Nicolas Sarkozy a réussi un tour de force : se mettre à dos tout ce que la France compte de chercheurs et d'universitaires avec son dernier discours sur le sujet. Il a dans cette affaire mis en lumière son étrange manière de gouverner qui associe :
- une vraie brutalité dans les rapports humains : il a carrément insulté les chercheurs en les traitant de feignants, ce qu'il fait semble-t-il régulièrement avec ses collaborateurs si l'on en croit les échos hebdomadaires du Canard Enchaîné,
- une approche très superficielle des sujets basée sur une théorie simpliste du management que l'on peut résumer ainsi : chacun doit être rétribué en fonction de performances que l'on peut mesurer. Ce qui dans le domaine de la recherche donne : si les chercheurs ne travaillent pas plus (ce que l'on peut mesurer par le nombre de publications), il faut les sanctionner (leur confier plus d'heures d'enseignement). C'est la théorie du travailler plus pour gagner plus appliquée au monde de la recherche scientifique.
Que soient montés en première ligne dans la contestation de sa politique des représentants de discipline aussi différentes que le droit et les mathématiques n'est certainement pas un hasard. Ce sont en effet deux disciplines pour lesquelles la mesure par le nombre de publications est le mode d'évaluation le moins probant.
Du fait même de leur spécialité, les juristes publient surtout dans des revues francophones, les comparaisons internationales ont donc peu de sens. Quant aux mathématiciens, ils publient traditionnellement moins que leurs collègues d'autres disciplines (de 1 à 5 papiers par an en moyenne) et ceci pour de bons motifs qui mettent en évidence les biais de ce type d'évaluation :
- leurs papiers n'ont en général qu'un seul auteur alors que dans certaines disciplines, ils en ont souvent plusieurs, dont certains n'ont contribué à la rédaction que de manière marginale (il n'est pas rare de voir un directeur du labo signataire de papiers qu'il s'est contenté de relire),
- ils exposent souvent leurs travaux dans des conférences dont les actes ne sont pas publiés : leurs collègues sont informés de leurs recherches et de leurs avancées, mais il est impossible de les évaluer en tenant compte du seul nombre de publications,
- ils publient dans des revues très variées : revues de mathématiques, mais aussi de physique, de biologie, d'informatique, voire d'économie, ce qui rend l'analyse bibliométrique inefficace,
- l'écriture de papiers en mathématiques pose des problèmes très particuliers, ce qui explique que l'on trouve sur le site d'un très grand nombre de mathématiciens des conseils sur la meilleure manière d'écrire un bon papier.
Le fait même que les mathématiciens publient moins que les spécialistes d'autres disciplines ne veut évidemment pas dire qu'ils sont moins productifs, reste qu'à prendre le nombre de publications comme seul critère on risque de les pénaliser au regard de spécialistes d'autres disciplines dans lesquelles on publie plus. Ce n'est pas un hasard si plusieurs organisations mathématiques internationales ont mis en place un comité pour réfléchir à l'utilisation des données bibliométriques dans les sciences mathématiques. C'est, paradoxalement, chez les mathématiciens, ces spécialistes du nombre, que l'on trouve les critiques les plus vives de la biblioémétrie.
Nicolas Sarkozy a réussi l'improbable : unir deux disciplines que tout éloigne. Il a insulté les mathématiciens qui sont souvent ce qu'il y a de plus compétitif au niveau international dans nos universités et inquiété les juristes qui monnaient volontiers leurs compétences sous forme de consultations. C'est d'autant plus dommage que notre système n'est pas satisfaisant. Tout ce que l'on peut lire dans la presse sur les évaluations des enseignants-chercheurs en témoigne. Notre système repose sur un série de cliquets malsain. Il est très difficile de passer les étapes, mais une fois nommé maître de conférence, professeur… on peut prendre un peu de repos ou exploiter jusqu'à plus soif les quelques résultats obtenus dans ses premiers travaux comme l'indique l'examen des publications de certains sociologues du travail (y a-t-il vraiment matière à consacrer sa vie à l'analyse de la formation professionnelle comme certains font?).
J'ajouterai pour terminer qu'en intervenant à contre-temps et de manière aussi brutale, Nicolas Sarkozy a probablement mis à mort sa réforme de l'université alors que la plupart des intéressés étaient convaincus de l'intérêt de l'autonomie.
3 commentaires:
Je vous cite:
"exploiter jusqu'à plus soif les quelques résultats obtenus dans ses premiers travaux..."
D'expérience, les champions de cet exercice sont souvent ceux qui publient le plus, et donc les mieux notés.
Le système d'évaluation au nombre de publis incite le chercheur a trouvé le bon filon et ne plus le lâcher. Quid du chercheur honnête qui s'aventure sur des terrains en friche et qui faute de résultats immédiatement probants ne publie pas pendant quelques mois ou années ?
Exact! C'est l'un des effets pervers du système.
Oui, c'est bien dommage pour l'autonomie des universite qui va passer a la trappe.
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