrit et bien joué, juste un peu long peut-être). Mais c'est un film passionnant, qui restera dans nos mémoires. Parce qu'il parle du chômage, un sujet que les cinéastes ont délaissé et qu'il le fait de manière intelligente avec des acteurs remarquables (excellentes interprétations de José Garcia et Karin Viard) et un scénario qui réussit à faire passer l'idée centrale (et originale) du film : le chômage, c'est la société de nature de Hobbes, un univers de la concurrence généralisée dans lequel chacun est un loup pour les autres. Un loup qui tue pour retrouver cette atmosphère douce et délicieuse de l'entreprise que José Garcia nous raconte dans un passage aussi bref que vrai. Ces salariés qui se plaignent lorsqu'ils ont un emploi regrettent, dès qu'ils le perdent, cette atmosphère d'équipe et de camaraderie que l'on ne trouve qu'au bureau. Comme quoi le travail, c'est beaucoup plus qu'un salaire.
Le personnage central, ingénieur spécialiste des papiers spéciaux, a décidé d'éliminer ceux qui pourraient lui faire concurrence dans la recherche d'un emploi. Solution de désespoir qui l'aide à tenir et qui nous permet de rencontrer ses victimes, autres chômeurs, qui sont eux aussi au fond d'un trou dont ils n'arrivent pas à sortir. Je disais que c'est un film passionnant, c'est aussi un film lugubre (comme l'est dans un genre différent le Promeneur du champ de Mars). Est-ce la saison qui veut cela? La situation économique? On a l'impression que les cinéastes français sont en pleine déprime et qu'ils nous entraînent avec eux dans leur mélancolie…

vendredi, février 25, 2005

Maggi, Maggi, Maggi…

La semaine dernière, je racontais, dans l'émission que je fais sur AligreFM (chronique )comment une jeune finnoise s'est retrouvée poursuivie en justice par une multinationale pour avoir créé un site internet portant son prénom. Libération de ce matin raconte comment une famille suisse, la famille Maggi, va devoir changer le nom de son site internet (un de ces sites où les membres de la famille mettent leurs photos) parce que Maggi est aussi une marque qui appartient à Nestlé et que le groupe a porté plainte. Cette famille se croyait propriétaire de son nom. Et bien, non, elle en a été exproprié par un fabricant de soupes…
Pendant longtamps, on s'est battu contre la censure politique, il devient urgent de se battre contre celle des industriels.

Ce pauvre Mr Gaymard…

Les mésaventures d’Hervé Gaymard, ce ministre qui loue un appartement de 600 m2 pour un loyer de 14000€ par mois sans se rendre compte qu’il s’agit d’un appartement exceptionnel, qui s’affiche fils d’un cordonnier marchand de chaussure mais cache qu’il possède plusieurs appartement et est assujetti à l’impôt sur la fortune invite à s’interroger sur les mécanismes intellectuels de nos dirigeants. Comment peut-on se comporter aussi sottement lorsque l'on sait que les journalistes sont à l'affut, que les amis (plus que les adversaires, semble-t-il) sont prêts à tout pour vous faire déraper?
Une première hypothèse pourrait être la malhonnêteté. Il ferait de la politique pour s’enrichir (ou, plutôt, profiterait de ce qu’il fait de la politique pour s’enrichir). Ce n’est pas impossible, rien, sinon sa bonne mine, ne permettant de l’exclure, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus intéressante : les voyous existent et l’on sait, en général, comment les traiter, même s’il faut parfois un certain temps avant de les prendre la main dans le sac.
Une seconde hypothèse serait celle de la « faiblesse de la volonté ». Gaymard savait bien que ce qu’il faisait n’était ni raisonnable ni correct, mais il a manqué de la volonté nécessaire pour ne pas le faire. C’est la thèse que défendent ses amis lorsqu’ils mettent sur le dos de son épouse ses « fantaisies ». Ce serait elle, disent-ils en substance, qui l’aurait poussé au crime. On imagine la scène : « Cet appartement est trop cher ? Mais tu l’as bien mérité mon chéri. Regarde comme tu travailles, tu n’es pas aux 35 heures, toi. Et, en plus, pense à nos 8 enfants qui ne te voient pas beaucoup. En plus, personne ne le saura. » Et lui, penaud, de se taire, préférant sans doute un risque aussi incertain que lointain à une scène de ménage imminente.
Cette seconde hypothèse ne serait pas sans panache. Après tout, la faiblesse de la volonté a fait l’objet de longs développements philosophiques chez Aristote, dans l’Antiquité, chez Davidson, plus près de nous.
Il me semble, cependant, raisonnable de retenir une troisième hypothèse : comme beaucoup d’hommes qui accèdent au pouvoir,Hervé Gaymard aurait tout simplement perdu le sens commun ou, si l’on préfère, le bon sens.
L’homme politique arrivé au faite de sa carrière, et ministre de l’économie et des finances est un sommet pour un homme qui si j’en juge par ses photos, est plutôt falot (je sais, je sais, il faut se méfier de ces jugements à l’emporte pièce, je dis peut-être une bêtise, mais il a un physique à la Barnier ou à la Baudis qui, c’est le moins qu’on puisse dire ne suscite pas l’enthousiasme immédiat), l’homme politique arrivé au sommet de sa carrière ne se voit plus tout à fait comme un homme ordinaire. Surtout s’il a eu une carrière rapide et facile. Même (surtout ?) s’il n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, il a tendance à surévaluer ses compétences, la justesse de son jugement et… ce que la collectivité lui doit. Il le fait d’autant plus volontiers que tout autour de lui, on s’empresse de le conforter dans cette auto-admiration : « Vous êtes, Monsieur le Ministre, si formidable ! », « Vos idées sont si brillantes ! », « Vous avez bien évidemment raison… ». De son chauffeur qui klaxonne à tout va pour ouvrir le chemin même lorsqu’on ne lui demande rien à son directeur de cabinet, en passant par les gens qu’il rencontre dans les dîners en ville ou, plus simplement, dans la rue, tous ceux qu’il croise sont béats d’admiration, prêts à tout pour lui faciliter la vie, anticiper ses envies et ses désirs.
Pour peu qu’il soit un peu fat, un peu trop conscient de sa valeur (qui n’est pas nulle puisqu’il est devenu ministre), il cédera à ces sirènes, se laissera aller à la suffisance, développera une sorte de comportement aristocratique : ce qui est bon pour les autres ne l’est pas pour lui. Que les Français se serrent la ceinture, qu’ils se désintoxiquent de la dépense publique, est souhaitable, il nous l'a dit et répété, mais cela ne vaut bien évidemment pas pour ceux qui, comme lui, font tant pour la collectivité. On imagine d'ailleurs ce qu'il se dit in immo pectore, ce que lui glisse le soir, sur l'oreiller, la belle Clara : « si tu étais entré dans le privé tu gagnerais beaucoup plus et personne ne te reprocherait ton loyer… » Mais ce n'est pas un argument que l'on peut vraiment utiliser à la télévision (à moins que… On verra bien, puisqu'il paraît qu'il doit parler ce soir sur TF1).
Les antidotes à cette suffisance existent : ils s’appellent ambition et menace. L’ambition de celui qui ne se pense pas au sommet et qui continue de se méfier, de prendre des précautions, de préparer le coup d’après, et la menace pour celui qui sait qu’il peut à tout moment perdre son poste, être battu aux élections ou, plus simplement, dénoncé par la presse.
Si l’on voulait éviter ce genre de mésaventure, le plus simple serait sans doute de publier intégralement les dépenses des ministres et de leurs cabinets. Que l’on sache lorsqu’ils prennent un avion privé avec l'argent public, lorsqu’ils louent un appartement ou une table dans un restaurant de luxe. S’ils ont de bons motifs de le faire, nul ne le leur reprochera, si c’est pour leur bon plaisir… des journalistes sauront les dénoncer.

dimanche, février 13, 2005

Le racisme et le welfare state

C'est sur le blog de Bryan Caplan, un libertarien déclaré, hostile à toute forme d'aide sociale, que j'ai trouvé ce rapide résumé d'un livre de Martin Gilens (Why Americans hate welfare) dont la thèse a le mérite de la simplicité : si le Etats-Unis n'ont pas un système de protection sociale comparable à celui que nous connaissons en Europe, c'est tout simplement parce que les pauvres y sont le plus souvent noirs :

"Gilens takes a stab at the question: Why doesn't the United States have a European-style welfare state? His answer, to put it crudely, is racism. But unlike most people who feel this way, he has some data to back up his allegation. A few highlights:

1. Agreement with the view that "blacks are lazy" is a strong predictor of support for cutting welfare. About 35% of people who strongly believe that blacks are very hard-working want to cut welfare; about 65% who strongly believe the opposite want to cut welfare.

2. People who over-estimate the percentage of welfare recipients who are black are substantially more opposed to welfare. 64% of people who (wrongly) believe that most welfare recipients are black think that most people on welfare do not "really need it"; 50% of people who (correctly) believe that most welfare recipients are not black think the same.

3. States where a higher percentage of the poor are black spend less on welfare, controlling for income and education. One study estimated that if all the poor were white, AFDC benefits would be $2000 more per year than if all the poor were black.

I find these results fairly plausible. But as a firm believer in the view that no one deserves welfare, I am unperturbed. (Unlike Arnold Kling, I am no Bleeding-Heart Libertarian). Poor Americans of all races ought to emulate immigrants - take low-skilled jobs and try to work their way up. Instead of comparing themselves to native-born Americans who earn more than they do, the American poor should compare themselves to unskilled workers who weren't born here. At least the American poor don't have to learn a new language and leave their homes in order to move up in the world.

Incidentally, I strongly suspect that Gilens' results would generalize to immigrants. If Americans think immigrants get a lot of the benefits of welfare, they won't want to spend as much. As a defender of immigration and an opponent of welfare, I call that a happy coincidence."

Gilenx est sociologue, il enseigne à Berkeley. Caplan est économiste.

mercredi, février 09, 2005

The Corporation

The Corporation est un film qui ne se donne à Paris que dans une salle (mais que l'on peut voir dans quelques salles en province). Un film rare conçu comme un essai sur le monde de l'entreprise, d'où son titre, réalisé "à l'américaine", avec ce que cela suppose de sérieux dans la recherche, de vigueur dans le ton, mais aussi d'ouverture d'esprit (on y rencontre aussi bien des adversaires déclarés des multinationales que quelques grands patrons qui s'expriment sans être caricaturés). On en sort éclairé sur les méfaits des multinationales (notamment de Monsanto), inquiet (les produits industriels seraient à l'origine de ce que l'une des personnes interrogées appelle une épidémie de cancers), épuisé (le film est trop long), mais changé : c'est un film rare, qui pense sur des sujets difficiles, qui pense et donne à penser. Pour ma part, j'en ai retiré une hésitation sur ce qu'est une entreprise. On y apprend, ce que j'ignorais, que le 14ème amendement de la constitution américaine, conçu pour lutter contre l'esclavage, a surtout servi à donner une personne morale aux entreprises. Mais comment mettre en prison ce genre de personne morale? Et peut-on dire que leurs dirigeants sont les seuls coupables quand on voit que ce sont aussi, à l'occasion, de braves gens (tous les intervenants, même les plus hostiles aux grandes entreprises, assurent qu'ils peuvent l'être, qu'ils le sont parfois) : il y a une scène surréaliste où l'on voit le patron de la Royal Dutch Shell et son épouse, surpris dans leur maison de campagne, par des contetstaires, leur offrir le thé et engager sur la pelouse une longue conversation d'où il ressort qu'ils sont eux aussi, à titre individuel très inquiets pour l'avenir de la planète. Ce qui n'empêche naturellement pas Shell de se comporter d'une manière abominable au Niger. Qu'en conclure? Que ces braves gens mentent? qu'ils se mentent? ou, comme le suggère Michael Moore, parlant de ses parents, travailleurs de l'industrie automobile, qu'ils sont aveugles? La puissance du capitalisme moderne viendrait-il de cette capacité à créer chez chacun de nous cet aveuglement qui nous amène à faire au quotidien le contraire de ce que nous souhaitons, pensons et voulons?

jeudi, février 03, 2005

Une politique économique contradictoire

Le gouvernement Raffarin a choisi, comme son prédécesseur socialiste, une politique économique basée sur une relance de la consommation sans augmentation des salaires. mais là où l’équipe Jospin avait choisi de lutter contre le chômage (et donc, d’augmenter le pouvoir d’achat global), il a choisi de jouer sur :
- la baisse de l’impôt sur le revenu,
- la réduction de l’épargne des Français dont on sait qu’elle est très importante,
- les baisses de prix des produits de première consommation,
- l’allongement de la durée de travail (révision des 35 heures).
Ce choix dont la dimension politique est évidente puisqu’il a été conçu pour satisfaire tout à la fois le Medef (pas d’augmentations des salaires), Bruxelles (lutte contre le déficit), les clientèles électorales (riches qui paient des impôts et salariés faiblement rémunérés qui peuvent espérer une augmentation de leurs revenus) est beaucoup plus contestable sur le plan économique. Il est, en effet, plein de contradictions :
- la baisse de l’impôt sur le revenu (qui ne concerne que ceux qui en paient beaucoup) est largement compensée par les hausses des impôts locaux que favorise la politique de décentralisation de ce même gouvernement ;
- l’essentiel de l’épargne est détenue par les seniors. Or, les plus jeunes de ces seniors sont en train de découvrir les effets des différentes réformes des retraites, ce qui les affole et ne les incite certainement pas à se défaire de leur épargne ;
- les baisses de prix favorisent les délocalisations : elles incitent les entreprises que la grande distribution bouscule à fabriquer dans des pays à main d'oeuvre bon marché et poussent les distributeurs à se tourner vers des produits fabriqués en Chine, à l’instar de ce qui s’est passé ces dix dernières années aux Etats-Unis. Or qui dit délocalisation dit destruction d'emplois et donc réduction du pouvoir d'achat global ;
- les mesures prises contre les 35 heures se heurtent à trois obstacles majeurs : les réticences des entreprises à revenir sur des accords difficiles à négocier et souvent avantageux, les résistances des salariés qui se sont adaptés à un emploi du temps allégé et la faiblesse de l’activité (les entreprises n’ont pas besoin d’heures supplémentaires).
Autant dire que cela ne peut pas marcher…

Mélancolie du lecteur que je suis

J’ai trouvé ceci dans le blog d’Arnold Kling, un économiste de la famille des Autichiens (disciple de Hayek et Mises, en général, plutôt réactionnaires) :

« On Friday I went to my alma mater, Swarthmore College, to attend a memorial service for Bernard Saffran. I allowed time for traffic, so I arrived on campus almost an hour early. I was struck by the large number of new buildings. It made me think that Swarthmore is the most over-capitalized entity in the country.

« It was a bitter January day, so I went into the library to escape the cold. The few students who were there were working on computers, either the library's or their own laptops.

« I then wandered to the "honors reserve" section of the library, where books for junior and senior seminars are kept. They seemed rather old and threadbare. I pulled a few off the shelf, and I did not find any with a copyright date after 1992. The economics books were not classics, just books from the 1960's through the 1980's, almost all of them forgettable.

« I felt a pang of pity for the college, and this pathetic book collection. Then I turned around, once again seeing the fancy computers, and remembered the new buildings. It struck me that in 20 minutes of walking around the campus and 20 minutes in the library, I had seen more buildings that had been built than books that had been purchased in the past 15 years. Poverty amid plenty. »

Cela m’a rappelé deux expériences d’il y a une dizaine d’années. La première à la bibliothèque d’HEC. J’emprunte The function of the executives de Chester Barnard, l’un des rares chefs-d’œuvre de la théorie du management : il n’avait pas été emprunté depuis 1972. La seconde à la bibliothèque du CNAM à Paris. Je demande un livre de Franck Gilbreth, le seul qui ait été, si je me souviens bien, traduit en français. L’exemplaire que l’on me donne, publié dans les années 30, n’avait jamais été découpé !

Je ne sais qu’en conclure, mais ce texte et ces réminiscences m’ont rendu mélancolique.

vendredi, janvier 28, 2005

Les quotas ? Oui, mais…

Nicolas Sarkozy parle de quotas. En parle-t-il sérieusement ? ou n’est-ce qu’une manière de se donner une image moderne ? de donner un nouveau coup de vieux à Jacques Chirac ? Le l’ignore, mais après tout, peu importe : c’est une bonne nouvelle. Des quotas seraient un indéniable progrès sur la situation actuelle. Ils permettraient de construire une politique de l’immigration qui ne soit plus seulement basée sur la fermeture des frontières et l’organisation de charters. Mais disons le tout de suite : ce ne serait qu’un tout petit progrès. Il faudrait aller plus loin et tout simplement ouvrir les frontières, laisser les gens libres de circuler, d’entrer et de sortir comme ils l’entendent, un peu comme on laisse entrer et sortir idées et marchandises.
Les quotas ne sont pas satisfaisants pour au moins quatre motifs :
- la mise en place de quotas suppose que l’Etat sache mesurer et prévoir nos besoins en main d’œuvre dans chaque profession concernée. Or, il ne sait pas faire. S’il le savait, il aurait depuis longtemps demandé à notre système scolaire de former ces spécialistes dont nous avons besoin. A défaut, il va se tourner vers les organisations professionnelles. Ce sont les plus déterminées qui obtiendront les quotas les plus importants et pas forcément les métiers qui en auront le plus besoin. Pour ne prendre qu’un exemple, nous savons tous que nous allons très vite manquer de médecins. Il serait donc utile d’accueillir des médecins étrangers. La création de quotas dans ce domaine risque cependant de se heurter à l’opposition des médecins en place qui ne voudront pas voir arriver de nouveaux concurrents. J’ajouterai que si l’Etat ne sait pas faire , c’est tout simplement qu’il ne peut pas savoir : le marché du travail est très compliqué. On nous dit que nous avons besoin d’informaticiens, mais les entreprises n’ont pas besoin d’informaticiens en général, elles ont besoin de spécialistes en java, en linux, en réseaux… Va-t-on créer un quota pour les spécialistes de java ? et un autre pour les spécialistes des réseaux ?
- l’Etat aura naturellement tendance à réserver ces quotas à des professionnels qualifiés : informaticiens, spécialistes des nouvelles technologies… Or, nous avons également (peut-être même surtout) besoin de gens sans qualifications ou avec des qualifications qui s’acquièrent rapidement (ouvriers du bâtiment, apprentis dans la boucherie, la charcuterie, la boulangerie, emplois de service personnels…). On peut craindre qu’ils restent à nos portes ;
- les quotas, tels qu’on les imagine, reposent tous plus ou moins sur des contrats à durée déterminée : on accueille les gens pour trois, cinq ou sept ans… Mais pour venir s’installer en France, un candidat doit investir massivement. Il doit apprendre la langue et plus il est qualifié plus sa connaissance du français doit être approfondie. Croit-on vraiment que nous pourrons inciter des gens à faire ces investissements pour un contrat de trois ans ? Mettez-vous à la place du jeune vietnamien qui a envie d’émigrer. Il a le choix entre apprendre le français et l’anglais. Le français lui ouvre, dans le meilleur des cas notre marché du travail. L’anglais lui ouvre celui d’au moins quatre grands pays : les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et l’Australie. Pas besoin d’être grand clerc pour voir où ses préférences vont le porter. Il en irait naturellement tout autrement si on lui disait : vous pouvez entrer et rester chez nous autant que vous le souhaitez…
- les quotas sont, enfin, personnels : on autorise M.X ou Mlle Y à venir travailler en France. Mais ces candidats heureux à l’immigration ont peut-être une famille, des enfants. Va-t-on leur refuser d’entrer chez nous ? Si on fait ce choix on risque de limiter singulièrement le nombre de candidats. Va-t-on, au contraire, faire preuve d’un peu d’humanité ? Mais alors que feront les conjoints une fois installés en France ? auront-ils le droit de travailler ? Et que deviendront les enfants nés ou élevés en France ?
Encore une fois, des quotas seraient un progrès, mais ils ne seraient que cela. Il faut aller beaucoup plus loin et accepter enfin l’idée que les hommes peuvent librement circuler, entrer et venir comme bon leur semble.
Ceci dit, on aurait tort de bouder notre plaisir. Les quotas ont l’avantage de remettre la question de l’immigration sur la table dans un esprit nouveau. Ce n’est plus le Front National qui impose ses idées à l’ensemble de la classe politique. Leur discussion est l’occasion de voir les dégâts considérables causés par 20 ans de fermeture des frontières : le français ne s’enseigne plus nulle part, nos grandes écoles, nos universités n’ont pas créé de filières à l’étranger, elles ont abandonné ou laissé en déshérence celles créées dans notre ancien empire colonial, les jeunes gens qui veulent émigrer n’ont qu’un rêve : les Etats-Unis.
Pour en savoir plus sur ces questions, vous pouvez aller jeter un coup d’œil sur le livre que j’ai consacré à ces questions : Plaidoyers pour l’immigration

jeudi, janvier 27, 2005

L'utilisation systématique de l'anglais va aggraver les erreurs de perception du management

Je me suis souvent interrogé sur le succès croissant de l’anglais dans le monde du travail. Pourquoi le comité de direction d’une entreprise française (allemande, italienne…) qui regroupe 19 Français (Allemands, Italiens…) et un Américain se mettrait-il à parler anglais alors que chacun le sait bien, les Français (mais cela vaut également pour les Italiens, les Espagnols, les Allemands et, plus encore, pour les Japonais) parlent un mauvais anglais. Parleraient-ils même correctement (ce qui arrive parfois), leur anglais est forcément moins riche, nuancé et précis que leur langue maternelle. Ils se mettent volontairement en situation d’infériorité. Ce qui paraît absurde. Sauf à imaginer qu’en fait la méconnaissance de la langue dans laquelle on parle n’a aucune importance, que le monde du travail s’accommode très bien de l’imprécision, des conversations que l’on comprend à moitié, des concepts flous et des raisonnements boiteux. C’est évidemment une hypothèse lourde : on croyait les entrepreneurs gens rationnels, intelligents et soucieux de performances, ils seraient en fait négligents, adeptes du laisser-faire intellectuel et de l’à peu près… Mais peut-être n’est-elle pas complètement absurde.
L’utilisation des statistiques et des formules Excel dans les entreprises aurait déjà dû attirer notre attention. On fait à peu près n’importe quoi avec sans que personne ne s’en offusque vraiment. On compare, chaque jour, la croissance des ventes d’un produit qui part de rien et qui va très vite de zéro à 100 et celle d’un produit ancien qui va lentement de 10 000 à 11 000. On se félicite de la première et l’on se désole de la seconde… Alors que ce devrait être le contraire. On compare sur les mêmes tableaux des progressions de chiffres d’affaires en dollars et en euros, ce qui est trompeur lorsque les monnaient jouent au yo yo (lorsque le dollar baisse rapidement, une augmentation du chiffre d’affaires en dollar peut masquer une baisse des ventes en unités…). Mais ce sont les travaux de Bill Starbuck et John Mezias, deux psychologues qui enseignent respectivement à New-York et Miami, qui mettent en évidence l’importance d’un phénomène méconnu. Ces deux auteurs montrent que ces erreurs sont bien plus courantes qu’on ne le pense d’ordinaire.
Dans un article que l’on peut trouver sur internet (The Mirrors in Our Funhouse: The Distortions in Managers' Perceptions) ils analysent ce qu’ils appellent les erreurs de perception des managers qui ressemblent un peu à ces erreurs de perception visuelle ou cognitive. Ils ont notamment identifié :
- la tendance à exagérer la fréquence d’événements dont la presse parle abondamment (dans un domaine qui n’est pas celui des affaires, on peut penser à l’insécurité ou à la pédophilie),
- la tendance à exagérer sa contribution aux résultats de l’entreprise et, simultanément,à dévaloriser celle d’autrui,
- la tendance à attribuer les succès de l’entreprise aux qualités de son management et ses échecs à un environnement défavorable,
- la confiance aveugle accordée aux informations fournies par des systèmes automatiques (informatique…)
- la tendance à retenir les informations positives et à mettre de coté les informations négatives
Dans une étude qu’ils ont réalisée auprès de cadres moyens et de patrons de PME, ils ont montré que 35% des personnes interrogées se trompaient d’au moins 50% sur le chiffre d’affaires de leur entreprise (ou dans les grandes entreprises de leur département) et 24% se trompaient de plus de 200%. Les erreurs sont aussi fréquentes chez les cadres travaillant dans des services commerciaux, a priori plus intéressés par le chiffre d’affaires, que chez ceux travaillant dans des services plus techniques.
Ils montrent dans la même étude que les cadres sont peu sensibles aux changements de leur environnement ce qui peut expliquer que tant d’entreprises se laissent doubler, sur leur propre marché par de nouveaux entrants avec des technologies plus performantes.
Une autre étude, réalisée par ces mêmes auteurs, montre que deux ans après le lancement d’un programme qualité massif dans une grande entreprise (dont ils ne donnent pas le nom, mais qu’ils disent prestigieuse et réputée pour la qualité de ses politiques de formation), la plupart des managers étaient incapables de donner des informations exactes sur le niveau de qualité dans leur propre service.
Le sujet est suffisamment riche pour avoir fait l’objet en 2002 d’une conférence qui a réuni en Grande-Bretagne plusieurs spécialistes, psychologues et spécialistes du management. On n’y a pas abordé les questions linguistiques, mais on aurait du. L’utilisation de plus en plus courante de l’anglais dans le monde du travail par des gens dont ce n’est ni la langue maternelle ni la langue de travail quotidienne va contribuer à augmenter ces erreurs de perception, ces à peu-près conceptuels et ces imprécisions.
De deux choses l’une :
- ou cela va rendre les entreprises concernées plus fragiles, moins compétitives et l’on verra l’emploi continuer de décroître dans nos pays,
- ou les entreprises peuvent parfaitement s’accommoder d’un management myope qui vit dans une sorte épaisse brume conceptuelle.
Le plus simple serait, bien sûr, d’imaginer d’autres politiques linguistiques, de développer des systèmes de traduction, d’aide aux échanges entre locuteurs de langues différentes et d’enseignement plus efficace des langues étrangères. On y gagnerait de tous points de vue : celui de la protection de nos cultures nationales, de l’efficacité du management (19 Français et 1 Américain qui parlent ensemble français communiquent certainement mieux ensemble que les 20 mêmes parlant anglais), mais aussi du point de vue de l’emploi. Plusieurs dizaines de milliers de postes ne sont pas pourvus dans des entreprises allemandes travaillant en France parce qu’on ne trouve pas de salariés sachant l’allemand !

mardi, janvier 04, 2005

Aide aux victimes du Tsunami : l’impôt ou le don ou comment Jacques Nikonoff a perdu une occasion de se taire

Dans une tribune libre publiée dans Libération (édition du 4 janvier), Jacques Nikonoff, le président d’Attac France, propose de lever une taxe humanitaire pour l’Asie. La communauté internationale pourrait, dit-il, décider d’un prélèvement exceptionnel. Cette proposition a peu de chance d’être retenue alors même qu’elle ne susciterait probablement qu’une faible opposition étant par définition non reconductible (il n’y a pas de catastrophe de cette nature tous les ans) et forcément faible. Mais l’important n’est pas là. Il est dans ce que cet article -mauvais : Nikonoff y parle de tout, des victimes de la malnutrition, du sacre de Sarkozy à l’UMP, des bourses asiatiques, de l’Europe, de tout ce qui fait son fonds de commerce, donc, sauf du sujet principal : l’aide aux victimes du tsunami -, dit des manières de raisonner de certains des dirigeants d’Attac.
On pourrait avancer plusieurs arguments en faveur de l’impôt dans ce genre de situation :
- il est plus équitable dans la mesure où il touche tout le monde ou, du moins, tous ceux qui sont imposés, alors que ne donnent que ceux qui le souhaitent,
- il serait économiquement plus efficace puisqu’il permettrait de collecter des sommes plus importantes avec des contributions individuelles plus faibles (du moins pour ceux qui donnent),
- vu son objet, il serait probablement international (au moins européen tel que l’imagine Nikonoff), ce qui créerait un précédent utile pour aider au développement d’institutions internationales plus puissantes.
Ces arguments (ce ne sont pas ceux que développe Nikonoff dans son papier) ne sont pas insignifiants, mais ils n’emportent pas la conviction. Le don a des atouts qui doivent, en l’espèce, le faire préférer à toute autre forme de collecte de fonds dans ce type de situation où il faut tout à la fois être efficace (les sommes doivent arriver rapidement aux victimes) et uni (rien ne serait pire que des discussions sur l’utilité d’aider les victimes) :
- il est efficace : introduire un nouvel impôt demande de respecter des procédures qui prennent du temps alors que les dons peuvent être collectés rapidement, les organisations caritatives et les ONG étant rompues à cet exercice,
- il ne suscite pas de contestation : le don ne forçant personne ne suscite pas ni débat ni protestations de ceux qui, pour des motifs bons ou mauvais, ne veulent pas aider financièrement les victimes de la catastrophes,
- il ne demande pas de longues réflexions : dans la mesure où donne qui veut, on n’a pas à s’interroger sur l’origine des donateurs, sur leurs revenus, sur leurs moyens.
Le principal défaut des dons (le détournement d’une partie des sommes versées par les associations de collecte pour financer les appels à la charité publique) tombe dans ce cas précis puisque l’essentiel de l’effort de communication est fait gratuitement par les télévisions et journaux qui publient des informations.
Pourquoi donc dans un cas comme celui-ci préférer l’impôt aux dons ? La réponse est à chercher dans le mécanisme suggéré. S’inspirant de la taxe Tobin, Nikonoff propose de taxer (à 0,05% avance-t-il) les actionnaires. Ce qui permettrait, dit-il, de collecter 10 milliards d’euros, soit à peu près l’équivalent de ce que devrait coûter, d’après les premières estimations, cette catastrophe. Mais pourquoi faire payer les actionnaires plutôt que d’autres ? Pourquoi seraient-ils les seuls à payer ? au nom de quel principe moral voudrait-on que les propriétaires des entreprises soient plus solidaires des victimes du Tusnami que les travailleurs (même si ce sont souvent les mêmes) ? Si rien ne justifie qu’ils soient les seuls à payer (et rien, bien sûr, ne le justifie), il n’y a que deux explications :
- la rigidité mentale de militants qui, à l’image des staliniens d’hier et des membres des sectes chrétiennes intégristes d’aujourd’hui, ne voient le monde qu’au travers de leurs discours stéréotypés et utilisent la même grille pour tout analyser, la dette du Tiers-Monde et le glissement des plaques tectoniques,
- la perte du sens moral chez ces mêmes militants : les marchés financiers étant responsables de mille maux (mais pas, bien sûr, du Tsunami), il est normal qu’ils paient pour les autres là où ils sont innocents. C’est ramené au financement de l’aide aux victimes de la catastrophe asiatique, le raisonnement des soldats qui prennent des otages : tu es innocent, mais ce n’est pas grave, tu seras tout de même puni.
C’est dans les deux désolant. Attac nous avait habitué à mieux.

mardi, novembre 30, 2004

A propos d'un article du Monde sur Bernard Heidsieck

Le Monde a publié dans son édition datée du 1er décembre 2004 un long papier sur Bernard Heidsieck accompagné d’une note sur l’histoire de la poésie sonore, deux articles qui font (est-ce un hasard?) suite à une émission de deux heures consacrées au même artiste sur France-Culture.
Heidsieck mérite ces hommages, on peut même les trouver tardifs et il y aurait toute raison de se féliciter de cet intérêt s'il n'illustrait une nouvelle fois l'une des énigmes de la vie littéraire contemporaine : l'effacement radical du mouvement lettriste qui plus que tout autre a contribué à faire de la poésie phonétique (et donc de cette poésie sonore dont se réclame Bernard Heidsieck) un genre à part. Il n’y est pas fait référence une seule fois dans ces deux articles alors que sont cités des tas de gens dont la contribution à ce genre littéraire est inexistante ou au mieux minuscule.
Ce silence est d'autant plus étrange que le fondateur et principal théoricien du mouvement lettriste, Isidore Isou n'est pas un inconnu : il est entré depuis la fin des années 50 dans le Larousse et, dès le début des années 60, les lecteurs du Lagarde et Michard pouvaient faire connaissance avec le lettrisme. De fait, et à quelques exceptions près, on ne parle aujourd'hui du lettrisme que par raccroc, à propos notamment des situationnistes (Guy Debord a fréquenté Isou auquel il a emprunté idées et méthodes et il a appelé son premier mouvement l'ultra-lettrisme). Dans cet article, le mot lettrisme n’est utilisé qu’une seule fois et pour parler d’un « ex-lettriste » : François Dufrêne que les amateurs de peinture connaissent pour sa participation au Nouveau Réalisme. Je précise, et cela ajoute à l'énigme, qu'Isou vit toujours, qu'il a récemment publié un pavé consacré à ce qu'il appelle la "créatique" et que plusieurs de ses disciples (Maurice Lemaitre, Roland Sabatier…) continuent de se démener, de publier des tracts et des revues éphémères.
Ce silence n'est pas de l'ostracisme : Patrick Kékichian, le journaliste du Monde, auteur de ces deux articles sur Heidieck, n’a sans doute aucun désir ou motif de passer sous silence les lettristes, il est plus probable qu'il ignore tout de leur rôle. Ce silence relève, je crois, plutôt de la sociologie des milieux littéraires. Il faut, pour y réussir, remplir quelques conditions. Et il semble qu’Isou et les lettristes qui ont su très vite se faire connaître par le scandale et l’invective n’ont pas su les remplir. Plusieurs facteurs ont probablement joué.
Le sectarisme du groupe lettriste, eux seuls détenaient la vérité, les autres, tous les autres ne pouvaient être que des escrocs ou des faussaires, l'a isolé et a interdit à ses membres de créer les réseaux, les alliances qui leur auraient permis de se faire connaître, de publier, d’exposer. Ce sectarisme qu’Isou a poussé jusqu’à nier l’existence des poèmes phonétiques de ses prédécesseurs a chassé tous ceux, critiques ou universitaires, qui auraient pu, du même geste, construire une carrière et contribuer à le faire connaître.
La philosophie esthétique d'Isou repose sur une théorie de la création artistique, mêlée à un comportement groupusculaire qui a en général attiré autour de lui des gens qui n'avaient que peu d'envergure et ne pouvaient faire carrière que dans son ombre. De fait les plus actifs (Lemaitre, Altman, Sabatier) ont été remarquables plus par leur activisme éditorial que par leur production esthétique,
Les poèmes lettristes se crient plus qu'ils ne se lisent, ce qui se prêtait mal à une diffusion : le mouvement lettriste a été surtout actif dans les années 50 et 60, à une période où les moyens de reproduction mécanique (disques, enregistrements) étaient coûteux et difficiles d'accès. Résultat : on ne dispose aujourd'hui que de peu de témoignages de leur travail.
La désinvolture dont Isou a constamment fait preuve quant à la qualité esthétique des œuvres, les siennes comme celles de ses amis, n’a favorisé ni la création d'un corpus d'oeuvres important (les oeuvres lettristes sont relativement peu nombreuses) ni, surtout, le développement d'un public d'amateurs susceptible d'assister à des spectacles, d'acheter des livres ou des disques. Les lettristes n'ont pas su créer autour d’eux ce climat d'échanges, d'analyse critique qui forme les amateurs. Cette désinvolture est à mettre en relation avec sa démarche plus soucieuse d’affirmer les mécanismes de la création que la production : si une œuvre a été retenue par la postérité, ce n’est pas, à ses yeux, parce qu’elle était belle, mais parce qu’elle était nouvelle, innovante.
Le monde intellectuel a connu bien d'autres mouvements sectaires (le surréalisme, le lacanisme…), la plupart ont réussi à se construire un public, à réunir des gens de qualité, à susciter des oeuvres. Le mouvement lettriste a échoué dans tout cela, alors même qu'une lecture, même rapide, des oeuvres d'Isou, qu’un examen même superficiel de ses interventions dans les domaines de la peinture, de la poésie et de la théorie politique (il a été l'un des premiers théoriciens de la révolte de la jeunesse comme en témoigne son livre, Le Soulèvement de la jeunesse publié en 1949 qui a manifestement inspiré Guy Debord et les situationnistes) montrent qu'il mérite mieux, beaucoup mieux. On a envie de dire : malgré lui…
Pour en savoir plus sur le lettrisme, voir les pages que j'y consacre sur mon site Dissonances

lundi, octobre 04, 2004

Faux amis

Dans un précédent message j'indiquais que l'anglais n'était pas la langue naturelle des affaires, à l'inverse de ce que disait le responsable d'une école de langue et de ce que pensent (ou semblent penser) un nombre croissant de responsables. Je voudrais ici mettre l'accent sur une difficulté rarement soulignée : celle des faux amis. Et je le ferai en prenant trois exemples :
- celui de l'engagement. Il y a quelques semaines, un cabinet américain spécialisé dans les ressources humaines, Towers-Perrin, a publlié une étude dont les résultats indiquaient que 20% des travailleurs français étaient peu "engagés". S'il avait fait l'effort de traduire le mot "engagement" il aurait parlé "d'implication" ce qui n'a pas tout à fait le même sens, est moins fort. Cela aurait évité aux journalistes trop rapides quelques déclarations définitives sur le mal français. Mais je me demande surtout ce que ce même sondage aurait donné si l'on s'était méfié de ce faux-ami (l'engagement est en français un mot fort : on s'engage dans l'armée, dans un parti politique, pour une cause, pas dans son travail!) Peut-être aurait posé des questions plus conformes à l'expérience et à la compréhension des locuteurs français et aurait-on obtenu des résultats différents ;
- celui de client : il ne se passe de semaine qu'un tract de syndicat de fonctionnaires ne dénonce la volonté des pouvoirs publics de privatiser des pans entiers de la fonction publique, de remplacer les usagers par des clients. Cette crainte serait sans doute moins vive si leurs auteurs savaient que ce mot "client" utilisé dans les programmes qualité (et c'est là qu'on le rencontre le plus souvent dans l'administration) ne veut pas dire consommateur comme nous l'entendons (les anglais et les américains ont pour cela le mot "customer") mais usager au sens où l'on parle de client dans une architecture informatique client-serveur;
- et puisque je parle d'informatique, je ne résiste pas au plaisir de me rappeler les très longues et très oiseuses conversations de spécialistes à la recherche de nuances entre l'outsourcing et l'externalisation. Il s'agissait bien évidemment de la même chose, mais dans un cas en anglais et dans l'autre en anglais.

mardi, septembre 21, 2004

Les vertus de l'immigration

Dans un livre qui vient tout juste de paraître (Plaidoyers pour l'immigration aux éditions Les Points sur les i), je démonte un à un tous les arguments de tous ceux qui mettent des barrages à l'entrée des étrangers qui souhaitent venir travailler chez nous.
Il n'est pas vrai que les immigrés prennent le travail des Français, il n'est pas vrai non plus qu'ils coûtent particulièrement cher à nos systèmes sociaux. Et quant aux difficultés d'intégration, elles relèvent plus du fantasme que d'autre chose : les difficultés, lorsque difficultés il y a, concernent d'abord des jeunes gens nés et élevés ici, des jeunes français, donc, qui sont, par définition, intégrés.
Cette déconstruction du discours anti-immigrés est nécessaire tant il est massif et dominant. Mais au delà, on peut développer toute une série d'arguments qui montrent que nous aurions tout intérêt à laisser nos frontières ouvertes.
Cinq types d'arguments peuvent, je crois, être avancés en ce sens :
Le premier tourne autour de la sécurité. La fermeture des frontières n'empêche pas l'arrivée de travailleurs étrangers, mais elle les force à entrer de manière calndestine, ce qui a trois effets :
- cela conduit au développement de mafias spécialisées dans le passage de frontières. Le chiffre d'affaires de ces mafias, qui ont partie liée avec les trafiquants de drogue et d'armes, est considérable. Et plus le passage des frontières est difficile, plus il progresse,
- elle favorise le développement de la délinquance fiscale (les salariés clandestins travaillent au noir dans des entreprises qui ne les déclarent pas et vendent leurs produits à des commerces qui eux-mêmes ne déclarent pas tous leurs revenus),
- elle entretient tout un secteur qui ne respecte pas les droits sociaux élémentaires et viole en permanence le code du travail.
Laisser les frontières ouvertes ferait immédiatement tomber ces mafias et faciliterait la lutte contre la fraude fiscale et contre les violations répétées du droit du travail. Ce dont nous serions tous bénéficiaires.
Le second argument relève du marché du travail. On sait qu'il fonctionne mal, que les entrepreneurs ne trouvent pas les salariés dont ils ont besoin, que ceux-ci soient qualifiés ou pas : l'ouverture des frontières permettrait de piocher dans un marché beaucoup plus vaste et de trouver plus facilement les personnels dont on a besoin.
Le troisième argument se situe à la jonction entre marché du travail et marché de l'innovation. Lorsqu'ils sont diplômés, les travailleurs immigrés ont un handicap réel : ils maîtrisent mal la langue, ont des diplômes qui ne sont pas toujours acceptés. Ils doivent donc mettre leurs compétences, leur savoir-faire au service d'activités que des professionnels autochtones négligent. Or, ce sont ces "pas de coté" qui sont à l'origine de la plupart des innovations. Le succès d'Israel dans le domaine des biotechnologies tient, pour beaucoup, à la présence d'un très grand nombre de médecins formés en Russie qui ne peuvent exercer la médecine, faute de maîtriser parfaitement l'hébreu, mais qui peuvent utiliser leurs compétences dans de nouveaux domaines.
Le quatrième argument tient à la création de liens commerciaux avec les pays d'origine. Les immigrés ne coupent pas tout lien avec leur pays d'origine. Ils sont souvent les mieux armés pour créer des relations commerciales entre pays. Lorsque ces pays connaissent un fort développement, comme c'est aujourd'hui le cas de la Chine ou de l'Inde, l'existence de ces liens favorise les relations commerciales et les échanges dont tout le monde profite.
Enfin, et c'est le cinquième argument, l'ouverture des frontières devrait rapidement contribuer à réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres. C'est ce qui s'est produit au début du 19ème siècle, lors de la première phase de mondialisation. C'est ce qui se produirait si l'on ouvrait aujourd'hui les frontières. Deux mécanismes devraient contribuer à cela :
- pour éviter que l'ouverture de nos frontières n'entraîne une trop rapide fuite des bras et des cerveaux, les pays d'origine (et les industriels qui y sont installés!) auront intérêt à réduire les écarts, à augmenter les salaires, à rapprocher les systèmes sociaux (alors qu'aujourd'hui, c'est tout le contraire!),
- l'amélioration des conditions de vie dans les pays de départ favorisera le retour des cerveaux qui pourront contribuer au développement de ces pays.
On le voit de nombreux arguments militent en faveur d'une ouverture aussi complète que possible de nos frontières. S'ils sont aujourd'hui encore peu connus, ils ne sont pas sans rappeler ceux avancés pour justifier la levée des obstacles au commerce des biens.

jeudi, septembre 16, 2004

L'occasion d'un débat sur l'Europe

Les déclarations de Fabius sur l'Europe font couler beaucoup d'encre dans la presse qui insiste en général sur la bataille au sommet du PS (il s'étripe titrait hier le Canadard Enchaîné). A ce titre, elles inquiètent les socialistes, militants et électeurs qui ne voudraient pas que se reproduisent les scènes piteuses du Congrès de Rennes. On peut, cependant, trouver des vertus à ce qui se passe. Pour la première fois, depuis depuis années, nousavons l'occasion d'un vrai débat sur l'Europe. Le fait qu'il oppose des gens apparatenant au même parti, associés à sa direction peut même être une bonne chose si cela incite les uns et les autres à aller au fond des choses. Que Fabius ait fait un calcul "politicien" (quel mot stupide et déplaisant : la politique, ce sont bien évidemment aussi ces calculs qui n'ont rien de nul), c'est probable, mais est-ce si grave? L'important est que les débats organisés à l'occasion de cet échange nous permettent de mieux comprendre les enjeux, de mieux connaître cette constitution qui nous concerne tous.
J'aimerai qu'un journal (Le Monde, Libération…) le texte de cette constitution que je n'ai personnellement vu nulle part, et demande aux uns et aux autres de commenter les articles qui font problème. Ce serait certainement la meilleure manière de nous aider à nous faire une opinion. Ce serait, en un mot, démocratique.

vendredi, septembre 03, 2004

Non, l'anglais n'est pas la langue naturelle du business

Cette formule, l'anglais, langue naturelle du business, a été prononcée il y a deux ou trois ans par le directeur d'une école qui fait profession d'enseigner l'anglais aux hommes d'affaires (le Wall street institute) à l'occasion d'un colloque professionnel. Ce qui surprend, ce n'est pas qu'elle ait été prononcée par un professionnel de l'enseignement de l'anglais (après tout ce slogan n'est pas plus stupide que beaucoup d'autres slogans publicitaires), mais qu'elle n'ait suscité aucune réaction. Tous les participants ont trouvé cela normal, comme si l'anglais était effectivement devenu la langue des affaires, comme si l'on ne pouvait pas faire d'affaires en une autre langue que l'anglais.
On pourrait naturellement comprendre cela en disant que l'anglais a développé un vocabulaire, des concepts qui se prêtent mieux à la négociation commerciale que d'autres langues, un peu comme les informaticiens parlent anglais parce que c'est dans cette langue qu'on été développés les principaux langages informatiques. Mais il ne s'agit pas de cela. Le directeur de cet institut voulait tout simplement dire que l'anglais était devenu la langue des affaires, que l'on ne pouvait pas en faire si on ne le parlait pas. Ce qui est faux et… dangereux.
Dangereux, ce l'est pour au moins quatre motifs :
- l'utilisation de l'anglais (ou de tout autre langue unique) dans les relations de travail donne un avantage déterminant à ceux dont c'est la langue maternelle. A compétences égales, on sera naturellement porté à préférer un anglais, un américain ou un australien à un français, un allemand ou un italien;
- l'utilisation de l'anglais dans les négociations donne un avantage à ceux qui le parlent le mieux, c'est-à-dire à ceux qui le pratiquent depuis l'enfance;
- l'utilisation de l'anglais comme langue de travail favorise l'importation de concepts venus du monde anglo-saxon. C'est vrai dans le monde de la comptabilité (la COB a du intervenir pour rappeler aux entreprises frnaçaises que certains des concepts qu'elles utilisaient n'avaient tout simplement aucun sens dans notre environnement institutionnel). Autre exemple : sous l'influence de la commission européenne, on utilise de plus en plus souvent le mot "client" dans l'administration en lieu et place du mot usager. Il a en français une connotation "commerciale" qu'il n'a pas en anglais où il est utilisé pour décrire les relations entre une profession libérale et son "client" (ce qui suppose un certain degré de confiance que l'on ne trouve pas dans les relations commerciales traditionnelles) ou encore pour décrire une relation dans un système informatique entre un serveur (qui conserve les données et les programmes) et des postes envoient les consignes (les clients. D'où des résistances des salariés qui seraient moins vives si le mot était pris dans son sens originel ;
- enfin, et peut-être même surtout, l'utilisation de l'anglais donne un avantage déterminant aux entreprises culturelles anglo-saxonnes. C'est vrai dans le monde de la chanson, du cinéma mais aussi, et c'est le plus grave, dans celui de l'éducation. Pourquoi aller dans une université allemande ou italienne quand on vous demande de travailler en anglais? Pourquoi se donner la peine de lire Racine ou Goethe quand Shakespeare sera la principale référence culturelle.
La logique qui consiste à privilégier une langue (l'anglais ou toute autre) est dangereuse. Nous gagnerons tous à développer le multilinguisme et à insister pour que se développent des outils de traduction et d'aide au dialogue entre locuteurs d'origine différente.

jeudi, septembre 02, 2004

Quand les droits de propriété limitent notre liberté

Il y a quelques semaines, la télévision a fait un reportage sur les dessous des jeux Olympiques, reportage au cours duquel on a pu voir, de manière incidente, des japonais refoulés des jeux parce qu'ils portaient des t-shirt à une autre marque que celle d'un sponsor. Ils avaient acheté leur billet, cher sans doute, et avaient peut-être fait tout le voyage pour assister à une compétition. Mais les millions de téléspectateur auraient pu voir une marque qui n'avait pas sponsorisée les jeux : on leur a donc demandé de retirer (ou, plutôt, de retourner) leur vêtement.
Ce n'est qu'une anecdote mais qui illustre bien un phénomène que l'on rencontre de plus en plus souvent : celui de l'aliénation de notre liberté (dans le cas présent, celle de nous habiller comme nous l'entendons) pour défendre des intérêts privés.

mercredi, septembre 01, 2004

Le retour de Platon dans la philosophie politique américaine

Platon est de retour aux Etats-Unis. Le Platon que connaissent bien tous les étudiants en philosophie, celui qui critiquait la démocratie qui donne le pouvoir au peuple qui ne peut être philosophe.
Il revient à l'occasion d'un débat sur la démocratie délibérative (Deliberative democracy), un mouvement qui reprend les thèses d'Habermas et milite pour un contrôle renforcé des citoyens sur le gouvernement. Les citoyens, disent en substance ses auteurs, doivent participer plus activement aux choix politiques et, pour cela, il faut que les gouvernants leur donnent la possibilité de débattre des décisions, ce qui suppose qu'ils aient accès aux éléments nécessaires pour arbitrer entre plusieurs politiques. Je citais à l'instant Habermas, ces auteurs pensent, comme le philosophe allemand que le but de la politique est d'obtenir, par la raison, par le dialogue et l'échange d'arguments, l'agrément de tous.
Or, la démocratie délibérative s'est trouvée des adversaires en la personne d'Ilya Somin et, surtout, Richard Posner, le théoricien de l'application du raisonnement économique au droit qui inspire la droite américaine. Dans des textes récents, ces deux auteurs s'en prennent à la démocratie délibérative : elle est, disent-ils, impossible parce que les citoyens sont ignorants.
Il leur est, on le devine, assez facile de multiplier les "preuves" de cette ignorance : il suffit de mettre bout à bout tous ces sondages qui nous montrent que x% des Américains ne connaissent pas le nom de leur Président, ne savent où se situent la France, croient que la terre est plate ou que les bébés naissent dans les choux…
Leur thèse tient en trois points qui reprennent (sans qu'ils les citent) celles de Platon et de Tocqueville, autre critique des régimes démocratiques :
- il est impossible, dans des socités modernes extrêmement complexes, d'organiser un contrôle du gouvernement par les citoyens : ceux-ci sont trop ignorants (ces auteurs parlent plutôt de capacités cognitives limitées, mais c'est bien le même sens);
- organiser des débats approfondis ne peut que mettre en évidence les différences morales profondes entre citoyens, cela ne peut que rompre le consensus sur lequel vit la société;
- enfin, dans une société commerciale, marchande, les citoyens sont pragmatiques, plus intéressés par leur intérêt privé, par les questions concrètes que par les questions d'ordre général. La politique ne les intéresse pas.
Ces positions conduisent Posner à développer une vision aristocratique de la politique comme dans ce texte :"Modern democracy, for reasons of efficiency and feasibility, is representative democracy, which involves a division between rulers and ruled. The rulers are officials who are drawn from—to be realistic—a governing class consisting of ambitious, determined, and charismatic seekers of power, and the role of the citizenry is to vote candidates for officialdom in and out of office on the basis of their perceived leadership qualities and policy preferences. The system exploits the division of labor and resembles the economic market, in which sellers and consumers constitute distinct classes. In the marketplace, the slogan “consumer sovereignty” signifies that the essentially negative power of the consumer—the power not to buy a particular product, a power to choose though not to create—constrains the behavior of sellers despite the vast gulf of knowledge and incentives that separates sellers and consumers. The same relationship exists between politicians and voters." (on peut consulter le texte intégral de cette intervention à l'adresse suivante : http://www.legalaffairs.org/issues/January-February-2004/feature_posner_janfeb04.html
Il ne s'agit bien sûr que de débats entre intellectuels, mais on aurait tort de croire qu'ils jouent un rôle négligeable aux Etats-Unis. Leur influence sur la classe dirigeante y est au moins aussi importante que chez nous.

Quand la police fait bien son travail…

Je ne suis pas de ceux qui chantent volontiers les louanges de la police et des policiers. Je trouve que l'on en fait en général trop, beaucoup trop, et je suis plus prompt à critiquer, à blamer qu'à féliciter. Mais la manière dont la police a su traiter deux affaires récentes qui ont fait beaucoup de bruit mérite les fécilitations. Je fais naturellement allusion à la fausse agression de Marie L. et à l'incendie du centre social juif de Paris. Dans les deux cas, la presse et les politiques ont immédiatement réagi, condamné avec la plus grande vigueur les auteurs de ces actes que l'on n'hésitait pas à désigner du doigt : des jeunes issus de l'immigration dans un cas, des islamistes ou des néo-nazis (c'était moins clair) dans le second. La police aurait pu, comme tout le monde, comme les journalistes, les politiques et l'opinion, se contenter de suivre le mouvement, lancer des coups de filet dans les milieux désignés à la vindicte populaire, arrêter au petit matin, devant les caméras de télévision, quelques barbus mal réveillés qu'on aurait relachés, faute de preuves quelques heures plus tard. Ce faisant, elle n'aurait naturellement trouvé aucun coupable, mais l'on aurait rapidement oublié ces affaires. Ce n'est pas ce qu'elle a fait. Elle a mené l'enquête. Elle l'a fait dans un contexte qui ne devait pas être particulièrement facile, mais elle a travaillé et mis son professionnalisme au service de la recherche de la vérité. Elle a montré en cette occasion qu'elle savait garder son sang-froid et échapper à l'émotion collective. J'imagine que la gravité des faits avait amené les responsables policiers à mettre beaucoup de moyens à la disposition des enquêteurs. Mais c'est rassurant. Cela veut tout simplement dire que la police et la justice peuvent faire correctement leur travail dans des conditions difficiles, que ses personnels peuvent résister à la pression politico-médiatique. Ce qui serait plus rassurant encore, c'est que cette même police trouve les responsables des actes antisémites restés impunis. Et l'on sait que c'est le cas du plus grand nombre.

dimanche, juillet 25, 2004

Le paradoxe de la productivité

Il y a une vingtaine d'années l'économiste et Prix Nobel Robert Solow a intrigué tout ce que la terre compte d'économistes et agacé tout ce qu'elle compte d'informaticiens en parlant de ce qu'il a appelé le "paradoxe de la productivité". On voit, disait-il en substance, des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques économiques. Il metttait, en somme, le point sur ce que des observateurs proches du terrain (dont moi-même dans une conférence de 1982 pour l'Afcet au titre explicite : Et si la productivité n'était pas au rendez-vous) commençaient à découvrir : il n'est pas certain que l'installation d'ordinateurs dans les entreprises améliore de manière significative leurs performances.
La plupart des auteurs qui se sont intéressés à cette thèse ont tenté de la dénoncer. Une fréquentation régulière du monde de l'informatique, des projets informatiques, me fait depuis longtemps penser qu'il serait plus utile de comprendre en quoi elle peut être juste, ce qui peut, dans les pratiques des professionnels, entraver la croiossance de la productivité qui est bien le principal argument avancé par les entreprises pour justifier de leurs investissements dans le domaine.
Dans la conférence de l'Afcet, dont on peut trouver le texte dans les annales de la conférence bureautique de 1982, j'insistais surtout sur le fait que si les outils permettent des gains de productivité sur certaines fonctions, ils favorisent également le développement de nouvelles fonctions qui consomment du temps et de l'énergie, fonctions dont on se passait parfaitement jusqu'alors. Ce n'était, naturellement, que l'un des aspects du phénomène.
D'autres facteurs peuvent aujourd'hui être avancés :
- l'évolution technologique, d'abord. L'industrie a, dans les années 80, abandonné les solutions propriétaires (développées par un industriel qui maîtrisait à peu près toute la chaine depuis le matériel jusqu'aux logiciels) au profit de solutions ouvertes, comme Unix, qui avaient l'avantage d'ouvrir la concurrence (d'où des baisses de prix rapides), mais l'inconvénient de multiplier les intervenants. Un système informatique est, aujourd'hui, un patchwork qui associe des produits venus d'horizons divers. Or, chacun de ces produits évolue à son rythme et chaque évolution peut être l'occasion d'un retour en arrière (des composants qui communiquaient parfaitement ne communiquent plus…);
- le rythme rapide de l'innvation a une autre conséquence : elle amène les entreprises à investir dans des solutions qui ne sont souvent pas mûres ou qui ne sont pas normalisées. Lorsqu'il est temps de généraliser cette solution, il apparaît que ce n'est pas la bonne, qu'on aurait mieux fait d'en choisir une autre;
- la complexité croissante des systèmes mis en place les rend à peu près incontrôlables. Le taux de projets qui n'aboutissent pas ou qui ne se terminent comme l'avaient imaginé leurs concepteuurs est considérable. L'une des raisons, la principale, peut-être, est l'extrême complexité de ces systèmes que plus personne ne maîtrise. Une autre difficulté vient de ce que la construction de solutions complexes demande du temps, beaucoup de temps, de sorte que lorsque la solution arrive enfin à maturité, elle est tout à la fois obsolète (la technologie a changé) et inadaptée (l'organisation a, elle aussi, évolué);
- la flexibilité des solutions informatiques favorise l'automatisation d'organisations qui ne sont pas performantes. Sous le prétexte que les outils informatiques peuvent se plier à beaucoup de choses, les clients leur demandent d'automatiser leurs pratiques existantes, ce qui a pour effet d'augmenter la complexité et de réduire les gains de productivité potentiels;
- le primat donné à la technologie dans le développement des nouvelles applications. Ce ne sont pas les besoins qui font les produits, mais les capacités, possibilités de la technologie qui amènent des ingénieurs à chercher des marchés pour les solutions qu'ils savent construire. Résultat : on promet des gains de productivité considérables sur des activités à peu près inexistantes (pour ne prendre que ces deux exemples, la PAO devait améliorer la productivité de l'édition d'entreprise sur des fonctions, comme la mise en page, que les secrétariats n'utilisaient pas. De la même manière, les logiciels de planification prétendaient améliorer la productivité d'une fonction que personne ne pratiquait);
- la nature des relations contractuelles. Les contrats signés entre fournisseurs de progiciels et clients sont rédigés de telle manière que les premiers ne sont en rien engagés dans la bonne fin de leur intervention, de sorte que les clients achètent bien souvent des produits qu'ils ne réussissent pas à mettre en oeuvre.
- plus récemment, la globalisation a amené un nouveau phénomène : où qu'ils soient conçus, les produits logiciels sont développés pour le premier marché mondial de l'informatique, c'est-à-dire le marché américain. Résultat, on automatise des fonctions qui n'ont aucun intérêt pour les utilisateurs européens et on laisse de coté des fonctions qui leur seraient utiles (il faut pour s'en rendre regarder dans le détail les progiciels qui nous sont proposés).
De temps à autre, des économistes nous assurent que le praradoxe de la productivité n'est plus qu'un souvenir, je n'en suis pas si sûr.

mardi, juillet 20, 2004

35 heures : allonger la durée de travail ou réduire les salaires?

Doux, Bosch, Mercédés… Les attaques contre les 35 heures (ou la réduction du temps de travail) se multiplient et prennent chaque jour un tournant plus étrange. Ce n'est pas tant la réduction du temps de travail qui parait visée que les salaires. Dans tous les cas, les entreprises négocient et obtiennent (merci la CFDT!) une augmentaion du temps travail sans augmentations de salaires. Ce qui revient à une diminution brute des revenus. C'est bien la première fois depuis longtemps que les entreprises procèdent de la sorte. Tant qu'il y a vait de l'inflation, l'écart entre les augmentations de salaires et l'inflation leur permettait de freiner les hausses salariales. Les gains de productivité, la sous-traitance, l'externalisation ont, dans les années 80 et 90, joué le même rôle. Elles s'en prennent aujourd'hui, directement, aux salaires. Les poliiques qui les soutiennent parlent d'emplois (la réduction du temps de travail détruirait des emplois, disent-ils, sans que l'on sache bien d'où ils sortent un raisonnement que contredisent absolument toutes les études réalisées en France à propos des lois Aubry).
Cette politique est, d'une certaine manière, suicidaire. On sait depuis une éternité (au moins depuis Courcelle-Seneuil qui écrivait au milieu du 19ème siècle) que les réductions de salaires ont des effets économiques désastreux :
- elles réduisent l'incitation à travailler : les salariés n'en feront pas pas plus chez Bosch en 36 heures qu'en 35. L'augmentation du temps de travail sans compensation financière entraînera une chute de la productivité dans les entreprises qui la pratiqueront,
- elles réduisent la propension à consommer : elle inquiète les salariés qui préfèrent l'épargne à la consommation. La manière dont ces allongements du temps de travail sont organisées, avec ces menaces à la délocalisation, ne peuvent que contribuer à inquiéter les salariés. A qui la manière sont les choses se sont passées chez Bosch (menace de délocalisation si les salariés n'acceptent pas de passer de 35 à 36 heures, seuil fixé à 90% pour le vote…) pourrait-elle inspirer confiance?

mercredi, juillet 14, 2004

La tentation américaine

Il y a un phénomène dont on parle peu dans la presse qui mériteraait qu'on s'y attarde : ce que j'appelerai la tentation américaine ou, si l'on préfère, le lent mouvement de transfert vers les Etats-Unis des centres de décision d'entreprises européennes ou françaises. Cela concerne surtout des entreprises internationales, basées à Paris, qui ont des filiales, desa ctivités aux Etats-Unis et qui progressivement importent des pratiques américaines, confient des responsabilités de plus en plus importantes à leurs équipes basées aux Etast-Unis, voire même se délocalisent complètement. On se souvient de Jean-Marie-Messier transformant une entreprise vendant de l'eau aux municipalités frnaçaises allant s'installer à New-York. Mais on pourrait citer bien d'autres cas. Parmil les plus récents, il y a Temposoft. Cette société informatique créée à Paris pour développer des logiciels de planification a déplacé il y a quelques mois son siège social à Chicago et s'est du même coup séparée de sa direction française. Temposoft est un cas exceptionnel, mais on pourrait citer ces entreprises dans lesquelles les directions générales se mettent à parler anglais pour ne pas gêner le responsable américain qui ne sait pas le français, ce qui crée cette situation absurde où l'on voit 19 directeurs français baragouiner un mauvais anglais devant un américain qui ne comprend pas un mot sur deux de ce qui lui est dit, mais qui aura retenu de la situation qu'il appartient à une espèce supérieure : si sa langue l'emporte sur les autres, ses méthodes, ses manières de faire et de voir le monde doivent également l'emporter. On voit également des entreprises (françaises et, bien sûr, européennes) transférer leur direction financière, leurs centres de recherche aux Etats-Unis. Et je ne parle pas de ces dirigeants qui, sous couvert de surveiller de plus près leurs filiales américaines s'installent carrément aux Etats-Unis.
Les arguments avancés par les rares observateurs à s'intéresser à ce phénomène (souvent, d'ailleurs, au Medef ou dans les milieux patronaux où on le mesure mieux) insistent sur les effets pervers des charges sociales (que l'on devrait apprendre à appeler des cotisaitons sociales) ou de l'impôt sur le capital. Ce ne sont certainement pas les seules ni même les meilleures raisons. J'en vois trois autres, plus pertinentes :
- la puissance du marché américain, infiniment plus important que n'importe lequel des marchés européens et, au moins en apparence, plus facile : on n'y parle qu'une langue, les effets frontières ont disparu. Témoignage de cettte puissance : des entreprises européennes comme SAP, autre spécialiste de l'informatique, créent d'abord des produits pour leurs consommateurs américains qu'ils adaptent ensuite à leurs clients dans le reste du monde. Ce faisant, ils se font les alliés, les fourriers d'une sorte d'impérialisme industriel (ce que l'on appelle globalisation n'est souvent que cela) qui ne peut que leur faire du tort;
- la richesse du marché du travail américain sur lequel on peut trouver facilement des collaborateurs de qualité,
- la puissance d'attraction des Etats-Unis et de la société américaine. S'il est difficile pour un directeur des ressources humaines d'envoyer au Japon ou en Allemagne un jeune collaborateur, il est beaucoup plus facile de l'envoyer aux Etats-Unis, pays qui malgré tous ses défauts et toutes les critiques qu'il suscite continue de fasciner.
Ces dévéloppement sont naturellement inquiétants : l'installation des centers de décision aux Etats-Unis est à terme synonyme de délocalisations, de dégradation de la qualité des produits (conçus aux normes américaines qui ne conviennent pas forcément aux consommateurs européens) de perte d'influence des consommateurs européens, de baisse de la valeur sur le marché du travail des européens (comment un italien peut-il faire concurrence à un anglophone de naissance dans une entreprise où l'anglais devient la langue officielle?).
L'Europe pourrait sans doute contribuer à lutter contre ce phénomène. C'est ce qu'elle fait lorsqu'elle favorise la création de sociétés européennes. Il faudrait aller plus vite dans cette direction.

lundi, juin 28, 2004

L'industrie pharmaceutique bientôt dans la tourmente?

Au moment où l'on parle à l'Assemblée Nationale d'une réforme de l'assurance maladie qui ne dit rien ou à peu près de l'industrie du médicament et de son impact sur les coûts, le salut nous viendra peut-être des Etats-Unis, de la justice américaine qui semble avoir engagé une épreuve de force avec les grands laboratoires pharmaceutiques. Plusieurs procès devraient dans les mois qui viennent ternir leur image et souligner ce que leurs méthodes de marketing coûtent à la collectivité. Un chiffre devrait notamment faire mal : celui qui montre que cette industrie dépense deux fois plus en marketing qu'en recherche. Ce qui se comprend mieux lorsque l'on sait qu'elle n'hésite pas à payer les médecins pour qu'ils prescrivent les médicaments qu'elle fabrique. Les sommes sont parait-il rondelettes (on parle de plusieurs milliers de dollars par an pour les médecins qui acceptent de signer des contrats d'exclusivité!). Plusieurs laboratoires sont aujourd'hui sur la sellette, notamment Schering-Plough qui fabrique des médicaments contre l'hépatite C mais aussi Pfizer qui a payé le mois dernier une amende de 430 millions de $, AstraZeneca qui a payé l'année dernière une amende de 355 millions de $ et TAP qui en a payé en 2001 une de 875 millions de $. Plus que leur montant, ces amendes ne sont que peu de choses dans les budgets de ces entreprises, c'est le tort fait à la réputation de ces entreprises qui pourrait moraliser un marché dont tous les malades souffrent partout dans le monde, en Europe comme aux Etats-Unis (où l'on voit les entreprises réviser les unes derrière les autres les plans santé qu'elles fournissent à leurs salariés pour en réduire le coût).
A suivre, donc…

jeudi, juin 24, 2004

EDF, les nationalisations et la sécurité sur les aéroports

Le débat sur le changement de statut d'EDF a pris une étrange tournure. La nationalisation ne trouve que peu d'avocats et ceux qui tentent l'aventure sont, et c'est un euphémisme, gênés aux entournures. C'est dommage, car les nationalisations ne sont pas forcément une sottise. On en a eu un exemple tout récent aux Etats-Unis où l'on a vu l'administration Bush, qui n'est pas vraiment gauchiste, nationaliser la sécruité dans les aéroports. Et cette expérience mérite qu'on s'y attarde un instant.
Le 12 septembre 2001, les Américains ont découvert que la sécurité de leurs aéroports était quasi inexistante. Depuis des années les experts tiraient la sonnette d'alarme et annonçaient des catastrophes (parfois même de manière étrangement prémonitoire), mais personne ne les écoutait.
A l'origine de cette débacle, il y a la dérégulation du transport aérien. On a alors confié aux compagnies aériennes, dont ce n'est certainement pas la première priorité, le soin de gérer la sécurité dans les aéroports. Pour réduire les coûts, elles se sont adressées à des sous-traitants, des sociétés d'intérim qui payaient mal leurs collaborateurs, ne les formaient pas et ne les contrôlaient guère plus.
Si l'administration s'est résolue à nationaliser cette activité, c'est que la nationalisation présente quatre avantages :
- elle permet de créer une agence spécialisée dans la sécruité, agence dont c'est le seul et l'unique travail. Pas question, pour elle, donc, de distraire une partie de ses ressources pour investir dans d'autres activités,
- elle facilite la coordination entre les services de sécurité des différents aéropports. Tous obéissant à la même hiérarchie utilisent les mêmes normes, peuvent facilement échanger des informations…
- elle facilite le contrôle et le pilotage de la sécurité par les pouvoirs publics (plutôt que d'aller chercher des informations dans des dizaines de sociétés, elles sont réunies dans une seule…) et permet donc de plus rapidement rectifier le tir,
- elle permet enfin d'offrir à des salariés des contrats de plus longue durée ce qui, d'une part, incite à les sélectionner de manière plus attentive et, d'autre part, permet de mieux les former.
On remarquera combien ces arguments sont différents de ceux en général avancés pour justifier les nationalisations. Et l'on peut se demander quel serait l'effet d'une privatisation sur :
- le principe de spécialisation : EDF a déjà été tenté d'investir ailleurs que dans l'énergie, le sera-t-il demain? Et quels en seront les conséquences pour son activité principale?
- la coordination entre les différents acteurs (la normalisation…) : l'exemple du téléphone montre que le marché réduit la coordination (il est aujourd'hui impossible de trouver un anunaire de tous les utilisateurs de mobiles). Qu'en sera-t-il dans le cas d'EDF?
- le contrôle et le pilotage : EDF gère des établissements dangereux. Quel sera l'impact d'une privatisation sur le contrôle de son travail dans le domaine de la sécurité?
- et, enfin, la qualité des personnels. L'exemple des chemins de fer britanniques est inquiétant. On sair qu'ils ont connu plusieurs accidents. Ils viennent de ce que les sociétés privées bénéficiant de monopoles provisoires ont évité d'investir dans la formation des personnels et dans l'entretien des matériels.
Un dernier mot à propos des avantages acquis. La dérégulation de la sécurité a permis de réduire tous les avantages qu'avaient pu acquérir les personnels chargés dans les années 70 de la sécurité dans les aéroports américains. La somme de tous ces avantages n'arrivait pas aux 10ème des coûts de la catastrophe des Twin Towers…

mardi, juin 15, 2004

Cofee and cigarettes

C'est un film de Jim Jarmusch. Un film étonnant, tout en noir et blanc, admirablement photographié qui pourrait être une sorte de documentaire de sociologue à la Erwin Goffman, avec des conversations de café, une ou deux personnes devant des tasses, un cendrier, qui bavardent et fument. Rien de plus, quelques scènes de la vie de tous les jours mises bout à bout qui aiguisent le regard et nous apprennent à voir ce que nous ne voyons plus. Un exercice poétique, si le poète est celui qui sait voir ce que nous ne voyons plus.

samedi, juin 12, 2004

Les riches vivent plus longtemps

C'est un phénomène étrange mais que l'on observe un peu partout, dans les pays développés comme dans le Tiers-Monde : les riches vivent plus longtemps que les pauvres. Pöurquoi?
Dans son dernier numéro (celui daté du 7 juin), Forbes, le magazine des millionnaires américains explique, avec cette délicieuse arrogance de ceux qui ne doutent jamais de rien, que c'est parce qu'ils sont plus intelligents ou, plutôt, parce qu'ils ont un QI plus élevé. Comme il s'agit malgrè tout d'un magazine sérieux (ou qui voudrait l'être), Dan Seliogman, l'auteur de ce papier, cite ses sources, un psychologue (Ian Deary) et une sociologue (Linda Gottfredson) qui ont rapproché le QI de la mortallité. Les gens avec un QI faible vivent en moyenne (bien sûr) moins longtemps qui ceux qui ont un QI élevé. Or, comme les riches ont, parait-t-il, un QI plus élevé (toujours en moyenne) que les pauvres, l'explication de leur plus grande longévité est toute trouvée.
Vous me direz : quel est le lien de cause à effet? Mais il est tout simple nous dit Seligman : plus on est intelligent, mieux on suit les prescriptions du médecin et plus on se méfie des comportements dangereux comme le tabac ou l'alcool…
Tout cela, naturellement, ne vaut pas grand chose, mais il ne faut pas fouiller beaucoup pour trouver des explications qui ne valent guère mieux, comme celle donnée tout récemment par Maurice Tubiana dans une interview radiophonique : les pauves vivraient moins longtemps parce qu'ils auraient moins de goût pour la vie!
Heureusement que la lecture de la presse nous remet parfois les pieds sur terre. Dans Libération d'aujourd'hui (daté du 12/06/04), il y a l'interview d'un spécialiste américain, Adam Drewnowski, qui explique que si l'obésité frappe plus les pauvres que les riches (9% de riches obèses à Seattle contre 16% de pauvres), c'est que les repas équilibtés coûtent deux fois plus cher que les repas sucrés qui favroisent le développement de l'obésité. Il suffit de faire de temps en temps son marché pour s'en rendre compte…

PS Cela ne surprendra personne, mais l'auteur de l'article de Forbes est associé à des mouvements dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils incitent à la prudence comme le Human Biodiversity Institute qui prone l'eugénisme.

Le coût des délocalisations

Les délocalisations posent des problèmes qui vont au delà de la perte d'emplois à laquelle on pense spontanément. Que se passe-t-il lorsqu'une entreprise ferme une usine en France ou en Allemagne pour l'installer ailleurs en Europe?
Elle crée du chômage dans le pays dans lequel elle était installé. Et pour peu que les salariés n'aient guère de chance de trouver un nouvel emploi (parce que le bassin d'emploi est sinistré, pârce qu'ils sont trop âgés, parcequ'ils ont des compétences qui n'ont que peu de valeur sur le marché du travail), la délocalisation se traduit par des coûts supplémentaiires pour la collectivité : ce sont les salariés et les entreprises restées en France ou en Allemagne qui vont financer, en versant leurs cotisations chômage, une partie des coûts liés à la délocalisation.
Pour peu que ces licenciements s'accompagnent d'ujne dégradation de la santé de plusieurs de ses victimes, ce qui est souvent le cas, la collectivité (entreprises et salariés restés en France) devra financer ces coûts.
Les délocalisations ont donc un coût pour la collectivité qui perd les emplois qui va au delà de la seule destruction de ces emplois.
On peut supposer que l'entreprise qui délocalise sa production le fait pour être plus compétitive, ce qui peut profiter à ses clients et à ses actionnaires. Pour que cela profite à ses clients, il faut qu'elle transforme les économies réalisées sur ses coûts de production en baisse des prix. Quant aux bénéfices qu'en tirent ses actionnaires, ils ne sont intéressants pour le pays qui a perdu des emplois que s'ils sont réinvestis d'une manière ou d'une autre dans son économie. Si ce n'est pas le cas, le solde est négatif.
Les délocalisations étant appelées à se multiplier, les pays apppelés à en souffrir doivent trouver le moyen d'en réduire l'impact sur l'économie. Non pas de les interdire, ce qui n'aurait pas de sens (certaines délocalisations sont utiles), mais de faire en sorte qu'ils n'en aient à supporter que le coîut le plus faible. Une solution serait sans doute d'indexer les cotisaitons payées par les entreprises aux coûts que leurs politiques induisent pour la collectivité, un peu à l'image de ce qui se fait pour les accidents du travail.

mardi, juin 08, 2004

Madame Edouard

C'est un film belge, belge comme les bandes dessinées auxquelles il ressemble : l'intrigue est un peu faible, les personnages n'ont qu'une profondeur toute relative, mais tout le plaisir est dans la fantaisie du récit, ses invraisemblances et dans l'humour des détails (ah! ce belge (il en a l'accent) qui a installé un porte-saucisses sur ses bretelles!). Les comédiens se sont amusés et ils nous font partager leur plaisir. Un petit bonheur en ces temps de canicule…

L'usine Lu de Ris-Orangis va-t-elle fermer?

Je viens de lire un petit livre tout à fait passionnant dont je recommande la lecture à tous ceux qui s'intéressent aux questions sociales, aux délocalisations et aux multinationales : "Les biscuits de la colère", un livre publié aux éditions Les Points sur les i (http://www.i-editions.com). Ce livre regroupe vingt interviews de salariés qui se battent depuis trois ans contre la fermeture de leur usine qui fabrique à Ris-Orangis des Pepito. On y découvre comment un groupe réputé social traite ses salariés et, surtout, ce que représente un plan social qualifié par ses auteurs de modèle du genre pour ceux qui le vivent.
On y apprend aussi comment un groupe peut licencier alors qu'il fait des bénéfices pour délocaliser en République tchèque, là où les salaires des ouvriers sont de six fois inféieurs et ceux des cadres de 10 à 20 fois inférieurs (le directeur financier de l'usine thcèque de Danone ne perçoit que 4900F par mois) à ceux pratiqués en France.
Ce livre montre aussi comment une guérilla judiciaire bien menée peut faire reculer un groupe industriel puissant et metter à mal une stratégie qui devait lui permettre d'améliorer sa productivité.
Tout comme Wilvorde a marquéé une étape dans le combat social, les Lu de Ris Orangis promettent d'en marquer une nouvelle par les batailles juridiques qu'ils ont gagnées :
- une première décision du tribunal a forcé Danone à recruter en CDI des intérimaires présents dans l'entreprise depuis dix ans ;
- une seconde décision a interdit à Lu de vider l'usine de ses machines, ce qui évite qu'un jugement favorable aux ouvriers se révèle sans effet : comment reprendre le traavil s'il n'y a pas de machine?)
Je le répète : un livre passionnant qui nous en apprend beaucoup sur la qualité des produits, sur les stratégies des entreprises multinationales et sur les nouvelles formes de conflits sociaux.

jeudi, juin 03, 2004

Blogs…

Depuis que j'ai créé ce blog, que j'ai pris goût à y venir une fois tous les deux ou trois jours pour y glisser une idée, une réflexion, un peu comme une de ces notes que l'on griffonne sur des bouts de papier avant de les jeter quelques jours plus tard, depuis, donc que j'ai créé ce blog, j'en visite régulièrement d'autres. Et toujours avec la même suprise amusée. Les journalistes s'y sont mis en nombre (j'en ai trouvé qui écrivent dans Libération, pour le Monde Diplomatique, pour la presse américaine), quelques journaux leur laissent même la possibilité de les éditer sur leur site web (comme une nouvelle forme d'opinion plus légère). C'est un bonheur sans cesse renouvelé, une mine d'informations (qu'il faudrait sans doute vérifier, mais qu'importe : on ne vérifie pas tout ce que nous disent nos amis), une sorte de conversation décousue que l'on mènerait à sa guise. Un vrai bonheur…

mardi, juin 01, 2004

Sarkozy et l'ouverture des magasins le dimanche

On me demandait, il y a quelques jours, ce que je pensais de la politique économique de Nicolas Sarkozy et si elle pouvait l'aider à grimper les marches de l'Elysée. J'ai l'impression que toute sa politique consiste à naviguer entre ses ambitions et les contraintes de la situation économique. En bon politique, il asure que le retour de la croissance est à rechercher du coté d'une relance de la consommation. Les syndicalistes ne disent pas autre chose. Mais en ami du Medef et des chefs d'entreprise, qui feront le gros de ses électeurs, il lui est difficile de proposer une augmentation des salaires. Il tente donc de relancer la consommation en tirant sur le bas de laine des français oou, pour dire les choses de manière plus convenable, en agissant sur une épargne jugée trop important (16% du revenu brut). C'est ce que visent toutes les mesures prises ces dernières semaines (annonce d'une ouverture des magasins le week-end, mesure qui permet de transférer à ses enfants ou petits enfants 20 000€…). C'est déjà ce que visaient les baisses d'impôts. On satisfait Neuilly sans désespérer Billancourt. Mais est-ce que cela peut marcher? Pas sûr! pas sûr!
Trois facteurs me font penser que ce pari a peu de chance d'être gagné :
- les difficultés économiques, le chômage qui ne recule pas incitent à la prudence les consommateurs,
- la réforme des retraites de Balladur dont on n'a pas mesuré les conséquences en termes de revenus commence à toucher les premières générations de retraités et incite ceux qui travaillent à se préparer,
- "l'équivalence ricardienne", enfin : on sait que dans les pays en fort déficit, les agents économiques ont tendance à augmenter leur épargne, comme s'ils anticipaient les hausses d'impôts pour réduire le déficit.
On le voit, les raisons de douter du pari de Sarkozy ne sont pas minces…
Pour en savoir plus : http://www.Bernardgirard.com