lundi, septembre 14, 2009

Brice Hortefeux n'est pas raciste, il est de droite, classique…

Les remarques douteuses de Brice Hortefeux continuent d'alimenter la polémique. Et pour de bonnes raisons : il y a des propos qu'un ministre devrait s'interdire de prononcer.

Toute la défense de ses amis consiste à dire qu'il n'est pas raciste. Ils ont certainement raison. Et il est vrai que l'on a tendance à dégainer un peu rapidement les accusations de racisme et d'antisémitisme. Reste que ces propos ne sont pas insignifiants, comme en témoignent les réactions qu'ils suscitent. Ils nous disent en fait beaucoup sur le personnage et, au delà, sur ceux qui nous gouvernent.

Si Hortefeux n'est pas raciste, il s'est montré en cette affaire arrogant, suffisant et condescendant. On aurait parlé autrefois à son propos de morgue : il y a lui et ceux de sa classe, les enfants de Neuilly, de cette bourgeoisie de droite pas forcément extrême qui se sent tellement au dessus du lot, et les autres, toujours un peu méprisables, les pauvres, les mal nés, que l'on peut insulter sans risque puisqu'il suffit d'un sourire, d'un mot gentil pour les flatter.

C'est ce monde de la droite classique qui nous gouverne. C'est ce que nous révèle (confirme) cette affaire. Ni plus ni moins.

"Rétablir la vérité" ou se mettre à dos les journalistes?

Ségolène Royal qui ne manque une occasion de parler de Désir d'avenir et de son site, vient d'annoncer une transformation de celui-ci avec notamment, l'introduction d'une rubrique "Rétablir la vérité". Ce qui n'est pas vraiment une surprise puisqu'on ne compte plus les messages dans lesquels elle veut justement "rétablir la vérité". Il y a quelques semaines (une ou deux, pas plus), il s'agissait de la mission que lui avait confiée le PNUD. Puis il y a eu la signature de la taxe carbone (ou plutôt sa non signature de ce texte de Nicolas Hulot). Et, il y a quelques jours, son envie supposée de porter plainte après les révélations sur les tricheries lors de l'élection de Martine Aubry.

J'ai écouté l'émission sur France Inter où elle parlait de ces tricheries et j'ai effectivement été surpris lorsque j'ai lu dans la presse qu'elle voulait porter plainte. Elle a parlé de justice mais n'a à aucun moment dit qu'elle irait en justice, malgré l'insistance des journalistes à le lui faire dire. Elle n'a pas non plus dit le contraire. Elle a expliqué qu'elle réservait sa décision. En l'espèce, donc, la presse est allée un peu vite en affaire. Mais doit-elle s'en prendre à la presse? N'est-elle pas pour partie au moins responsable de ces à peu près?

Ségolène Royal semble avoir faite sienne une des tactiques rhétoriques préférées de François Mitterrand : l'ambiguïté. C'était pour lui une manière de donner du temps au temps, de retarder le moment de la décision, de laisser les autres, amis et adversaires, s'avancer et lui donner l'avantage de trancher en dernier. Cette tactique lui fut souvent utile, mais parfois aussi nuisible. Je me souviens de l'avoir entendu, dans les années soixante, refuser de condamner l'intervention américaine au Vietnam. Il ne la soutenait pas mais il ne la condamnait pas non plus. J'imagine qu'il voulait alors envoyer un signe aux Américains que son alliance avec le Parti communiste effrayait. Mais il arrive que trop de subtilité nuise : les Américains sont restés effrayés et tous ceux, notamment parmi les jeunes, qui étaient violemment hostiles à la guerre du Vietnam ont compris qu'il la soutenait. C'était avant 1968.

Je crains que Ségolène Royal ne se trouve dans cette même position et que les à peu près qu'elle souhaite corriger soient surtout le résultat d'une certaine maladresse dans la communication :
- elle a bien reçu une mission du PNUD, mais pas tout à fait celle qu'elle annonçait triomphalement. Et elle s'est fait taper sur les doigts.
- elle a certainement raison sur le fond de refuser de glisser les tricheries sous le tapis. Les électeurs ne pourront faire confiance au PS que s'il montre sa capacité à se moderniser, à se rénover et à en finir avec ces pratiques douteuses. On conçoit qu'elle cherche à faire pression sur la direction pour la forcer à agir, mais elle ne peut attendre des journalistes qu'ils entrent dans son jeu.

L'ambiguïté a un prix : celui d'être mal comprise et de voir ses propos déformés. Elle le paie aujourd'hui. Et ce n'est pas en s'en prenant aux journalistes qu'elle résoudra le problème, c'est en travaillant sa communication. En évitant les à peu près, les ambiguïtés qui la mettent régulièrement en porte à faux. A vouloir "rétablir la vérité" elle risque surtout de voir passées aux crible toutes ses affirmations. C'est un risque qu'aucun politique ne peut longtemps courir sans risque de se voir démenti, comme le suggère chaque matin une rubrique de Libération consacrée à corriger les à peu près et les petits mensonges des uns et des autres.

mercredi, septembre 09, 2009

Martine Aubry, Julien Dray et… Aristote

La lecture des quelques bonnes (et très affligeantes) pages du livre d'Antonin André et Karim Rissouli sur l'élection de Martine Aubry où l'on apprend que celle-ci a été massivement truquée m'ont fait penser à Julien Dray et à Aristote.

On sait que le philosophe grec a proposé une morale de la vertu. Dans ses traités (Ethique à Nicomaque, Ethique à Eudème), il explique que la vertu et le vice sont le produit de l'éducation mais aussi des habitudes. "Ce sont, dit-il, à l'origine et tout du long, les mêmes actes qui entraînent dans chaque cas l'apparition et la disparition d'une vertu." "C'est en exécutant ce que supposent les contrats qui regardent les personnes que nous devenons, les uns, justes, les autres, injustes." "En un mot il y a similitude entre les actes et les états qui en procèdent" (Ethique à Nicomaque, II, 1, 1103 a-1103b). Dit autrement, et de manière plus familière, qui prend l'habitude de voler des oeufs finira par voler un boeuf. Ce qui m'amène à rapprocher ce qu'André et Rissouli nous disent de l'élection de Martine Aubry des comportements de Julien Dray. Si le député de l'Essonne s'est comporté de manière aussi imprudente (pour ne pas dire aussi peu vertueuse), c'est peut-être qu'il a pris, tout au long de sa carrière politique, de mauvaises habitudes, qu'il a pris celle de ne plus faire la différence entre ce qui est convenable, juste, et ce qui ne l'est pas, qu'il est devenu, pour reprendre le vocabulaire d'Aristote, intempérant, ce qui expliquerait qu'il ait été, comme tant d'autres avant lui, surpris qu'on puisse le mettre en cause (on sait qu'Aristote distingue l'intempérant qui fait mal sans mauvaise conscience de l'incontinent qui fait mal en ayant mauvaise conscience). Ce ne serait pas, dans ce scénario, le sentiment d'impunité qui expliquerait ses dérives mais de mauvaises habitudes qui ont transformé son caractère.


Au delà des personnes qui peuvent être jugées et condamnées (et si le PS est aujourd'hui visé, il est probable que les mêmes phénomènes se rencontrent dans d'autres formations politiques), ce sont les institutions qui favorisent ou tolèrent ces pratiques qu'il faudrait revoir. La meilleure manière d'empêcher les dérives à la Dray est d'imposer la transparence dans le fonctionnement des partis politiques, dans leur financement (ce qui a commencé) mais aussi dans leurs procédures internes. La gauche s'interroge sur la meilleure manière de désigner son candidat à la prochaine élection présidentielle. Ce pourrait être l'occasion d'inventer des procédures qui incitent à la vertu.

Sarkozy chez Faurencia

Marianne nous apprend que "les employés de Faurécia étaient au courant deux jours avant la venue du président de la République de la mise en place d'une opération de casting des employés." Mais est-ce vraiment surprenant? Dès lors qu'il y a eu opération de communication, il a bien fallu un peu de temps pour la préparer.

Nicolas Sarkozy et ses communicants auraient sans doute préféré que tout cela reste confidentiel. Mais je ne suis pas certain qu'ils aient tant que cela à en souffrir. Est-il vraiment choquant qu'un Président prépare ses sorties? soigne ses présentations à la télévision?

Il est plus gênant que des journalistes professionnels, des experts de la politique, des voyages présidentiels s'y soient laissé prendre. Ils n'ont pas été complaisants, ils ont manqué de curiosité, ce qui est plus grave. On ne peut exclure qu'ils soient les premières victimes de cette affaire et que leur crédibilité déjà fortement entamée n'en prenne un nouveau coup. Et s'il est vrai, comme l'affirme Marianne, que des journalistes étaient au courant de la mise en scène présidentielle, c'est encore plus déprimant.

Sans doute chercheront-ils à se rattraper et se trouvera-t-il, lors des prochains voyages présidentiels, un curieux pour regarder derrière les apparences, forçant les communicants (mais c'est leur travail) à revoir une nouvelle fois leur copie, à introduire un peu plus de spontanéité dans ces déplacements.

A moins que les électeurs ne tombent d'accord avec Christine Boutin. Interrogée par Canal-Plus sur ce qu’elle avait découvert de la politique aux côtés de Nicolas Sarkozy, la plus cruelle de ses ex-ministres a répondu : « Je pensais que la politique, cela consistait à faire avancer des dossiers. En fait, il s’agit de faire du buzz ».

vendredi, septembre 04, 2009

TVA sociale et taxe carbone : même combat

Ségolène Royal est en train de réussir avec la taxe carbone ce que Laurent Fabius avait su faire, à la veille de l'élection présidentielle puis dans les semaines qui ont suivi, avec la TVA sociale : faire reculer le gouvernement en le mettant en contradiction avec ses principes. Comme quoi, lorsque la gauche travaille, elle peut être efficace.

jeudi, septembre 03, 2009

La rentrée et ses surprises…

C'est la rentrée scolaire. Les journaux en sont pleins, avec leurs marronniers (les enfants qui entrent en sixième, les petits qui pleurent devant l'école maternelle…), leurs enquêtes (celle du Monde sur les idées reçues sur l'éducation, celle du Figaro sur l'offensive des partisans de l'école traditionnelle) et leurs surprises. Je pense aux équivalences qui permettent à des étudiants d'entrer en deuxième ou troisième année des cursus universitaires qui sont le lot d'un nombre croissant d'étudiants.

Ces équivalences sont parfois légitimes comme lorsqu'elles permettent à un étudiant de d'hypokhâgne ou de khâgne d'entrer en deuxième année de licence de lettres ou d'histoires, mais que penser de celles qui permettent à de jeunes normaliens d'intégrer les études de droit, de sociologie ou de psychologie en troisième année alors qu'ils n'ont jamais fait de droit, de sociologie ou de psychologie auparavant? Ces étudiants sont certainement intelligents et travailleurs, mais ils n'ont pas la science infuse. Faut-il en conclure que l'on peut en quelques mois rattraper deux ou trois ans d'études? ou, plus simplement, que les études servent moins à acquérir des savoirs qu'à sélectionner en fonction de critères extra-scientifiques (capacité à travailler rapidement, à accumuler des connaissances, à réussir des épreuves difficiles…).

Les partisans de l'école traditionnelle qui ne jurent que par la transmission des savoirs devraient s'élever contre ces dispositifs qui la déconsidèrent. A ma connaissance, ils ne le font pas. Ce qui jette une ombre sur leur combat qui semble surtout anachronique.

mercredi, septembre 02, 2009

La poste innove et redécouvre les guichets des années 60

La Poste a réaménagé ces derniers mois tous ses bureaux parisiens. Finis les guichets à l'ancienne. On est dans un espace ouvert avec des tables, des présentoirs, une boutique. De gros efforts ont manifestement été faits pour moderniser l'achat des timbres et les opérations postales. Les employés se tiennent maintenant debout (ce qui annonce un allongement des pauses tant à la fin de la journée, les jambes risquent d'être lourdes), les couleurs sont vives, les automates sont omniprésents (enfin presque)… Tout cela serait donc pour le mieux ou presque dans le meilleur des mondes si les auteurs de cette révolution n'avaient spécialisé les postes de travail : ici la banque postale, là les colis, ailleurs les timbres… Les mêmes causes produisant les mêmes effets on se retrouve comme dans ces bureaux de la poste des années soixante où chaque guichet étant spécialisé il fallait faire plusieurs fois la queue lorsque l'on voulait acheter des timbres, envoyer un colis, déposer un chèque sur son compte… Dommage.

Le retour de Martine Aubry

Art Goldhammer se moque allègrement (et à mon sens assez justement) de la manière dont les journalistes politiques redécouvrent le PS et Martine Aubry après les avoirs enfoncés plus bas que terre. Mais il écrit depuis les Etats-Unis et ne voit sans doute pas les images que publie la presse. S'il pouvait les voir, il serait sans doute surpris, comme je l'ai été, de la manière dont l'allure de Martine Aubry a changé. La virago vaguement alcoolo qu'on nous montrait il y a quelques semaines a cédé la place, non pas à une beauté mais à une femme déterminée, au regard plein d'espérance qui n'est pas sans rappeler certaines héroïnes soviétiques. Comme Martine Aubry (qu'on peine à appeler Martine, comme on fait avec Ségolène) n'a pas changé en quelques jours, comme elle n'est pas devenue plus photogénique, il faut en conclure que ceux qui choisissent les images ont saisi ce frisson dans l'air du temps. Mais ce n'est pas vraiment nouveau : souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps, l'aujourd'hui si jolie Ségolène avait une allure de prof de collège catho coincée constipée et acariâtre (dans un registre voisin, j'avais il y a quelques mois souligné combien Carla Bruni, dont on vante partout la beauté, était devenue vilaine en NOrmandie face à Michelle Obama qui lui volait la vedette).

mercredi, août 26, 2009

Le lièvre de Patagonie

On ne s'attendait guère à ce que Claude Lanzman, l'auteur de l'admirable Shoah, écrive ses mémoires. Il l'a fait, avec ce Lièvre de Patagonie, sorti il y a quelques mois, livre passionnant, écrit (dicté, plutôt) comme un roman d'aventure, ce qu'il est tant la vie de son auteur a été riche, de la résistance à la direction des Temps modernes en passant par ses films sur Israël, Shoah, bien sûr, mais aussi son "mariage" avec Simone de Beauvoir (ils ne furent mariés, mais elle l'appelait, dit-il, son "mari") et son activité de rewriter à France Dimance (mais oui, le directeur des Temps Modernes réécrivait les reportages publiés dans cet hebdomadaire sur les vedettes du cinéma). Livre dont le premier intérêt est moins, je crois, dans les événements qu'il raconte (même si toute la fin du livre sur la réalisation de Shoah vaut mille making off) que dans le récit d'une conversion idéologique ou comment une jeune juif laïc de gauche pas le moins du monde sioniste est devenu l'un des plus ardents défenseurs de l'armée israélienne et de ses généraux alors même qu'il mesure aussi bien que quiconque les souffrances du peuple palestinien et les injustices dont il est victime. Si ce livre doit rester, ce sera, je crois, pour la manière dont il éclaire l'évolution intellectuelle d'une des figures les plus influentes de l'intelligentsia juive.

Il nous montre, en effet, combien ce processus peut être, non pas long (on n'a pas le sentiment du temps qui passe) mais complexe. Toute la personnalité de Lanzman est dans cette mutation idéologique : son amour des avions de combat qu'il développe longuement dans le premier chapitre, son goût pour l'audace qui lui donne à l'occasion un air bravache qui rappelle ces jeunes garçons qui se lancent des défis dans les cours de l'école. Mille fois, il nous raconte ses exploits, dans les avions israéliens, en montagne, en mer, dans le désert, sans jamais, insiste-t-il, avoir eu peur. La geste militaire d'Israël réveille en lui cet instinct du jeune enfant qui se rêve héros. Exit cette image du juif geignard, introverti, vaguement névrosé et myope à la Woody Allen dans laquelle se complaisent tant d'intellectuels juifs.

Mais il y a aussi la découverte en Israël de l'identité juive (une identité que Sartre niait lorsqu'il faisait du juif une création de l'antisémite) qu'un de ses interlocuteurs israéliens lui fait toucher du doigt lorsqu'il justifie le refus du prosélitisme, découverte confirmée, de manière insolite, par sa rencontre, pendant la guerre d'Algérie, avec Frantz Fanon qui insistait de son coté sur l'identité noire. Identité juive qu'il reconnaît jusque dans les corps, dans les faciès, dans ce nez qu'il décrit à plusieurs reprises dans des termes qui ne déplairaient pas à un antisémite.

Livre intelligent, parfois agaçant (comme lorsqu'il insiste sur les compliments qu'il a reçus pour des articles), émouvant lorsqu'il parle de sa soeur suicidée, long passage où l'on sent passer quelque chose de l'ordre du regret et de la mauvaise conscience. Livre à lire et à faire connaître.

mardi, août 25, 2009

Derrière les bonus bancaires, toute une conception des salaires

Nicolas Sarkozy s'attaque dés son retour de vacances aux bonus. Bataille nécessaire quoique probablement perdue s'il reste seul à la mener. La place de Paris sera peut-être formidablement éthique, mais comme les départements spécialisés de la plupart des banques françaises sont installés à Londres avec des personnels sous contrat de travail anglais, la portée du geste présidentiel risque d'être faible.

Elle risque d'autant plus de l'être que la banque est l'une des rares secteur dont certaines activités fonctionnent sur des marchés du travail vraiment globaux. Tant que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne prendront pas des mesures pour lutter contre ces modes de rémunération, il ne se passera probablement pas grand chose.

Son offensive pourrait cependant être utile si elle conduisait à une réflexion sur les politiques salariales que tous les grandes entreprises ont retenues depuis bientôt trente ans pour résoudre deux difficultés apparues dans les années 80 :
- une compétition accrue, liée à l'ouverture des marchés, qui les a amenées les moyens d'assurer une plus grande flexibilité de leur masse salariale,
- un ralentissement des gains de productivité malgré la révolution information (d'où les propos sur le paradoxe de la productivité).

L'individualisation des salaires et leur indexation sur les résultats de l'entreprise (son chiffre d'affaires, le cours de ses actions…) ont été l'un des éléments majeurs de la réponse apportée à ces deux difficultés (aux coté de quelques autres, comme l'externalisation, la sous-traitance, l'utilisation de contrats de travail précaires). Les bonus ne sont que l'une des expressions de cette politique dont il serait temps de tirer les conséquences qui n'ont pas toutes été heureuses.

Ces politiques de rémunération ont contribué à creuser les inégalités entre salariés (entre ceux qui percevaient des bonus extravagants au nom de leurs performances et ceux qui n'en percevaient pas…). Elles ont réduit le poids des salaires dans les coûts des entreprises (encore qu'il serait à vérifier que les bonus, stock-options et autres "benefits" qui n'entrent pas dans le calcul des masses salariales ne coûtent pas très cher). Elles ont échoué à améliorer la productivité pour un motif tout simple : la productivité n'est jamais une affaire individuelle.

Il sera intéressant de suivre dans les mois qui viennent les discussions que les spécialistes de ces questions, les directeurs des ressources humaines et les consultants qui les conseillent, auront sur ces sujets. On peut parier que les résistances à tout changement dont ils sont les premiers bénéficiaires seront fortes.

mardi, août 04, 2009

Petite expérience de lecture

J'ai donné, il y a quelques jours, à Contre feux, un "journal" sur le net, un article sur l'immigration qui reprend des thèses que j'ai développées ailleurs dans un livre et dans des émissions de radio.

Cet article a suscité plusieurs réactions qui éclairent bien, je crois, la manière dont nous lisons et traitons les informations que nous trouvons sur le net :
- la plupart de ces commentateurs ne réagissent pas aux arguments développés dans l'article. Ils pourraient les critiquer, les développer, les enrichir… Ce n'est pas le cas : chacun raconte son histoire, chacun a son opinion qu'il développe ;
- les différents commentateurs dialoguent beaucoup plus entre eux qu'avec l'auteur de l'article ;
- les arguments rationnels ou chiffrés sont rares alors même que l'information est largement disponible sur le web : encore faut-il faire l'effort d'aller la chercher. Sur ce sujet, plus que sur d'autres peut-être, les légendes urbaines (ici, une histoire de concierge portugaise mieux traitée par la Sécurité sociale qu'une française de souche) les remplacent.

Est-ce un effet du web? et des modes de lecture qu'on y développe? J'en doute. Il me semble plutôt que le web révèle que l'on retient le plus souvent très peu de choses de la lecture d'un article, de l'écoute d'une émission ou d'une conférence. Nous sommes inondés d'informations mais celles-ci restent, pour l'essentiel, en surface. Dans le fond nos opinions, d'où qu'elles viennent, résistent à tout ce qui pourrait nous en faire changer. Nous savions déjà que nous lisons de préférence les journaux qui défendent des opinions proches des nôtres. Cette petite expérience fait penser que lorsque nous lisons un article qui va à l'encontre de ce que nous pensons, nous n'entendons pas forcément ce qu'il dit. Cela ne veut évidemment pas dire que nous ne changeons jamais d'avis, mais c'est manifestement un processus long et complexe.

vendredi, juillet 31, 2009

Quelle trace Michel Rocard laissera-t-il?

Michel Rocard restera sans doute comme l'une des figures majeures de notre monde politique de ces cinquante dernières années. Ses dernières mésaventures, les différentes missions que lui a confiées Nicolas Sarkozy, bien loin de trancher avec ses activités précédentes, ne font que confirmer quelques uns des traits de cette personnalité aussi exaspérante qu'hors du commun.

On sait sa relation difficile, contradictoire avec la gauche. Il se dit de gauche, il s'est surtout situé en marge, du coté de l'extrême-gauche dans les années soixante, ce qui l'a amené à dire beaucoup de bétises (il faudrait relire ou écouter ce qu'il a pu écrire et écouter à ce moment là), puis, depuis quelques décennies du coté de la droite ou, plutôt, à l'entendre, du coté des experts (mais n'est-ce pas souvent la même chose?).

On connaît également sa haine quasi pathologique à l'égard de François Mitterand, haine qui transparaissait dans son dernier livre, Si la gauche savait, au point de mettre mal à l'aise le lecteur le mieux disposé à son égard.

On connaissait moins son goût pour les causes bizarres, comme les pôles Arctique et Antarctique dont il s'est occupé à la demande de Nicolas Sarkozy.

Ses dernières propositions sur la taxe carbone et les commentaires dont il les a accompagnés, ont montré d'autres facettes plus constante de sa personnalité à commencer par son goût pour la fiscalité qu'il a contribué à augmenter de manière massive avec la CSG et pour l'innovation en la matière : la taxe carbone en est une comme l'était la CSG.

On retrouve d'ailleurs dans l'une et l'autre les mêmes principes à l'oeuvre :
- le souci de simplification administrative dans la collecte d'un impôt que l'on souhaite rendre invisible : la CSG a amorcé le tournant vers le prélèvement à la source, la taxe carbone sera prélevée au moment de l'achat,
- la volonté d'élargir l'assiette à l'ensemble des revenus : la CSG est perçue sur les revenus d'activité, mais aussi sur les allocations chômage, les pensions, les revenus du capital. La taxe carbone sera un nouvel impôt sur la consommation,
- l'effritement de la progressivité de l'impôt : la CSG est un impôt proportionnel et non pas progressif, la taxe carbone touchera tout le monde et frappera plus durement les plus modestes dont les consommations d'énergie pèsent plus lourd dans les budgets,
- la volonté, enfin, de réduire la solidarité aux plus modestes : eux seuls échappent à la CSG, seul le quart le plus pauvre des Français échapperait à la taxe carbone.

La lutte contre les inégalités n'est manifestement pas une priorité de la philosophie fiscale de Michel Rocard : les classes moyennes sont les premières victimes de ses réformes. Ce qui en fait un homme de gauche un peu à part.

Ses commentaires de ces derniers jours ont, par ailleurs, confirmé l'une de ses stratégies politiques les plus constantes, ce que j'appellerai la réforme hypocrite ou, plutôt, la réforme par l'illusion.

On avance derrière un nuage de fumée. On nous explique aujourd'hui que les ménages les plus modestes s'en tireront mieux que les autres. Mais on prend pour nous l'expliquer des exemples qui frappent mais ne veulent rien dire : "Une famille aisée en milieu rural pourrait acquitter plus de 300 euros quand un ménage modeste en ville n'acquitterait que 55 euros", indiquait mardi dernier Le Monde. Comparaison qui n'a évidement aucun sens : une famille rurale, qu'elle soit aisée ou modeste, se déplace plus et dépense donc plus de carburant qu'une famille urbaine. Ce sont les comparaisons entre familles comparables qui auraient eu du sens…

On nous explique qu'il s'agit de protéger l'environnement alors même que l'une des conclusions les plus solides de la théorie économique est la faible élasticité de la consommation d'énergie. Les gens qui doivent faire trente kilomètres en milieu rural pour aller travailler vont-ils se mettre au chômage pour consommer moins d'essence? Va-t-on cesser de se chauffer pour lutter contre le réchauffement climatique? En matière énergétique, la demande diminue beaucoup moins vite que n'augmente le prix. On n'obtiendra qu'une seule chose : la pression fiscale pèsera davantage dans les budgets des ménages. Quant à l'utilisation verte de ces recettes… le moins que l'on puisse dire est que le scepticisme s'impose. Qui a oublié le sort de la vignette automobile? Cet impôt finira par remplir les caisses de l'Etat et servira à boucher les trous du budget, contribuera à rembourser la dette…

On construit une augentation progressive : la taxe carbone augmentera de 5% par an, pour aboutir à 100 euros la tonne de CO2. On avait fait la même chose avec la CSG : d'abord indolore, elle ne devient douloureuse que lorsqu'il est impossible de revenir dessus.

On évite d'en parler de manière trop précise. Michel Rocard regrettait il y a quelques jours que l'on ait paniqué les Français, ajoutant à propos des chiffres cités par Le Monde dans son style inimitable : "C'est une évaluation probabiliste derrière laquelle nous n'avons pas de calcul scientifique, de ce que pourrait coûter, pour un ménage moyen... C'est un chiffre qui ne vaut pas grand-chose." Mais si nous n'avons pas de chiffres, comment peut-on juger de l'impact de la mesure? de sa justice?

Tout cela me rappelle une interview sur les réformes qu'il avait donné, avec quelques autres anciens premiers ministres, à Sociétal en 2001. Le thème était la réforme et la manière de la conduire. Il y insistait sur le rôle de l'illusion et racontait comment il a fait passer l'intéréssement en utilisant "une dénomination volontairement absconse, le "retour collectif de modernisation" qui permettait de conserver l'essence du dispositif sans l'affubler d'une étiquette provocatrice." Cela vous rappelle quelque chose?

Il y insistait également sur la nécessité de l'observation de longue durée : ce que l'on annonce aujourd'hui n'est que le début d'une longue histoire… Pardi.

jeudi, juillet 30, 2009

Immigration : il faut changer de politique

Pour ceux qu'intéressent les questions d'immigration, j'ai donné à Contrefeux un papier qui milite pour l'ouverture des frontières. On peut le lire ici.

mardi, juillet 28, 2009

après le bing-bling, la musculation! Nicolas Sarkozy en my fair lady

Nous connaissons tous l'histoire de Pygmalion telle que transformée par George Bernard Shaw en professeur de phonétique qui transforme une fleuriste des faubourgs en jeune femme du meilleur monde. Nous avons avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni une variante inattendue de ce thème. Son malaise a en effet révélé, si j'en crois cet article de l'Express au titre délicieux (Le corps de Sarkozy, objet de culte), des pratiques culturistes pour le moins étrange dans un palais présidentiel. Je ne vois pas bien ce que l'on peut faire sinon en rire en attendant la nouvelle fantaisie de ce Président vraiment pas comme les autres.

En rire même si tout cela fait un peu… opérette.

lundi, juillet 27, 2009

Malaise vagal, crise cardiaque, cancer et autres maladies

Ce malaise vagal de notre président (ou malaise cardiaque comme l'a suggéré le pas du tout médecin Frédéric Lefevre avant de se rétracter) va ramener sur le devant de la scène (au moins pendant quelques jours) la question de la santé de nos dirigeants et la manière dont nous en sommes tenus informés. Peut-être faudrait-il également s'interroger sur l'impact d'une maladie sur les comportements du malade et de son entourage.

Toutes n'ont pas le même. Le cancer peut épuiser (pendant les traitements) mais il n'incite pas à réduire ses efforts. Bien au contraire, parce que le patient sait son temps compté, parce qu'il sait que ses efforts ne réduiront pas sa durée de vie (ils pourraient même l'allonger en le forçant à se projeter dans l'avenir, et donc à mieux se traiter). A l'inverse, une maladie cardiaque peut inciter à prendre plus de repos, à se ménager puisqu'à tirer trop sur ses forces on risque d'abréger sa vie. Le cancéreux peut être tenté de pousser la machine, d'aller au plus vite, le cardiaque de la ralentir, de lui donner un rythme plus lent, de sous-traiter (de ce point de vue, le retour précipité de François Fillon peut être interprété, avec beaucoup de mauvais esprit, comme une manière de se rappeler au bon souvenir de nous tous).

L'information du public peut également jouer. Savoir le Président malade peut redonner espoir à des concurrents et inciter les courtisans à penser à leur avenir. Cela peut aussi tétaniser les adversaires comme cela s'était produit lorsque Séguin s'était retenu, dans un célèbre débat sur les européennes, d'attaquer trop violemment un Mitterrand qu'il sentait terriblement affaibli.

dimanche, juillet 26, 2009

Mais combien d'intimes a donc cet homme?

Mediapart nous annonce que "la justice française est accusée par un citoyen américain d'avoir épargné un intime de Nicolas Sarkozy, le richissime banquier d'affaires italo-américain Robert F. Agostinelli." Avouerai-je que je n'avais jamais entendu parler de banquier? Mais ce qui me frappe, c'est le nombre d'amis intimes que l'on prête à Nicolas Sarkozy. Il y a quelques jours encore un journal, je ne sais plus lequel, citait Serge Dassault et Martin Bouygues et on se souvient des Clavier et consorts. Il ne se passe pas de semaine sans que l'on n'en découvre un nouveau, pas toujours recommandable, mais peu importe… Il ne s'agit plus des réseaux d'autrefois, ni des rolodex soigneusement entretenus des politiques ordinaires, mais de quelque chose d'autre. Une sorte de Facebook généralisé et diablement écelctique .

vendredi, juillet 24, 2009

Le temps Fabius?

Dans ce jeu de quilles qu'est devenu le PS où les uns derrière les autres, tous ses leaders s'effondrent, qui reste?

Martine Aubry devrait être pour longtemps plombée par la défaite des européennes, celle à venir des régionales, les dissensions internes qu'elle n'arrive pas à régler.

Dominique Strauss-Khan est trop occupé à New-York, les enjeux sont trop élevés pour qu'il se risque à perdre un poste qui fait de lui l'une des premières puissances financières mondiales dans un combat incertain.

Les quadras et quinquas, Vals, Moscovici et autres Peillon n'ont, et c'est un euphémisme, convaincu personne.

Ségolène Royal a suscité trop d'opposition pour pouvoir vraiment remonter en selle. Delanoë semble manquer d'épaisseur.

Reste… Fabius.

Il pourrait très bien être le recours d'un parti qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise et qui, sous couvert de travailler, est devenu tout simplement inaudible. Lui seul peut proposer aux socialistes une chance de ne pas perdre forcément la prochaine élection présidentielle.

Il a la stature et l'étoffe d'un homme d'Etat, la crise du sang contaminé a montré ses qualités. Il a l'intelligence, la culture et la subtilité que l'on attend d'un Président. Il a des réseaux solides, anciens et puissants dans le milieu des affaires. Nul ne doute de son talent. Son passage à Matignon et ses positions électorales en Normandie lui donnent une incontestable légitimité. Il n'a pas de casseroles et n'a jamais été soupçonné du moindre détournement de fonds.

Ses quelques faiblesses ne devraient plus en être dans quelques mois lorsqu'il s'agira de choisir :
- son allure de grand-bourgeois élégant, un peu distant? Cela se soigne,
- son opposition à la constitution européenne? elle pourrait être oubliée. Après tout l'anti-européen Bové et le très européen Cohn-Bendit ont réussi à faire campagne ensemble,
- la méfiance des socialistes (il n'est pas le plus aimé au sein du parti)? Elle pourrait être corrigée s'il demandait à ses troupes de faire profil bas.
- son opportunisme (comme sa proposition d'un Smic à 1000€)? Nous savons tous qu'il vaut mieux que cela.

Resterait à trouver un programme. Ségolène Royal et Daniel Cohn-Bendit lui ont ouvert le chemin. Il suffirait qu'il prenne chez l'une et chez l'autre, qu'il y ajoute une pointe de social façon Terra Nova. Son talent devrait lui permettre de construire une offre capable de séduire les électeurs, depuis ceux du Modem jusqu'à ceux qui se souviendront, à la gauche de la gauche, qu'il avait appelé à voter contre la constitution européenne.

mardi, juillet 21, 2009

PS : des prédictions autoréalisatrices?

A force d'annoncer la mort du PS, tous nos socialistes vont finir par l'achever selon un mécanisme très simple :
- multiplication des brouilles entre dirigeants,
- désespérance des militants qui vont le quitter sur le bout des pieds, abandonner la politique ou chercher refuge ailleurs,
- ennui des électeurs.

Tout cela est bien sur suicidaire. Ce l'est d'autant plus que nous savons aujourd'hui qu'une alternative se profile à l'horizon : Europe Ecologie. Il est vrai que ce n'est pas tout à fait un parti, que cette alliance n'a pas de présidentiable, mais elle a des idées, une vision politique et une organisation qui lui permet d'etre au plus près des attentes de beaucoup d'électeurs. Elle a, en somme, tout ce qui manque au PS (mais aussi à l'UDF de Bayrou) pour sortir de l'ornière. Il suffirait que l'un ou l'autre de ses dirigeants s'en rapproche suffisamment pour qu'Europe Ecologie trouve ce qui lui manque pour devenir la force auour de laquelle la gauche se réunira lors des prochaines élections présidentielles.

mercredi, juillet 15, 2009

Nicolas Sarkozy serait-il un disciple (qui s'ignore?) de John Rawls?

Le titre de ce poste est, je le conçois bien, tout à fait incongru. Qui imaginerait notre Président accroché à la Théorie de la Justice, le grand livre du philosophe américain, ou au plus récent Libéralisme politique, deux ouvrages que l'on peut cependant facilement trouver en librairie dans de bonnes traductions françaises? Et pourtant! La lecture du dernier numéro de Raisons Politiques, la revue de l'école doctorale de Sciences-Po pourrait le faire penser.

On y trouve un article de Serge-Christophe Kolm, économiste qui a dans les années 70 dialogué avec Rawls, dans lequel on découvre que la défiscalisation des heures supplémentaires lui aurait été recommandée par un de ses conseillers (Kolm ne dit pas lequel) qui venait de lire la recension dans un journal économique du dernier livre de notre auteur (Macrojustice. The political Economy of fairness).

Il est vrai que Kolm défend cette idée depuis longtemps. Déjà dans un texte publié en 1974 il la proposait (Sur les conséquences économiques des principes de justice et de justice pratique, Revue d'Economie Politique). Lorsque la mesure est venue en débat, il est revenu dessus dans un article court dans lequel il y mettait un bémol : que le chômage soit devenu frictionnel, et redescendu aux alentours des 5%.

Son raisonnement un peu embrouillé renvoie à la théorie de l'équité de John Rawls. Le philosophe américain identifie des "biens premiers" auxquels chacun a également droit. Le revenu et la richesse étant de ceux-ci, il conviendrait de les égaliser. C'est malheureusement impossible puisque cela dissuaderait tout le monde de travailler. D'où le "principe de différence" qui accepte les inégalités dés lors qu'elles sont 1) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et 2) qu'elles respectent le principe d'égalité des chances. Or, dit Kolm, si l'on assoit l'impôt uniquement sur une durée légale identique pour tous (les 35 heures) et si chacun est libre de faire autant d'heures supplémentaires qu'il souhaite, on ne dissuade plus le travail puisque chacun est libre d'arbitrer entre travail et loisir (lequel doit être aussi considéré comme un bien premier). On peut donc égaliser le revenu de base sans dissuader de travailler.

Je ne suis pas sûr que ce soit l'argument qu'aient retenu les avocats de cette défiscalisation. Encore qu'ils aient beaucoup insisté sur la liberté laissée à chacun de gagner autant d'argent qu'il souhaite (s'il y en a qui veulent travailler plus pour gagner plus, pourquoi les en empêcher).

Mais il n'y a pas que cela. La mission sur la redéfinition d'indicateurs du bien-être social confiée à Stiglitz et Sen s'inscrit également dans un contexte Rawlsien. Le premier critique du PIB a, en effet, été Rawls lorsqu'il a opposé son panier des biens premiers aux comparaisons de bien-être individuel chères aux économistes qui, en associant bien-être et revenu, ont abouti à l'élaboration du PIB (plus un individu dispose d'un revenu élevé, plus il est en mesure de satisfaire ses préférences, plus donc son bien-être s'accroît. Si le bien être est la capacité à satisfaire ses préférences, plus on a de revenus plus on a de chance d'avoir un bien-être personnel élevé).

Tout cela peut paraître un peu tiré par les cheveux. Mais ce n'est cependant pas complètement absurde. Alain Minc, l'un des conseillers du Président, fut dans les années 80 un de ceux qui ont introduit Rawls en France et ont donné à ce philosophe, plutôt classé à gauche aux Etats-Unis, cette réputation conservatrice qu'il a longtemps eue en France : pour Minc et ses amis, Rawls apportait une justification aux inégalités et leur permettait de combattre avec des arguments nouveaux l'Etat providence, de remplacer l'égalité par l'équité.

PS. Il me semble me souvenir que Kolm était l'un de ces visiteurs du soir qui, en 1983, recommandait à Mitterrand de quitter le SME. Mais ce n'est qu'un lointain souvenir et je n'ai pas eu le temps de vérifier.

vendredi, juillet 10, 2009

En finir avec le socialisme?

Libération a publié hier un étrange débat entre Manuel Vals et Aquilino Morelle (Aquilino qui? N'y avait-il rue de Solférino personne de plus connu que l'ancien rédacteur des discours de Lionel Jospin pour débattre avec le maire d'Evry) sur l'avenir du socialisme et du PS.

Le premier veut supprimer du vocabulaire politique le mot socialisme ("concept ambigu (…qui) risque de brouiller notre identité", le second veut défricher une "nouvelle utopie". Etrange débat entre un socialiste qui vire à droite et prend dorénavant ses références chez Blair (ou, plutôt chez Giddens, qui a tant inspiré Blair) et un haut fonctionnaire (d'on ne sait de quel ministère) que ses anciennes fonctions classeraient plutôt du coté des archéo (mais allez savoir!).

Débat sans grand intérêt sinon qu'il illustre la difficulté des socialistes à définir ce qui les distingue de la droite. Alors même que cela ne devrait pas être si difficile. Je vois, comme cela à la volée, au moins trois ou quatre différences :
- le souci de la réduction des inégalités qui ne sont jamais conçues comme naturelles et acceptables,
- la confiance dans la capacité des citoyens à se comporter de manière socialement acceptable qui permet d'augmenter les marges de liberté de chacun,
- le goût de la socialisation et de la mutualisation qui permettent aux mieux lotis de venir en aide aux moins bien lotis,
- la volonté d'agir sur le marché, de le réguler pour corriger ses défauts et limiter ses dérives.

Est-ce cela le socialisme au sens où l'entendait Pierre Leroux? Pour l'essentiel, certainement. Est-ce dépassé? Bien sûr que non.

La gauche a changé ces dernières années. Elle a du abandonner les réflexes du tout Etat et le protectionnisme. Elle a du accepter l'idée que l'on ne pouvait faire sans le marché. Mais qui, à part quelques néo-marxistes en a un instant douté?

Elle doit encore évoluer et intégrer dans sa réflexion, non pas l'écologie, comme on dit, mais la crise du futur qui fait douter des capacités de la technologie à apporter des solutions aux problèmes de demain qu'il s'agisse des retraites (si l'on s'inquiète autant de leur financement c'est que l'on ne croit plus que les grains de productivité nous permettront de les financer) ou de l'environnement (si l'on insiste autant sur sa défense c'est que l'on ne croit plus que le progrès technique puisse corriger ses excès, ses erreurs). Mais c'est en bonne voie.

On remarquera que sur chacun de ces thèmes, il est assez facile de distinguer ce que pourrait faire un gouvernement de gauche de ce que fait aujourd'hui un gouvernement de droite.

mercredi, juillet 08, 2009

Michael Jackson, Hadopi et autres jeux vidéo

Oserais-je l'avouer? Je crois bien n'avoir jamais entendu une chanson de Michael Jackson et s'il m'est arrivé comme tout un chacun de voir des photos le montrant en train de danser, je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu à la télévision. Ce n'est pas que je fuie ce type de musique (même si je ne la recherche pas) ni que je vive en ermite (j'écoute la radio régulièrement, je regarde la télévision, je lis les journaux, il m'arrive même d'aller au concert), mais je suis passé complètement à coté.

Comme j'étais passé à coté des jeux vidéo qui occupent tant de jeunes gens et de moins jeunes.

Je pourrais me justifier en trouvant que tout cela n'a aucun intéret, mais ce qui me frappe c'est la manière dont j'ai pu être aveugle à ce qui m'entoure avec la meilleure bonne foi. Et cet aveuglement m'interdit évidemment de comprendre l'émotion des uns et le plaisir des autres.

Je suis en la matière un peu comme sont nos politiques avec ce qu'ils appellent piratage sur internet. Si la loi Hadopi est si mauvaise et absurde, c'est qu'ils n'ont tout simplement aucune idée de ce qui se passe sur internet. Ils ne comprennent pas parce qu'ils ne voient pas.

dimanche, juillet 05, 2009

La fin de l'intellectuel parisien

Dans une interview au beau titre (Le nom de Sarkozy provoque un pénible désir d'injure) donnée à Libération, Stéphane Rials, juriste de très bonne réputation, indique que Nicolas Sarkozy voudrait "abolir le déclinant «pouvoir spirituel» des intellectuels." Je ne sais pas si c'est le cas. J'en doute un peu : notre Président a certainement d'autres soucis en tête. Mais cette remarque m'a ramené au déclin que tout le monde a observé de cette figure étrange de la scène politico-médiatique française : l'intelectuel. Figure qui renvoie à quelques grands noms : Sartre, Camus, Mauriac, Foucault mais aussi, un peu plus loin, Bernanos, Aragon… tous auteurs qui ont profité de leurs succès dans le monde littéraire pour s'imposer comme une figure de la conscience morale en politique.

Plus personne aujourd'hui ne peut prétendre à ce titre. Aucun des noms que l'on peut évoquer (Sollers, BHL, Debray…) ne suscite tout à la fois l'admiration des gens cultivés et l'intérêt des politiques.

Ce déclin n'est pas lié aux politiques qui n'ont jamais vraiment cherché à chasser du paysage cet adversaire (on se souvient encore des remarques de de Gaulle sur Sartre en 1968 : "On ne met pas Voltaire en prison"), mais aux évolutions de la scène intellectuelle. On a beaucoup incriminé la télévision qui aplatit tout (et il est vrai que je me souviens d'avoir eu honte pour Jacques Derrida en le voyant tentant, à la télévision, de s'expliquer). Mais il n'y a pas cela, il y a aussi des facteurs propre à la scène intellectuelle qui ont rendu pratiquement impossible l'émergence de ces intellectuels :
- le premier est la disparition des "grands auteurs". Un "grand auteur" est quelqu'un qui publie des livres que d'autres commentent, que le public, et d'abord le public savant, attend avec impatience, dont on parle avant qu'ils soient publiés. Les savants d'aujourd'hui publient des articles dans des revues éparses que ne lisent que les spécialistes. Leurs livres, lorsqu'ils en publient ne sont que des resucées de ces articles que connaissent déjà les plus avertis ;
- le second est la domination de l'anglais : si l'on veut aujourd'hui compter sur la scène intellectuelle il faut publier en anglais dans des revues internationales. Cela coupe les intellectuels de leur public cultivé naturel, celui qui sans être spécialiste achetait les livres de Deleuze et Foucault, Furet et Aron, les feuilletait, les lisait à demi, mais contribuait à leur réputation. Cela oblige également à respecter un certain nombre de normes de production qui forcent à la spécialisation et à la mathématisation ;
- cette domination de l'anglais et des revues anglo-saxonnes casse le mécanisme de citation qui aidait à construire les jeunes réputations (qui écrit en anglais est presque mécaniquement amené à citer plus d'auteurs américains qu'il ne ferait autrement. L'utilisation d'internet pour les recherches ne fait qu'aggraver ce phénomène) ;
- le troisième est la dérive de notre système universitaire. A force de refuser toute sélection, nos étudiants ont fabriqué un système baroque où les meilleurs étudiants vont dans les grandes écoles alors que les meilleures carrières universitaires continuent, dans la plupart des disciplines, de se faire à l'université. Ceux qui pourraient prétendre au statut d'intellectuel ont perdu leur premier public naturel : celui des étudiants les plus brillants.

Ce déclin n'est pas perdu pour tout le monde. Il a profité aux économistes qui occupent aujourd'hui le devant de la scène. Dommage qu'ils soient si souvent disciples de Pangloss.

mercredi, juillet 01, 2009

Nicolas Sarkozy : la reconquête de l'opinion

Nicolas sarkozy a entrepris de reconquérir l'opinion. Et il le fait habilement en ciblant la gauche intellectuelle, cette gauche que l'on disait hier caviar qui fait l'opinion, celle des salons et des journaux qui, en cascade, descend jusqu'au bon peuple.

Il avait commencé en se battant bec et ongles pour sa mauvaise loi Hadopi qui lui a valu la sympathie de plusieurs centaines de vedettes que l'on avait plutôt l'habitude de voir à gauche. Il poursuit avec une interview intéressante et subtile dans le Nouvel Observateur dont le titre est à lui seul tout un programme : "Jai commis des erreurs".

Intéressante parce qu'elle innove. Pour la première fois un politique accepte, dans une période qui n'est pas de crise, de commenter son action de manière critique et d'avouer erreurs et regrets sans langue de bois. D'une certaine manière, cette interview est aussi rafraîchissante que le tutoiement de Daniel Cohn-Bendit : voilà des politiques qui se comportent normalement, qui acceptent de ne pas avoir toujours raison, qui se rencontrent et le disent.

Habile parce qu'elle est menée d'un ton familier et qu'elle le reconciliera avec tous ceux qui, à droite, critiquent moins sa politique que ses mauvaises manières (ce qu'il dit sur son coté bling bling vaut bien pardon). Bien loin de critiquer les journalistes qui l'éreintent, il leur répond de manière assez juste et convaincante.

Cette interview confirme enfin sa fascination pour Mitterrand qui fut certainement son modèle (modèle jusque dans sa politique de communication, Mitterrand avait su lui aussi jouer avec les journalistes, c'était à la télévision avec Yves Mourousi) et auquel il semble en permanence se mesurer.

Est-ce que cela suffira à reconquérir l'opinion? N'est pas Nasser qui veut, mais cela devrait lui permettre de renvoyer au rayon des erreurs de jeunesse ces comportements qui avaient suscité l'antisarkozisme primaire.

Sur le fond, cependant, cette interview ne change rien. Il ne remet en cause rien de sa politique. On aimerait qu'il lui applique la même intelligence critique. Mais c'est sans doute trop demander.

mardi, juin 30, 2009

Une ambassade en cadeau de consolation?

Roger Karoutchi ambassadeur auprès de l'OCDE, Christine Boutin au Vatican et Roger Laporte qui s'en prend à ses anciens collègues sans beaucoup d'élégance demain auprès du Comité Olypiuqe (si cela existe…). Les ministres qui ont perdu leur emploi ne sont pas contents, c'est compréhensible mais faut-il le leur rappeler : c'est la règle du jeu. Et l'on aimerait qu'ils fassent preuve d'un peu de dignité, qu'ils gardent pour eux leur amertume. Promis : cela passera! Mais non, ils protestent et Nicolas Sarkozy dont la gestion des ressources humaines est pour le moins étrange, cède, il leur donne des lots de consolation, des ambassades. Comme si les postes de la République étaient à sa disposition! On me dira que ce n'est pas nouveau. Sans doute, mais cela se faisait autrefois dans la discrétion. Les partants attendaient un peu avant de dégommer leurs collègues de la veille. Aujourd'hui, ils n'attendent même pas qu'une bonne nuit de sommeil les ramène à la raison.

lundi, juin 29, 2009

La rigueur, victime collatérale de l'affaire Geisser

On se souvient de l'affaire Geisser, du nom de ce chercheur convoqué devant le conseil de discipline du CNRS pour manquement à l'obligation de réserve sur intervention d'un fonctionnaire de défense attaché à l'établissement. Une pétition circule pour prendre sa défense qu'Elizabeth Roudinesco refuse de signer parce qu'on n'y présente pas ce chercheur qui défend l'islamisme radical. Ce matin, dans Libération, Esther Benbassa, l'animatrice de cette pétition s'en prend à Roudinesco dans des termes qui retirent un peu plus encore l'envie de signer cette pétition et me font penser que ceux qui l'ont signée, même s'ils ont eu (et ont toujours) de bons motifs de protester, devraient se retirer

Je pense à trois passages de ce texte :

- "Cette ingérence, écrit Benbassa, intolérable risque de devenir la règle dans des universités dont les présidents, désormais autonomes, à savoir tout puissants, pourront se sentir autorisés à imposer toutes les censures. Un bon chercheur ne sera-t-il désormais plus qu'un chercheur docile, ressassant une science inoffensive, et se pliant aux diktats des sots et des puissants." Je veux bien que la polémique n'exige pas une grande rigueur et que beaucoup d'universitaires sont hostiles à l'autonomie. Mais tout de même. Il y a dans ce texte autant d'erreurs de raisonnement que de membres de phrase : généralisation abusive, pétition de principe, raisonnement circulaire, effet d'épouvantail… Si les travaux scientifiques d'Esther Benbassa sont de ce niveau, n'est-ce pas elle qui devrait se trouver devant la commission de discipline pour insuffisance notoire?
- "Mme Roudinesco qui, si elle se prévaut d'un titre universitaire, n'appartient pas (…) au corps des chercheurs ni à celui des enseignants-chercheurs (…) intellectuelle jamais évaluée par sa tutelle (…) pense et agit exactement comme l'ingénieur général…" Cela s'appelle une attaque ad hominem d'autant plus détestable que Mme Roudinesco a bien été sollicitée pour signer cet appel. Elle aurait le droit de s'exprimer lorsqu'elle pense comme Mme Benbassa, et le devoir de se taire lorsqu'elle pense autrement?
- "Si l'on brûle des livres demain…" conclut l'auteur de ce brulôt dont on se demande si elle raisonne toujours avec autant de subtilité et si, lorsqu'elle mène ses recherches, elle réfléchit avec autant de mépris pour le bon sens.

Lorsqu'il y a quelques années, des professeurs très hostiles à Claude Allègre allaient sur les ondes diffuser des contre-vérités, je m'étais demandé s'il était bien raisonnable de leur confier des enfants, en lisant ce texte de benbassa, je me demande si le CNRS ne ferait pas bien de demander à ses collaborateurs non pas un devoir de réserve qui ne veut évidemment rien dire dans leur cas, mais un devoir de respect d'un minimum de rigueur scientifique et logique dans leur expression publique.

Julien Dray, peut-être pas de malversation, mais…

Julien Dray est, nous dit ce matin Libération, sorti souriant de ses trois jours d'audition par la brigade financière : "Il n'y a pas de reproche qui tienne. Tout est vide (...) Rien ne tient" a-t-il affirmé. Soit. Et tant mieux. Reste que les chiffres avancés, ces prêts d'amis laissent rêveurs et… inquiets. Est-ce vraiment une bonne manière de gérer son budget? Disons-le sans méchanceté, un de nos proches se comporterait de cette manière, on se ferait du souci pour lui, on lui recommanderait de changer de mode de vie, on parlerait à mi-mot d'imprudence, de cavalerie, de délit d'amitié, de banqueroute personnelle à venir.

Dans le cas d'un politique, l'inquiétude est encore plus forte. Même si Julien Dray n'est à aucun moment intervenu en faveur de ceux qui lui prêtaient si gentiment de l'argent, comment ne pas voir que ces "bienfaiteurs" pourraient un jour de difficulté le solliciter et qu'il lui serait bien difficile de résister à leur demande.

Je conçois bien que des politiques se disent in petto : "pourquoi n'aurais-je pas moi aussi des revenus élevés alors même que je nomme des gens à des postes qui assurent des centaines de milliers d'euros de revenus" (il suffit de voir les nominations un peu partout dans les grandes entreprises et administrations, de collaborateurs de Nicolas Sarkozy, de leurs proches… et les conditions qui leur sont proposées pour comprendre la tentation) mais on attend justement d'eux, et notamment de socialistes, qu'ils fassent preuve d'un peu plus de vertu que la moyenne de nos concitoyens.

Julien Dray n'a peut-être commis aucun délit, mais il ne s'est certainement pas montré plus vertueux que la moyenne. Et cela, on peut le lui reprocher. Même si l'on comprend qu'être vertueux n'est pas si facile. Aristote parlait à ce propos d'incontinence…

jeudi, juin 25, 2009

Et le front de gauche

On a peu parlé, sinon dans L'Humanité pour s'en féliciter, des résultats du Front de gauche aux dernières élections européennes. Le dernier numéro de La Riposte, organe de militants du PC opposants à la direction (et très liés au Vénézuela qui les finance probablement un peu), vient de publier une intéressante analyse :
- les voix du Front de gauche sont à peine supérieures à celles du PCF en 2004 (+ 100 000 électeurs),
- les voix qu'a perdues le PS (> 2 millions) ne se sont pas reportées sur lui, ce qui signifie que l'avenir de la gauche n'est pas pour ces électeurs à la gauche de la gauche,
- si les abstentions ont surtout touché les classes populaires, c'est que le Front de Gauche n'a pas su les convaincre d'aller voter,
- les alliés du PCF dans ce Front de gauche sont minuscules. Le Front de gauche n'est qu'un faux nez du PC.

Pas mal vu.

mercredi, juin 24, 2009

Un discours qui devrait inquiéter la droite

Versailles apparaît de plus en plus comme un discours raté. Mais il fut probablement plus que cea. Il a mis en évidence l'épuisement du fond idéologique sur Nicolas Sarkozy nous gouverne. Tout se place comme s'il n'avait plus rien à nous dire ni à nous proposer.

Ses analyses de l'endettement (le bon et le mauvais), sa défense du modèle social français sonnent comme une retraite, un repli sur des positions consensuelles. Sa distinction de la bonne et de la mauvaise dette parait directement tirée d'une chronique de Bernard Maris, l'économiste de Charlie hebdo qui officie depuis quelques mois le matin sur France-Inter. Quant à la thèse selon laquelle notre modèle nous protégerait de la crise… on ne l'attendait pas dans la bouche d'un homme de droite qui n'avait hier pas de mots assez durs pour le critiquer.

Il fallait entendre hier les nouveaux ministres à la sortie du Conseil déclarer qu'ils allaient poursuivre les réformes sans nous dire lesquelles ni pour quoi faire pour mesurer combien le projet sarkozien est vidé de tout contenu. Un peu comme un canard auquel on a coupé le cou, il continue de courir dans tous les sens sans le moindre but.

Ce trou d'air idéologique ne serait pas inquiétant si ses adversaires, les socialistes, pouvaient l'inspirer et le forcer à avancer dans leur direction un peu comme fit François Mitterrand dans les années 70 quand Giscard mettait en oeuvre quelques unes des propositions de la gauche (ou comme fit la droite, plus tard, quand les gouvernements Beregovoy et Jospin privatisèrent et libéralisèrent l'économie). Mais le PS et ses alliés sont dans le même trou. Eux non plus ne savent plus à quel saint se vouer ni que nous proposer.

Il ne leur reste qu'à gérer les affaires courantes…

lundi, juin 22, 2009

Le discours de Versailles : un ton très 19ème… siècle

Etrange discours que celui que vient de prononcer Nicolas Sarkozy à Versailles. Dans le style, le ton et les références, il respirait le 19ème siècle avec sa rhétorique classique à base d'anaphores caractéristique du style d'Henri Guaino ("nous devons tout faire… nous devons continuer… nous devons continuer…"), ses références (Jules Ferry, mais aussi Saint-Simon dont on reconnaissait l'esprit avec le rappel répété des vertus de l'investissement : "une place plus grande doit être faite au travail, aux entrepreneurs, aux inventeurs, aux créateurs, à la
production"), son vocabulaire (les internats d'excellence) et jusqu'à ses problématiques : la laïcité, l'éducation, la république … Un 19ème siècle matiné de Chevénement (l'influence de Guaino sans doute), mais aussi de thèmes de droite classique (l'opposition entre l'égalité et l'égalitarisme, les propos sur la liberté qui ne vaut qu'encadrée) alors même qu'il s'est une nouvelle fois approprié quelques unes des icones de la gauche : Jules Ferry, le Conseil National de la Résistance…

Etrange également par ses annonces dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles vont un peu dans tous les sens : mise au rancart des quotas ethniques, construction de places dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons, relance d'Hadopi, emprunt, décisions sur les retraites en 2010, fin de la taxe professionnelle… On aura surtout compris que la réduction des déficits n'est pas une priorité et que le salariat à l'ancienne avec ses contrats à durée indéterminée est un peu plus menacé (l'accent mis sur le travail à temps partiel n'est certainement pas de bon augure pour les salariés).

Etrange encore par ses contradictions et par ses silences : comment ne pas sourire lorsque l'on entend Nicolas Sarkozy vanter les mérites du modèle social à la française? et comment ne pas remarquer l'impasse faite sur les chefs d'entreprises (sauf à considérer que tous sont des créateurs) et les cultivateurs, qui sont pourtant le coeur de son électorat?

Je ne suis pas sûr qu'il y ait là de quoi nous aider à sortir de la crise. Ni même de quoi relancer le quinquennat.

jeudi, juin 18, 2009

L'anti-sarkozisme est en train de s'épuiser

J'ai le sentiment (mais ce n'est, bien sûr, qu'une impression, une intuition qui ne repose sur rien de tangible sinon, peut-être, le ton de la presse, des commentateurs, des journalistes les plus critiques, comme ceux de Marianne) que l'antisarkozisme virulent, celui des premiers mois est en train de s'essouffler, qu'il amuse de moins en moins. Je me demande si nous ne vivons pas actuellement en France quelque chose de comparable à ce qu'ont connu les libéraux américains il y a quelques années et qu'un journal satirique, The Onion appelait en 2004 un "diminished sense of outrage".

En fait, ce phénomène n'est pas nouveau, tous les présidents qui ont été très critiqués à leurs débuts, comme François Mitterrand, De Gaulle ou Giscard d'Estaing, ont bénéficié au bout de quelques années d'un répit. Les critiques se sont calmés.

Ce serait évidemment une très mauvaise nouvelle pour ceux qui ont construit leur projet politique sur l'antisarkozisme et pour ceux qui pensent qu'il pourrait l'aider à reprendre le pouvoir.

mercredi, juin 17, 2009

Le PS croit-il encore à sa victoire en 2012?

La multiplication des pré-candidatures de quadras aux prochaines élections présidentielles au PS montre que celui est encore plus malade que ne le pensent ses dirigeants. Ces candidatures montre à l'évidence qu'aucun leader ne se dégage mais, comme aucun des nouveaux venus au bal ne peut prétendre sérieusement être retenu et moins encore élu en 2012, elles indiquent que tous ces jeunes ambitieux se préparent pour 2017 : ils ont fait une croix sur la prochaine élection présidentielle et, plus grave, n'ont aucun intérêt à ce qu'un socialiste l'emporte. Le désordre actuel est sans doute le meilleur allié de leurs ambitions pour peu… que le PS résiste et conserve sa première place au sein de la gauche d'ici là. Ce qui est le plus probable vus les comportements groupusculaires du NPA et l'hostilité de Mélenchon à l'égard des écologistes.

Au delà des arrière-pensées, le calcul de tous ces apprentis candidats n'est pas dénué de fondement :
- il est peu probable que le PS soit prêt en 2012. Il y a de fortes chances qu'il se lance dans la campagne sans programme convaincant ni organisation adaptée,
- l'antisarkozysme aura fait long feu et les Français se seront habitués aux mauvaises manières de leur Président (cela commence déjà),
- Sarkozy a de bonnes chances d'arriver à cette élection dans les meilleures conditions, au moment où l'on commencera à sentir les premiers effets bénéfiques du rebond après avoir touché le fond de la crise. Il pourrait avoir la chance de nombreux présidents républicains aux Etats-Unis : leur politique crée, les deux premières années, une mini récession dont pays sort au milieu de mandat. Lorsqu'ils se représentent, tout va mieux et ils sont crédités de cette amélioration.

Dans l'état actuel des choses, la seule menace sur la réelection de Nicolas Sarkozy pourrait être une profonde crise sociale d'ici à la fin de son mandat.

jeudi, juin 11, 2009

Sarkozy et le tabouret

Nicolas Sarkozy est petit. Cela amuse les caricaturistes et, semble-t-il, les britanniques. Il essaie parfois de se réhausser comme sur cette photo que j'ai trouvée sur le blog du correspondant du Times en France. Photo qui a été l'occasion d'une de ces attaques mordantes du Daily Mail contre la France et les Français dont est si friande la presse britannique. Il est vrai que l'image prête à la moquerie. Pour ma part, elle me laisse plutôt perplexe.

Que Nicolas Sarkozy ait envie de se redresser pour paraître à la hauteur de Barack Obama, je le comprends, mais il est intelligent, averti, il sait très bien qu'il se trouvera quelqu'un dans l'assistance pour le photographier perché sur son tabouret et pour vendre sa photographie à un tabloïd ou la faire circuler sur le web. Est-ce que son image immédiate à la télévision compte plus que tout autre chose? est-ce qu'il se moque de l'opinion des britanniques et des internautes? Il y a probablement un peu des deux.

Je me demande si nous n'avons pas là un effet secondaire et contre-intuitif de l'antisarkozisme. A force d'être la cible de critiques et de moqueries de toutes sortes (il n'y a pas si longtemps dans un dîner très mondain, ma voisine, aussi bourgeoise que conservatrice l'appelait joliment le Marsupilami), Nicolas Sarkozy, bien loin de s'amender, semble avoir décidé de n'en faire qu'à sa tête. Après tout, les électeurs savent maintenant depuis longtemps à quoi s'en tenir. Il ne risque plus grand chose à laisser sa nature parler. Nous finirons bien par nous fatiguer ou par nous habituer à ces (petits) travers. Nous aurions ainsi le cas de figure assez inédit d'un dirigeant politique que le ridicule ne tue pas.

mardi, juin 09, 2009

Le drame du PS : ce n'est plus une opposition, mais un vivier

Cette dernière défaite du PS signale un changement majeur : le Parti Socialiste a cessé d'être un parti d'opposition. Non que ses dirigeants soient plus sarkozystes aujourd'hui qu'hier, ils le sont toujours autant, mais la victoire d'Europe Ecologie a déplacé le curseur. La véritable opposition au pouvoir en place est ce rassemblement hétéroclite dont l'avenir n'est pas garanti. Je dis opposition parce que c'est aujourd'hui la seule force qui ne soit pas dans la majorité que le gouvernement est forcé d'écouter, la seule qui lui impose ses problématiques et qui l'oblige à se définir en fonction de ses projets, de son programme. Une opposition, c'est cela. Ce n'est que cela : la force politique qui ne gouverne pas mais qui cependant impose ses thèmes aux gens en place. C'est ce qu'a été pendant toutes les années 70 le PS. La droite gouvernait, mais la plupart des réformes qu'elle a alors mis en place s'inspiraient de son programme : avortement, vote à 18 ans, allégement de la censure… tout cela venait de la gauche. La seule vraie réforme de droite des années Giscard a été la libération des prix.

Le PS a cessé d'être cette force d'inspiration. Plus personne ne s'intéresse à ce qu'il pense, ne se préoccupe de son programme. Les quelques idées qu'avait amenées Ségolène Royal pendant la campagne électorale ont disparu de l'horizon. Il ne lui reste que ses élus et ses experts. Le PS a su attirer pendant les années Mitterrand toute une génération de qualité qui en est restée proche mais qui aimerait bien goûter aux plaisirs du pouvoir. C'est devenu un vivier dans lequel Nicolas Sarkozy pioche avec délectation. Et pas seulement pour des ministères : combien de hauts fonctionnaires formés dans des cabinets minsitériels de gauche sont aujourd'hui dans les allées du pouvoir?

Etre un vivier a bien sûr des avantages. Cela permet de gérer correctement des villes et des régions Et les succès du PS dans ce domaine tiennent probablement pour beaucoup à ces compétences. Mais il devrait se méfier, les plus jeunes ne se tournent plus vers lui. Et c'est demain à droite que se trouvera ce vivier de compétences.

lundi, juin 08, 2009

Pourquoi s'étonner du succès d'Europe écologie?

Daniel Cohn-Bendit a gagné son pari pour d'excellentes raisons :
- il a pris au sérieux ces élections et il leur a donné du sens comme lorsqu'il a expliqué, lors du débat d'Antenne 2, que voter pour la liste UMP, c'était prendre le risque de voir Barroso remplacé à la tête de la commission par un conservateur choisi par Berlusconi (qui avec ses 40% d'intention de votes promettait d'avoir le plus gros groupe au sein du groupe conservateur),
- par la seule présence d'Eva Joly en deuxième position sur ses listes, il a montré qu'il souhaitait agir sur la crise et sur l'une de ses dimensions majeures : la corruption,
- son programme parlait de la deuxième crise majeure : celle de l'environnement,
- par son tutoiement des autres candidats, par sa manière de mettre en scène leur connivence une fois élu (nous travaillerons ensemble a-t-il dit à Bayrou), il leur a donné à tous un vrai coup de vieux et rendu à la politique un peu de ses lettres de noblesse.

dimanche, juin 07, 2009

L'insoutenable suspense a pris fin…

Ca y est, nous connaissons le nom du restaurant où Barack Obama a passé sa soirée. Le suspense était intenable. L'heureux gagnant : la Fontaine de Mars, rue Saint-Dominique, un agréable restaurant de quartier aux prix raisonnables (Barack Obama a payé 300 € pour cinq personnes, sans vin il est vrai) et accessibles à sinon tout le monde du moins à quiconque appartient aux classes moyennes. Il a paraît-il payé de sa poche. Voilà qui nous change d'un Président qui ne connaît que les restaurants des meilleurs hôtels parisiens où, pour le même prix, on a (vin compris soyons honnête) le repas d'une personne… Tant pis pour Ducasse et autres grands chefs qu'on avait annoncés.

Fraîcheur franco-américaine

Etait-ce le climat normand? Il était hier difficile de ne pas saisir sur le vif, lors des discours de commémoration du débarquement, l'extrême fraîcheur des relations entre Nicolas Sarkozy et Barack Obama, mais également la manière dont celui-ci dominait trois de ses alliés les plus proches tant de la taille que dans ses attitudes. C'était Nicolas Sarkozy qui recevait, c'était Obama qui commandait (je pense, notamment, à cette petite scène où, à la fin de la cérémonie, il se lève le premier et incite par son seul geste, les quatre autres à faire de même). Ajouterais-je, détail insignifiant, que c'était Michelle la plus belle (Carla Bruni d'ordinaire si séduisante et lumineuse était hier comme éteinte, vieillie, presque laide de profil)?

Cette fraîcheur a probablement une histoire (les bonnes relations de Nicolas Sarkozy et de l'équipe Bush y ont probablement contribué) et une justification géo-politique (Obama juge certainement plus importants et intéressants les dossiers afghans ou moyen-orientaux que les dossiers européens), mais il y a plus. Il y a derrière cette fraîcheur quelque chose de l'ordre de la jalousie (de la part de Nicoals Sarkozy : il a voulu réformer, c'est Obama qui est en passe de transformer le monde), du snobisme (de la part d'Obama, tellement plus "distingué" que notre Président dont la démarche me rappelle toujours celle d'Aldo Maccione cherchant à séduire des filles sur une plage), mais aussi, et c'est plus sérieux et plus inquiétant, de l'incompréhension : Obama paraît éprouver quelques difficultés à comprendre la culture laïque européenne. Sa petite phrase sur le voile au Caire est caractéristique. Fallait-il pour réchauffer les relations avec les musulmans s'ingérer, même si ce fut délicatement, dans les affaires françaises? Ce n'est pas que cette loi sur le voile soit la panacée, loin s'en faut et je l'ai en son temps critiquée, mais elle illustre notre volonté commune de construire une société qui renvoie les religions dans la sphère privée. C'est au moins un modèle que l'on pourrait proposer aux sociétés du Moyen-Orient tentées par la théocratie.

vendredi, juin 05, 2009

François Bayrou a perdu gros hier soir

François Bayrou a perdu gros hier soir. Depuis quelques jours, depuis qu'un sondage l'a fait passer derrière la liste que mène Cohn-Bendit, il semble avoir perdu son sang froid. En s'en prenant de manière répétée aux sondeurs, qu'il accuse d'être au service de l'Elysée, il se donne une allure d'imprécateur qui n'est certainement pas la meilleure manière de prétendre à un rôle de premier plan.

En attaquant sur France 2 Cohn-Bendit qui rappelait que dans une campagne sur les élections européennes il serait bon de parler d'Europe, il a commis une triple erreur :
- il a, d'abord, brouillé son image d'européen qui était l'un de ses meilleurs atouts,
- il a révélé la faiblesse d'un programme qui repose presque exclusivement sur l'anti-sarkozysme, ce qui est un peu court et très bien partagé (en la matière, Cohn-Bendit a d'ailleurs été hier soir plus pertinent et percutant),
- il a, enfin, donné à l'UMP et au PS un bon angle pour l'attaquer.

J'ajouterai qu'il a révélé plusieurs faiblesses de caractère, une faculté à perdre son sang froid qu'il devrait maîtriser, un usage pour le moins peu rigoureux de la vérité (sur les déjeuners à l'Elysée) et une absence de scrupules qui ne l'honore pas (les attaques sur un livre qu'il dit avoir lu quelques jours plus tôt, alors qu'il a été publié il y a 25 ans, qu'il est depuis des années épuisé et certainement complètement dépassé : pourquoi se plonger dans ce livre sinon pour y trouver des armes contre son adversaire?). Plutôt que de persister et signer, comme il semble avoir choisi de faire, il devrait revenir à la seule chose qui devrait compter dans cette campagne : l'Europe.

Petite plaidoirie pour la défense de la téléréalité

Un tribunal vient de tuer la téléréalité. La mesure a probablement fait plaisir à la plupart d'entre nous. Ce genre n'a pas très bonne presse en France (en a-t-il une meilleure ailleurs?). J'ai cependant envie de la défendre. Non que ces émissions aient toutes été de grande qualité, loin s'en faut, mais la téléréalité représente un progrès considérable sur un point majeur : l'effet réalité. Elle donne un coup de vieux à toutes les autres représentations, au jeu des acteurs qui parait décalé à la télévision comme au cinéma ou au théâtre : on n'y croit plus vraiment. Si la première saison du Loft (Big brother ailleurs dans le monde) a eu tant de succès, c'est qu'elle donnait à un très grand nombre de téléspectateurs (dont j'étais) l'occasion d'entendre et de voir des jeunes gens tels qu'en eux-mêmes, comme on ne les voit jamais, dans une situation artificielle mais somme toute assez proche des colonies de vacances.

Je n'ai ni regardé les saisons suivantes ni les autres émissions du même type, mais je viens de voir quelques épisodes d'une très étrange émission américaine conçue dans le même esprit, Family Business, réalisée et produite par l'une des spécialistes américaine du genre, Allison Grodner.

Cette émission suit, accompagne, un entrepreneur, sa mère, son cousin, tous les membres donc d'une petite PME dont le métier est la production de films pornographiques (profession dont cette série nous montre les dessous : le casting, la mise en scène, le tournage…). C'est probablement à demi scénarisé, mais on a, comme dans le Loft (ou dans Strip-tease, cette excellente émission belge), ce même sentiment de réalité : les "acteurs" ne jouent pas, ils sont comme saisis dans leur quotidien tels qu'en eux-mêmes. C'est assez amusant, c'est à l'occasion instructif, mais cela donne surtout le sentiment d'être dans l'intimité des personnages, ce qui permet de découvrir des aspects inattendus de leur vie. Ainsi dans la seconde saison, le cousin (dont le vocabulaire parait réduit à deux ou trois mots de quatre lettres) a oublié le 25ème anniversaire de son mariage à la grande fureur de sa femme. Il la rejoint à Las Vegas où elle assiste à un salon professionnel. Pour se faire pardonner, il organise un remariage (comment dit-on en français? une confirmation? un renouvellement de ses voeux de mariage? un mariage bis?). Ce qui nous donne l'occasion de visiter, comme je ne l'avais jamais fait, ces chapelles dont le mariage est le business et où un faux Elvis Presley peut célébrer la cérémonie. Cela fait de la très bonne télévision. Si celle-ci peut prétendre à une dimension esthétique, c'est dans des émissions comme celle-ci et dans les émissions sportives… bien plus que dans les émissions culturelles qui importent sur le petit écran des pratiques développées pour d'autres média.

mardi, mai 26, 2009

Sur terrorisme, une excellente analyse de Julien Coupat

Le Monde a publié hier une longue interview de Julien Coupat qui respire l'intelligence et l'ironie. Je ne retiendrai pas tout de ses analyses, mais celle qu'il donne du terrorisme me parait lumineuse et particulièrement pertinente. Elle offre qui plus est un angle d'attaque des pratiques de gouvernement plus intéressant que les sempiternelles protestations contre le bling-bling et donne un contenu aux accusations d'autoritarisme. A la questions "Que signifie pour vous le mot terrorisme ?" il répond :

"Rien ne permet d'expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d'avoir orchestré, au su de la DST, la vague d'attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d'expliquer non plus la soudaine transmutation du "terroriste" en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d'Evian, en policier irakien ou en "taliban modéré" de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine. Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d'avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s'exécutera avec promptitude. Qui n'étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex - "terroristes" devenus l'un premier ministre d'Israël, l'autre président de l'Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.

Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir : l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L'antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite "psychologique", pour rester poli. L'antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n'est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la méthode par quoi l'on produit, positivement, l'ennemi politique en tant que terroriste. Il s'agit, par tout un luxe de provocations, d'infiltrations, de surveillance, d'intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l'"action psychologique", de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d'anéantir la "menace subversive" en associant, au sein de la population, l'ennemi intérieur, l'ennemi politique à l'affect de la terreur.

L'essentiel, dans la guerre moderne, est cette "bataille des coeurs et des esprits" où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l'ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l'exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l'humilier publiquement, inciter les plus vils à l'accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. "La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l'arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu'une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l'effort de guerre de la façon la plus discrète possible", conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson, (ancien général de l'armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionnelle) qui en savait quelque chose.

Une fois n'est pas coutume, dans notre cas, l'antiterrorisme a fait un four. On n'est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée "raisonnable" est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l'échec ; comme est compréhensible l'acharnement un peu mesquin des "services", depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades.

Combien cette logique de représailles a d'emprise sur l'institution policière, et sur le petit coeur des juges, voilà ce qu'auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des "proches de Julien Coupat". Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer (criminologue), d'autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini (directeur central du renseignement intérieur), d'autres encore la crédibilité qu'ils n'ont jamais eue et qu'ils n'auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie."

lundi, avril 27, 2009

Situation pré-révolutionnaire, mai 2009? Cessons de nous faire peur

Nos élites sont, depuis quelques jours, saisies d'une singulière inquiétude. Nous serions dans une situation pré-révolutionnaire. C'est ce qu'affirmait il y a quelques jours Dominique de Villepin, ce que reprenait hier le Journal du Dimanche qui se demandait si nous ne sommes pas à la veille d'un nouveau mai. Origine de toutes ces inquiétudes : les tensions sociales qui se font de plus en plus vives et, d'abord, les séquestrations de patrons qui se multiplient.

Tout cela me paraît relever, au mieux, d'une erreur d'analyse, au pire d'une de ces tentatives de manipulation de l'opinion ou, plutôt, d'une de ces séquences médiatiques où un thème qui séduit les journalistes (qui fait de bons titres) se trouve occuper pendant quelques jours la une sans autre motif que sa capacité à inquiéter l'opinion.

Mais puisqu'il s'agit tout de même de choses graves, regardons d'un peu plus près ce qui permettrait de justifier cette explosion sociale. Trois éléments viennent en tête :
- la dégradation de l'image des élites qui se sont révélées, qui se révèlent chaque jour un peu plus prédatrices, comme en témoignent ces informations qui tombent régulièrement sur les stock-options et autres bonus que s'accordent des dirigeants de ces banques au bord de la faillite qui ne survivent que grâce à l'argent de l'Etat,
- la dégradation de la situation sociale et la montée du chômage,
- la tension accrue des relations sociales et la multiplication des événements violents.

Mais peut-être faut-il les regarder de plus près et évaluer le potentiel révolutionnaire de chacun.

La dégradation des élites est certainement un moment important dans les situations pré-révolutionnaires. Et l'on ne peut masquer le fait que les élites économiques et financières ont pris un coup dans l'aile. La multiplication des scandales financiers a mis en évidence le comportement de prédateurs des dirigeants des grandes banques et grandes entreprises. Mais on aurait tort de généraliser. Si les élites économiques se sont montrées telles qu'en elles-mêmes, inconséquentes, égoïstes, amorales, surtout occupées à s'enrichir sur le dos des autres, les élites politiques sortent, pour l'instant, plutôt renforcées de cette crise. Non seulement, elles en ont pris dans la plupart des grands pays très tôt la mesure, mais elles sont su retourner leur "veste idéologique", lancer des plans de grande ampleur, s'allier et lutter contre le protectionnisme et l'égoïsme national.

Ces plans ne donneront peut-être pas ce qu'en elles attendent, mais elles n'ont pas faibli et se sont comportées en leaders. C'est vrai de Gordon Brown, de Barack Obama, de Nicolas Sarkozy mais aussi de la plupart de leurs collègues. Les faiblesses que l'on peut reprocher aux uns et aux autres ne sont rien au coté de ce qu'ils auraient pu nous montrer s'ils n'avaient pas su s'entendre lors du dernier G20.

La tension accrue des relations sociales est une évidence dont témoignent la multiplication des séquestrations en France, mais aussi l'émergence de nouvelles pratiques sociales (occupation des locaux, destruction de logements privés…) dans des pays traditionnellement plus calmes, comme la Grande-Bretagne ou l'Irlande. Ces violences doivent cependant être relativisées. Non seulement , elles sont peu nombreuses (combien de cas de séquestrations? 8 ou 9, pas plus), mais elles sont surtout symboliques et se situent dans un contexte très particulier qui a rarement été décrit : il s'agit dans presque tous les cas d'entreprises internationales. Les salariés protestent contre des décisions prises à l'autre bout du monde sans la moindre concertation, ils séquestrent des cadres qui n'ont pas eu leur mot à dire, qui ont parfois été informés comme eux-mêmes au tout dernier moment par un mail ou un fax. Quand on regarde de près, on découvre que leurs revendications sont le plus souvent extrêmement raisonnables : il s'agit d'améliorer les conditions d'un plan social, pas de revenir sur la décision de fermeture de l'établissement. Ils séquestrent des cadres (et non pas, comme le dit la presse, des patrons) pour forcer l'entreprise à négocier. Ce n'est pas le dialogue social à la française qui est en cause, comme on le dit trop (sur un dialogue social qui ne fonctionne pas si mal que cela, voir ici et ), c'est le refus de directions étrangères d'entrer dans le moindre négociation qui est à l'origine de ces événements. Ce qui est tout différent. Il n'y a pas de motif que ce type d'action se développe dans des entreprises qui respectent les règles.

La dégradation du chômage est une évidence, mais est-ce dans les périodes de difficulté que l'on fait la révolution? Il me semble que c'est plutôt dans celles où les choses vont mieux, où on a le sentiment de ne pas profiter pleinement de l'amélioration de la situation économique. Si mouvement social de grande ampleur il doit y avoir, ce n'est pas pour dans quelques semaines, mais plus tard, dans quelques mois, lorsque les salariés, qui sont souvent les mieux informés de la réalité de la situation économique (qui peut l'être mieux que l'ouvrier qui voit sa charge de travail augmenter? la caissière qui voit changer la composition du panier de la ménagère? l'acheteur qui doit négocier plus ou moins durement prix et délais?…), verront la situation générale s'améliorer sans que la leur change.

Pour tous ces motifs nous ne sommes pas dans une situation pré-révolutionnaire. Il est inutile de s'affoler, d'affoler l'opinion. A moins qu'il s'agisse d'une opération de communication pour gagner les prochaines élections. Mais, franchement, j'en doute : on peut imaginer que le Journal du Dimanche de Claude Askolovitch joue à ce petit jeu (encore que…), mais pourquoi Dominique de Villepin irait-il porter main forte à l'UMP?

Le prochain 1er mai sera un grand succès, mais le 2 mai, tout le monde retournera travailler comme d'habitude en se félicitant des foules de la veille. Sans plus.

mercredi, avril 22, 2009

Ces ministres qui se préparent pour le remaniement

Il y a quelques semaines, je m'interrogeais ici même sur le comportement de ces ministres qui choisissent le moment de leur départ dans la presse. Le Canard Enchaîné se fait ce matin l'écho de la colère de Nicolas Sarkozy en Conseil des ministres à la lecture d'un article du Figaro sur les ambitions des uns et des autres pour le prochain remaniement. Difficile de lui donner tort. Ces propos sont indécents, tout comme l'ont été, à leur manière, ceux de ces députés qui, à peine sortis de l'Elysée, sont allés raconter urbi et orbi (je veux dire aux journalistes qui savent les flatter) ce que leur avait dit le Président.

François Mitterrand avait, en son temps, souffert de l'incontinence verbale de ses conseillers qui, à peine quittées leurs fonctions, se lançaient dans la rédaction d'ouvrages critiquant ce qu'ils avaient aimé la veille. Du moins pouvait-on lui accorder le bénéfice de la tolérance. Avec Nicolas Sarkozy, on a passé une nouvelle étape : les collaborateurs et ministres s'expriment pendant leur mandat et n'hésitent pas à chercher à forcer la main du Président en public.

Sans doute faut-il y voir une désacralisation de la fonction présidentielle. Mais au delà, on peut aussi y deviner un des effets pervers de cette course à la candidature à la présidentielle qu'est devenue notre vie politique. Dès lors que tout un chacun ou presque, pour peu qu'il ait un jour été élu ou ait occupé une place de prestige (ce qui fait beaucoup de monde), peut se penser en candidat, il n'y a plus de motif de respecter celui qui occupe le poste. Surtout si celui-ci abuse de la promiscuité, des familiarités, tutoie le premier venu et hésite à sanctionner.

Je n'ai aucun titre pour donner le moindre conseil à Nicolas Sarkozy et je suis sûr qu'il n'a que faire de mes remarques, mais le mieux pour en finir avec cette détestable dérive qui mine son pouvoir et plus encore celui de son gouvernement, serait :
1) d'en finir avec les colères qui finissent dans les journaux et de frapper, je veux dire demander immédiatement les démissions de ces Morano, Barnier et alii qui se répandent dans les médias sur leurs ambitions. Il est probable que cela forcerait rapidement les autres à un peu plus de prudence ;
et 2) de retrouver le sens des rites : quoique l'on en pense par ailleurs, et même si cela peut paraître un peu ridicule, un Président doit conserver une certaine distance. Il est normal qu'on le vouvoie et qu'on l'appelle Mr le Président, même quand on a cueilli des pâquerettes avec lui. Ce n'est pas l'homme que l'on vise, c'est la fonction que l'on respecte. Giscard, Mitterrand (et plus encore de Gaulle) savaient cela…

Ceci écrit, je me sens vraiment très… conservateur et vieux jeu.

mardi, avril 21, 2009

Ségolène ou la stratégie de Saint-Sébastien

Ségolène a-t-elle eu raison ou tort? Le tir ciblé de la droite, la gêne de la gauche après ses dernières frasques, je veux dire cette demande de pardon à Zapatero, pourraient faire penser qu'elle est allée, cette fois-ci, un peu trop loin. Il est vrai qu'elle a tiré tellement plus vite que son ombre qu'elle s'est mépris sur le sens de la phrase de Nicolas Sarkozy. Et, cependant… je me demande si tout cela ne participe pas d'une stratégie que j'appellerais de Saint-Sébastien, ce saint, patron des archers et de quelques autres dont les homosexuels, que l'on connaît pour ses représentations, nu, beau, le corps transpercé de flèches qui ne l'ont cependant pas tué (il est mort quelques temps plus tard lapidé). Parce qu'in fine Ségolène ressort victime de cette passe d'armes et mieux encore révélatrice des faiblesses du camp d'en face, de la grossièreté inimaginable de Frédéric Lefebvre (comment un Président de la République peut-il s'acoquiner avec pareil voyou?), mais aussi de la lâcheté insigne des socialistes (comment peuvent-ils laisser la majorité l'insulter ainsi sans protester?).

Je ne suis pas sûr qu'elle-même s'en sorte indemne, du moins vit-elle toujours et a-t-elle réussi à faire de la négligence de Sarkozy (parce qu'il en s'agit en réalité que de cela) un fait politique grave. Ce n'est pas rien.

jeudi, avril 09, 2009

Ségolène en boubou : ma femme de ménage?

Canal + a hier montré des images édifiantes d'un certain Destrem, élu UMP parisien, faisant rire tous ses collègues avec une photo représentant Ségolène Royal en boubou bleu au Sénégal. Interrogé un peu plus tard par un journaliste de la chaîne sur ce qu'il voyait dans cette image, il a répondu ma femme de ménage.




Plus que la grossièreté du personnage (qui ne m'étonne pas, je l'ai croisé il y a de nombreuses années lorsqu'il travaillait chez IBM, il se faisait porter dans les réunions qu'il dirigeait un café pour lui seul et n'hésitait pas à demander aux journaux auxquels il confiait des budgets de passer gratuitement des publicités pour l'agence de mannequin de sa femme), c'est la vérité de ce qu'il dit qui m'a frappé. C'est vrai que nos femmes de ménage portent parfois des boubous. C'est qu'elles sont maliennes et souvent sans-papiers. Ce sont les mêmes qui sont victimes des lois que Destrem et ses amis votent au Parlement. Hypocrisie de ces élus qui condamnent ceux-là mêmes qu'ils emploient au noir.

mercredi, avril 08, 2009

Immigration : le sort des guerres coloniales?

Le Monde nous annonce que Nicolas Sarkozy vient de donner de nouveaux objectifs à Eric Besson. "Nouveaux", en ce qu'ils consistent à reprendre ce que faisait son prédécesseur, "de s'inscrire dans la continuité de l'action de son prédécesseur, Brice Hortefeux et de "consolider les succès" enregistrés depuis 18 mois dans la mise en place d’une "politique française de l’immigration et de l’intégration équilibrée, juste et ferme".

Tout cela me rappelle les déclarations des autorités militaires pendant les guerres coloniales. On y retrouve le même mélange d'objectifs que l'on répète constamment sans jamais les atteindre, de batailles gagnées chaque matin alors même que l'on observe, chaque soir, que l'on n'a pas avancé d'un pas dans la direction de la victoire. Comment pourrait-il, d'ailleurs, en être autrement? Comment peut-on empêcher des gens qui souffrent, et qui sont ambitieux, de chercher, par tous les moyens, même les plus dangereux, à se rapprocher de pays où ils peuvent espérer gagner leur vie?

Dans des articles, des émissions de radio et dans un livre publié il y a quelques années, j'avais tenté de montrer l'inanité de cette guerre que l'on ne peut pas plus gagner qu'on ne pouvait gagner les guerres coloniales. Et pour les mêmes raisons : chaque bataille gagnée contre l'immigration est une défaite pour les valeurs qui fondent notre société. Peut-on laisser, au nom de la lutte contre l'immigration clandestine, se noyer des gens à nos portes sans contrevenir aux principes élémentaires d'assistances aux personnes en danger? Peut-on, au nom de la même lutte, arrêter et menacer de peines de prison des citoyens ordinaires qui font preuve de solidarité à l'égard de malheureux que la police renvoie brutalement chez eux sans mettre en cause le droit de chacun de contrôler le travail des fonctionnaires?

J'ajouterai, pour terminer, sur une conversation que j'ai eue récemment avec une responsable des ressources humaines de Veolia qui avait, pendant quelques années, travaillé dans un service chargé du nettoyage de la voirie qui recrutait beaucoup de Maliens. Après m'avoir raconté les difficultés pratiques de lutter contre les sans-papiers, elle m'avoua qu'il était bien plus agréable de travailler avec des immigrés qui avaient quitté leurs pays parce qu'ils étaient plus ambitieux que la moyenne qu'avec des Français de souche qui ne se lançaient dans les métiers du nettoyage que parce qu'ils avaient échoué dans tout le reste. "D'un coté, me disait-elle en substance, nous avions des gens qui voulaient s'en sortir et qui se battaient pour, de l'autre, des gens qui allaient d'échecs en échecs." N'est-ce pas une évidence que nos politiques arc-boutées dans leur lutte sans fin contre l'immigation devraient un jour entendre?