On ne s'attendait guère à ce que Claude Lanzman, l'auteur de l'admirable Shoah, écrive ses mémoires. Il l'a fait, avec ce Lièvre de Patagonie, sorti il y a quelques mois, livre passionnant, écrit (dicté, plutôt) comme un roman d'aventure, ce qu'il est tant la vie de son auteur a été riche, de la résistance à la direction des Temps modernes en passant par ses films sur Israël, Shoah, bien sûr, mais aussi son "mariage" avec Simone de Beauvoir (ils ne furent mariés, mais elle l'appelait, dit-il, son "mari") et son activité de rewriter à France Dimance (mais oui, le directeur des Temps Modernes réécrivait les reportages publiés dans cet hebdomadaire sur les vedettes du cinéma). Livre dont le premier intérêt est moins, je crois, dans les événements qu'il raconte (même si toute la fin du livre sur la réalisation de Shoah vaut mille making off) que dans le récit d'une conversion idéologique ou comment une jeune juif laïc de gauche pas le moins du monde sioniste est devenu l'un des plus ardents défenseurs de l'armée israélienne et de ses généraux alors même qu'il mesure aussi bien que quiconque les souffrances du peuple palestinien et les injustices dont il est victime. Si ce livre doit rester, ce sera, je crois, pour la manière dont il éclaire l'évolution intellectuelle d'une des figures les plus influentes de l'intelligentsia juive.
Il nous montre, en effet, combien ce processus peut être, non pas long (on n'a pas le sentiment du temps qui passe) mais complexe. Toute la personnalité de Lanzman est dans cette mutation idéologique : son amour des avions de combat qu'il développe longuement dans le premier chapitre, son goût pour l'audace qui lui donne à l'occasion un air bravache qui rappelle ces jeunes garçons qui se lancent des défis dans les cours de l'école. Mille fois, il nous raconte ses exploits, dans les avions israéliens, en montagne, en mer, dans le désert, sans jamais, insiste-t-il, avoir eu peur. La geste militaire d'Israël réveille en lui cet instinct du jeune enfant qui se rêve héros. Exit cette image du juif geignard, introverti, vaguement névrosé et myope à la Woody Allen dans laquelle se complaisent tant d'intellectuels juifs.
Mais il y a aussi la découverte en Israël de l'identité juive (une identité que Sartre niait lorsqu'il faisait du juif une création de l'antisémite) qu'un de ses interlocuteurs israéliens lui fait toucher du doigt lorsqu'il justifie le refus du prosélitisme, découverte confirmée, de manière insolite, par sa rencontre, pendant la guerre d'Algérie, avec Frantz Fanon qui insistait de son coté sur l'identité noire. Identité juive qu'il reconnaît jusque dans les corps, dans les faciès, dans ce nez qu'il décrit à plusieurs reprises dans des termes qui ne déplairaient pas à un antisémite.
Livre intelligent, parfois agaçant (comme lorsqu'il insiste sur les compliments qu'il a reçus pour des articles), émouvant lorsqu'il parle de sa soeur suicidée, long passage où l'on sent passer quelque chose de l'ordre du regret et de la mauvaise conscience. Livre à lire et à faire connaître.
Avoir des opinions est l'un des éléments du bien-être, affirmait il y a une quinzaine d'années, l'économiste A.O.Hirshman. Les blogs sont une bonne manière d'afficher ses opinions mais aussi, et peut-être même surtout, de les construire. C'est ce qui m'a donné envie de tenir celui-ci
mercredi, août 26, 2009
mardi, août 25, 2009
Derrière les bonus bancaires, toute une conception des salaires
Nicolas Sarkozy s'attaque dés son retour de vacances aux bonus. Bataille nécessaire quoique probablement perdue s'il reste seul à la mener. La place de Paris sera peut-être formidablement éthique, mais comme les départements spécialisés de la plupart des banques françaises sont installés à Londres avec des personnels sous contrat de travail anglais, la portée du geste présidentiel risque d'être faible.
Elle risque d'autant plus de l'être que la banque est l'une des rares secteur dont certaines activités fonctionnent sur des marchés du travail vraiment globaux. Tant que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne prendront pas des mesures pour lutter contre ces modes de rémunération, il ne se passera probablement pas grand chose.
Son offensive pourrait cependant être utile si elle conduisait à une réflexion sur les politiques salariales que tous les grandes entreprises ont retenues depuis bientôt trente ans pour résoudre deux difficultés apparues dans les années 80 :
- une compétition accrue, liée à l'ouverture des marchés, qui les a amenées les moyens d'assurer une plus grande flexibilité de leur masse salariale,
- un ralentissement des gains de productivité malgré la révolution information (d'où les propos sur le paradoxe de la productivité).
L'individualisation des salaires et leur indexation sur les résultats de l'entreprise (son chiffre d'affaires, le cours de ses actions…) ont été l'un des éléments majeurs de la réponse apportée à ces deux difficultés (aux coté de quelques autres, comme l'externalisation, la sous-traitance, l'utilisation de contrats de travail précaires). Les bonus ne sont que l'une des expressions de cette politique dont il serait temps de tirer les conséquences qui n'ont pas toutes été heureuses.
Ces politiques de rémunération ont contribué à creuser les inégalités entre salariés (entre ceux qui percevaient des bonus extravagants au nom de leurs performances et ceux qui n'en percevaient pas…). Elles ont réduit le poids des salaires dans les coûts des entreprises (encore qu'il serait à vérifier que les bonus, stock-options et autres "benefits" qui n'entrent pas dans le calcul des masses salariales ne coûtent pas très cher). Elles ont échoué à améliorer la productivité pour un motif tout simple : la productivité n'est jamais une affaire individuelle.
Il sera intéressant de suivre dans les mois qui viennent les discussions que les spécialistes de ces questions, les directeurs des ressources humaines et les consultants qui les conseillent, auront sur ces sujets. On peut parier que les résistances à tout changement dont ils sont les premiers bénéficiaires seront fortes.
Elle risque d'autant plus de l'être que la banque est l'une des rares secteur dont certaines activités fonctionnent sur des marchés du travail vraiment globaux. Tant que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne prendront pas des mesures pour lutter contre ces modes de rémunération, il ne se passera probablement pas grand chose.
Son offensive pourrait cependant être utile si elle conduisait à une réflexion sur les politiques salariales que tous les grandes entreprises ont retenues depuis bientôt trente ans pour résoudre deux difficultés apparues dans les années 80 :
- une compétition accrue, liée à l'ouverture des marchés, qui les a amenées les moyens d'assurer une plus grande flexibilité de leur masse salariale,
- un ralentissement des gains de productivité malgré la révolution information (d'où les propos sur le paradoxe de la productivité).
L'individualisation des salaires et leur indexation sur les résultats de l'entreprise (son chiffre d'affaires, le cours de ses actions…) ont été l'un des éléments majeurs de la réponse apportée à ces deux difficultés (aux coté de quelques autres, comme l'externalisation, la sous-traitance, l'utilisation de contrats de travail précaires). Les bonus ne sont que l'une des expressions de cette politique dont il serait temps de tirer les conséquences qui n'ont pas toutes été heureuses.
Ces politiques de rémunération ont contribué à creuser les inégalités entre salariés (entre ceux qui percevaient des bonus extravagants au nom de leurs performances et ceux qui n'en percevaient pas…). Elles ont réduit le poids des salaires dans les coûts des entreprises (encore qu'il serait à vérifier que les bonus, stock-options et autres "benefits" qui n'entrent pas dans le calcul des masses salariales ne coûtent pas très cher). Elles ont échoué à améliorer la productivité pour un motif tout simple : la productivité n'est jamais une affaire individuelle.
Il sera intéressant de suivre dans les mois qui viennent les discussions que les spécialistes de ces questions, les directeurs des ressources humaines et les consultants qui les conseillent, auront sur ces sujets. On peut parier que les résistances à tout changement dont ils sont les premiers bénéficiaires seront fortes.
mardi, août 04, 2009
Petite expérience de lecture
J'ai donné, il y a quelques jours, à Contre feux, un "journal" sur le net, un article sur l'immigration qui reprend des thèses que j'ai développées ailleurs dans un livre et dans des émissions de radio.
Cet article a suscité plusieurs réactions qui éclairent bien, je crois, la manière dont nous lisons et traitons les informations que nous trouvons sur le net :
- la plupart de ces commentateurs ne réagissent pas aux arguments développés dans l'article. Ils pourraient les critiquer, les développer, les enrichir… Ce n'est pas le cas : chacun raconte son histoire, chacun a son opinion qu'il développe ;
- les différents commentateurs dialoguent beaucoup plus entre eux qu'avec l'auteur de l'article ;
- les arguments rationnels ou chiffrés sont rares alors même que l'information est largement disponible sur le web : encore faut-il faire l'effort d'aller la chercher. Sur ce sujet, plus que sur d'autres peut-être, les légendes urbaines (ici, une histoire de concierge portugaise mieux traitée par la Sécurité sociale qu'une française de souche) les remplacent.
Est-ce un effet du web? et des modes de lecture qu'on y développe? J'en doute. Il me semble plutôt que le web révèle que l'on retient le plus souvent très peu de choses de la lecture d'un article, de l'écoute d'une émission ou d'une conférence. Nous sommes inondés d'informations mais celles-ci restent, pour l'essentiel, en surface. Dans le fond nos opinions, d'où qu'elles viennent, résistent à tout ce qui pourrait nous en faire changer. Nous savions déjà que nous lisons de préférence les journaux qui défendent des opinions proches des nôtres. Cette petite expérience fait penser que lorsque nous lisons un article qui va à l'encontre de ce que nous pensons, nous n'entendons pas forcément ce qu'il dit. Cela ne veut évidemment pas dire que nous ne changeons jamais d'avis, mais c'est manifestement un processus long et complexe.
Cet article a suscité plusieurs réactions qui éclairent bien, je crois, la manière dont nous lisons et traitons les informations que nous trouvons sur le net :
- la plupart de ces commentateurs ne réagissent pas aux arguments développés dans l'article. Ils pourraient les critiquer, les développer, les enrichir… Ce n'est pas le cas : chacun raconte son histoire, chacun a son opinion qu'il développe ;
- les différents commentateurs dialoguent beaucoup plus entre eux qu'avec l'auteur de l'article ;
- les arguments rationnels ou chiffrés sont rares alors même que l'information est largement disponible sur le web : encore faut-il faire l'effort d'aller la chercher. Sur ce sujet, plus que sur d'autres peut-être, les légendes urbaines (ici, une histoire de concierge portugaise mieux traitée par la Sécurité sociale qu'une française de souche) les remplacent.
Est-ce un effet du web? et des modes de lecture qu'on y développe? J'en doute. Il me semble plutôt que le web révèle que l'on retient le plus souvent très peu de choses de la lecture d'un article, de l'écoute d'une émission ou d'une conférence. Nous sommes inondés d'informations mais celles-ci restent, pour l'essentiel, en surface. Dans le fond nos opinions, d'où qu'elles viennent, résistent à tout ce qui pourrait nous en faire changer. Nous savions déjà que nous lisons de préférence les journaux qui défendent des opinions proches des nôtres. Cette petite expérience fait penser que lorsque nous lisons un article qui va à l'encontre de ce que nous pensons, nous n'entendons pas forcément ce qu'il dit. Cela ne veut évidemment pas dire que nous ne changeons jamais d'avis, mais c'est manifestement un processus long et complexe.
vendredi, juillet 31, 2009
Quelle trace Michel Rocard laissera-t-il?
Michel Rocard restera sans doute comme l'une des figures majeures de notre monde politique de ces cinquante dernières années. Ses dernières mésaventures, les différentes missions que lui a confiées Nicolas Sarkozy, bien loin de trancher avec ses activités précédentes, ne font que confirmer quelques uns des traits de cette personnalité aussi exaspérante qu'hors du commun.
On sait sa relation difficile, contradictoire avec la gauche. Il se dit de gauche, il s'est surtout situé en marge, du coté de l'extrême-gauche dans les années soixante, ce qui l'a amené à dire beaucoup de bétises (il faudrait relire ou écouter ce qu'il a pu écrire et écouter à ce moment là), puis, depuis quelques décennies du coté de la droite ou, plutôt, à l'entendre, du coté des experts (mais n'est-ce pas souvent la même chose?).
On connaît également sa haine quasi pathologique à l'égard de François Mitterand, haine qui transparaissait dans son dernier livre, Si la gauche savait, au point de mettre mal à l'aise le lecteur le mieux disposé à son égard.
On connaissait moins son goût pour les causes bizarres, comme les pôles Arctique et Antarctique dont il s'est occupé à la demande de Nicolas Sarkozy.
Ses dernières propositions sur la taxe carbone et les commentaires dont il les a accompagnés, ont montré d'autres facettes plus constante de sa personnalité à commencer par son goût pour la fiscalité qu'il a contribué à augmenter de manière massive avec la CSG et pour l'innovation en la matière : la taxe carbone en est une comme l'était la CSG.
On retrouve d'ailleurs dans l'une et l'autre les mêmes principes à l'oeuvre :
- le souci de simplification administrative dans la collecte d'un impôt que l'on souhaite rendre invisible : la CSG a amorcé le tournant vers le prélèvement à la source, la taxe carbone sera prélevée au moment de l'achat,
- la volonté d'élargir l'assiette à l'ensemble des revenus : la CSG est perçue sur les revenus d'activité, mais aussi sur les allocations chômage, les pensions, les revenus du capital. La taxe carbone sera un nouvel impôt sur la consommation,
- l'effritement de la progressivité de l'impôt : la CSG est un impôt proportionnel et non pas progressif, la taxe carbone touchera tout le monde et frappera plus durement les plus modestes dont les consommations d'énergie pèsent plus lourd dans les budgets,
- la volonté, enfin, de réduire la solidarité aux plus modestes : eux seuls échappent à la CSG, seul le quart le plus pauvre des Français échapperait à la taxe carbone.
La lutte contre les inégalités n'est manifestement pas une priorité de la philosophie fiscale de Michel Rocard : les classes moyennes sont les premières victimes de ses réformes. Ce qui en fait un homme de gauche un peu à part.
Ses commentaires de ces derniers jours ont, par ailleurs, confirmé l'une de ses stratégies politiques les plus constantes, ce que j'appellerai la réforme hypocrite ou, plutôt, la réforme par l'illusion.
On avance derrière un nuage de fumée. On nous explique aujourd'hui que les ménages les plus modestes s'en tireront mieux que les autres. Mais on prend pour nous l'expliquer des exemples qui frappent mais ne veulent rien dire : "Une famille aisée en milieu rural pourrait acquitter plus de 300 euros quand un ménage modeste en ville n'acquitterait que 55 euros", indiquait mardi dernier Le Monde. Comparaison qui n'a évidement aucun sens : une famille rurale, qu'elle soit aisée ou modeste, se déplace plus et dépense donc plus de carburant qu'une famille urbaine. Ce sont les comparaisons entre familles comparables qui auraient eu du sens…
On nous explique qu'il s'agit de protéger l'environnement alors même que l'une des conclusions les plus solides de la théorie économique est la faible élasticité de la consommation d'énergie. Les gens qui doivent faire trente kilomètres en milieu rural pour aller travailler vont-ils se mettre au chômage pour consommer moins d'essence? Va-t-on cesser de se chauffer pour lutter contre le réchauffement climatique? En matière énergétique, la demande diminue beaucoup moins vite que n'augmente le prix. On n'obtiendra qu'une seule chose : la pression fiscale pèsera davantage dans les budgets des ménages. Quant à l'utilisation verte de ces recettes… le moins que l'on puisse dire est que le scepticisme s'impose. Qui a oublié le sort de la vignette automobile? Cet impôt finira par remplir les caisses de l'Etat et servira à boucher les trous du budget, contribuera à rembourser la dette…
On construit une augentation progressive : la taxe carbone augmentera de 5% par an, pour aboutir à 100 euros la tonne de CO2. On avait fait la même chose avec la CSG : d'abord indolore, elle ne devient douloureuse que lorsqu'il est impossible de revenir dessus.
On évite d'en parler de manière trop précise. Michel Rocard regrettait il y a quelques jours que l'on ait paniqué les Français, ajoutant à propos des chiffres cités par Le Monde dans son style inimitable : "C'est une évaluation probabiliste derrière laquelle nous n'avons pas de calcul scientifique, de ce que pourrait coûter, pour un ménage moyen... C'est un chiffre qui ne vaut pas grand-chose." Mais si nous n'avons pas de chiffres, comment peut-on juger de l'impact de la mesure? de sa justice?
Tout cela me rappelle une interview sur les réformes qu'il avait donné, avec quelques autres anciens premiers ministres, à Sociétal en 2001. Le thème était la réforme et la manière de la conduire. Il y insistait sur le rôle de l'illusion et racontait comment il a fait passer l'intéréssement en utilisant "une dénomination volontairement absconse, le "retour collectif de modernisation" qui permettait de conserver l'essence du dispositif sans l'affubler d'une étiquette provocatrice." Cela vous rappelle quelque chose?
Il y insistait également sur la nécessité de l'observation de longue durée : ce que l'on annonce aujourd'hui n'est que le début d'une longue histoire… Pardi.
On sait sa relation difficile, contradictoire avec la gauche. Il se dit de gauche, il s'est surtout situé en marge, du coté de l'extrême-gauche dans les années soixante, ce qui l'a amené à dire beaucoup de bétises (il faudrait relire ou écouter ce qu'il a pu écrire et écouter à ce moment là), puis, depuis quelques décennies du coté de la droite ou, plutôt, à l'entendre, du coté des experts (mais n'est-ce pas souvent la même chose?).
On connaît également sa haine quasi pathologique à l'égard de François Mitterand, haine qui transparaissait dans son dernier livre, Si la gauche savait, au point de mettre mal à l'aise le lecteur le mieux disposé à son égard.
On connaissait moins son goût pour les causes bizarres, comme les pôles Arctique et Antarctique dont il s'est occupé à la demande de Nicolas Sarkozy.
Ses dernières propositions sur la taxe carbone et les commentaires dont il les a accompagnés, ont montré d'autres facettes plus constante de sa personnalité à commencer par son goût pour la fiscalité qu'il a contribué à augmenter de manière massive avec la CSG et pour l'innovation en la matière : la taxe carbone en est une comme l'était la CSG.
On retrouve d'ailleurs dans l'une et l'autre les mêmes principes à l'oeuvre :
- le souci de simplification administrative dans la collecte d'un impôt que l'on souhaite rendre invisible : la CSG a amorcé le tournant vers le prélèvement à la source, la taxe carbone sera prélevée au moment de l'achat,
- la volonté d'élargir l'assiette à l'ensemble des revenus : la CSG est perçue sur les revenus d'activité, mais aussi sur les allocations chômage, les pensions, les revenus du capital. La taxe carbone sera un nouvel impôt sur la consommation,
- l'effritement de la progressivité de l'impôt : la CSG est un impôt proportionnel et non pas progressif, la taxe carbone touchera tout le monde et frappera plus durement les plus modestes dont les consommations d'énergie pèsent plus lourd dans les budgets,
- la volonté, enfin, de réduire la solidarité aux plus modestes : eux seuls échappent à la CSG, seul le quart le plus pauvre des Français échapperait à la taxe carbone.
La lutte contre les inégalités n'est manifestement pas une priorité de la philosophie fiscale de Michel Rocard : les classes moyennes sont les premières victimes de ses réformes. Ce qui en fait un homme de gauche un peu à part.
Ses commentaires de ces derniers jours ont, par ailleurs, confirmé l'une de ses stratégies politiques les plus constantes, ce que j'appellerai la réforme hypocrite ou, plutôt, la réforme par l'illusion.
On avance derrière un nuage de fumée. On nous explique aujourd'hui que les ménages les plus modestes s'en tireront mieux que les autres. Mais on prend pour nous l'expliquer des exemples qui frappent mais ne veulent rien dire : "Une famille aisée en milieu rural pourrait acquitter plus de 300 euros quand un ménage modeste en ville n'acquitterait que 55 euros", indiquait mardi dernier Le Monde. Comparaison qui n'a évidement aucun sens : une famille rurale, qu'elle soit aisée ou modeste, se déplace plus et dépense donc plus de carburant qu'une famille urbaine. Ce sont les comparaisons entre familles comparables qui auraient eu du sens…
On nous explique qu'il s'agit de protéger l'environnement alors même que l'une des conclusions les plus solides de la théorie économique est la faible élasticité de la consommation d'énergie. Les gens qui doivent faire trente kilomètres en milieu rural pour aller travailler vont-ils se mettre au chômage pour consommer moins d'essence? Va-t-on cesser de se chauffer pour lutter contre le réchauffement climatique? En matière énergétique, la demande diminue beaucoup moins vite que n'augmente le prix. On n'obtiendra qu'une seule chose : la pression fiscale pèsera davantage dans les budgets des ménages. Quant à l'utilisation verte de ces recettes… le moins que l'on puisse dire est que le scepticisme s'impose. Qui a oublié le sort de la vignette automobile? Cet impôt finira par remplir les caisses de l'Etat et servira à boucher les trous du budget, contribuera à rembourser la dette…
On construit une augentation progressive : la taxe carbone augmentera de 5% par an, pour aboutir à 100 euros la tonne de CO2. On avait fait la même chose avec la CSG : d'abord indolore, elle ne devient douloureuse que lorsqu'il est impossible de revenir dessus.
On évite d'en parler de manière trop précise. Michel Rocard regrettait il y a quelques jours que l'on ait paniqué les Français, ajoutant à propos des chiffres cités par Le Monde dans son style inimitable : "C'est une évaluation probabiliste derrière laquelle nous n'avons pas de calcul scientifique, de ce que pourrait coûter, pour un ménage moyen... C'est un chiffre qui ne vaut pas grand-chose." Mais si nous n'avons pas de chiffres, comment peut-on juger de l'impact de la mesure? de sa justice?
Tout cela me rappelle une interview sur les réformes qu'il avait donné, avec quelques autres anciens premiers ministres, à Sociétal en 2001. Le thème était la réforme et la manière de la conduire. Il y insistait sur le rôle de l'illusion et racontait comment il a fait passer l'intéréssement en utilisant "une dénomination volontairement absconse, le "retour collectif de modernisation" qui permettait de conserver l'essence du dispositif sans l'affubler d'une étiquette provocatrice." Cela vous rappelle quelque chose?
Il y insistait également sur la nécessité de l'observation de longue durée : ce que l'on annonce aujourd'hui n'est que le début d'une longue histoire… Pardi.
jeudi, juillet 30, 2009
Immigration : il faut changer de politique
Pour ceux qu'intéressent les questions d'immigration, j'ai donné à Contrefeux un papier qui milite pour l'ouverture des frontières. On peut le lire ici.
mardi, juillet 28, 2009
après le bing-bling, la musculation! Nicolas Sarkozy en my fair lady
Nous connaissons tous l'histoire de Pygmalion telle que transformée par George Bernard Shaw en professeur de phonétique qui transforme une fleuriste des faubourgs en jeune femme du meilleur monde. Nous avons avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni une variante inattendue de ce thème. Son malaise a en effet révélé, si j'en crois cet article de l'Express au titre délicieux (Le corps de Sarkozy, objet de culte), des pratiques culturistes pour le moins étrange dans un palais présidentiel. Je ne vois pas bien ce que l'on peut faire sinon en rire en attendant la nouvelle fantaisie de ce Président vraiment pas comme les autres.
En rire même si tout cela fait un peu… opérette.
En rire même si tout cela fait un peu… opérette.
lundi, juillet 27, 2009
Malaise vagal, crise cardiaque, cancer et autres maladies
Ce malaise vagal de notre président (ou malaise cardiaque comme l'a suggéré le pas du tout médecin Frédéric Lefevre avant de se rétracter) va ramener sur le devant de la scène (au moins pendant quelques jours) la question de la santé de nos dirigeants et la manière dont nous en sommes tenus informés. Peut-être faudrait-il également s'interroger sur l'impact d'une maladie sur les comportements du malade et de son entourage.
Toutes n'ont pas le même. Le cancer peut épuiser (pendant les traitements) mais il n'incite pas à réduire ses efforts. Bien au contraire, parce que le patient sait son temps compté, parce qu'il sait que ses efforts ne réduiront pas sa durée de vie (ils pourraient même l'allonger en le forçant à se projeter dans l'avenir, et donc à mieux se traiter). A l'inverse, une maladie cardiaque peut inciter à prendre plus de repos, à se ménager puisqu'à tirer trop sur ses forces on risque d'abréger sa vie. Le cancéreux peut être tenté de pousser la machine, d'aller au plus vite, le cardiaque de la ralentir, de lui donner un rythme plus lent, de sous-traiter (de ce point de vue, le retour précipité de François Fillon peut être interprété, avec beaucoup de mauvais esprit, comme une manière de se rappeler au bon souvenir de nous tous).
L'information du public peut également jouer. Savoir le Président malade peut redonner espoir à des concurrents et inciter les courtisans à penser à leur avenir. Cela peut aussi tétaniser les adversaires comme cela s'était produit lorsque Séguin s'était retenu, dans un célèbre débat sur les européennes, d'attaquer trop violemment un Mitterrand qu'il sentait terriblement affaibli.
Toutes n'ont pas le même. Le cancer peut épuiser (pendant les traitements) mais il n'incite pas à réduire ses efforts. Bien au contraire, parce que le patient sait son temps compté, parce qu'il sait que ses efforts ne réduiront pas sa durée de vie (ils pourraient même l'allonger en le forçant à se projeter dans l'avenir, et donc à mieux se traiter). A l'inverse, une maladie cardiaque peut inciter à prendre plus de repos, à se ménager puisqu'à tirer trop sur ses forces on risque d'abréger sa vie. Le cancéreux peut être tenté de pousser la machine, d'aller au plus vite, le cardiaque de la ralentir, de lui donner un rythme plus lent, de sous-traiter (de ce point de vue, le retour précipité de François Fillon peut être interprété, avec beaucoup de mauvais esprit, comme une manière de se rappeler au bon souvenir de nous tous).
L'information du public peut également jouer. Savoir le Président malade peut redonner espoir à des concurrents et inciter les courtisans à penser à leur avenir. Cela peut aussi tétaniser les adversaires comme cela s'était produit lorsque Séguin s'était retenu, dans un célèbre débat sur les européennes, d'attaquer trop violemment un Mitterrand qu'il sentait terriblement affaibli.
dimanche, juillet 26, 2009
Mais combien d'intimes a donc cet homme?
Mediapart nous annonce que "la justice française est accusée par un citoyen américain d'avoir épargné un intime de Nicolas Sarkozy, le richissime banquier d'affaires italo-américain Robert F. Agostinelli." Avouerai-je que je n'avais jamais entendu parler de banquier? Mais ce qui me frappe, c'est le nombre d'amis intimes que l'on prête à Nicolas Sarkozy. Il y a quelques jours encore un journal, je ne sais plus lequel, citait Serge Dassault et Martin Bouygues et on se souvient des Clavier et consorts. Il ne se passe pas de semaine sans que l'on n'en découvre un nouveau, pas toujours recommandable, mais peu importe… Il ne s'agit plus des réseaux d'autrefois, ni des rolodex soigneusement entretenus des politiques ordinaires, mais de quelque chose d'autre. Une sorte de Facebook généralisé et diablement écelctique .
vendredi, juillet 24, 2009
Le temps Fabius?
Dans ce jeu de quilles qu'est devenu le PS où les uns derrière les autres, tous ses leaders s'effondrent, qui reste?
Martine Aubry devrait être pour longtemps plombée par la défaite des européennes, celle à venir des régionales, les dissensions internes qu'elle n'arrive pas à régler.
Dominique Strauss-Khan est trop occupé à New-York, les enjeux sont trop élevés pour qu'il se risque à perdre un poste qui fait de lui l'une des premières puissances financières mondiales dans un combat incertain.
Les quadras et quinquas, Vals, Moscovici et autres Peillon n'ont, et c'est un euphémisme, convaincu personne.
Ségolène Royal a suscité trop d'opposition pour pouvoir vraiment remonter en selle. Delanoë semble manquer d'épaisseur.
Reste… Fabius.
Il pourrait très bien être le recours d'un parti qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise et qui, sous couvert de travailler, est devenu tout simplement inaudible. Lui seul peut proposer aux socialistes une chance de ne pas perdre forcément la prochaine élection présidentielle.
Il a la stature et l'étoffe d'un homme d'Etat, la crise du sang contaminé a montré ses qualités. Il a l'intelligence, la culture et la subtilité que l'on attend d'un Président. Il a des réseaux solides, anciens et puissants dans le milieu des affaires. Nul ne doute de son talent. Son passage à Matignon et ses positions électorales en Normandie lui donnent une incontestable légitimité. Il n'a pas de casseroles et n'a jamais été soupçonné du moindre détournement de fonds.
Ses quelques faiblesses ne devraient plus en être dans quelques mois lorsqu'il s'agira de choisir :
- son allure de grand-bourgeois élégant, un peu distant? Cela se soigne,
- son opposition à la constitution européenne? elle pourrait être oubliée. Après tout l'anti-européen Bové et le très européen Cohn-Bendit ont réussi à faire campagne ensemble,
- la méfiance des socialistes (il n'est pas le plus aimé au sein du parti)? Elle pourrait être corrigée s'il demandait à ses troupes de faire profil bas.
- son opportunisme (comme sa proposition d'un Smic à 1000€)? Nous savons tous qu'il vaut mieux que cela.
Resterait à trouver un programme. Ségolène Royal et Daniel Cohn-Bendit lui ont ouvert le chemin. Il suffirait qu'il prenne chez l'une et chez l'autre, qu'il y ajoute une pointe de social façon Terra Nova. Son talent devrait lui permettre de construire une offre capable de séduire les électeurs, depuis ceux du Modem jusqu'à ceux qui se souviendront, à la gauche de la gauche, qu'il avait appelé à voter contre la constitution européenne.
Martine Aubry devrait être pour longtemps plombée par la défaite des européennes, celle à venir des régionales, les dissensions internes qu'elle n'arrive pas à régler.
Dominique Strauss-Khan est trop occupé à New-York, les enjeux sont trop élevés pour qu'il se risque à perdre un poste qui fait de lui l'une des premières puissances financières mondiales dans un combat incertain.
Les quadras et quinquas, Vals, Moscovici et autres Peillon n'ont, et c'est un euphémisme, convaincu personne.
Ségolène Royal a suscité trop d'opposition pour pouvoir vraiment remonter en selle. Delanoë semble manquer d'épaisseur.
Reste… Fabius.
Il pourrait très bien être le recours d'un parti qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise et qui, sous couvert de travailler, est devenu tout simplement inaudible. Lui seul peut proposer aux socialistes une chance de ne pas perdre forcément la prochaine élection présidentielle.
Il a la stature et l'étoffe d'un homme d'Etat, la crise du sang contaminé a montré ses qualités. Il a l'intelligence, la culture et la subtilité que l'on attend d'un Président. Il a des réseaux solides, anciens et puissants dans le milieu des affaires. Nul ne doute de son talent. Son passage à Matignon et ses positions électorales en Normandie lui donnent une incontestable légitimité. Il n'a pas de casseroles et n'a jamais été soupçonné du moindre détournement de fonds.
Ses quelques faiblesses ne devraient plus en être dans quelques mois lorsqu'il s'agira de choisir :
- son allure de grand-bourgeois élégant, un peu distant? Cela se soigne,
- son opposition à la constitution européenne? elle pourrait être oubliée. Après tout l'anti-européen Bové et le très européen Cohn-Bendit ont réussi à faire campagne ensemble,
- la méfiance des socialistes (il n'est pas le plus aimé au sein du parti)? Elle pourrait être corrigée s'il demandait à ses troupes de faire profil bas.
- son opportunisme (comme sa proposition d'un Smic à 1000€)? Nous savons tous qu'il vaut mieux que cela.
Resterait à trouver un programme. Ségolène Royal et Daniel Cohn-Bendit lui ont ouvert le chemin. Il suffirait qu'il prenne chez l'une et chez l'autre, qu'il y ajoute une pointe de social façon Terra Nova. Son talent devrait lui permettre de construire une offre capable de séduire les électeurs, depuis ceux du Modem jusqu'à ceux qui se souviendront, à la gauche de la gauche, qu'il avait appelé à voter contre la constitution européenne.
mardi, juillet 21, 2009
PS : des prédictions autoréalisatrices?
A force d'annoncer la mort du PS, tous nos socialistes vont finir par l'achever selon un mécanisme très simple :
- multiplication des brouilles entre dirigeants,
- désespérance des militants qui vont le quitter sur le bout des pieds, abandonner la politique ou chercher refuge ailleurs,
- ennui des électeurs.
Tout cela est bien sur suicidaire. Ce l'est d'autant plus que nous savons aujourd'hui qu'une alternative se profile à l'horizon : Europe Ecologie. Il est vrai que ce n'est pas tout à fait un parti, que cette alliance n'a pas de présidentiable, mais elle a des idées, une vision politique et une organisation qui lui permet d'etre au plus près des attentes de beaucoup d'électeurs. Elle a, en somme, tout ce qui manque au PS (mais aussi à l'UDF de Bayrou) pour sortir de l'ornière. Il suffirait que l'un ou l'autre de ses dirigeants s'en rapproche suffisamment pour qu'Europe Ecologie trouve ce qui lui manque pour devenir la force auour de laquelle la gauche se réunira lors des prochaines élections présidentielles.
- multiplication des brouilles entre dirigeants,
- désespérance des militants qui vont le quitter sur le bout des pieds, abandonner la politique ou chercher refuge ailleurs,
- ennui des électeurs.
Tout cela est bien sur suicidaire. Ce l'est d'autant plus que nous savons aujourd'hui qu'une alternative se profile à l'horizon : Europe Ecologie. Il est vrai que ce n'est pas tout à fait un parti, que cette alliance n'a pas de présidentiable, mais elle a des idées, une vision politique et une organisation qui lui permet d'etre au plus près des attentes de beaucoup d'électeurs. Elle a, en somme, tout ce qui manque au PS (mais aussi à l'UDF de Bayrou) pour sortir de l'ornière. Il suffirait que l'un ou l'autre de ses dirigeants s'en rapproche suffisamment pour qu'Europe Ecologie trouve ce qui lui manque pour devenir la force auour de laquelle la gauche se réunira lors des prochaines élections présidentielles.
mercredi, juillet 15, 2009
Nicolas Sarkozy serait-il un disciple (qui s'ignore?) de John Rawls?
Le titre de ce poste est, je le conçois bien, tout à fait incongru. Qui imaginerait notre Président accroché à la Théorie de la Justice, le grand livre du philosophe américain, ou au plus récent Libéralisme politique, deux ouvrages que l'on peut cependant facilement trouver en librairie dans de bonnes traductions françaises? Et pourtant! La lecture du dernier numéro de Raisons Politiques, la revue de l'école doctorale de Sciences-Po pourrait le faire penser.
On y trouve un article de Serge-Christophe Kolm, économiste qui a dans les années 70 dialogué avec Rawls, dans lequel on découvre que la défiscalisation des heures supplémentaires lui aurait été recommandée par un de ses conseillers (Kolm ne dit pas lequel) qui venait de lire la recension dans un journal économique du dernier livre de notre auteur (Macrojustice. The political Economy of fairness).
Il est vrai que Kolm défend cette idée depuis longtemps. Déjà dans un texte publié en 1974 il la proposait (Sur les conséquences économiques des principes de justice et de justice pratique, Revue d'Economie Politique). Lorsque la mesure est venue en débat, il est revenu dessus dans un article court dans lequel il y mettait un bémol : que le chômage soit devenu frictionnel, et redescendu aux alentours des 5%.
Son raisonnement un peu embrouillé renvoie à la théorie de l'équité de John Rawls. Le philosophe américain identifie des "biens premiers" auxquels chacun a également droit. Le revenu et la richesse étant de ceux-ci, il conviendrait de les égaliser. C'est malheureusement impossible puisque cela dissuaderait tout le monde de travailler. D'où le "principe de différence" qui accepte les inégalités dés lors qu'elles sont 1) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et 2) qu'elles respectent le principe d'égalité des chances. Or, dit Kolm, si l'on assoit l'impôt uniquement sur une durée légale identique pour tous (les 35 heures) et si chacun est libre de faire autant d'heures supplémentaires qu'il souhaite, on ne dissuade plus le travail puisque chacun est libre d'arbitrer entre travail et loisir (lequel doit être aussi considéré comme un bien premier). On peut donc égaliser le revenu de base sans dissuader de travailler.
Je ne suis pas sûr que ce soit l'argument qu'aient retenu les avocats de cette défiscalisation. Encore qu'ils aient beaucoup insisté sur la liberté laissée à chacun de gagner autant d'argent qu'il souhaite (s'il y en a qui veulent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher).
Mais il n'y a pas que cela. La mission sur la redéfinition d'indicateurs du bien-être social confiée à Stiglitz et Sen s'inscrit également dans un contexte Rawlsien. Le premier critique du PIB a, en effet, été Rawls lorsqu'il a opposé son panier des biens premiers aux comparaisons de bien-être individuel chères aux économistes qui, en associant bien-être et revenu, ont abouti à l'élaboration du PIB (plus un individu dispose d'un revenu élevé, plus il est en mesure de satisfaire ses préférences, plus donc son bien-être s'accroît. Si le bien être est la capacité à satisfaire ses préférences, plus on a de revenus plus on a de chance d'avoir un bien-être personnel élevé).
Tout cela peut paraître un peu tiré par les cheveux. Mais ce n'est cependant pas complètement absurde. Alain Minc, l'un des conseillers du Président, fut dans les années 80 un de ceux qui ont introduit Rawls en France et ont donné à ce philosophe, plutôt classé à gauche aux Etats-Unis, cette réputation conservatrice qu'il a longtemps eue en France : pour Minc et ses amis, Rawls apportait une justification aux inégalités et leur permettait de combattre avec des arguments nouveaux l'Etat providence, de remplacer l'égalité par l'équité.
PS. Il me semble me souvenir que Kolm était l'un de ces visiteurs du soir qui, en 1983, recommandait à Mitterrand de quitter le SME. Mais ce n'est qu'un lointain souvenir et je n'ai pas eu le temps de vérifier.
On y trouve un article de Serge-Christophe Kolm, économiste qui a dans les années 70 dialogué avec Rawls, dans lequel on découvre que la défiscalisation des heures supplémentaires lui aurait été recommandée par un de ses conseillers (Kolm ne dit pas lequel) qui venait de lire la recension dans un journal économique du dernier livre de notre auteur (Macrojustice. The political Economy of fairness).
Il est vrai que Kolm défend cette idée depuis longtemps. Déjà dans un texte publié en 1974 il la proposait (Sur les conséquences économiques des principes de justice et de justice pratique, Revue d'Economie Politique). Lorsque la mesure est venue en débat, il est revenu dessus dans un article court dans lequel il y mettait un bémol : que le chômage soit devenu frictionnel, et redescendu aux alentours des 5%.
Son raisonnement un peu embrouillé renvoie à la théorie de l'équité de John Rawls. Le philosophe américain identifie des "biens premiers" auxquels chacun a également droit. Le revenu et la richesse étant de ceux-ci, il conviendrait de les égaliser. C'est malheureusement impossible puisque cela dissuaderait tout le monde de travailler. D'où le "principe de différence" qui accepte les inégalités dés lors qu'elles sont 1) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et 2) qu'elles respectent le principe d'égalité des chances. Or, dit Kolm, si l'on assoit l'impôt uniquement sur une durée légale identique pour tous (les 35 heures) et si chacun est libre de faire autant d'heures supplémentaires qu'il souhaite, on ne dissuade plus le travail puisque chacun est libre d'arbitrer entre travail et loisir (lequel doit être aussi considéré comme un bien premier). On peut donc égaliser le revenu de base sans dissuader de travailler.
Je ne suis pas sûr que ce soit l'argument qu'aient retenu les avocats de cette défiscalisation. Encore qu'ils aient beaucoup insisté sur la liberté laissée à chacun de gagner autant d'argent qu'il souhaite (s'il y en a qui veulent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher).
Mais il n'y a pas que cela. La mission sur la redéfinition d'indicateurs du bien-être social confiée à Stiglitz et Sen s'inscrit également dans un contexte Rawlsien. Le premier critique du PIB a, en effet, été Rawls lorsqu'il a opposé son panier des biens premiers aux comparaisons de bien-être individuel chères aux économistes qui, en associant bien-être et revenu, ont abouti à l'élaboration du PIB (plus un individu dispose d'un revenu élevé, plus il est en mesure de satisfaire ses préférences, plus donc son bien-être s'accroît. Si le bien être est la capacité à satisfaire ses préférences, plus on a de revenus plus on a de chance d'avoir un bien-être personnel élevé).
Tout cela peut paraître un peu tiré par les cheveux. Mais ce n'est cependant pas complètement absurde. Alain Minc, l'un des conseillers du Président, fut dans les années 80 un de ceux qui ont introduit Rawls en France et ont donné à ce philosophe, plutôt classé à gauche aux Etats-Unis, cette réputation conservatrice qu'il a longtemps eue en France : pour Minc et ses amis, Rawls apportait une justification aux inégalités et leur permettait de combattre avec des arguments nouveaux l'Etat providence, de remplacer l'égalité par l'équité.
PS. Il me semble me souvenir que Kolm était l'un de ces visiteurs du soir qui, en 1983, recommandait à Mitterrand de quitter le SME. Mais ce n'est qu'un lointain souvenir et je n'ai pas eu le temps de vérifier.
vendredi, juillet 10, 2009
En finir avec le socialisme?
Libération a publié hier un étrange débat entre Manuel Vals et Aquilino Morelle (Aquilino qui? N'y avait-il rue de Solférino personne de plus connu que l'ancien rédacteur des discours de Lionel Jospin pour débattre avec le maire d'Evry) sur l'avenir du socialisme et du PS.
Le premier veut supprimer du vocabulaire politique le mot socialisme ("concept ambigu (…qui) risque de brouiller notre identité", le second veut défricher une "nouvelle utopie". Etrange débat entre un socialiste qui vire à droite et prend dorénavant ses références chez Blair (ou, plutôt chez Giddens, qui a tant inspiré Blair) et un haut fonctionnaire (d'on ne sait de quel ministère) que ses anciennes fonctions classeraient plutôt du coté des archéo (mais allez savoir!).
Débat sans grand intérêt sinon qu'il illustre la difficulté des socialistes à définir ce qui les distingue de la droite. Alors même que cela ne devrait pas être si difficile. Je vois, comme cela à la volée, au moins trois ou quatre différences :
- le souci de la réduction des inégalités qui ne sont jamais conçues comme naturelles et acceptables,
- la confiance dans la capacité des citoyens à se comporter de manière socialement acceptable qui permet d'augmenter les marges de liberté de chacun,
- le goût de la socialisation et de la mutualisation qui permettent aux mieux lotis de venir en aide aux moins bien lotis,
- la volonté d'agir sur le marché, de le réguler pour corriger ses défauts et limiter ses dérives.
Est-ce cela le socialisme au sens où l'entendait Pierre Leroux? Pour l'essentiel, certainement. Est-ce dépassé? Bien sûr que non.
La gauche a changé ces dernières années. Elle a du abandonner les réflexes du tout Etat et le protectionnisme. Elle a du accepter l'idée que l'on ne pouvait faire sans le marché. Mais qui, à part quelques néo-marxistes en a un instant douté?
Elle doit encore évoluer et intégrer dans sa réflexion, non pas l'écologie, comme on dit, mais la crise du futur qui fait douter des capacités de la technologie à apporter des solutions aux problèmes de demain qu'il s'agisse des retraites (si l'on s'inquiète autant de leur financement c'est que l'on ne croit plus que les grains de productivité nous permettront de les financer) ou de l'environnement (si l'on insiste autant sur sa défense c'est que l'on ne croit plus que le progrès technique puisse corriger ses excès, ses erreurs). Mais c'est en bonne voie.
On remarquera que sur chacun de ces thèmes, il est assez facile de distinguer ce que pourrait faire un gouvernement de gauche de ce que fait aujourd'hui un gouvernement de droite.
Le premier veut supprimer du vocabulaire politique le mot socialisme ("concept ambigu (…qui) risque de brouiller notre identité", le second veut défricher une "nouvelle utopie". Etrange débat entre un socialiste qui vire à droite et prend dorénavant ses références chez Blair (ou, plutôt chez Giddens, qui a tant inspiré Blair) et un haut fonctionnaire (d'on ne sait de quel ministère) que ses anciennes fonctions classeraient plutôt du coté des archéo (mais allez savoir!).
Débat sans grand intérêt sinon qu'il illustre la difficulté des socialistes à définir ce qui les distingue de la droite. Alors même que cela ne devrait pas être si difficile. Je vois, comme cela à la volée, au moins trois ou quatre différences :
- le souci de la réduction des inégalités qui ne sont jamais conçues comme naturelles et acceptables,
- la confiance dans la capacité des citoyens à se comporter de manière socialement acceptable qui permet d'augmenter les marges de liberté de chacun,
- le goût de la socialisation et de la mutualisation qui permettent aux mieux lotis de venir en aide aux moins bien lotis,
- la volonté d'agir sur le marché, de le réguler pour corriger ses défauts et limiter ses dérives.
Est-ce cela le socialisme au sens où l'entendait Pierre Leroux? Pour l'essentiel, certainement. Est-ce dépassé? Bien sûr que non.
La gauche a changé ces dernières années. Elle a du abandonner les réflexes du tout Etat et le protectionnisme. Elle a du accepter l'idée que l'on ne pouvait faire sans le marché. Mais qui, à part quelques néo-marxistes en a un instant douté?
Elle doit encore évoluer et intégrer dans sa réflexion, non pas l'écologie, comme on dit, mais la crise du futur qui fait douter des capacités de la technologie à apporter des solutions aux problèmes de demain qu'il s'agisse des retraites (si l'on s'inquiète autant de leur financement c'est que l'on ne croit plus que les grains de productivité nous permettront de les financer) ou de l'environnement (si l'on insiste autant sur sa défense c'est que l'on ne croit plus que le progrès technique puisse corriger ses excès, ses erreurs). Mais c'est en bonne voie.
On remarquera que sur chacun de ces thèmes, il est assez facile de distinguer ce que pourrait faire un gouvernement de gauche de ce que fait aujourd'hui un gouvernement de droite.
mercredi, juillet 08, 2009
Michael Jackson, Hadopi et autres jeux vidéo
Oserais-je l'avouer? Je crois bien n'avoir jamais entendu une chanson de Michael Jackson et s'il m'est arrivé comme tout un chacun de voir des photos le montrant en train de danser, je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu à la télévision. Ce n'est pas que je fuie ce type de musique (même si je ne la recherche pas) ni que je vive en ermite (j'écoute la radio régulièrement, je regarde la télévision, je lis les journaux, il m'arrive même d'aller au concert), mais je suis passé complètement à coté.
Comme j'étais passé à coté des jeux vidéo qui occupent tant de jeunes gens et de moins jeunes.
Je pourrais me justifier en trouvant que tout cela n'a aucun intéret, mais ce qui me frappe c'est la manière dont j'ai pu être aveugle à ce qui m'entoure avec la meilleure bonne foi. Et cet aveuglement m'interdit évidemment de comprendre l'émotion des uns et le plaisir des autres.
Je suis en la matière un peu comme sont nos politiques avec ce qu'ils appellent piratage sur internet. Si la loi Hadopi est si mauvaise et absurde, c'est qu'ils n'ont tout simplement aucune idée de ce qui se passe sur internet. Ils ne comprennent pas parce qu'ils ne voient pas.
Comme j'étais passé à coté des jeux vidéo qui occupent tant de jeunes gens et de moins jeunes.
Je pourrais me justifier en trouvant que tout cela n'a aucun intéret, mais ce qui me frappe c'est la manière dont j'ai pu être aveugle à ce qui m'entoure avec la meilleure bonne foi. Et cet aveuglement m'interdit évidemment de comprendre l'émotion des uns et le plaisir des autres.
Je suis en la matière un peu comme sont nos politiques avec ce qu'ils appellent piratage sur internet. Si la loi Hadopi est si mauvaise et absurde, c'est qu'ils n'ont tout simplement aucune idée de ce qui se passe sur internet. Ils ne comprennent pas parce qu'ils ne voient pas.
dimanche, juillet 05, 2009
La fin de l'intellectuel parisien
Dans une interview au beau titre (Le nom de Sarkozy provoque un pénible désir d'injure) donnée à Libération, Stéphane Rials, juriste de très bonne réputation, indique que Nicolas Sarkozy voudrait "abolir le déclinant «pouvoir spirituel» des intellectuels." Je ne sais pas si c'est le cas. J'en doute un peu : notre Président a certainement d'autres soucis en tête. Mais cette remarque m'a ramené au déclin que tout le monde a observé de cette figure étrange de la scène politico-médiatique française : l'intelectuel. Figure qui renvoie à quelques grands noms : Sartre, Camus, Mauriac, Foucault mais aussi, un peu plus loin, Bernanos, Aragon… tous auteurs qui ont profité de leurs succès dans le monde littéraire pour s'imposer comme une figure de la conscience morale en politique.
Plus personne aujourd'hui ne peut prétendre à ce titre. Aucun des noms que l'on peut évoquer (Sollers, BHL, Debray…) ne suscite tout à la fois l'admiration des gens cultivés et l'intérêt des politiques.
Ce déclin n'est pas lié aux politiques qui n'ont jamais vraiment cherché à chasser du paysage cet adversaire (on se souvient encore des remarques de de Gaulle sur Sartre en 1968 : "On ne met pas Voltaire en prison"), mais aux évolutions de la scène intellectuelle. On a beaucoup incriminé la télévision qui aplatit tout (et il est vrai que je me souviens d'avoir eu honte pour Jacques Derrida en le voyant tentant, à la télévision, de s'expliquer). Mais il n'y a pas cela, il y a aussi des facteurs propre à la scène intellectuelle qui ont rendu pratiquement impossible l'émergence de ces intellectuels :
- le premier est la disparition des "grands auteurs". Un "grand auteur" est quelqu'un qui publie des livres que d'autres commentent, que le public, et d'abord le public savant, attend avec impatience, dont on parle avant qu'ils soient publiés. Les savants d'aujourd'hui publient des articles dans des revues éparses que ne lisent que les spécialistes. Leurs livres, lorsqu'ils en publient ne sont que des resucées de ces articles que connaissent déjà les plus avertis ;
- le second est la domination de l'anglais : si l'on veut aujourd'hui compter sur la scène intellectuelle il faut publier en anglais dans des revues internationales. Cela coupe les intellectuels de leur public cultivé naturel, celui qui sans être spécialiste achetait les livres de Deleuze et Foucault, Furet et Aron, les feuilletait, les lisait à demi, mais contribuait à leur réputation. Cela oblige également à respecter un certain nombre de normes de production qui forcent à la spécialisation et à la mathématisation ;
- cette domination de l'anglais et des revues anglo-saxonnes casse le mécanisme de citation qui aidait à construire les jeunes réputations (qui écrit en anglais est presque mécaniquement amené à citer plus d'auteurs américains qu'il ne ferait autrement. L'utilisation d'internet pour les recherches ne fait qu'aggraver ce phénomène) ;
- le troisième est la dérive de notre système universitaire. A force de refuser toute sélection, nos étudiants ont fabriqué un système baroque où les meilleurs étudiants vont dans les grandes écoles alors que les meilleures carrières universitaires continuent, dans la plupart des disciplines, de se faire à l'université. Ceux qui pourraient prétendre au statut d'intellectuel ont perdu leur premier public naturel : celui des étudiants les plus brillants.
Ce déclin n'est pas perdu pour tout le monde. Il a profité aux économistes qui occupent aujourd'hui le devant de la scène. Dommage qu'ils soient si souvent disciples de Pangloss.
Plus personne aujourd'hui ne peut prétendre à ce titre. Aucun des noms que l'on peut évoquer (Sollers, BHL, Debray…) ne suscite tout à la fois l'admiration des gens cultivés et l'intérêt des politiques.
Ce déclin n'est pas lié aux politiques qui n'ont jamais vraiment cherché à chasser du paysage cet adversaire (on se souvient encore des remarques de de Gaulle sur Sartre en 1968 : "On ne met pas Voltaire en prison"), mais aux évolutions de la scène intellectuelle. On a beaucoup incriminé la télévision qui aplatit tout (et il est vrai que je me souviens d'avoir eu honte pour Jacques Derrida en le voyant tentant, à la télévision, de s'expliquer). Mais il n'y a pas cela, il y a aussi des facteurs propre à la scène intellectuelle qui ont rendu pratiquement impossible l'émergence de ces intellectuels :
- le premier est la disparition des "grands auteurs". Un "grand auteur" est quelqu'un qui publie des livres que d'autres commentent, que le public, et d'abord le public savant, attend avec impatience, dont on parle avant qu'ils soient publiés. Les savants d'aujourd'hui publient des articles dans des revues éparses que ne lisent que les spécialistes. Leurs livres, lorsqu'ils en publient ne sont que des resucées de ces articles que connaissent déjà les plus avertis ;
- le second est la domination de l'anglais : si l'on veut aujourd'hui compter sur la scène intellectuelle il faut publier en anglais dans des revues internationales. Cela coupe les intellectuels de leur public cultivé naturel, celui qui sans être spécialiste achetait les livres de Deleuze et Foucault, Furet et Aron, les feuilletait, les lisait à demi, mais contribuait à leur réputation. Cela oblige également à respecter un certain nombre de normes de production qui forcent à la spécialisation et à la mathématisation ;
- cette domination de l'anglais et des revues anglo-saxonnes casse le mécanisme de citation qui aidait à construire les jeunes réputations (qui écrit en anglais est presque mécaniquement amené à citer plus d'auteurs américains qu'il ne ferait autrement. L'utilisation d'internet pour les recherches ne fait qu'aggraver ce phénomène) ;
- le troisième est la dérive de notre système universitaire. A force de refuser toute sélection, nos étudiants ont fabriqué un système baroque où les meilleurs étudiants vont dans les grandes écoles alors que les meilleures carrières universitaires continuent, dans la plupart des disciplines, de se faire à l'université. Ceux qui pourraient prétendre au statut d'intellectuel ont perdu leur premier public naturel : celui des étudiants les plus brillants.
Ce déclin n'est pas perdu pour tout le monde. Il a profité aux économistes qui occupent aujourd'hui le devant de la scène. Dommage qu'ils soient si souvent disciples de Pangloss.
mercredi, juillet 01, 2009
Nicolas Sarkozy : la reconquête de l'opinion
Nicolas sarkozy a entrepris de reconquérir l'opinion. Et il le fait habilement en ciblant la gauche intellectuelle, cette gauche que l'on disait hier caviar qui fait l'opinion, celle des salons et des journaux qui, en cascade, descend jusqu'au bon peuple.
Il avait commencé en se battant bec et ongles pour sa mauvaise loi Hadopi qui lui a valu la sympathie de plusieurs centaines de vedettes que l'on avait plutôt l'habitude de voir à gauche. Il poursuit avec une interview intéressante et subtile dans le Nouvel Observateur dont le titre est à lui seul tout un programme : "Jai commis des erreurs".
Intéressante parce qu'elle innove. Pour la première fois un politique accepte, dans une période qui n'est pas de crise, de commenter son action de manière critique et d'avouer erreurs et regrets sans langue de bois. D'une certaine manière, cette interview est aussi rafraîchissante que le tutoiement de Daniel Cohn-Bendit : voilà des politiques qui se comportent normalement, qui acceptent de ne pas avoir toujours raison, qui se rencontrent et le disent.
Habile parce qu'elle est menée d'un ton familier et qu'elle le reconciliera avec tous ceux qui, à droite, critiquent moins sa politique que ses mauvaises manières (ce qu'il dit sur son coté bling bling vaut bien pardon). Bien loin de critiquer les journalistes qui l'éreintent, il leur répond de manière assez juste et convaincante.
Cette interview confirme enfin sa fascination pour Mitterrand qui fut certainement son modèle (modèle jusque dans sa politique de communication, Mitterrand avait su lui aussi jouer avec les journalistes, c'était à la télévision avec Yves Mourousi) et auquel il semble en permanence se mesurer.
Est-ce que cela suffira à reconquérir l'opinion? N'est pas Nasser qui veut, mais cela devrait lui permettre de renvoyer au rayon des erreurs de jeunesse ces comportements qui avaient suscité l'antisarkozisme primaire.
Sur le fond, cependant, cette interview ne change rien. Il ne remet en cause rien de sa politique. On aimerait qu'il lui applique la même intelligence critique. Mais c'est sans doute trop demander.
Il avait commencé en se battant bec et ongles pour sa mauvaise loi Hadopi qui lui a valu la sympathie de plusieurs centaines de vedettes que l'on avait plutôt l'habitude de voir à gauche. Il poursuit avec une interview intéressante et subtile dans le Nouvel Observateur dont le titre est à lui seul tout un programme : "Jai commis des erreurs".
Intéressante parce qu'elle innove. Pour la première fois un politique accepte, dans une période qui n'est pas de crise, de commenter son action de manière critique et d'avouer erreurs et regrets sans langue de bois. D'une certaine manière, cette interview est aussi rafraîchissante que le tutoiement de Daniel Cohn-Bendit : voilà des politiques qui se comportent normalement, qui acceptent de ne pas avoir toujours raison, qui se rencontrent et le disent.
Habile parce qu'elle est menée d'un ton familier et qu'elle le reconciliera avec tous ceux qui, à droite, critiquent moins sa politique que ses mauvaises manières (ce qu'il dit sur son coté bling bling vaut bien pardon). Bien loin de critiquer les journalistes qui l'éreintent, il leur répond de manière assez juste et convaincante.
Cette interview confirme enfin sa fascination pour Mitterrand qui fut certainement son modèle (modèle jusque dans sa politique de communication, Mitterrand avait su lui aussi jouer avec les journalistes, c'était à la télévision avec Yves Mourousi) et auquel il semble en permanence se mesurer.
Est-ce que cela suffira à reconquérir l'opinion? N'est pas Nasser qui veut, mais cela devrait lui permettre de renvoyer au rayon des erreurs de jeunesse ces comportements qui avaient suscité l'antisarkozisme primaire.
Sur le fond, cependant, cette interview ne change rien. Il ne remet en cause rien de sa politique. On aimerait qu'il lui applique la même intelligence critique. Mais c'est sans doute trop demander.
mardi, juin 30, 2009
Une ambassade en cadeau de consolation?
Roger Karoutchi ambassadeur auprès de l'OCDE, Christine Boutin au Vatican et Roger Laporte qui s'en prend à ses anciens collègues sans beaucoup d'élégance demain auprès du Comité Olypiuqe (si cela existe…). Les ministres qui ont perdu leur emploi ne sont pas contents, c'est compréhensible mais faut-il le leur rappeler : c'est la règle du jeu. Et l'on aimerait qu'ils fassent preuve d'un peu de dignité, qu'ils gardent pour eux leur amertume. Promis : cela passera! Mais non, ils protestent et Nicolas Sarkozy dont la gestion des ressources humaines est pour le moins étrange, cède, il leur donne des lots de consolation, des ambassades. Comme si les postes de la République étaient à sa disposition! On me dira que ce n'est pas nouveau. Sans doute, mais cela se faisait autrefois dans la discrétion. Les partants attendaient un peu avant de dégommer leurs collègues de la veille. Aujourd'hui, ils n'attendent même pas qu'une bonne nuit de sommeil les ramène à la raison.
lundi, juin 29, 2009
La rigueur, victime collatérale de l'affaire Geisser
On se souvient de l'affaire Geisser, du nom de ce chercheur convoqué devant le conseil de discipline du CNRS pour manquement à l'obligation de réserve sur intervention d'un fonctionnaire de défense attaché à l'établissement. Une pétition circule pour prendre sa défense qu'Elizabeth Roudinesco refuse de signer parce qu'on n'y présente pas ce chercheur qui défend l'islamisme radical. Ce matin, dans Libération, Esther Benbassa, l'animatrice de cette pétition s'en prend à Roudinesco dans des termes qui retirent un peu plus encore l'envie de signer cette pétition et me font penser que ceux qui l'ont signée, même s'ils ont eu (et ont toujours) de bons motifs de protester, devraient se retirer
Je pense à trois passages de ce texte :
- "Cette ingérence, écrit Benbassa, intolérable risque de devenir la règle dans des universités dont les présidents, désormais autonomes, à savoir tout puissants, pourront se sentir autorisés à imposer toutes les censures. Un bon chercheur ne sera-t-il désormais plus qu'un chercheur docile, ressassant une science inoffensive, et se pliant aux diktats des sots et des puissants." Je veux bien que la polémique n'exige pas une grande rigueur et que beaucoup d'universitaires sont hostiles à l'autonomie. Mais tout de même. Il y a dans ce texte autant d'erreurs de raisonnement que de membres de phrase : généralisation abusive, pétition de principe, raisonnement circulaire, effet d'épouvantail… Si les travaux scientifiques d'Esther Benbassa sont de ce niveau, n'est-ce pas elle qui devrait se trouver devant la commission de discipline pour insuffisance notoire?
- "Mme Roudinesco qui, si elle se prévaut d'un titre universitaire, n'appartient pas (…) au corps des chercheurs ni à celui des enseignants-chercheurs (…) intellectuelle jamais évaluée par sa tutelle (…) pense et agit exactement comme l'ingénieur général…" Cela s'appelle une attaque ad hominem d'autant plus détestable que Mme Roudinesco a bien été sollicitée pour signer cet appel. Elle aurait le droit de s'exprimer lorsqu'elle pense comme Mme Benbassa, et le devoir de se taire lorsqu'elle pense autrement?
- "Si l'on brûle des livres demain…" conclut l'auteur de ce brulôt dont on se demande si elle raisonne toujours avec autant de subtilité et si, lorsqu'elle mène ses recherches, elle réfléchit avec autant de mépris pour le bon sens.
Lorsqu'il y a quelques années, des professeurs très hostiles à Claude Allègre allaient sur les ondes diffuser des contre-vérités, je m'étais demandé s'il était bien raisonnable de leur confier des enfants, en lisant ce texte de benbassa, je me demande si le CNRS ne ferait pas bien de demander à ses collaborateurs non pas un devoir de réserve qui ne veut évidemment rien dire dans leur cas, mais un devoir de respect d'un minimum de rigueur scientifique et logique dans leur expression publique.
Je pense à trois passages de ce texte :
- "Cette ingérence, écrit Benbassa, intolérable risque de devenir la règle dans des universités dont les présidents, désormais autonomes, à savoir tout puissants, pourront se sentir autorisés à imposer toutes les censures. Un bon chercheur ne sera-t-il désormais plus qu'un chercheur docile, ressassant une science inoffensive, et se pliant aux diktats des sots et des puissants." Je veux bien que la polémique n'exige pas une grande rigueur et que beaucoup d'universitaires sont hostiles à l'autonomie. Mais tout de même. Il y a dans ce texte autant d'erreurs de raisonnement que de membres de phrase : généralisation abusive, pétition de principe, raisonnement circulaire, effet d'épouvantail… Si les travaux scientifiques d'Esther Benbassa sont de ce niveau, n'est-ce pas elle qui devrait se trouver devant la commission de discipline pour insuffisance notoire?
- "Mme Roudinesco qui, si elle se prévaut d'un titre universitaire, n'appartient pas (…) au corps des chercheurs ni à celui des enseignants-chercheurs (…) intellectuelle jamais évaluée par sa tutelle (…) pense et agit exactement comme l'ingénieur général…" Cela s'appelle une attaque ad hominem d'autant plus détestable que Mme Roudinesco a bien été sollicitée pour signer cet appel. Elle aurait le droit de s'exprimer lorsqu'elle pense comme Mme Benbassa, et le devoir de se taire lorsqu'elle pense autrement?
- "Si l'on brûle des livres demain…" conclut l'auteur de ce brulôt dont on se demande si elle raisonne toujours avec autant de subtilité et si, lorsqu'elle mène ses recherches, elle réfléchit avec autant de mépris pour le bon sens.
Lorsqu'il y a quelques années, des professeurs très hostiles à Claude Allègre allaient sur les ondes diffuser des contre-vérités, je m'étais demandé s'il était bien raisonnable de leur confier des enfants, en lisant ce texte de benbassa, je me demande si le CNRS ne ferait pas bien de demander à ses collaborateurs non pas un devoir de réserve qui ne veut évidemment rien dire dans leur cas, mais un devoir de respect d'un minimum de rigueur scientifique et logique dans leur expression publique.
Julien Dray, peut-être pas de malversation, mais…
Julien Dray est, nous dit ce matin Libération, sorti souriant de ses trois jours d'audition par la brigade financière : "Il n'y a pas de reproche qui tienne. Tout est vide (...) Rien ne tient" a-t-il affirmé. Soit. Et tant mieux. Reste que les chiffres avancés, ces prêts d'amis laissent rêveurs et… inquiets. Est-ce vraiment une bonne manière de gérer son budget? Disons-le sans méchanceté, un de nos proches se comporterait de cette manière, on se ferait du souci pour lui, on lui recommanderait de changer de mode de vie, on parlerait à mi-mot d'imprudence, de cavalerie, de délit d'amitié, de banqueroute personnelle à venir.
Dans le cas d'un politique, l'inquiétude est encore plus forte. Même si Julien Dray n'est à aucun moment intervenu en faveur de ceux qui lui prêtaient si gentiment de l'argent, comment ne pas voir que ces "bienfaiteurs" pourraient un jour de difficulté le solliciter et qu'il lui serait bien difficile de résister à leur demande.
Je conçois bien que des politiques se disent in petto : "pourquoi n'aurais-je pas moi aussi des revenus élevés alors même que je nomme des gens à des postes qui assurent des centaines de milliers d'euros de revenus" (il suffit de voir les nominations un peu partout dans les grandes entreprises et administrations, de collaborateurs de Nicolas Sarkozy, de leurs proches… et les conditions qui leur sont proposées pour comprendre la tentation) mais on attend justement d'eux, et notamment de socialistes, qu'ils fassent preuve d'un peu plus de vertu que la moyenne de nos concitoyens.
Julien Dray n'a peut-être commis aucun délit, mais il ne s'est certainement pas montré plus vertueux que la moyenne. Et cela, on peut le lui reprocher. Même si l'on comprend qu'être vertueux n'est pas si facile. Aristote parlait à ce propos d'incontinence…
Dans le cas d'un politique, l'inquiétude est encore plus forte. Même si Julien Dray n'est à aucun moment intervenu en faveur de ceux qui lui prêtaient si gentiment de l'argent, comment ne pas voir que ces "bienfaiteurs" pourraient un jour de difficulté le solliciter et qu'il lui serait bien difficile de résister à leur demande.
Je conçois bien que des politiques se disent in petto : "pourquoi n'aurais-je pas moi aussi des revenus élevés alors même que je nomme des gens à des postes qui assurent des centaines de milliers d'euros de revenus" (il suffit de voir les nominations un peu partout dans les grandes entreprises et administrations, de collaborateurs de Nicolas Sarkozy, de leurs proches… et les conditions qui leur sont proposées pour comprendre la tentation) mais on attend justement d'eux, et notamment de socialistes, qu'ils fassent preuve d'un peu plus de vertu que la moyenne de nos concitoyens.
Julien Dray n'a peut-être commis aucun délit, mais il ne s'est certainement pas montré plus vertueux que la moyenne. Et cela, on peut le lui reprocher. Même si l'on comprend qu'être vertueux n'est pas si facile. Aristote parlait à ce propos d'incontinence…
jeudi, juin 25, 2009
Et le front de gauche
On a peu parlé, sinon dans L'Humanité pour s'en féliciter, des résultats du Front de gauche aux dernières élections européennes. Le dernier numéro de La Riposte, organe de militants du PC opposants à la direction (et très liés au Vénézuela qui les finance probablement un peu), vient de publier une intéressante analyse :
- les voix du Front de gauche sont à peine supérieures à celles du PCF en 2004 (+ 100 000 électeurs),
- les voix qu'a perdues le PS (> 2 millions) ne se sont pas reportées sur lui, ce qui signifie que l'avenir de la gauche n'est pas pour ces électeurs à la gauche de la gauche,
- si les abstentions ont surtout touché les classes populaires, c'est que le Front de Gauche n'a pas su les convaincre d'aller voter,
- les alliés du PCF dans ce Front de gauche sont minuscules. Le Front de gauche n'est qu'un faux nez du PC.
Pas mal vu.
- les voix du Front de gauche sont à peine supérieures à celles du PCF en 2004 (+ 100 000 électeurs),
- les voix qu'a perdues le PS (> 2 millions) ne se sont pas reportées sur lui, ce qui signifie que l'avenir de la gauche n'est pas pour ces électeurs à la gauche de la gauche,
- si les abstentions ont surtout touché les classes populaires, c'est que le Front de Gauche n'a pas su les convaincre d'aller voter,
- les alliés du PCF dans ce Front de gauche sont minuscules. Le Front de gauche n'est qu'un faux nez du PC.
Pas mal vu.
mercredi, juin 24, 2009
Un discours qui devrait inquiéter la droite
Versailles apparaît de plus en plus comme un discours raté. Mais il fut probablement plus que cea. Il a mis en évidence l'épuisement du fond idéologique sur Nicolas Sarkozy nous gouverne. Tout se place comme s'il n'avait plus rien à nous dire ni à nous proposer.
Ses analyses de l'endettement (le bon et le mauvais), sa défense du modèle social français sonnent comme une retraite, un repli sur des positions consensuelles. Sa distinction de la bonne et de la mauvaise dette parait directement tirée d'une chronique de Bernard Maris, l'économiste de Charlie hebdo qui officie depuis quelques mois le matin sur France-Inter. Quant à la thèse selon laquelle notre modèle nous protégerait de la crise… on ne l'attendait pas dans la bouche d'un homme de droite qui n'avait hier pas de mots assez durs pour le critiquer.
Il fallait entendre hier les nouveaux ministres à la sortie du Conseil déclarer qu'ils allaient poursuivre les réformes sans nous dire lesquelles ni pour quoi faire pour mesurer combien le projet sarkozien est vidé de tout contenu. Un peu comme un canard auquel on a coupé le cou, il continue de courir dans tous les sens sans le moindre but.
Ce trou d'air idéologique ne serait pas inquiétant si ses adversaires, les socialistes, pouvaient l'inspirer et le forcer à avancer dans leur direction un peu comme fit François Mitterrand dans les années 70 quand Giscard mettait en oeuvre quelques unes des propositions de la gauche (ou comme fit la droite, plus tard, quand les gouvernements Beregovoy et Jospin privatisèrent et libéralisèrent l'économie). Mais le PS et ses alliés sont dans le même trou. Eux non plus ne savent plus à quel saint se vouer ni que nous proposer.
Il ne leur reste qu'à gérer les affaires courantes…
Ses analyses de l'endettement (le bon et le mauvais), sa défense du modèle social français sonnent comme une retraite, un repli sur des positions consensuelles. Sa distinction de la bonne et de la mauvaise dette parait directement tirée d'une chronique de Bernard Maris, l'économiste de Charlie hebdo qui officie depuis quelques mois le matin sur France-Inter. Quant à la thèse selon laquelle notre modèle nous protégerait de la crise… on ne l'attendait pas dans la bouche d'un homme de droite qui n'avait hier pas de mots assez durs pour le critiquer.
Il fallait entendre hier les nouveaux ministres à la sortie du Conseil déclarer qu'ils allaient poursuivre les réformes sans nous dire lesquelles ni pour quoi faire pour mesurer combien le projet sarkozien est vidé de tout contenu. Un peu comme un canard auquel on a coupé le cou, il continue de courir dans tous les sens sans le moindre but.
Ce trou d'air idéologique ne serait pas inquiétant si ses adversaires, les socialistes, pouvaient l'inspirer et le forcer à avancer dans leur direction un peu comme fit François Mitterrand dans les années 70 quand Giscard mettait en oeuvre quelques unes des propositions de la gauche (ou comme fit la droite, plus tard, quand les gouvernements Beregovoy et Jospin privatisèrent et libéralisèrent l'économie). Mais le PS et ses alliés sont dans le même trou. Eux non plus ne savent plus à quel saint se vouer ni que nous proposer.
Il ne leur reste qu'à gérer les affaires courantes…
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